Une section de cuivres modélisée complète, avec accès à l’édition de chacun des instruments, un lecteur de patterns MIDI intégré et une bibliothèque de riffs couvrant la presque totalité des styles, c’est ni plus ni moins ce que propose le logiciel Brass, co-réalisé par Arturia et l’IRCAM. Le glas a-t-il sonné pour les soufflants ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir...
Une section de cuivres modélisée complète, avec accès à l’édition de chacun des instruments, un lecteur de patterns MIDI intégré et une bibliothèque de riffs couvrant la presque totalité des styles, c’est ni plus ni moins ce que propose le logiciel Brass, co-réalisé par Arturia et l’IRCAM. Le glas a-t-il sonné pour les soufflants ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir…
Impossible n’est pas français ! C’est certainement le slogan que l’équipe d’Arturia, des petits gars bien de chez nous, a placardé en exergue sur le cahier des charges de leur nouveau bébé, Brass, un plug-in entièrement dédié aux cuivres, comme son nom semble l’indiquer. En effet, contrairement aux différentes tentatives dans ce domaine, qui se soldent en général par des banques de samples gigantesques sensées représenter toutes les subtilités et tous les modes de jeu des véritables instruments, mais qui, il faut bien l’avouer, ont toujours un fugace arrière goût de faux sucre qui se marie très mal avec les sonorités cuivrées, Brass tient dans un tout petit plug-in pesant à peine plus de 30 Mo, et j’ai bien dit Mega ! Plus fort que la lampe d’Aladin, s’exclameront les romantiques, ou que la gravité des trous noirs, rétorqueront les pragmatiques. Pourtant, c’est bel et bien l’exploit réalisé par Arturia, qui, pour ce faire, a choisi la solution de la modélisation, plutôt que celle de l’échantillonnage.
Hautes études
Cette option, qui peut certes paraître étrange a priori, surtout lorsque l’on sait combien la virtualisation dans le domaine des cuivres pose d’épineux problèmes, a été élaborée en collaboration avec des chercheurs de l’IRCAM, vénérable institution parisienne, longtemps et fortement hantée par Pierre Boulez, et qui a pour principale activité de réunir des scientifiques et des musiciens du monde entier pour travailler sur de nouveaux modes de production musicale, et donc sur de nouveaux instruments. Et une telle logistique n’était pas de trop pour mettre au point un système qui, on s’en doute, a demandé un travail énorme.
Ainsi, comme l’affirment les responsables d’Arturia, il a fallu plusieurs années pour réussir à modéliser la trompette, le sax et le trombone, c’est-à-dire retranscrire en équations mathématiques leur comportement physique. Et c’est autour d’une nouvelle technologie de modélisation mise au point par l’IRCAM, et baptisée ‘Non Linear Multiple Feedback Loop’, qu’a finalement été conçu Brass.
De gros moyens…
Installez-vous confortablement !
On ne peut pas dire que le processus d’installation de Brass soit une prise de tête. Avec seulement quelques Mo de données à baver sur le disque, on est vite à pied d’œuvre, et heureux de ne pas avoir à se fader les interminables changements de DVD nécessaires au fonctionnement des banques de samples conventionnelles. Tout se passe donc ici sans le moindre accroc et rapidement, sauf évidemment l’inéluctable protocole d’autorisation, pour lequel il faut aller pêcher ses clés sur Internet.Pour bien se protéger des pirates (et il semblerait que ce soit une solution assez efficace…), Arturia a choisi le fameux dongle Syncrosoft, qui est désormais utilisé par de nombreux éditeurs comme Steinberg ou IK Multimedia, et qui a l’avantage de permettre de stocker plusieurs licences sur la même clé USB, afin de n’en avoir qu’une à brancher pour tous les softs y ayant recours. C’est donc après seulement quelques minutes de démarches administratives que nous allons pouvoir découvrir notre nouvelle section de cuivres, disponible en Stand Alone ou en version plugin aux formats VST2, DXi, AU ou RTAS.
