Avec la troisième livraison dans sa série Albion, l’éditeur Spitfire Audio propose un instrumentarium, des percussions et des loops constituant une boîte à outils cinématique entièrement dévolue aux fréquences les plus basses.
L’éditeur Spitfire Audio a d’abord conçu ses premières démarches et réalisations en direction de quelques happy few parmi les professionnels, avec la volonté de leur offrir des outils de création de démos sophistiquées bénéficiant d’astuces, d’articulations et d’une qualité sonore irréprochables. La série Bespoke, le (très) haut de gamme de l’éditeur reste très chère, et accessible uniquement sous réserve de remplir certaines conditions, notamment le fait d’utiliser des musiciens et orchestres live. On trouvera toute l’information nécessaire concernant l’historique, la philosophie et le CV des créateurs (le tout en anglais uniquement) sur le site de l’éditeur, sur cette page. Puis l’éditeur s’est peu à peu ouvert au grand public, avec des produits reflétant presque la même philosophie que celle du haut de gamme, et en tout cas le même souci apporté au son, bénéficiant des mêmes musiciens (des membres de l’ESO, eux-mêmes issus du London Symphony Orchestra, du London Philharmonic Orchestra ou du Royal Philharmonic Orchestra) et du même lieu, techniques, matériels et compétences d’enregistrement, les mythiques Air Studios créés par Sir George Martin, et situés dans le Lyndhurst Hall. La première bibliothèque fut Spitfire Percussion, puis d’autres produits suivirent, dont la série Albion, comptant avec la sortie d’Iceni trois déclinaisons. On trouvera le test de la première, Albion Vol.1, ici. La deuxième, Albion II Loegria, propose un version orchestre de chambre, fournissant à nouveau des boucles, des programmations synthétiques à base d’échantillons d’orchestre (Stephenson’s Steam Band), des percussions (continuant la collection Darwin). Et voici Albion III Iceni, troisième partie de l’orchestre selon Spitfire Audio.
Introducing Spitfire Audio Albion III Iceni
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Vendue pour un temps 254 livres sterling HT (à peu près 370 euros TTC, qui passeront à environ 495 euros TTC une fois la période d’introduction terminée), la bibliothèque se charge via l’application Connect de Continuata, qui permet d’interrompre, reprendre le téléchargement des différents fichiers .rar. On peut la télécharger directement, via les liens fournis dans le mail de l’éditeur contenant aussi le numéro de série à renseigner dans le Service Center de Native Instruments, la bibliothèque étant conçue pour Kontakt (et Kontakt Player), à partir de la version 5 uniquement (petite erreur dans le manuel, autorisant la version 4, certainement à la suite d’un copier-coller). Après le téléchargement, l’application installe la bibliothèque et on la retrouve dans les signets Library de Kontakt. On peut aussi copier les sept fichiers .rar et un .zip pour installation sur un autre ordinateur, il faudra alors lancer la décompression et éventuellement effectuer la routine Kontakt (Add Library, etc.) manuellement.
Une fois décompressée et installée, la bibliothèque pèse un peu moins de 11 Go, correspondant selon l’éditeur à 24 Go avant la compression non destructive de Native (format .nkx). Le manuel, à télécharger à part, est toujours aussi bien fait, mais encore une fois en anglais seulement, hélas. La bibliothèque est répartie en quatre familles : The Albion Orchestra – Iceni Session, et la suite des catégories créées dès Albion première du nom, Brunel Loops III (des boucles), Darwin Percussion III et Stephenson’s Steam Band III (sons composés à partir de l’orchestre, dans une approche plus synthétique, sound design). Encore une fois Albion se veut une bibliothèque à destination de compositions pour films, jeux vidéo ou tout autre média mélangeant image, son et musique.
III en quatre, un
Commençons par les Brunel Loops III. L’éditeur a intégré un menu permettant d’entendre toutes les boucles d’un même programme, puis de sélectionner celles désirées via un système de 16 points (Loop Lamps) dans l’interface grise, donc 16 boucles différentes par programme (six en tout), chacun d’entre eux disponible dans une version pouvant être synchronisée au tempo de l’hôte ou de Kontakt (via Time Machine Pro), et dans une version utilisant Beat Machine (« Non TM Pro Loops »), bien moins performante à tempo très ralenti. Une fois la boucle sélectionnée, on disposera de plusieurs variations (plus ou moins complètes, avec parfois plusieurs tonalités), et d’éléments séparés. Ces derniers ne sont pas véritablement des échantillons séparés, mais des appels en direct (et one-shot) d’une partie de la boucle (sur une des divisions rythmiques du loop), ce qui occasionne parfois des clics en entrée et/ou en sortie. La majeure partie des boucles est constituée de sons et rythmes graves, la plupart saturés. En voici quelques exemples :
Puis un exemple des variations et sons séparés d’une seule boucle.
