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Entrevue avec l'auteur de "Beatles Gear: The Ultimate Edition" - Le fabuleux matos des Fab Four!

Saviez-vous que la première guitare de John Lennon était une Gallotone Champion acoustique qu'il avait commandée sur un catalogue, que George Harrison jouait une "12 cordes" Framus Hootenanny sur “Help," ou encore que Ringo avait commencé à jouer sur un kit Ludwig Downbeat drum en 1963? La réponse est à coup sûr "oui" si vous avez lu le livre d'Andy Babiuk, “Beatles Gear, The Ultimate Edition,” qui chronique l'histoire du groupe à travers leurs instruments et leur matériel, sur scène comme en studio. Babiuk s'est entretenu avec Audiofanzine pour discuter du livre, des "Fab Four" et de leur matos.

Entrevue avec l'auteur de "Beatles Gear: The Ultimate Edition" : Le fabuleux matos des Fab Four!

Publié par Back­beat Books, le livre de Babiuk est l’ar­ché­type du livre de chevet: un gros livre bourré d’in­for­ma­tions, d’anec­dotes et de quan­tité de photos. C’est la seconde édition de l’ou­vrage, large­ment complété par rapport à l’édi­tion origi­nale qui était sortie en 2001 outre-Manche.

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L’au­teur Andy Babiuk a accom­pli de nombreuses recherches pour écrire ce livre, prin­ci­pa­le­ment via des sources primaires

“J’ai travaillé en rela­tion directe avec Olivia Harri­son et avec Ringo, ” déclare Babiuk à propos de ses recherches pour cette nouvelle édition, "et McCart­ney a été très cool, et Yoko a été super.” Parmi ses autres sources figurent Geoff Emerick, les regret­tés George Martin et Neil Aspi­nall, ainsi que bien d’autres.

Babiuk possède un maga­sin de guitares custom du nom de Fab Gear situé à Roches­ter dans l’état de New York, et il a long­temps joué dans le groupe The Ches­ter­field Kings, dont il dit lui-même qu’il était large­ment inspiré des groupes de l’époque de la « British Inva­sion ».

J’ai vrai­ment aimé la façon dont le livre parcourt l’his­toire du groupe à travers son maté­riel.

Merci. Je voulais écrire une histoire des Beatles de leur point de vue en tant que musi­cien. Il faut racon­ter l’his­toire du groupe, on ne peut pas se conten­ter d’une liste d’objets. Et puis, j’étais très heureux que l’on puisse y inclure les pochettes des albums. Parce que c’est une autre façon d’of­frir un aperçu de ce qui se passait et du maté­riel utilisé au cours des diffé­rentes périodes du groupe. On se souvient tous de ces disques et de leurs pochettes, et ça aide à se repé­rer en termes de chro­no­lo­gie.

Certains des premiers instru­ments utili­sés par le groupe l’ont été du fait de la diffi­culté de se procu­rer des instru­ments de marques améri­caines en Angle­terre, c’est bien ça? Par exemple, le choix d’une basse Hofner par Paul.

La Hofner, c’était plutôt parce qu’ils étaient en Alle­magne.Il faut se souve­nir de la menta­lité et de l’âge de ces gars à l’époque. McCart­ney était un ado. À un moment, c’était soit il quit­tait le lycée pour rentrer dans un truc du genre les Beaux-Arts ou autre, soit il partait avec ses potes pour boire des bières, draguer des nanas et jouer de la musique toute la jour­née en alle­magne pendant un mois. « On s’en fout, allez, écla­tons-nous », c’était ça leur menta­lité. Mais en plus, ils n’avaient pas d’ar­gent. Ils vivaient tous dans une pièce, ensemble, avec une bougie. C’était un peu dingue. Hofner était une marque alle­mande. Ils étaient dans le centre-ville d’Ham­bourg, où il y avait plein de maga­sins de musique. Du coup, les Beatles avaient accès aux instru­ments qui y étaient dispo­nibles. La basse « Violin » était unique du fait qu’elle était symé­trique. McCart­ney lui-même l’a dit. La plupart des basses, Fender ou autres, étaient asymé­triques.

