A ma gauche : The Grand 2, deuxième mouture d'un best seller de Steinberg longtemps resté champion des pianos virtuels. A ma droite : Akoustik Piano, le challenger de poids envoyé par Native Instruments pour s'imposer comme la nouvelle référence en la matière. Les deux softs boxant dans la même catégorie de prix, il était difficile de ne pas mettre leurs 88 touches face à face pour un duel germano-allemand...
Décidément, 2005 marque le grand retour du piano à queue dans l’univers du studio virtuel ! A croire que les compositeurs, et peut-être le public, n’en pouvant plus d’errer dans les interminables dédales des oscillateurs et autres générateurs de zouifhsitnsolfdjeeewwwwsh, ont décidé de se réfugier dans les bonnes vieilles valeurs sûres de l’instrumentation. Il se peut aussi que, l’informatique se démocratisant à grand pas, de plus en plus de pianistes, pas forcément MAOïstes, en viennent à préférer l’option bécane/clavier lourd/soft, à celle, plus simple mais aussi beaucoup plus limitée, du traditionnel piano électronique, suscitant ainsi l’intérêt des éditeurs face à un marché prometteur… D’ailleurs, Native Instruments n’inclut-il pas dans son interface un petit lecteur/enregistreur Midi 2 pistes, plutôt inutile dans un produit dédié uniquement aux séquenceurs, mais très pratique pour une utilisation en StandAlone ?
Quoiqu’il en soit, c’est l’heure d’un véritable florilège de pianos virtuels, et après l’Ivory de Synthology et ses 30 Go de pianos, ou le Galaxy Steinway de Best Service, samplé en 5.1, nous découvrons dans la foulée 2 nouveaux produits, l’un signé Native Instruments, et baptisé Akoustik Piano, et l’autre édité par Steinberg, version II de son fameux The Grand, dont la première mouture était sortie fin 2002. C’est donc le moment ou jamais de vous proposer pour le test de la semaine un beau duel, en chemise à jabot et au fleuret, dans la grande tradition dont les instruments dont nous parlons sont issus. Champagne !
Installation
Les deux softs s’installent sans problème. Akoustik Piano comprend 4 DVDs de données que l’utilitaire d’installation dispose automatiquement sur le disque dur, demandant simplement et poliment de changer de DVD au moment idoine. On a le choix entre différents formats (StandAlone, Vsti, DXi et RTAS) et 2 résolutions d’échantillonnage. La première, en 16 bits, nécessite 7 Go d’espace libre sur le disque dur, tandis que la seconde, en 24 bits, aura besoin de 12 Go. On peut toutefois choisir de ne pas copier les banques, et de les charger par la suite à partir des DVDs.
Une fois l’opération terminée, il faut s’affranchir des procédures de douane avec le désormais habituel dialogue numéro de série/code machine/clé d’autorisation, qui nécessite une connexion Internet. Cependant, pour ceux qui ne veulent décidément pas s’adapter au monde moderne et se protègent scrupuleusement de la Toile, une période d’essai de 30 jours permet de se retourner pour utiliser un téléphone ou un fax.
La solution Web reste la plus pratique et la plus rapide, mais malgré tout, il faudra s’y plier pour chaque machine avec laquelle on souhaitera faire tourner le soft.
The Grand II, lui, en bon membre de la famille Steinberg, a choisi le camp du dongle USB. Il faut donc disposer de la fameuse clé à ce format élaborée par Synchrosoft. Si donc on est déjà l’heureux possesseur d’un produit Steinberg comme, au hasard, Cubase SX, avec lequel est fourni la clé, pas de problème.
Sinon, il faudra encore débourser environ 30 euros pour être en règle. Ensuite, un utilitaire permet de se connecter chez Steinberg, qui, en échange du numéro de série, télécharge une autorisation dans la mémoire de la clé. Ici, pas d’échappatoire possible, les débranchés devront se rendre en courant au cybercafé le plus proche pour pouvoir profiter sans limite de leur nouveau piano.
Cependant, l’énorme avantage, c’est qu’une fois ce petit détour administratif accompli, on peut installer The Grand II sur n’importe quelle bécane. Il suffit d’y connecter la clé, et c’est parti !
