Au milieu des énièmes copies d’instruments réels, parmi les superfétatoires (ou non, soyons honnêtes) émulations de tel ou tel parangon de l’instrumentarium classique émergent parfois des Ovni. Klanghaus fait partie de ces derniers. Mais suffit-il d’être à part pour être utile ?
Vaste débat que celui de l’utilité, de la pertinence de la lutherie virtuelle. S’il est indéniable que certains instruments ont pu revivre grâce à leur version virtuelle, que des possibilités inédites ont été offertes aux compositeurs grâce à des solutions à base de modélisation ou plus fréquemment d’échantillons, il n’en est pas moins vrai que l’on a parfois l’impression de recevoir la énième version d’un instrument, d’un effet, d’un ensemble dont la réponse virtuelle a déjà été parfaitement résolue par un éditeur ou un autre. L’accumulation de déclinaisons plus ou moins réussies peut parfois lasser le musicien (sans parler de celui chargé de tester…).
On est donc plutôt content de voir débouler des produits totalement hors norme, proposant de véritables alternatives à des choses déjà traitées sous forme pléonastique ou mieux, offrant des instruments inédits ou des solutions totalement innovantes. Klanghaus, co-signé Best Service et Ferdinand Försch regroupe un peu des deux, sachant que les instruments proposés sont totalement inédits dans le monde informatique.
De quoi exciter la curiosité de tout compositeur ou musicien à l’affût de sonorités et/ou approches différentes. Voyons voir ce qui se cache sous le capot de l’instrument.
Introducing Klanghaus
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La bibliothèque est conçue pour Engine, le moteur audio utilisé par Best Service à partir de l’échantillonneur Independence conçu par Yellow Tools (voir aussi le test de Evolution ICI). Livrée sur un seul DVD, elle prend un peu plus de 3 Go (échantillons en 16 bits/44,1 kHz) une fois installée sur disque dur, la procédure étant très simple, tout comme celle d’autorisation en ligne. Si l’on ne dispose pas déjà d’Engine, voire d’Independence Pro (compatibilité à 100 %, avec ouverture des possibilités complètes d’édition, de mapping, etc.), l’éditeur fournit un installeur sur un DVD séparé.
Au niveau du moteur audio, des versions 32 bits et 64 bits (RTAS 32 bits seulement) sont disponibles pour PC, alors que du côté du Mac on doit se contenter du 32 bits. VST, AU, RTAS et standalone, le panorama est complet.
Du T-L’Arcton…
Les noms des programmes (bien content d’avoir à les écrire plutôt que de les prononcer) ne disent que peu de choses (à part bruit, son…) quant au son des instruments, les icônes laissant tout au plus deviner ce à quoi on peut s’attendre. Qu’est-ce que le T-L’Arcton, par exemple (même si “arc” donne une piste) ? Je ne vais cependant pas chercher à décrire précisément chaque instrument, simplement à expliquer ses principaux constituants, d’autant que les captures d’écran suffiront à comprendre.
Le T-L’Arcton, donc, est basé sur un système de cordes tendues sur des supports métalliques, avec de grands résonateurs, eux aussi métalliques. Huit programmes sont proposés, un joué avec des baguettes, tous les autres avec un archet.
L’interface Quick Edit nous propose une photo de l’instrument et une batterie de réglages. On trouve tout d’abord trois volumes correspondant à trois micros différents (avec bouton de Bypass), une enveloppe AHDSR, un réglage de volume de la Réverbe choisie et trois rotatifs, Pitch, Pan et Volume. On peut d’ores et déjà déplorer qu’aucune indication ne soit donnée quant aux micros, pas plus via l’interface que dans le manuel papier, très succinct (le manuel .pdf ne consiste en tout et pour tout qu’à expliquer la procédure d’installation et d’autorisation…).
On pourrait à l’oreille en déduire que les deux premiers micros correspondent à la prise des deux supports, dont l’un semble plus long, donc plus grave, le dernier étant placé sous les résonateurs. Ceci dit sans aucune certitude, faute d’avoir entendu l’instrument original.
Le programme Stick séduit par le son ample, rappelant à la fois un cymbalum et une épinette, auquel on aurait ajouté une très grande caisse de résonance. On prendra à ce propos soin d’augmenter le réglage Release, le temps par défaut laissant “mourir” le son de manière peu naturelle. Attention, cependant, car le sustain d’origine des notes est très long, à prendre en compte en matière de polyphonie et d’harmonie.
Trois keyswitches permettent de basculer entre notes longues, courtes (la résonance aiguë est courte, mais la résonance grave est prolongée) et des notes jouées avec rebond de la baguette. Ce dernier programme permet d’entendre le resampling, qui ne gênait pas sur les autres presets, alors que ce programme spécifique aurait pu bénéficier d’un échantillonnage quasi chromatique. La ressemblance avec le cymbalum reste évidente.