Ah oui, c’est vrai, il fallait qu’il puisse l’in­ver­ser pour l’uti­li­ser en tant que gaucher.

Il l’a vue et il a dit, « hé, on pour­rait la mettre dans l’autre sens et ça revien­drait au même ». Je vous le garan­tis, et tous ceux qui ont connu cette époque me l’ont dit: en entrant dans un maga­sin de musique, vous n’aviez vrai­ment aucune chance d’y trou­ver un instru­ment pour gauchers. C’était impos­sible. Donc McCart­ney s’est dit « hmmm, on est en Alle­magne, c’est une marque alle­mande, peut-être est-ce qu’ils pour­raient en fabriquer une en mettant l’élec­tro­nique de l’autre côté? ». Le gars lui a dit « bien sûr que oui ». Il voulait juste assu­rer une vente. Il a appelé Hofner, « hé, on a une vente pour un modèle gaucher, vous pouvez en fabriquer un? » « Oui, bien sûr! ». Et c’était parti, c’est aussi simple que ça. Et en plus, elle n’était pas chère. C’était une basse fabriquée en Alle­magne, elles n’étaient pas très recher­chées. Personne n’en jouait.

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Paul a acheté sa première basse Hofner en 1961, alors que les Beatles vivaient à Hambourg.

Et pour­tant Paul a joué avec sa Hofner pour une bonne partie de l’his­toire du groupe, c’est bien ça?

Ouais, c’est ça. Et je pense que l’une des prin­ci­pales raisons c’est qu’elle était légère. Il me l’a dit. Elle ne pèse quasi­ment rien. Vous pouvez la porter à l’épaule pendant deux ou trois heures sans que cela ne vous tire, elle ne pèse quasi­ment rien. Et puis un autre détail dans lequel vous vous retrou­ve­rez si vous êtes guita­riste, c’est que quand vous avez un instru­ment que vous connais­sez bien, vous aimez bien l’uti­li­ser parce que vous le connais­sez par coeur. Même pas besoin de regar­der le manche, vous savez exac­te­ment où se trouve la cinquième case. C’est une ques­tion de sensa­tions.

Et leurs amplis Vox? Est-ce que c’étaient leurs amplis prin­ci­paux en live?

Vox était une marque britan­nique origi­naire du Kent en Angle­terre, qui est grosso modo une banlieue de Londres. Gardez en tête que dans les années 50, vous ne pouviez pas ache­ter d’am­plis Fender fabriqués aux États-Unis. Ils auraient préféré, mais c’était impos­sible. Du coup, des entre­prises comme Vox en ont profité. C’est dans ce but que le gouver­ne­ment [britan­nique] avait décidé d’un embargo commer­cial, pour favo­ri­ser l’in­dus­trie britan­nique. Et les amplis Vox en sont une très bonne illus­tra­tion: si les amplis Fender avaient été dispo­nibles, Vox n’au­rait peut-être même pas existé parce qu’ils n’au­raient pas vendu autant, tout le monde aurait voulu le matos Fender qui était telle­ment cool.

Donc les amplis Vox étaient les meilleurs parmi ceux auxquels les Beatles pouvaient avoir accès?

Les Beatles savaient que les amplis Vox étaient les meilleurs alors dispo­nibles en Angle­terre, mais en 1963 ils n’avaient pas d’ar­gent. Quand ils ont fait leur première audi­tion Brian Epstein a été pris à part et on lui a dit « écou­tez, ces gars ont du poten­tiel, mais si vous voulez en faire un vrai groupe il va falloir qu’ils y ressemblent, trou­vez-leur du vrai maté­riel ». Leur matos tombait en ruine, avec des bruits para­sites de partout. Il faut garder en tête qu’ils utilisent ce matos-là tous les jours. Il prend des coups, il s’abime. Vous savez comment c’est avec les amplis. Les lampes font des trucs bizarres, elles bougent et tout.