Côté installation, pas de grosse différence avec Akoustik : un utilitaire s’occupe d’abord des drivers du dongle USB, puis installe l’instrument, en toute tranquillité. On a ici également le choix entre plusieurs formats : Stand Alone et VSTi, DXi, Rewire et AU. La procédure est aussi plus courte puisque nous n’avons qu’un seul DVD, qui nécessite seulement environ 3.5 Go disponibles sur le disque dur pour la copie de la banque de son, ici indispensable pour le bon fonctionnement du soft.
L’interface
Dans les 2 cas, on a choisi l’élégance feutrée d’une interface toute graphique, tout d’abord pour restituer virtuellement la grande classe que dégagent puissamment les instruments qui se sont prêtés au jeu de l’échantillonnage, et ensuite, probablement, pour ne pas décourager les utilisateurs peu habitués aux machines à gaz, mais qui auraient tout de même décidé de se lancer dans l’aventure VSTi, faute d’un auditorium pour héberger leur double queue.
Quoiqu’il en soit les graphismes sont soignés et reposants, propices à susciter en vous l’inspiration la plus subtile, même si néanmoins la plus débridée !
Akoustik Piano dispose de 4 vignettes pour le choix des pianos, et de 4 autres pour celui des espaces acoustiques. Difficile de faire plus simple et moins décourageant pour les novices. D’un clic, on peut cependant ouvrir une page d’édition qui donne accès à tous les paramètres proposés.
The Grand II fait encore plus concis, avec une simple image du clavier à peine soulignée de 5 boutons. Trois d’entre eux agissent directement par simple clic sur le choix du piano, celui du mode mémoire et celui du mode économique.
Les 2 autres permettent d’ouvrir des fenêtres de paramètres, l’une réservée aux différents réglages concernant l’espace et la position du piano, l’autre affectés aux paramètres globaux. On remarque au passage une petite touche d’humour, pourtant rare chez les concepteurs de soft : un balai vient de temps en temps chasser la poussière au milieu du graphisme permettant de positionner le piano dans la salle d’enregistrement !
Les pianos
Native nous fait la totale, et nous annonce en fanfare 3 légendaires pianos à queue de concert, à savoir un Steinway Concert Grand D, un Bechstein D 280, et un Boesendorfer 290 impérial. En bonus, et seul représentant de la famille des pianos droits, un ancien Steingraeber 130 vient compléter la panoplie.
De plus, à l’intérieur de chaque icône permettant de charger l’un des 4 instruments, un signet info permet d’ouvrir une page contenant un petit laïus sur le modèle, ainsi que 3 démos dans des styles très différents, de Chopin au blues en passant par Satie. On y apprend les principales caractéristiques de chaque piano : la polyvalence du Steinway, la tonalité douce du Boesendorfer, joué par les Beatles et Elton John, les aigus ciselés du Bechstein, ou l’esprit bluesy du Steingraeber…
Steinberg reste beaucoup plus énigmatique, préférant se passer des effets d’annonce, et propose des échantillons enregistrés « à partir de 2 pianos choisis parmi les plus grandes marques mondiales de piano de concert ».
On n’en saura pas plus, si ce n’est que l’un des deux instruments est la reprise, avec de nombreuses améliorations au niveau du moteur audio, de celui proposé dans la version I du soft il y a 3 ans, et qu’à l’époque, l’éditeur ne s’était pas montré plus explicite, précisant simplement que le piano samplé avait une valeur de 750 000 francs… Laissons donc nos oreilles seuls guides de notre jugement !
Le jeu
On le sait bien, lorsque l’on entreprend de virtualiser un piano, la plus grande difficulté n’est plus tant dans la qualité des échantillons, dont l’exponentiation de la taille n’est désormais plus un soucis, supprimant ainsi le gros problème des loops de sustain, que la sensation de réalisme procurée lors du jeu. Et si ce casse tête est valable pour tous les instruments virtuels, il est beaucoup plus sensible pour le piano, puisque l’interface qui sert à le piloter est dans 99% des cas la même que dans le domaine réel, à savoir un clavier ! La comparaison est donc beaucoup plus facile qu’avec un saxophone, pour lequel on sera évidemment beaucoup moins exigeant en ce qui concerne le confort de jeu !
Les 2 éditeurs allemands se sont donc également penchés sur cet épineux problème, et proposent donc toute une série de paramètres destinés à permettre au pianiste de retrouver le plus fidèlement possible ses marques acoustiques. Ainsi, on dispose bien entendu dans les 2 produits d’un multi échantillonnage par note en fonction des vélocités, parfaitement progressif et souple dans les 2 cas, et d’un paramétrage précis de la réponse au clavier, grâce à différentes courbes permettant non seulement d’adapter le soft en fonction de son jeu, mais aussi de s’aider un peu en lui demandant d’accentuer légèrement la réponse souhaitée.