L’utilisation de TM Pro permet aussi un bon comportement sur les variations de tempo, un des éléments fondamentaux pour le travail à l’image. Ici un exemple d’accélération/ralentissement avec stabilisation au tempo d’origine de la boucle (systématiquement indiqué dans l’interface, un bon point, merci).
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L’interface propose un réglage d’expression et un autre commandant via la molette de modulation l’ouverture/fermeture d’un filtre Low Pass (de premier ordre, soit 6 dB/oct.). Là où Albion proposait une transposition dans toutes les tonalités, Iceni n’en offre que peu et parfois pas du tout, on recourra alors aux fonctions de Kontakt (via automation du bouton Tune, FX sequencer ou de façon unique). On continue avec les Darwin Percussion III. L’éditeur propose un programme regroupant toutes les percussions (deux grosses caisses, un Taiko, deux Table Taikos, deux Orange Drums, deux Small Taikos) ainsi que des programmes séparés regroupant divers mélanges. On retrouve les quatre prises de son typiques des produits Spitfire Audio (Close, Tree, Ambient et Outrigger, « through fine ribbons and valves onto tape »). Les réglages sont inclus à l’identique (nombre de Round Robin, activation de Neighbouring Zones, qui force Albion à utiliser des sons autour de la note jouée en guise d’échantillons d’alternance, etc.), avec l’adjonction de quelques nouveautés : un système de Presets, d’abord, puis Reset on Transport (redéclenchement du premier échantillon Round Robin au lancement de la lecture), et la visualisation de l’effet de trois contrôleurs sur les Dynamics, Speed (attaque) et Expression.
Sur le programme contenant toutes les percussions, on trouve un système de chargement à volonté et de sélection de ces dernières, via un petit bouton dédié placé en dessous du point déjà rencontré avec les boucles. Sur la gauche, le nom des sons chargés est indiqué. On peut aussi gérer ce chargement/purge via une note ou un CC Midi, les réglages s’effectuant via un Cmd-Clic sur l’articulation choisie. L’onglet Ostinatum nous montre une version améliorée du séquenceur fourni par l’éditeur. On peut maintenant librement alterner différentes valeurs rythmiques, sauvegarder jusqu’à huit phrases en un seul préset, le déclenchement via KeySwitch, un outil d’effacement, un certain nombre d’options et toujours la possibilité d’effectuer des sauvegardes de ses phrases. Voici un petit exemple asymétrique, selon toutes les prises de son, dans l’ordre, Close, Tree, Ambient, Outrigger et un mélange des quatre. On fera attention aux phases d’Ambient et Outrigger lors de l’utilisation de celles-ci.
Les percussions s’intègrent sans problème avec les précédents efforts de l’éditeur, vu la cohérence maintenue dans la (les) prise(s) de son et les différentes articulations proposées (Hits, Flam, Rolls, etc.). Un reproche, l’Ostinatum s’emballe parfois, mélangeant et superposant les sons. Seule solution, le bouton Mute pour remettre les choses à zéro.
III en quatre, deux
On passe au Stephenson Steam’s Band III, conçu comme ses prédécesseurs autour d’échantillons de l’orchestre passés plus ou moins à la moulinette des possibilités de resynthèse et des effets de Kontakt. On retrouve avant tout le principe de double prise de son, avec la mise à disposition des prises Tree et Ambient (à quelques exceptions près). Suivant le type de programmes, l’interface va proposer un accès direct aux réglages d’enveloppe quatre segments, ADSR, ou à une version plus élaborée d’un simili synthétiseur basé sur les possibilités de Kontakt. Là où Albion proposait Pads, Drones, Atmos et Ostinati, Albion III Iceni offre Synth, Pads, Octavium et Gabriel’s Auditorium. La partie la plus intéressante étant celle utilisant la nouvelle interface.
Le dénommé Stephenson Steam Synth offre un double filtrage (Low Pass et High Pass), une enveloppe ADSR, une activation avec réglage de vitesse d’un effet de Portamento/Glide. Ensuite, on dispose de trois Wobbles (des oscillateurs de type LFO, descendant à 0,01 Hz et pouvant atteindre les 250 Hz) affectés au volume, à la hauteur et aux filtres, avec réglages de la fréquence (variable suivant les programmes, avec parfois des indications contraires à la réalité, par exemple une modulation très lente avec affichage de la forme d’onde rapide) et taux d’application. Les réglages s’effectuent directement à la souris sur l’interface, en cliquant-tirant pour modifier la représentation graphique de la forme d’onde. Cela fonctionne très bien, même s’il arrive cependant que la souris reste bloquée sur le réglage en cours, il faut alors cliquer un peu partout jusqu’à ce qu’elle soit « libérée ».