Et qu’est-ce qui s’est passé?

On a dit à Brian Epstein, « Vous savez, si vous voulez que ça marche, ache­tez à ces gars du vrai maté­riel. » Brian Epstein n’avait pas d’ar­gent, mais ses parents si. Alors il a acheté deux Gibson [des J-160E pour Paul et John], il a emmené Ringo pour choi­sir une batte­rie. Ensuite, il savait qu’il leur fallait de nouveaux amplis. Alors, avec un aplomb incroyable, il est entré dans un maga­sin. Jennings était le groupe qui possé­dait Vox, et ils avaient un maga­sin à Londres sur Charing Cross Road. Epstein entre et engage la conver­sa­tion avec le vendeur, Reg Clark, que j’ai inter­viewé à ce sujet. Il dit que ce mec entre et lui dit « je suis le mana­ger d’un groupe du nom de The Beatles, et je vous demande des amplis pour eux. » Reg était là, « ouais, bien sûr, on a des AC30 et un ampli pour basses. » Mais Esptein lui dit « Mais il nous les faut gratui­te­ment. » Lui répond « Je ne peux pas. Je ne suis pas le proprié­taire, mais on ne donne pas d’am­plis. » Epstein lui répond alors « Les Beatles vont deve­nir le plus grand groupe du monde, et si vous me donnez des amplis gratui­te­ment, je m’as­su­re­rai qu’ils n’uti­lisent jamais d’autres amplis que des Vox tant que je serai leur mana­ger. »

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Des pages du livre parlant de l’uti­li­sa­tion d’am­plis Vox par les Beatles

Alors, ça, c’était culotté.

Clark est un peu charmé par l’ar­ro­gance et la part de folie qui émanaient d’Ep­stein, donc il appelle Tom Jennings qui était dans son bureau tout près de là et il lui dit « Tom, j’ai ce gars qui dit que son groupe, les Beatles, va deve­nir un truc énorme, et il veut des amplis gratuits. » La réponse de Tom Jennings fut « Putain, mais il nous prend pour qui, une putain d’as­so­cia­tion de bien­fai­sance? Je gagne ma vie en vendant des amplis. » Au final, l’his­toire c’est que pour une raison ou une autre Epstein a réussi à convaincre Clark. « OK, on va vous donner une paire d’am­plis. Mais vous devrez toujours utili­ser des Vox. » Et voilà comment il leur a donné deux AC30, même pas un ampli pour basse parce qu’ils n’avaient pas encore de vrai modèle pour basse, mais deux AC30 en fini­tion blonde. Et bien sûr, les Beatles ont crevé l’écran. Et tandis qu’ils explo­saient, Vox s’est dit « bon sang, ces gars utilisent nos amplis! » Et à partir de là, ils ont offert aux Beatles tout ce dont les Beatles pouvaient avoir besoin.

Parlons un peu du maté­riel de scène des Beatles. On voit des vidéos d’eux en concert avec tout le monde en train de hurler. Est-ce qu’ils avaient des retours de scène? Comment faisaient-ils pour s’en­tendre chan­ter?

Il n’y avait jamais de retours de scène. Vous chan­tiez, et vous n’en­ten­diez que ce qui vous reve­nait de la sono ou de l’acous­tique de la salle. Ils étaient bons, c’est tout. Ils avaient fait telle­ment de concert ensemble, et ils avaient l’ha­bi­tude des harmo­nies, et de bien faire tout ce qu’ils faisaient.

Les retours n’exis­taient pas à l’époque?