Un petit tour via Independence montre en effet un mapping sur cinq zones de vélocités (très suffisant dans ce contexte instrumental), mais seulement quatre zones d’échantillonnages. Le programme Rebound, lui, ne dispose que d’une seule zone de vélocité.
Un son original, donc, doté de graves très intéressants, mais qui rappelle pourtant certaines sonorités créées dans les années 70 pour quelques B.O. Quelques petits trafics (dont un mapping agrandi, sévère coupure dans les graves, réverbe et tremolo) plus tard :
Du côté archet, Bow Singles, Bow Bass 1 et 2, et Bow Overtones disposent des mêmes réglages, en ayant gagné un paramètre, Start, qui permet de décaler le point de départ de l’attaque (différent, donc, du paramètre Attack de l’enveloppe). Le paramètre pouvant être automatisé (comme quasi tous les réglages), on peut ainsi au sein d’un programme Bow, passer d’une attaque lente à l’archet à des attaques rapides, mais dont la source, l’exciteur pour reprendre un terme de modélisation ne se réfère à rien (qui génère cette attaque ? personne…). Très intéressant et réellement dépaysant, d’autant que le réglage permet aussi de simuler un effet de wah, de filtrage.
Les harmoniques pourraient provenir d’un alto mutant, sonorité à la fois familière et étrange. L’impression peut être encore renforcée lors de l’écoute de Bow Flag, qui présente des arpèges en si b, mi b, fa et la b (Flag 2 reprend ces mêmes arpèges, cette fois répartis chromatiquement donc subissant accélération et ralentissement suivant la position par rapport à la root note).
Côté Bow Resonator, le paramètre Start réapparaît, ainsi que quatre curseurs nommés de L1 à L4, sans que l’on n’ait aucune explication quant à leur provenance. Bon. Ils permettent de doser le contenu en harmoniques supérieures, on y ira donc au pif, pourquoi pas.
On peut penser à l’écoute à certaines banques de piano joué à l’archet, mais le son possède bien son identité propre. On peut se poser des questions sur la phase, vu le principe multimicro ; dans l’ensemble, les programmes Bow ne présentent pas de défauts particuliers, quelques petits passages de temps en temps, mais rien de problématique.
...aux Metal Works…
Sous ce nom sont regroupées diverses percussions, tonales ou non. On commence avec les Alu Bells, tubes pleins accordés sur trois octaves (do 3 à do 6), offrant une seule couche de vélocité, et mappés de façon chromatique sur une octave et un demi-ton, le reste utilisant seulement deux samples, un dans les graves (C3 à F3), l’autre dans les aigus (G#4 à C6). Sur presque deux octaves sont répartis divers glissandos, descendant bizarrement plus bas que la tessiture chromatique fournie.
Le son est aérien, entre l’horloge à carillon et les fines clochettes. À partir de C4, une harmonique très présente (plus ou moins la quinte) commence à apparaître. Sinon, rien de particulièrement notable dans cet ensemble, qui peut rendre service, mais que l’on ne considérera pas comme un instrument à part, comme le sont d’autres programmes de cette banque.
On continue avec Channel Gongs, nettement plus originaux. Des tubes métalliques creux contenant de l’eau, dont le niveau et le volume sont réglables (Int et Vol), sont répartis sur 25 notes, avec six keyswitches permettant de passer d’une frappe nette à des roulements, en passant par diverses variations. Les contrôles habituels sont là (enveloppe, trois rotatifs). Attention, les notes ne correspondent pas (forcément) à leur mapping…
Quelques petits problèmes de phase, dommage, mais le son est rudement intéressant, à condition de bien régler le volume de l’eau. Le bouton Water est quant à lui inactif, on suppose qu’il s’agissait d’un moyen de couper le son “eau”.
On poursuit avec Metal Plates, des… couteaux à enduire ou à peindre, joués d’abord à l’archet, avec trois keyswitches (KS), sons longs, courts, puis mélangés.
On retrouve les mêmes joués aux baguettes, un programme offrant six faders permettant de mélanger le volume de six façons de jouer (avec nom de la technique apparaissant dans un champ, incroyable. Peu lisible, mais incroyable…), l’autre permettant de passer de l’une à l’autre via KS.
Des sonorités intéressantes, mais présentant encore quelques problèmes de phase. Notons cependant que jusque-là, enregistrement est de très bonne qualité et la cohérence sur le clavier parfaitement respectée.