Le contrôle de l’expression est également parfaitement synthétisé grâce au jeu des pédales de sustain (située à droite sur un véritable piano) et de sustenuto (située au milieu), qui est couplé à un paramètre contrôlant le niveau des résonances sympathiques. Notons que Native ajoute la troisième pédale Una Corda, située à gauche, et permet d’assigner chacune à un contrôleur Midi.
Côté réalisme, on peut également régler la présence d’un certain nombre de bruits familiers au pianiste, comme ceux des touches, des pédales ou des marteaux, ce qui ne manquera pas de faire sourire bon nombre d’ingénieurs du son dont la préoccupation de tout une vie fut justement de les gommer au maximum d’un enregistrement !
Les réglages de sonorité
Plusieurs paramètres permettent de jouer sur la sonorité directe des pianos. Ainsi, les 2 éditeurs ont donc planché avec soin sur le problème des résonances, offrant tout les 2 des solutions ardemment affichées comme uniques.
Chez Steinberg, le True Sustain Resonance permet de faire résonner les cordes non jouées lorsque la pédale forte est enclenchée, et le True String Release permet d’assouplir un peu l’étouffement des cordes, qui n’est jamais immédiat sur un véritable piano, même muni d’excellents feutres.
Akoustik Piano propose également les 2 fonctions, baptisées Sustain Reso et Release Reso. Dans les 2 cas, ont peut bien sûr régler la quantité d’effet ajoutée. Notons que le piano de Native dispose en plus d’un petit égaliseur graphique à 3 bandes, et d’un contrôle de la position du couvercle du piano.
Les auditoriums
Là encore, beaucoup de ressemblance pour les 2 interfaces. Si comme nous l’avons dit Akoustik piano propose 4 espaces différents (Concert Hall, Cathedral, Jazz club et Recording Studio), calculés à partir de fichiers de convolution, Steinberg reste plus abstrait, tout en fournissant des réglages très similaires, permettant de choisir la taille de la pièce et le Predelay à partir duquel l’ambiance sera perçue. Notons ici son interface graphique qui permet de déplacer le piano en mode surround ou stéréo dans les 4 coins de l’auditorium : très intuitif et rapide !
Chez Native, le contrôle de la position du piano est également disponible, grâce à 2 potars, l’un réglant la position panoramique, et l’autre la profondeur, et que l’on dispose en plus d’une petite réverbe additionnelle, offrant 2 paramètres : quantité et taille.
Les performances
La gestion des banques gigantesques et des nombreuses voies que nécessitent le jeu de piano n’est pas une mince affaire. Les 2 soft proposent donc le nec plus ultra en matière de technologie. Streaming tout d’abord chez les 2 concurrents, avec chez Native l’implémentation de la fonction Direct From Disk de Kontakt, et chez Steinberg l’utilisation du moteur de Halion3, avec en plus la fonction RamSave qui permet de vider la mémoire des échantillons non utilisés par gel d’une séquence.
Côté performances, le mode Eco de The Grand II permet de limiter la quantité de données utilisées pendant la composition, en neutralisant différents paramètres de timbre, comme le True Sustain Resonance, et en libérant ainsi un bon pourcentage de ressources processeur.
Chez Native, on peut agir sur le contrôle de la polyphonie et désactiver les convolutions, qui demandent beaucoup de ressources, et se contenter de la réverbe ordinaire. Au final, on constate que dans tous les cas, Akoustik Piano est un peu plus gourmand en processing que son concurrent de chez Steinberg, dans une proportion variant de 10 à 30%, selon les réglages.
Cependant, fonction particulièrement pratique, les 2 softs proposent un mode « bounce », qui permet de passer automatiquement sur la configuration offrant la qualité maximale lors de l’export audio de vos séquences, quelques soient les réglages utilisés auparavant.