Non, il n’y en avait pas. C’est marrant, parce que dans mon bouquin sur les Rolling Stones j’in­siste sur le fait que ce sont les Stones qui ont inventé le retour de scène. Ils ont été le premier groupe à emme­ner une sono en tour­née et à expé­ri­men­ter avec un retour. C’était lors de leur tour­née en '69. Ce n’étaient pas les retours d’aujour­d’hui avec le cais­son incliné, c’était un cais­son normal dirigé vers leurs chevilles. On peut le voir notam­ment quand ils ont joué à Alta­mont, il y avait des baffles diri­gés vers leurs chevilles. Au début ils utili­saient des baffles et les mettaient avec les amplis. Ils ne se rendaient pas compte que ça allait provoquer du larsen avec les micros. Ils ont été le premier groupe à le faire. Mais ce ne fut pas avant '69, donc avant ça personne ne faisait ça. La seule fois où les Beatles l’ont fait, c’est quand ils ont joué sur le toit.

Je me demande comment ça faisait d’être dans le public à un concert des Beatles.

Je n’ai jamais vu les Beatles jouer en live, mais je rencontre plein de gens qui me disent qu’eux ont vécu ça. Je leur dis « Super, vous les avez vus en live. Je sais que c’était exci­tant et tout, mais est-ce que vous les enten­diez vrai­ment? » Et la moitié des gens disent qu’ils n’en­ten­daient rien, juste les cris. Et l’autre moitié me dit « ouais, on les enten­dait. On enten­dait les cris, mais on pouvait entendre le groupe jouer. On ne les enten­dait pas très bien, mais on les enten­dait jouer. » Je pense que tout était une ques­tion de percep­tion.

Il y a quelque chose dans le livre sur le concert au Shea Stadium, avec l’ingé son en charge de la sono­ri­sa­tion qui parle de la sono, elle était toute petite pour un lieu aussi vaste: seule­ment quelques canaux…

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Si vous regar­dez atten­ti­ve­ment la photo prise en live en haut à gauche de cette double-page, vous ne verrez pas de retours: en 1964, ils n’avaient pas encore été inven­tés!

Au mieux, on dira qu’elle était primi­tive. À l’époque, on n’uti­li­sait pas de systèmes de sono pour la musique. Quand les Beatles ont joué au Shea Stadium, il n’y avait jamais eu de concerts de cette impor­tance là-bas. Jamais. Alors pourquoi un système énorme avec un gros volume sonore, et pourquoi mettre un micro pour chaque élément? Qui pouvait même simple­ment y penser? Là-bas, tout ce qu’il y avait c’étaient des matches de foot ou de base-ball. Tout ce dont il y avait besoin en matière de sono, c’était que l’an­non­ceur puisse se faire entendre. Du coup, quand ils jouaient dans une pati­noire, ou dans un stade de foot­ball ou de base-ball, ils chan­taient litté­ra­le­ment dans la même sono que l’an­non­ceur utili­sait pendant les matches.

Eh beh!

C’est parce qu’il n’y avait pas de sono­ri­sa­tion en live. Personne ne l’avait fait avant eux. Et c’est inté­res­sant parce que les Rolling Stones faisaient exac­te­ment la même chose. Sauf que les Stones ont conti­nué à jouer en live après '66, '67, et alors que la tech­no­lo­gie évoluait ils ont pu la mettre à profit pour amélio­rer leur confi­gu­ra­tion en live. Les Stones ont vrai­ment fait faire un bond en avant à tout ça.

Parlons des studios EMI [qui par la suite pren­dront le nom d’Ab­bey Road Studios], où les Beatles ont enre­gis­tré.

J’ai inter­rogé tous les ingé­nieurs qui travaillaient à EMI à l’époque. C’était un endroit un peu bizarre. Déjà, ils ne voyaient pas le studio d’en­re­gis­tre­ment comme on le voit main­te­nant, c’est à dire comme un lieu de créa­tion. C’était plus une sorte de labo­ra­toire.

On m’a dit que les ingé­nieurs devaient porter des blouses de labo­ra­toire.

Ouais, c’était vrai­ment très « clinique ». Et très strict. Ils avaient une approche très scien­ti­fique.

Un truc qui m’a surpris à la lecture du livre, c’est que pendant les sessions de Sgt Pepper Paul avait enre­gis­tré sa basse via une boîte de direct, qui venait d’être inven­tée par les ingé­nieurs d’EMI. La boîte de direct c’est un truc telle­ment évident de nos jours, c’est éton­nant que ça leur ait pris jusqu’en 1967 pour l’in­ven­ter.