Dernier réglage, Yoke, un pad X/Y, en lien avec la partie FX qui regroupe Phaser, Flanger, Chorus, Reverb, Delay, Skreamer, Gainer et EQ3, activables indépendamment d’un clic dans l’interface. On choisit via deux menus l’effet et le paramètre à modifier, sachant que l’on peut passer d’un effet à l’autre sans problème, le dernier paramètre modifié avant changement restant actif (il n’y a pas d’accès aux paramètres depuis l’interface, il faut passer par ce pad, ou en mode Edit pour plus de possibilités). On peut par exemple paramétrer un délai, puis réassigner abscisse et ordonnée à deux autres paramètres d’un autre effet, et avec le Midi Learn de Kontakt les modifier en temps réel depuis un contrôleur (ou via l’automation de l’hôte). Voici quelques exemples de programmes du Stephenson Steam’s Band, leur nombre étant trop élevé pour prétendre en donner une vision complète.
Il est évident que les sons ici proposés par l’éditeur ne pourront rivaliser avec les champions du genre (Massive de Native Instruments, ou Cyclop de Sugar Bytes par exemple), ce n’est pas le but non plus, mais certains d’entre eux offrent des possibilités intéressantes par leur définition à la frontière de l’organique et du synthétique.
III en quatre, trois
On arrive enfin à la pièce maîtresse de la bibliothèque, les instruments de l’orchestre. Commençons par les cordes : on l’a compris, cette version d’Albion ne contient que des instruments graves, donc pas de violons, ni d’altos, mais une combinaison osée de violoncelles et contrebasses. En effet, l’éditeur a regroupé 24 violoncelles et huit contrebasses, ce qui est déjà une configuration musclée, dans une répartition spatiale différente de celle habituellement utilisée, à savoir en forme de fer à cheval autour du chef d’orchestre, avec les basses en ligne derrière, avec le programme Strings Lo. Mais on dispose aussi d’un programme Strings Lo (Cellos), ne contenant que les violoncelles, répartis en deux sections à droite et à gauche, dans l’espace, mais aussi sur le clavier (section A main gauche, B, main droite), l’éditeur spécifiant que les enregistrements sont différents d’un programme à l’autre, ce qui permet de les empiler pour obtenir un son énorme (et sans problèmes de phase).
L’interface a elle aussi bénéficié de changements, notamment sur le programme Strings Lo, qui offre un accès séparé à la prise de proximité pour les Cellos et Basses. La partie inférieure permet de sélectionner les diverses articulations, selon le même principe que les Darwin Percussion et Brunel Loops, à l’exception près que la Loop Lamp est remplacée par une note ou ensemble de notes indiquant le type d’articulation (ronde pour Longs, deux notes liées pour legato, point sous la note pour staccato, etc.). Pour Strings Lo, elles sont au nombre de cinq, Staccato, Shorts, Longs, Legato et Portamento. L’interface se modifie légèrement suivant l’articulation sélectionnée : si les notes courtes, plus susceptibles d’être répétées, présentent toutes les options de Round Robin, les tenues ne présentent que la fonction Neighbouring Zones. Les Legato et Portamento se voient elles dotées d’une fonction Polyphonic Legato, gérée par la vélocité (difficile à maîtriser en temps réel, il sera plus simple de la programmer après coup). La molette gère la dynamique sur les notes tenues, tâche confiée à la vélocité sur les notes courtes. Voici quelques exemples des Strings Lo courts.
Ensuite, les Longs, qui malgré leur belle qualité sonore, montrent un bouclage trop audible, comme une seconde attaque, ce qui pose des problèmes lors de montées dynamiques, les passages de dynamique n’étant pas non plus les plus lisses possible. Dans l’exemple suivant, la montée en dynamique a été effectuée à la molette, puis retouchée avec l’outil Line de Logic dans l’Hyper Editor, afin de garantir des montées et descentes parfaitement régulières. À noter que la vélocité agit ici non pas sur la dynamique, mais sur la rapidité de l’attaque de la note.
On continue avec les Legato et Portamento. On retrouvera parfois des problèmes de continuité dans la dynamique, et l’on regrette de ne pas avoir de reset pour les Round Robin, puisque cette fonction permettrait de résoudre la plupart des imperfections que j’aie pu rencontrer.
Passons aux deux sections de Cellos, avec dans un premier temps les Staccatos.
