L’industrie de la guitare est un univers extrêmement normé. Il est ainsi de rigueur pour les marques de proposer chaque année une énième version revue et corrigée de ses grands classiques. Il y a quelques mois, nous nous sommes rendus chez Gibson pour découvrir de nos propres yeux la nouvelle gamme 2016. Ne nous le cachons pas, les surprises étaient peu nombreuses, mais une guitare nous a néanmoins intrigués : la SG Special 2016. Il faut dire qu’avec ses mini-humbuckers et sa finition satinée Vintage Sunburst, la belle sort forcément du lot. Mais que vaut réellement cette guitare ? Nous avons passé au crible les deux déclinaisons proposées par Gibson.
Cornes de gazelles
Cette année, tous les modèles Gibson USA sont proposés dans une version Traditional et dans une version High Performance. Cette dernière, un peu plus onéreuse, est censée être mieux finie et proposer quelques caractéristiques plus modernes et pointues. Dans les deux cas, la SG Special 2016 est dotée d’un corps en acajou grade C, d’un manche arrondi en érable, d’une touche en palissandre avec radius de 12”, de 22 frettes, et d’un chevalet Tune-O-Matic avec cordier StopBar. Côté électronique, on retrouve deux contrôles de volume, deux contrôles de tonalité, un sélecteur trois positions, et deux mini-humbuckers 490R Alnico II et 490T Alnico II.
Les autres caractéristiques sont par contre différentes suivant les versions. Ainsi, le modèle T est équipé d’un sillet en TekToid de 1.695”, alors que la HP embarque un sillet réglable Zero Fret en titane de 1.745”. Le talon de type Fast Access de la HP est aussi moins volumineux. À l’inverse, son manche de type Soloist est un peu plus large que celui de la Traditional. Les incrustations sont en nacre véritable sur le modèle haute performance, alors que la T se contente d’acrylique. Enfin, si les mécaniques de la guitare la moins chère sont des Grover assez classiques, la HP intègre la nouvelle génération du « fameux » système d’accordage automatique G Force déjà présent en 2015.
Au premier regard, les guitares ne se distinguent quasiment pas l’une de l’autre. Pourtant, en observant bien, on remarque que le bois du corps de la HP est un peu plus travaillé, que ses cornes sont plus affutées, et que la plaque de protection possède des courbes plus flatteuses. Les lignes sont plus harmonieuses et plus agressives, c’est la SG qu’on aime ! La liaison avec le manche est aussi bien plus réussie que sur le modèle Traditional. Le talon Fast Access fait clairement la différence.
Pour autant les finitions ne sont pas parfaites même sur la guitare la plus haut de gamme. Sur mon modèle de HP, la touche n’est pas parfaitement collée au manche. Il y a un petit jeu qui crée visuellement une démarcation que l’on ressent aussi au toucher. De plus, certaines incrustations manquent de propreté. Rien de catastrophique pour autant, mais une guitare à 1 099 € pourrait être exempte de ces petits défauts.
Mais c’est surtout en prenant les guitares en main que l’on ressent des différences. Si les deux guitares sont assez légères, c’est des SG après tout, le système G Force alourdit considérablement la tête du modèle HP. L’équilibre de la guitare est complètement ruiné, c’est infernal ! Les guitares SG ont toujours tendance à légèrement piquer du nez en position debout, mais là, c’est même le cas assis. En se relevant, c’est encore pire ! Gibson a beau avoir déporté l’attache derrière la corne pour la High Performance, la guitare nécessite qu’on la soutienne sans cesse. Un tel raté est absolument incompréhensible. C’est donc un sentiment contrasté qui m’anime avant de brancher les guitares. Si le modèle T me parait cohérent avec son prix de 780 € environ, les problèmes constatés sur la HP m’attristent. Heureusement, ces guitares me réservaient quelques surprises…
Max et les Mini-humbuckers
Un élément m’a tout de suite réconcilié avec les SG Special 2016 (enfin surtout avec le modèle HP) : même non branchées, ces guitares ont du corps. Ça vibre, ça résonne longtemps, bref, ça augure du tout bon ! Écoutons tout de suite ce que cela donne en son clair. Les deux guitares étant très similaires, j’ai uniquement enregistré la HP, de façon à pouvoir aussi vous faire écouter les résultats de l’accordage automatique. Comme d’habitude, j’ai utilisé la guitare directement branchée dans un Kemper Profiler, lui-même relié en stéréo à une carte son Line 6 POD Studio UX2. Pour les sons clairs, le preset sélectionné dans le Kemper est « Simply Clean » (simulation d’un Rockerverb 50). Je débute avec le micro grave puis je change les positions. Vous m’entendrez parfois m’accorder avec le G Force. C’est notamment le cas dans le deuxième exemple, où je débute avec un accordage ouvert DADGAD, puis je retourne à un accordage standard. Dans le dernier extrait, je joue avec le potard de tonalité sur le micro manche afin d’obtenir des sonorités plus rondes.