Je crois que c’est Ken Town­send qui l’a créée. C’est dans le livre. Ils voulaient inven­ter un moyen d’ar­ri­ver à ce qu’ils appe­laient la « direct injec­tion » [ndt: d’où le DI de DI box, nom anglais de la boîte de direct]. En chan­geant l’im­pé­dance, parce qu’on ne peut pas bran­cher direc­te­ment une basse dans la console à cause de la diffé­rence d’im­pé­dance. C’est tout simple quand on y pense.

C’est où je voulais en venir.

La raison, c’était qu’à EMI il y avait une approche très clinique, et on n’avait pas le droit de faire n’im­porte quoi avec le maté­riel. Il y a une histoire bien connue qui circule, que les ingé­nieurs qui ont travaillé sur cette session m’ont racon­tée. C’était pendant l’en­re­gis­tre­ment du White Album. À cette époque, les Beatles vendaient des millions et des millions de disques à travers le monde.Il est probable qu’à eux seuls, ils permet­taient de payer les salaires de tout le monde à EMI. Après le succès de Sgt Pepper, ils se sont vu offrir du temps en studio pour y expé­ri­men­ter musi­ca­le­ment. Mais ils n’avaient pas le droit de « maltrai­ter » le maté­riel. C’est ce que les ingé­nieurs m’ont dit. Si vous utili­siez le maté­riel d’une quel­conque façon qui n’était pas approu­vée par EMI, c’était consi­déré comme une façon de le maltrai­ter et vous rece­viez un aver­tis­se­ment, vous pouviez même être viré pour ça.

Même à cette époque, où les Beatles étaient au sommet?

Ça va s’amé­lio­rer par la suite, vous allez voir. Les Beatles reviennent d’Inde, là-bas ils ont écrit toutes ces chan­sons acous­tiques un peu basiques, ils reviennent avec et commencent à les enre­gis­trer. Comme « Black­bird, » ou « Dear Prudence. » Plein de chan­sons cool, mais douces. Et en '68, à Londres, qu’est-ce qu’il se passe musi­ca­le­ment parlant? Il y a Jimi Hendrix, il y a Cream, il y a plein de musiques bien « heavy » partout. Les Who étaient dans cette veine-là. Les Beatles ont écrit « Revo­lu­tion #1 », qui est une sorte de blues cool, calme. Et Lennon se rend compte de ce qui est en train de se passer à Londres à l’époque. « Merde, il faut qu’on fasse un truc bien heavy. » Les ingé­nieurs qui travaillaient sur la session m’ont dit que Lennon était contra­rié. Un jour, il est arrivé en disant « On va jouer Revo­lu­tion, mais on va la faire sous la forme d’un rock qui y va à fond, et je veux une guitare vrai­ment très distor­due. »

Comment y sont-ils arri­vés?

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Ces pages du livre montrent la Gibson J-160e, la guitare acous­tique qui a large­ment contri­bué au son des Beatles à leurs débuts. Mais à l’ori­gine, ce n’est pas ce modèle qu’ils avaient l’in­ten­tion d’ache­ter…

