Depuis de nombreuses années, le marché du matériel dit « boutique » connait un essor retentissant. Ce phénomène mondial est particulièrement visible dans l’univers des pédales d’effets pour guitare.
En effet, on ne compte plus le nombre de petits fabricants proposant des machines produites au compte-goutte. Certaines marques font le pari de l’innovation, là où d’autres préfèrent miser sur des copies des effets légendaires du monde de la guitare. Avec un catalogue d’une petite dizaine de références, les niçois d’Anasounds s’inscrivent à la croisée de ces démarches. Il est vrai que depuis ses débuts en 2013, la marque ne cache pas sa préférence pour les produits « vintage », mais des schémas originaux et d’autres plus conventionnels se côtoient. Le guitariste étant par essence conservateur, le best-seller d’Anasounds est une copie de la mythique pédale d’overdrive Klon Centaur : la Savage. Voici notre test de cet effet.
Soccalitatif
À l’origine, la Savage était proposée avec un boîtier assez imposant doté de cinq réglages en façade. Mais depuis quelque temps, Anasounds commercialise une version MKII plus compacte avec trois potards en façade, et quatre réglages en interne dont certains n’étaient pas présents sur le précédent modèle. Le nouveau format est très classique (même gabarit qu’une pédale TC Electronic), mais les finitions reflètent un goût prononcé pour le design. Le boîtier en métal brossé accueille une jolie plaque en acajou gravé au laser. C’est fin, ça respire la solidité, et l’inévitable centaure est bien présent. Les potards et le footswitch, quant à eux, sont simples mais très agréables d’utilisation. Enfin, une étonnante plaque vitrée verte arborant le logo de la marque s’illumine lorsque la pédale est enclenchée. Ne boudons pas notre plaisir, la Savage MKII est une réussite esthétique totale. Même le packaging est réussi, avec une sorte de boîte à chaussures miniature terriblement mignonne !
L’intérieur de la pédale n’est pas en reste. Je m’attarde rarement sur l’aspect visuel des circuits, mais l’assemblage m’a marqué tant il est propre et paraît bien effectué, et les réglages internes sont donc facilement accessibles. Les composants choisis proviennent tous du Japon, des États-Unis, ou de France (notamment un TC1044 et un AOP Texas Instrument TLC274).
La marque de fabrique de la Klon Centaur, le fameux écrêtage à base de diodes au germanium, a été préservée. Il s’agit d’une condition sine qua non pour quiconque revendique une filiation avec le mythe. Pour créer le circuit de la Savage, son concepteur a étudié de nombreux modèles de Centaur. Ajoutez à cela les multiples schémas qui circulent sur internet, et Anasounds s’est retrouvé avec assez d’éléments pour créer un circuit inspiré de l’original, mais légèrement repensé. Nous aboutissons donc à une machine un peu plus paramétrable, et disposant d’une « headroom » plus conséquente.
Enfin, notons que la pédale nécessite une alimentation de 9 volts non fournie, et qu’elle possède une entrée et une sortie mono.
Nissa Sound System
Comme nous l’évoquions, la Savage possède trois potards en façade. Le bouton Out gère le niveau de sortie, le bouton Tone agit sur la tonalité globale de l’effet, et le bouton Gain… on vous laisse deviner ! C’est d’ailleurs ce dernier que nous allons mettre en avant pour commencer la découverte sonore de notre pédale.
- 0 Strat Dry 00:48
- 0.5 Les Paul Dry 00:42
La série d’extraits qui suit a été réalisée avec la Stratocaster. J’utilise d’abord le micro chevalet de la guitare, puis le micro manche. Dans les deux cas, j’ai enregistré un exemple avec le gain réglé au premier quart, un autre avec un réglage à la moitié, et enfin un dernier avec le gain poussé au maximum. Dans chacun des sons, l’Out est placé au premier quart, et le Tone à la moitié. Voilà ce que cela donne :
- 1 Strat Chevalet Gain 1 4, Tone 1 2, Output 1 4 00:30
- 2 Strat Chevalet Gain 1 2, Tone 1 2, Output 1 4 00:52
- 3 Strat Chevalet Gain Full, Tone 1 2, Output 1 4 01:16
- 4 Strat Manche Gain 1 4, Tone 1 2, Output & 4 00:38
- 5 Strat Manche Gain 1 2, Tone 1 2, Output 1 4 00:54
- 6 Strat Manche Gain Full, Tone 1 2, Output 1 4 01:04
J’ai tout de suite été marqué par la dynamique offerte par la pédale. L’attaque du guitariste est bien retranscrite, on sent que la saturation ne réagit pas toujours de la même façon, y compris en jouant avec le potard de volume de l’instrument. La Savage MKII est également surprenante en termes de gain. La bête en a sous le capot, et l’on rentre clairement sur le territoire d’une pédale de distorsion lorsque le gain est au maximum. Malgré cela, l’effet ne noie pas les notes qui restent bien définies. Cela est dû à une spécificité de la Savage : le gain a une double action, il fait saturer l’overdrive mais réinjecte aussi du signal clean pour garder un son bien défini, et ce graduellement au fur et à mesure que l’on pousse le gain.