Double impact
Le mode Live
La première fenêtre utilisateur, dont le nom fait très certainement plaisir à Ableton, est dédié, comme son nom l’indique, au jeu en temps réel, avec un clavier externe, ou tout autre instrument compatible Midi. On y choisit un instrument : sax, trompette ou trombone, puis une déclinaison parmi une quinzaine de presets, proposant divers réglages des 7 paramètres de jeux accessibles directement à partir de l’interface : l’attaque, la pression des lèvres, le pitch, le timbre, la présence des différents bruits de jeu (souffle, clapets, etc.), la présence et la fréquence du vibrato. Pour la trompette et le trombone, on a un huitième paramètre concernant la quantité de l’effet de sourdine. Les différents presets offrent un panorama assez vaste de couleurs, permettant en particulier au saxo d’osciller entre le ténor et l’alto. Ce mode est entièrement monophonique, et permet des effets de glide et de trille réalistes. Il propose enfin 2 pages d’édition concernant le timbre de l’instrument et sa spatialisation. Nous y reviendrons dans le mode Riff, où ils sont également actifs, mais de façon plus complète.Le mode Riff
Le mode Riff est conçu autour d’une seconde fenêtre d’édition se présentant sous la forme d’un classique Piano Roll dans lequel on visualise les riffs que l’on va cueillir dans le browser situé juste au dessous. On peut bien entendu y charger et y lire au tempo et dans la tonalité désirée toutes les séquences livrées avec le soft, mais aussi ses propres fichiers Midi, que l’on devra pour ce faire copier dans le dossier d’installation. Le clavier sert ici à se voir assigner un riff sur chaque touche, pour des déclenchements en temps réel.
Avec toutes les fonctions d’optimisation nécessaires qui caractérisent ce genre d’éditeur (scroll, zoom, mode repeat…), on peut facilement travailler les séquences, en changeant la hauteur ou la durée des notes, tout en y programmant de nouvelles. Un sélecteur permet en outre de basculer du browser vers une seconde fenêtre d’édition destinée à la création d’enveloppes aptes à régir les paramètres de modulations dont nous avons parlé dans le mode Live (pitch, attaque, vibrato…), et qui propose pour cela les différents outils indispensables à un travail rapide et efficace (crayon, gomme, diverses lignes et sinusoïdes d’entrée de données…).
4 instruments simultanés
Ce mode Riff permet de faire jouer en même temps 4 instruments différents au choix, mais indépendamment. Il est donc impossible de plaquer un accord sur le clavier. Pas fondamentalement grave pour des binious férocement monophoniques comme nos 3 cuivres, mais tout de même un peu bizarre, surtout lorsque l’on veut rapidement tester les textures instrumentales.4 slots équipés de 2 menus déroulants font office de sélecteur pour l’instrument désiré ainsi que pour la dizaine de déclinaisons proposées, différentes bien sûr en fonction du cuivre joué : muted, jazz, pop, classical, latin…Notons qu’à chaque fois que l’on sélectionne un instrument, l’affichage du pattern Midi qui lui est associé est automatiquement mis à jour, ainsi d’ailleurs que les 2 onglets d’édition de la partie droite de l’interface, qui donnent accès aux 2 paramètres de configuration que nous avons évoqués dans le mode Live.
Configuration des instruments
Le premier concerne la configuration de l’instrument. Il permet de choisir parmi plusieurs types de sourdines pour les trompettes et les trombones, et parmi plusieurs types d’embouchures pour les sax. On y sélectionne également le matériau, qui agit principalement sur la couleur du son, pour aller du très cuivré au plus sombre, du plus mat au plus boisé. On peut aussi multiplier chaque instrument à l’identique jusqu’à 4 fois, pour obtenir des textures d’ensemble et surtout varier les combinaisons d’orchestre à l’infini, puisque ce paramètre est individuel pour chaque slot. Ainsi, on pourra très bien faire jouer le riff par 8 saxos, 4 trompettes, et 3 trombones, ou 12 trombones et 2 trompettes, si vous préférez les arrangements plus improbables. Une bonne souplesse pour tester facilement ses idées d’écriture. Enfin, une fonction ‘Humanize’ fait varier les facteurs directement humains du son : bruit de mécanique, pression des lèvres, fréquence et amplitude du vibrato.
Pièce virtuelle
Ce deuxième onglet nous fait passer dans un mode très architectural au G.U.I. réussi, qui représente une pièce en 3D permettant de placer les différents instruments dans le champ stéréo, et de les éloigner de l’auditeur (ce qui équivaut ici à en baisser le volume). Particulièrement ergonomique, notamment lorsque l’on a choisi de multiplier les instruments, et que l’on se retrouve avec un ensemble de 16 cuivres, cette cabine virtuelle est agréable à utiliser, rapide, précise, grâce à la bonne visualisation qu’elle donne de l’espace.