Pour commen­cer, ils ont amené toutes ces pédales de fuzz, comme la Tone Bender et toutes les fuzz qui étaient dispo à l’époque, et Lennon les a essayées et il a dit « C’est pas assez distordu, je veux que ce soit vrai­ment très, très distordu. » Alors un des ingés m’a dit qu’il avait dit à John « Écoute, John, ce que tu dis c’est que tu voudrais que toutes les fréquences du signal soient distor­dues. Les pédales de fuzz s’at­taquent surtout au milieu du spectre, et c’est pour ça que le son ne corres­pond pas à tes attentes. Si je bran­chais la guitare direc­te­ment dans la console via une de ces boîtes de direct, je pour­rais faire satu­rer le préam­pli et le mettre à fond, et ça donne­rait une distor­sion sur la plus grande plage de fréquences que tu aies jamais enten­due. Mais le problème, c’est que je me ferais virer. J’au­rais beau­coup d’en­nuis si je faisais ça. On ne peut pas le faire. » Et Lennon, faisant le malin, a répondu « on s’en tape. » Du coup, voilà comment ils ont procédé: au studio 2 d’EMI, il y avait ces grosses portes en métal. Comme, vous savez, dans les écoles et tout ça, ils ont ces portes avec des poignées qu’on pousse pour sortir? Ils ont pris l’un des stagiaires, et ils lui ont dit, « Tu mets cette chaise, tu places les pieds de la chaise pour bloquer les poignées, pour bloquer les portes elles-mêmes ». Du coup, on ne pouvait pas ouvrir les portes depuis l’ex­té­rieur. En fait, la chaise les bloquait. Lennon entre dans le studio, et ils ont fait leur truc, en satu­rant la console au début de « Revo­lu­tion, » cette guitare aux sono­ri­tés lourdes, pendant qu’un gamin surveillait la porte pour qu’ils n’aient pas de problème.

[Rires] C’est dingue!

C’était ça, les Beatles pendant le The White Album. Les Beatles auraient dû avoir peur qu’un mec se fasse virer? Ils auraient pu dire « on vous emmerde, on rachète ce putain de studio. »

On se demande ce qui se serait passé s’ils avaient pu enre­gis­trer dans un endroit où ils auraient vrai­ment eu les mains libres.

Ouais. Et Lennon était vrai­ment passionné par ce côté expé­ri­men­ta­tion. Pour la boîte de direct, il a dit à Ken Town­send « OK, quand je chante, est-ce que tu peux me mettre ta boîte de direct dans la gorge? » Il ne compre­nait pas comment ça marchait. Il avait une autre idée, il voulait chan­ter dans un micro à travers de l’eau. Beau­coup d’in­gé­nieurs m’ont dit qu’il n’ai­mait pas le son de sa propre voix. Il la détes­tait vrai­ment, et il voulait toujours qu’ils la changent et la fassent sonner diffé­rem­ment. Beau­coup de chan­teurs sont comme ça, ils n’aiment pas le son de leur propre voix.

Diriez-vous que Revol­ver a été le grand tour­nant à partir duquel les Beatles et George Martin ont commencé à cher­cher à repous­ser les limites en termes de tech­niques d’en­re­gis­tre­ment, tout du moins autant que c’était possible à EMI?

Ouais, c’est à partir de là, par exemple, qu’ils ont commencé à utili­ser des casques. Il faut savoir que jusque là, quand ils faisaient les prises de voix, il y avait des haut-parleurs sur le mur par lequel la musique était jouée et eux chan­taient.

Il devait y avoir beau­coup de repisse.

Ouais. Et si vous écou­tez les pistes de voix brutes, vous enten­dez la musique dans le fond. C’est comme ça qu’ils faisaient. Ils n’avaient pas de casques. C’était en pleine évolu­tion. Enfin je veux dire, ça évoluait au fur et à mesure de ce qu’eux faisaient. Mais en tant que groupe, évidem­ment, ils ont fait des tubes, mais je pense qu’il y avait quand même encore beau­coup de limites, notam­ment tous les points qu’on a souli­gnés. Mais à cette époque ils ache­taient des guitares diffé­rentes: « On ne peut pas utili­ser les mêmes Ricken­ba­ckers, on ne peut pas utili­ser les mêmes amplis. » Ils ont commencé à utili­ser des amplis Fender, de gros Show­mans. Ils savaient que ça sonnait diffé­rem­ment. Ils savaient qu’une Gibson 345 ne sonnait pas comme une Gretsch Coun­try Gent­le­man, ou qu’une SG sonnait diffé­rem­ment d’une petite Ricken­ba­cker. Ils savaient qu’une Epiphone Casino sonnait encore autre­ment.