Écoutons à présent six extraits enregistrés avec la Les Paul :
- 7 Les Paul Chevalet Gain 1 4, Tone 1 2, Output 1 4 00:54
- 8 Les Paul Chevalet Gain 1 2, Tone 1 2, Output 1 4 00:46
- 9 Les Paul Chevalet Gain Full, Tone 1 2, Output 1 4 00:46
- 10 Les Paul Manche Gain 1 4, Tone 1 2, Output 1 4 00:40
- 11 Les Paul Manche Gain 1 2, Tone 1 2, Output 1 4 00:52
- 12 Les Paul Manche Gain Full, Tone 1 2, Output 1 4 00:24
Encore une fois, les qualités de la pédale s’expriment. Le niveau de sortie plus important des micros de la Gibson permet d’atteindre des sons rock agressifs. Cependant, le résultat est un peu moins convaincant avec le micro manche gras et grave de la Les Paul. Il faudra jouer avec le contrôle de tonalité pour préserver la belle définition de notes que distille habituellement la pédale d’Anasounds. Je regrette aussi qu’un léger souffle fasse son apparition lorsque l’on pousse le gain. Il n’y a rien de dramatique, mais le Tone a le même problème, et la combinaison des deux est plus dérangeante. Mais tout cela n’efface en rien l’excellente impression que m’a laissée la Savage. Je tiens d’ailleurs à indiquer que je l’ai également branchée directement dans un Fender Twin Reverb, et que c’était un bonheur. Il est toujours bon de rappeler que les extraits sonores sont représentatifs des sonorités d’une guitare enregistrée, et que le résultat est forcément différent des sensations ressenties en face d’un baffle.
Dans l’extrait qui suit, je reprends la Stratocaster et j’utilise la Savage pour booster le canal saturé d’une simulation de Vox AC30. L’Ouput est à 1/4, le Gain à 1/2, et le Tone à 1/2.
Même en amont d’une saturation, la Savage convainc. La Stratocaster rugit, mais ne bafouille jamais (à l’inverse du guitariste…). La pédale semble donc pouvoir assumer le rôle de clean boost permanent, mais aussi de machine à crunch, de booster de soli, et elle ravira même les amateurs de tribulations high-gain préalablement équipés d’effets de saturation.
Viscéral
Il est temps de nous pencher sur le potard de tonalité. C’est également l’occasion de se plonger dans les entrailles de la bête, puisqu’il existe en réalité deux modes de tonalité, grâce à un commutateur interne. Le premier extrait présente l’influence du Tone avec le paramétrage d’origine, et le second avec le deuxième mode. Je commence à chaque fois avec le potard à 12 h, puis je marque deux étapes vers la gauche, dont une avec le bouton au minimum. Je repars ensuite dans les aigus avec un arrêt à 3 h, et une dernière étape avec le réglage au maximum.
- 14 Strat Manche Mode Tone 1 Tone 1 2, puis 1 4, puis à 0, Puis au 3 4, puis full (Gain 1 3, Output 1 4) 01:20
- 15 Strat Manche Mode Tone 2 Tone 1 2, puis 1 4, puis à 0, Puis au 3 4, puis full (Gain 1 3, Output 1 4) 01:32
Dans les deux cas, la quasi-entièreté de la course du contrôle de tonalité est exploitable. Le réglage est fin, et très progressif. La différence est très légère entre les deux modes, mais le second mode me parait offrir un peu plus de rondeur. J’ai appris par la suite qu’Anasounds a souhaité élargir le spectre des fréquences sur lequel agit le Tone par rapport à la Klon Centaur. Le premier mode est donc un peu plus souple, alors que le deuxième, lui, se rapproche des paramètres de la pédale originale.