- Extrait 1 Clean Micro manche 01:16
- Extrait 2 Clean Micro mid 02:13
- Extrait 3 Clean Micro chevalet 02:14
- Extrait 4 Clean Micro manche + tone 01:14
Au niveau des sonorités, j’ai trouvé le micro manche plein, rond, chaud, mais très clair et précis sans excès de basse. Le micro chevalet offre, lui, du claquant, et est punchy sans être agressif. Je ne connaissais pas les mini-humbucker jusque là, et c’est une excellente surprise. On n’a pas affaire à un humbucker ou un P90. Ce micro a vraiment sa propre identité, vous le constaterez également en son saturé. Enfin, la position intermédiaire est très équilibrée. Elle apporte le meilleur des deux mondes.
Profitons-en également pour parler de l’accordage automatique. Je l’ai trouvé assez aléatoire, rarement parfaitement juste, mais jamais catastrophique. Il me parait nécessaire d’ajuster manuellement quelques cordes. C’est un peu déstabilisant au début, car en tournant les mécaniques, on sent que l’on pousse des parties motorisées, et il est difficile d’être très précis. J’ai obtenu des meilleurs résultats en m’accordant manuellement, puis en enregistrant cet accordage dans la machine. Mais malgré tout, je ne suis pas convaincu par ce système. C’est certes très intéressant lorsque l’on change radicalement d’accordage (un paquet d’open et de drop sont préenregistrés), mais le système de Gibson serait vraiment réussi s’il assurait un accordage parfait à tous les coups… Écoutons à présent des sons avec de la saturation. J’ai utilisé le preset « AC Normal Drive » (simulation d’un AC30).
- Extrait 5 Saturation Micro manche 01:32
- Extrait 6 Saturation Micro mid 01:54
- Extrait 7 Saturation Micro chevalet 01:36
Le micro manche offre un son crémeux, mais reste très précis, particulièrement quand on attaque les cordes avec force. Comme en son clair, on obtient un son rond avec des basses, mais c’est très équilibré. On ne sombre jamais dans le « too much ». J’adore ce micro pour les solos, en particulier sur du blues/rock. La position chevalet est, quant à elle, parfaite pour du classic rock. Néanmoins, le tout manque un peu de niveau de sortie pour jouer des styles plus pêchus. C’est un micro très subtil. Avec une attaque puissante, on obtient un son tranchant et agressif, alors qu’en y allant plus doucement, on obtient plus de liant entre les notes.
Je suis par contre un peu moins enthousiaste à propos de la position intermédiaire. Le son est assez épais, un peu moins bien défini, on perd en clarté et en précision. Mais les réglages de volume et de tonalité indépendants pour chaque micro permettent de façonner tout cela. Notons d’ailleurs que, comme sur toutes les SG, si vous placez le volume de l’un des micros sur 0, le son sera automatiquement coupé. Ainsi, il est facile de rendre silencieuse votre guitare.
Avant de délivrer mon verdict final, penchons-nous sur les manches de ces guitares. Malgré les multiples avantages de celui de la HP sur le papier, je préfère le manche de la T. L’écart entre chaque corde est certes le même, mais le profile Soloist de la HP rend la touche légèrement plus large. Ça ne me dérange pas en soi, car j’aime lorsque la touche est large. Mais, associé à la relative épaisseur du manche des deux instruments, je trouve cela trop massif. Ca reste néanmoins un gout très personnel.
Les potards sont par contre bien plus réussis sur la High Performance. J’utilise souvent la tranche de mon petit doigt pour modifier la tonalité et le volume tout en gardant mon médiator. C’est beaucoup plus facile de faire cela avec la HP, car les contrôles sont plus volumineux et crantés sur le dessus. Ce modèle bénéficie aussi d’un nouveau sélecteur de position, le “Smooth Silent Action”. Il est censé être plus silencieux que celui du modèle Traditional, mais honnêtement, je n’ai pas entendu une grande différence. Par contre, il est vrai que ce sélecteur m’a paru moins branlant et plus sûr.
Le fond, ou la forme ?
250 €. C’est la somme qui sépare le modèle High Performance du modèle Traditional. Cela se justifie-t-il ? Sur le papier oui. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses caractéristiques plus haut de gamme de la bête. Mais dans les faits, c’est avec la Traditional que j’ai eu plus de plaisir à jouer. J’ai préféré son manche, mais c’est très personnel car d’autres préféreront celui de la HP, ses mécaniques classiques, et surtout son équilibre. Car la version High Performance est un cauchemar avec son poids mal réparti. Les finitions sont aussi un peu décevantes, mais au final, c’est le système G Force qui change la donne. C’est d’autant plus frustrant que les mini-humbuckers qui équipent les deux grattes ont été une véritable révélation pour moi. Ce sont des micros subtils et exigeants. Ils agissent vraiment différemment suivant l’attaque du guitariste : précis et tranchants quand on rentre puissamment dans les cordes, plus ronds et doux lorsque l’on y va doucement.
Au final, le modèle T vaut clairement le coup grâce à ses micros et son manche agréable. Je lui attribue donc la note de 4/5. Le modèle High Performance aurait pu connaître le même destin, mais Gibson s’est malheureusement planté. La note de 3/5 me paraît donc juste, ce qui nous donne une note moyenne de 3,5 pour les deux guitares. Si vous n’avez jamais testé d’instrument équipé de mini-humbuckers, allez-y les yeux fermés ! Et puis ces micros collent à l’esprit SG. Mais, de grâce, orientez-vous plutôt vers le modèle Traditional.