En parlant de guitares, concluons avec l’his­toire conte­nue dans le livre sur la façon dont, en 1962, John et George se sont retrou­vés avec des guitares Gibson J-160e.

Ils étaient partis pour comman­der une paire de jumbos élec­triques, et ils croyaient comman­der des ES-175 comme celle de Tony Sheri­dan. Tony Sheri­dan me l’a raconté —il est décédé depuis. Il jouait avec eux en Alle­magne, et c’était lui la tête d’af­fiche parce qu’il était une vedette en Angle­terre et il avait enre­gis­tré des tubes. Et il allait jouer en Alle­magne et les Beatles l’ac­com­pa­gnaient sur scène. Ils faisaient sa première partie. Il avait du fric, du coup il pouvait ache­ter de vraies guitares. Il avait une super Martin élec­troa­cous­tique, mais il avait aussi une Gibson ES-175, qui est une grosse guitare de jazz avec des ouïes. Tony m’a dit que Lennon et George lui disaient toujours, « Hé, Tony, je peux t’em­prun­ter ta jumbo Gibson. » Et il leur disait, « Ouais, bien sûr. » Et eux en parlaient comme d’une jumbo élec­trique. Ils ne savaient pas que c’était une ES-175. Et quand est venu le moment où Brian Epstein leur a dit « Les gars, il faut qu’on vous achète de nouvelles guitares, » l’em­bargo commer­cial en Angle­terre avait été levé un ou deux ans aupa­ra­vant, du coup les fran­chises anglaises distri­buant les marques améri­caines étaient toutes nouvelles. La plupart des boutiques n’avaient pas les moyens d’avoir de stocks, mais ils avaient un cata­logue.

Et que s’est-il passé?

Donc ces deux gosses entrent chez Rush­worths, un maga­sin à Liver­pool qui était reven­deur Gibson, avec leur mana­ger. À l’époque, personne n’avait la moindre idée de qui étaient les Beatles, ils n’avaient même pas encore enre­gis­tré de disque. Donc ils entrent dans le maga­sin et ils disent, « On veut comman­der deux Gibsons comme celle de notre ami Tony Sheri­dan. » « OK, quel modèle? » « Je ne sais pas, c’est une jumbo élec­trique. » Donc le gars au comp­toir écrit litté­ra­le­ment « jumbo élec­trique Gibson », il note la commande et il dit « On vous appel­lera quand elles arri­ve­ront ». Donc il regarde dans le cata­logue Gibson 1962, parce qu’on était au début de l’an­née 1962, et il regarde à « elec­tric jumbo ». Et si vous regar­dez dans ce cata­logue, vous verrez la Gibson J-160e. « J » comme jumbo, « 160 » c’était le nom du modèle et « e » pour élec­trique. Donc le mec a commandé ce modèle. Les guitares arrivent depuis Kala­ma­zoo et les deux gars sont très contents, « Super mec, on va avoir nos guitares. » Ils arrivent au maga­sin et Tony Sheri­dan m’a dit qu’ils étaient tous les deux un peu déçus. Ils se sont dit « Merde, ce ne sont pas les guitares qu’on voulait, mais il vaut mieux qu’on ne dise rien parce qu’on pour­rait ne pas avoir les bonnes, donc on va garder celles-là. » Et le lende­main, ils ont enre­gis­tré « Love Me Do. » Et le son de la Gibson J-160e est devenu leur signa­ture sonore. Mais sur le plan tech­nique c’est vrai­ment une guitare merdique. Elle sonne horri­ble­ment mal.

La J-160e est une acous­tique avec un micro magné­tique fixé à l’in­té­rieur, c’est ça?

Ouais, et sa table est en bois laminé. Donc elle ne sonne pas comme une Humming­bird ou une Dove ou une J-200 de chez Gibson. Le son est vrai­ment nasal, tout dans les médiums. C’est vrai­ment un concours de circons­tances qui a fait qu’ils se sont retrou­vés à utili­ser ce modèle.

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