On retrouve les Legato, Portamento et Longs, et une nouvelle articulation, les con sordino, superbes et quasi incontournables pour la musique à l’image. En voici un exemple, proche de ce que pouvait faire celui qui a imposé ce son à l’écran (le premier qui trouve aura droit à… mes félicitations). Bien entendu, la configuration résultant du nombre de voix serait totalement irréaliste, ce n’est qu’un exemple…
III en quatre, quatre
Passons aux deux dernières familles, les cuivres et les bois. Les premiers, Brass Lo rassemblent la grosse artillerie du genre, deux tubas, deux cimbassos, deux trombones contrebasses et trois trombones basses. On bénéficie de six articulations, staccato, longues, Nasty Longs (« jouées à s’en faire péter les lèvres », dit le manuel…), legato, Rip ascendant et descendant ainsi que quatre ensembles d’effets, du très discret au très spectaculaire, de quoi enrichir sa palette sonore (avec le risque de ne pas savoir ce que jouent réellement les instruments…). On dispose aussi de l’Ostinatum. Voici quelques exemples des principales articulations (avec une citation mystère, même récompense que plus haut).
Encore, certains bouclages peuvent poser problème. Même si théoriquement, une tenue infinie est impossible (même à coup de respiration circulaire, il y a des baisses de niveau, d’intensité, etc.), et même si l’on comprend la durée plus courte des sons forte (normal, le souffle demandé est énorme sur ce type d’instrument), on peut regretter que les bouclages ne soient pas plus maîtrisés, voire à ce que les sons ne soient pas bouclés mais joués dans la durée maximale possible par l’instrumentiste, ces bouclages laissant peu de marge de manœuvre au compositeur, donnant trop l’impression d’une deuxième attaque. Voici maintenant les effets, dont certains sont disponibles dans plusieurs tonalités.
Aux bois, maintenant, regroupant encore une configuration inhabituelle, puisque constituée de deux contrebassons, deux clarinettes contrebasses, un heckelphone, deux bassons, deux clarinettes basses et un saxophone basse, ouf. Les articulations sont les mêmes que celles des cuivres, à l’exception des Nasty Longs, remplacées ici par des Short Extras (l’Ostinatum est aussi intégré). Voici les différentes articulations, avec toujours le même reproche sur les tenues, les bouclages donnant l’impression d’une deuxième attaque.
Et maintenant les effets, là aussi certains sont disponibles dans plusieurs tonalités.
Sont aussi proposés par l’éditeur des programmes Combined mêlant diversement les différentes familles d’instruments, des Palettes Shells (aucune articulation ni prise de son n’est préchargée) et des programmes utilisant Time Machine 2 (commandé par la molette qui permet de réduire le son à un quasi staccatissimo).
Bilan
L’approche de l’orchestre via son contenu instrumental grave (ça descend très bas…) est une très bonne idée et le savoir-faire et la qualité sonore habituels de Spitfire Audio en donnent une version très réussie et pertinente, à partir du moment où l’on accepte le principe retenu par l’éditeur, à savoir une conception par « famille », plutôt que par instruments séparés. Les effets proposés sont aussi à la hauteur (attention à l’effet de bouclage), puissants et inventifs. La continuation des familles autour de l’orchestre (Brunel, Darwin, Stephenson) donne des résultats toujours intéressants, et l’éditeur sait faire évoluer ses produits, notamment en termes d’ergonomie et de possibilités de synthèse (voir la très bonne implémentation du Stephenson Synth).
Quelques imperfections cependant : d’abord Ostinatum qui s’emballe parfois sans explication. Ensuite les bouclages, qui donnent l’impression d’une deuxième attaque, ce qui pose problème notamment dans les montées/descentes dynamiques, cette « attaque » pouvant survenir alors que l’on redescend doucement vers une nuance plus douce, brisant ainsi la continuité du decrescendo, par exemple. Quelques échantillons de Round Robin dans les Legato et Portamento détonent avec les notes tenues, et le manque de reset sur ces programmes se fait parfois sentir. Enfin, on prendra soin de surveiller la phase des prises de son Ambient et Outrigger, même si l’on doit saluer la bonne tenue de la bibliothèque à ce sujet (déjà mentionné lors du test d’Albion 1).
Bref, l’éditeur reste toujours à part, grâce sa démarche et aux principes prévalant à la réalisation de ses produits, à l’excellente qualité sonore et ergonomique de ses bibliothèques. Albion III Iceni n’y échappe pas et offre un son et des configurations que l’on ne retrouve nulle part ailleurs (sous réserve de méconnaissance d’autres produits de ma part). Si vous recherchez des graves puissants et définis (en ces temps d’effets sonores qui bouffent la quasi-totalité des fréquences…), des ensembles instrumentaux inédits, des boucles et percussions bien réalisées ainsi que de curieux sons synthétiques, cette bibliothèque, avec ses qualités et défauts, est une réponse idéale.
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