Le commutateur dédié à la tonalité n’est pas l’unique réglage interne, nous l’avons dit. Il en existe trois autres, dont le réglage OD_Bass. Comme son nom l’indique, il agit sur les fréquences graves. Écoutons ce que cela donne.
Le commutateur OD_bass agit sur les graves de l’étage d’overdrive. Avec le paramétrage original, les fréquences basses sont un peu plus sourdes. Le second mode donne l’impression que le son est plus ouvert, qu’il prend plus d’espace. C’est un contrôle qui ne change pas radicalement le son, mais qui offre, encore une fois, de nombreuses possibilités.
Le prochain exemple sonore démontre l’efficacité du commutateur Clipping. Je débute avec le paramétrage de base, puis je passe au second mode. Je repasse brièvement sur le premier mode, avant de terminer avec le second mode tout en augmentant légèrement le niveau de sortie pour pouvoir comparer à volume égal.
Pour décrire ce bouton, Anasounds évoque un choix entre sonorités vintages et sonorités plus modernes. Je ne sais pas si ce sont les bons termes, mais, une chose est sûre, le clipping change vraiment la nature du son. Le second mode ouvre un autre univers avec un plus gros niveau de sortie et une empreinte sonore différente.
Enfin, le dernier paramètre interne permet de modifier le « voicing ». Il s’agit d’un trim pot, et ce réglage n’est donc pas fait pour être changé à la volée (il vous faudra utiliser un tournevis pour le modifier).
Le Voicing est certainement le paramètre interne le plus audible avec le Clipping. La nature de la saturation est effectivement modifiée, avec un gain plus important et une présence des aigus plus marquante lorsque l’on pousse un peu le réglage. Cette pédale réserve indubitablement de belles surprises !
Viva, viva, Nissa la Bella
Avant de conclure notre test, il faut absolument que nous évoquions la Klon Centaur originale. Malheureusement, les exemplaires d’époque sont très rares et très chers. Mais depuis quelques années, Klon produit la KTR, le successeur de la Centaur. Elle reprend ses circuits et son fonctionnement, dont son système unique d’écrêtage à diodes à semi-conducteurs au germanium. Toutefois, la KTR utilise des composants montés en surface à l’inverse de la Centaur classique. Si certains puristes estiment que la récente pédale n’égale pas son illustre prédécesseur, les sonorités sont proches. Il se trouve que j’avais sous la main cette pédale, et que j’ai souhaité faire un rapide comparatif. Cet exercice est très limité tant les réglages sont nombreux sur chacune des pédales, notamment avec les commutateurs internes de la Savage MKII. Pour cet exemple, j’ai simplement réglé chacun des trois potards en façade de la même façon, en ajustant très légèrement le niveau de sortie (Output à environ 1/4, Tone 1/2, Gain 1/2, pour les deux pédales).
Les deux pédales ont incontestablement des similarités. Le son est épais, les médiums sont mis en avant, on est très loin par exemple d’une Tube Screamer. La Savage MKII peut-elle délivrer exactement les mêmes sons que la Klon Centaur ou même que la KTR ? Je n’en sais rien, mais la filiation est évidente. La pédale est polyvalente, et sonne dans pratiquement toutes les situations. De plus, elle est très personnalisable. La plupart des guitaristes s’arrêteront probablement aux réglages en façade, ce qui n’est pas mal en soi, puisque la Savage est aussi faite pour cela, mais ce serait dommage tant les différents réglages modifient la nature de la pédale.
Anchois sur la pissaladière, la bête est jolie, bien finie, et possède une véritable identité visuelle (à l’image de tous les produits d’Anasounds). Que demander de plus ? Peut-être un prix un peu plus doux, même si la qualité et la production en France se paient. 209 €, c’est tout de même une somme. Les guitaristes réformateurs pesteront aussi contre cette énième commercialisation d’une énième pédale de légende. Ils n’ont pas tort, mais Anasounds propose aussi d’autres machines. Et puis il y a ce petit souffle au cœur lorsque l’on pousse la Savage dans ses derniers retranchements, comme pour nous rappeler la frontière entre mythe et réalité, entre vie et éternité. Mais au fond, est-ce que ça compte ?