Autre instrument, le Water Drum. Très clairement inspiré des slit drums africaines et de leurs versions plus modernes dont il reprend le principe de lamelles, il s’en éloigne cependant par une forme demi-sphérique, sa conception tout métal, et la présence d’eau. On retrouve les deux faders Int et Vol, et cette fois le bouton Water fonctionne…
Le premier programme, Water Drum 1 en présente en fait deux, avec des KS donnant accès au premier Water Drum, puis aux deux, puis à différentes techniques de jeu suivant l’octave.
On peut reprocher aux bruits d’eau d’être un peu répétitifs, puisqu’on ne dispose que de cinq échantillons différents, chacun étant mappé de C2 à C5. Le Water Drums 2 reprend exactement les mêmes principes.
On termine par Objets Trouvés, apparemment un amas de déchets (voir capture), qui a le mérite d’offrir tout un tas de bruits métalliques, que l’on peut jouer indépendamment, ou grâce à sept KS déclenchant des boucles (en vert sur le clavier, comme tous les KS Midi). Attention, l’éditeur a choisi de caler tous les fichiers Midi sur la division suivante ! Et pas moyen de désactiver cette fonction à moins de posséder Independence. Un choix pour le moins étrange sous prétexte de garantir la précision. Merci de ne pas oublier que certains utilisateurs jouent des instruments virtuels, et ne se contentent pas de placer des carrés sur un piano roll et ne quantisent pas systématiquement…
Phase ? Oui.
…en passant par Klangrausch et Bio Modul…
Klangrausch semble être la masterpiece du logiciel, conçue d’après le Polyton. Indescriptible, l’instrument, qui regroupe certains des instruments déjà décrits, tient autant du symbole religieux que du Gritch… Je ne dirais pas la même chose du son (quoique certains sont proches du cri…), mais il reste tout autant particulier.
Sept programmes au total, le dernier reprenant de façon condensée les autres. Ne décrivons pas, écoutons l’exemple suivant, qui regroupe les différents presets, offrant différents mappings et KS.
Étonnant, non ?
On continue avec Bio Modul, qui adopte un angle totalement différent, en faisant appel à des boucles Midi déclenchant entre quatre et cinq échantillons pour les programmes Metal Drums Singles (cinq programmes) jusqu’à 88 pour les Prepared Loops (trois presets) et 49 pour le Prepared Bonus.
L’exemple suivant fait entendre une sélection de quelques boucles, qui sont des boucles Midi, rappelons-le, qui s’adaptent donc parfaitement aux différents tempos, sans faire intervenir un quelconque algorithme de time-stretch.
Si l’on peut parfois trouver matière dans les boucles, il est bien plus intéressant d’utiliser les échantillons séparés (à l’exception de quelques multisamples, la plupart n’offre qu’une seule couche de vélocité, mais on peut programmer des filtres, etc. pour donner un semblant de vie à l’ensemble), vu le type d’instruments échantillonnés (voir la capture d’écran), tout comme les 42 samples (une seule couche de vélocité) qui composent le New Percussion Set, riche en sonorités parfois familières, souvent inédites.
On termine avec les Bonus, des boucles (Midi) offrant rythmiques et éléments mélodiques que l’on peut combiner à loisir, qui sont réalisées par Markus Krause et Oliver Morgenroth, qui à défaut d’être utilisables sans se restreindre à une esthétique particulière, donnent d’excellents exemples de ce qu’il est possible de réaliser avec l’instrument, dans un certain style s’entend (j’insiste).
Bilan
Rares sont les produits à sortir du commun, non pas d’un point de vue technologique (là, il déboule régulièrement de véritables outsiders), mais dans le cadre de l’échantillonnage. Klanghaus promet beaucoup, et tient une partie de ses promesses.
Si l’on prend la photo interne du livret, on se demande où sont les multisamples de tous les instruments présentés, ce que n’auraient pu contenir les 3 Go de la banque. Qui renferme en revanche suffisamment de matériau sonore inhabituel voire totalement inédit pour satisfaire les compositeurs à l’image, sound designers, créateurs de musique pour jeu vidéo ou, dans une certaine mesure, compositeurs contemporains qui trouveront là matière à développer.
On peut lui reprocher un manque de multisamples, de couches de vélocité, quelques problèmes de phase ici et là, un manque d’indications ou de manuel à la hauteur du sujet traité, ainsi que son prix trop élevé.
Habitués que nous sommes aux banques gigantesques, on ne peut s’empêcher d’en vouloir toujours plus… À tort ou à raison, je ne sais pas. En tout cas, Klanghaus offre des opportunités, des surprises sonores qui pourront trouver un terrain d’expression dans les champs stylistiques déjà mentionnés. Je sais déjà comment utiliser certains des sons que j’y ai découverts, et ne doute pas que d’autres trouveront leur voie au fur et à mesure de leur pratique et des circonstances.