C’est donc dans l’ensemble une excellente interface que nous livre ici Arturia, qui laisse véritablement augurer d’une synthèse réussie et fluide, bref d’un plug-in pêchu (c’est ici le moment ou jamais !) et jubilatoire, nous offrant enfin le luxe de se passer de tous ces cuivres qui ne lisent jamais la même clé et qui sont si souvent en retard (plus on est nombreux, plus c’est difficile d’être à l’heure, on le sait bien…). C’est donc avec une petite nostalgie que l’on aborde le paragraphe suivant, que l’on aurait tellement voulu éviter…
In Cauda Venenum
En effet, malgré des promesses conceptuelles et visuelles particulièrement nombreuses, Brass s’avère plutôt décevant dès les premières notes effleurées (ce qui encore pourrait se comprendre lorsque l’on sait la difficulté de jouer des cuivres avec un clavier), mais aussi dès les premiers riffs mis en boucle.
Tout d’abord au niveau du réalisme. En effet, les instruments solos, même s’ils peuvent être paramétrés facilement, n’offrent ni un grain très fidèle, ni des enveloppes dynamiques très naturelles. Et même si la trompette et le trombone s’en tirent à peu près sur quelques presets, comme les sonorités étouffées, les sax sont particulièrement artificiels et l’ensemble sonne vraiment coin-coin.
De plus, la réponse au clavier peut s’avérer extrêmement aléatoire en fonction des presets, et apprivoiser les touches pour les faire entonner une phrase crédible demande une grande maîtrise de doigté. Tout se passe en fait ici comme si les nombreux paramètres de modulation provoquaient en fin de compte trop de subtilités en même temps, procurant ainsi un jeu peu fluide et surtout très éloigné de la réalité, même si au départ, chaque ingrédient est parfaitement cohérent et justifié. Voici des exemples sonores de différents styles aux noms évocateurs que j’ai réalisé pour vous donner une idée : blues, blues 2, circus, saxo jazz, latino, militaire, militaire 2, motown, pop, R’n’B, reggae, salsa, zouk, soul, ska, solo, solo 2, solo 3 et solo 4.
Clavier sensible
Il faut cependant préciser que la différence de réponse d’un clavier à l’autre est impressionnante. Testée avec 3 modèles différents, la réponse dynamique varie du tout au tout : très agressive et presque inutilisable avec le clavier lourd (Un Korg SG1), elle devient beaucoup plus précise avec un clavier léger (Un CM5), puis enfin plutôt homogène, mais moins pêchu avec un troisième clavier semi lesté, l’Axiom 49. Il convient donc de bien paramétrer les enveloppes de réponses au toucher pour optimiser le jeu.Quant au mode Riff, malgré de très bons patterns, qui permettront d’ailleurs aux novices de comprendre pas mal de subtilités sur l’écriture des sections, il subit comme nous l’avons dit le manque de réalisme des instruments solos et offre dans l’ensemble des couleurs peu naturelles, dès qu’elles ne sont plus fondues dans la jungle d’un arrangement.
Moteur
Enfin, il faut noter que le soft a une nette tendance à mettre le processeur à genoux en raison de la complexité des calculs liés à la modélisation. Testé avec un PIV 3 Ghz à 1 Go de RAM, il pousse en effet souvent l’aiguille de pourcentage d’utilisation du CPU au-delà des 65% en mode monophonique, et n’hésite pas à grimper à 90% en mode Riff ! Inutile donc d’espérer ouvrir plusieurs instances du plug-in simultanément si l’on ne possède pas une bécane surboostée.
D’autre part, certains presets du mode solo, pour ne pas dire presque tous, ont une nette tendance à générer des bruits de décrochage numériques, qui se transforment en véritables craquements lorsque l’on commence à bousculer un peu les touches ! Il convient donc encore une fois d’adapter (mais surtout de limiter) son jeu si l’on veut éviter un tilt trop flagrant.
Conclusion
Malgré une conception élaborée et une interface intelligente, Brass est loin de tenir toutes ses promesses. Finalement gêné par le poids du moteur de modélisation qui entrave une bonne fluidité du jeu et qui ne s’avère pas capable de recréer des textures vraiment naturelles, il n’arrive pas à convaincre ni en mode Live, ni en mode Riff. Certes, la banque de patterns bien réalisés dépannera ici parfaitement si l’on veut ajouter rapidement un bon petit riff tout prêt dans un arrangement, mais ne permettra le véritable travail d’orchestration réaliste et élaboré que semblait nous promettre le prix plutôt pro du soft… Que les soufflants se rassurent donc, ils ont encore quelques bons jours devant eux !
[+] L’interface claire
[+] L’ergonomie
[+] La gestion de la stéréo
[-] Les sonorités peu réalistes