Le son
Tout cela semble bien beau, me direz-vous, mais alors, le son, ça donne quoi ? Bien sûr, c’est la question essentielle, et pourtant, la plus difficile à traiter, puisque la plus subjective. C’est pourquoi nous vous proposons quelques fichiers audio fabriqués maison, sans aucune tricherie, et présentant le son des différents pianos, avec quelques variantes de réglages. Vous pourrez donc vous faire une petite idée par vous-même…
Cependant, on peut toutefois affirmer que dans l’ensemble les 2 softs sont très convaincants. Nul doute, la production des banques et l’édition ont été soignés. Les 2 moteurs, aidés par la fonction de streaming, offrent une réponse précise et souple, sans trop harceler le processeur. En effet, sur le PIV 2.5 Gh avec 1 Go de RAM sur lequel le test a été effectué, le pourcentage de charge sur le processeur variait entre 20 et 30 % pour un piano avec ambiance, et entre 10 et 15 sans l’ambiance.
Côté feeling, le jeu est très agréable et là encore, pas de grande différence entre les 2 produits. Les dynamiques sont bien articulées, délivrant des notes claires, jamais agressives, même dans les aigus. Quant aux basses, elles sont bien ciselées, jamais écrasantes. Bref, à la différence de certains pianos de la génération précédente, qui avaient tendance à être convaincants en solo, et dans des séquences pas trop chargées, mais très vite boueux dans des mix ou dans des morceaux de bravoure, c’est ici une impression de transparence qui prédomine dans tous les styles de jeu.
D’ailleurs, les différents modèles se comportent généralement assez bien lors des mix, si toutefois on n’a pas abusé de la pédale de sustain ou trop forcé sur l’ambiance. Cette dernière en effet, quoique réaliste si on l’utilise avec parcimonie, peut cependant engendrer quelques artéfacts un peu synthétiques sur certains accords lorsque qu’on la pousse un peu trop. Mais là, rien de très ennuyeux.
Pour ce qui est des fameuses résonances sympathiques, si caractéristiques du vrai piano, et que les 2 éditeurs se targuent d’avoir réussi à simuler parfaitement, nous restons un peu moins convaincus. Certes, l’utilisation de la pédale est réaliste, et l’on sent la richesse harmonique générée par la fonction, sans que le son ne soit envahi d’un brouillard inextricable. Sur ce point encore, The Grand II et Akoustik Piano ont fait de réelles avancées.
Cependant, les résonances sympathiques sur un piano agissent aussi beaucoup même lorsque l’on ne se sert pas de la pédale. Ainsi si on tient le Sol2 enfoncé tandis que l’on joue une phrase autour du Do4, on entend le Sol qui résonne tout au long de cette dernière. Or cette propriété n’est ici pas rendue. Le Sol résonne bien, mais suit son enveloppe normale et n’entre pas en résonance. Sans que cela n’enlève beaucoup de feeling, cela rend les mélodies un peu plus sèches, surtout lorsque elles sont accompagnées d’accords sans pédale, et donne donc envie d’en rajouter !
Le choix !
Nous voici donc au moment crucial de ce duel au soleil et, avouons-le, le choix n’est pas très facile.
D’abord parce que les 2 logiciels coûtent environ le même prix, The Grand II étant un tout petit peu moins cher, sauf si l’on ne possède pas la clé Steinberg, auquel cas c’est kif kif bourricot.
Ensuite parce qu’ils ont, malgré toute leurs fonctions communes, une sonorité et une réponse au jeu très différentes. Akoustik Piano délivre dans l’ensemble une tonalité un peu plus agressive, plus présente, et avec un peu plus de définition que celle de The Grand II, plus feutrée, plus floue, mais aussi plus souple et en général, plus facile à intégrer dans un mix, selon moi. C’est donc vraiment une question d’habitude de jeu et chacun pourra trouver ses marques avec l’un ou l’autre.
Notons simplement que toute considération de Go mise à part, Akoustik Piano fournit 4 instruments ayant chacun leur caractère, contre 2 seulement pour The Grand II. Il est donc incontestablement plus polyvalent, notamment dans le domaine du blues ou du jazz, où le Steingraeber fait des merveilles.
On aura donc tendance à le préférer au produit de Steinberg, qui du coup, paraît vraiment un peu cher. Cependant, le toucher de ce dernier, par sa douceur et sa précision saura aussi définitivement convaincre certains pianistes sans la moindre hésitation. Un doute donc, qu’il vous sera maintenant aisé de résoudre en posant vos doigts sur le clavier…
Akoustik Piano [+] Interface claire. [-] Les résonances sympathiques pas encore au point. |
The Grand II [+] Souplesse du jeu. [-] Seulement 2 pianos. |