Seize ans que Pianoteq existe et seize ans qu’il est le roi incontesté des pianos à modélisation, apportant toujours plus de réalisme dans son rendu, et toujours plus de possibilités aussi. La preuve avec cette version 8 qui s’aventure désormais sur le terrain de la guitare…
Comme une variante de la blague des éléphants et de la 2CV*, Pianoteq est ce petit miracle qui permet de faire tenir des dizaines de pianos acoustiques et électriques, des clavecins mais aussi des percussions chromatiques ou des harpes dans un logiciel qui pèse moins de 50 Mo sur le disque dur ! Comment est-ce possible ? C’est simple, en ne recourant à aucun sample comme la plupart des pianos virtuels concurrents, mais en basant tout sur une modélisation physique des instruments : un vrai travail de mathématicien qui n’est évidemment pas à la portée de tout le monde mais dont l’équipe de Modartt s’acquitte depuis seize ans maintenant avec une impressionnante maestria. Il faut dire que du matheux, il y en a chez Modartt, à commencer par Philippe Guillaume, fondateur de la boîte et qui, après avoir été longtemps accordeur et réparateur de pianos, a repris le chemin de l’école pour décrocher un titre de docteur agrégé en mathématiques appliquées avant de devenir le directeur du département des mathématiques de l’INSA à Toulouse… Bref, s’il y a un Neo qui voit la Matrice quand vous plaquez un accord de Do, c’est bien lui, et ce n’est donc pas un hasard si Pianoteq rayonne aujourd’hui dans le petit monde des instruments virtuels, où quantité de pianistes le préfèrent aux grosses Berthas du sampling…
Il faut dire qu’outre leur légèreté, les pianos modélisés ont quelques énormes avantages sur leurs cousins échantillonnés, à commencer par leur expressivité (nul besoin de round robin ou de couches de vélocités pour obtenir un instrument expressif avec une infinité de nuances) ou leur malléabilité : on peut éditer finement chaque comportement physique de chaque touche, marteau ou corde du clavier, que ce soit à des fins de sound design ou pour adapter le modèle à son goût comme à son jeu… Bref, le piano parfait ? En quelque sorte, d’où le succès de l’instrument, surtout chez les pianistes « classiques », même si certains lui préfèrent toujours des concurrents samplés pour le côté « Real thing »…
Quoi qu’il en soit, c’est un bonheur de voir débarquer cette huitième version, d’autant qu’on n’avait plus testé de Pianoteq sur Audiofanzine depuis la V5 et qu’il s’en est passé des choses depuis ! Outre de nouvelles modélisations de pianos signés Bechstein, Petrof, Steingraeber & Söhne ou Steinway, mais aussi la modélisation de pianos Felt, on soulignera l’apparition de nouveaux outils d’accordage mais aussi et surtout des technologies de double polarisation et de morphing offrant plus de réalisme pour la première et la possibilité d’obtenir des instruments hybrides pour la seconde : XyloHarp, VibraDrum, GlockenTines, etc. Tout cela en vis-à-vis de plein de petites choses fonctionnelles comme du portage au format VST3 ou pour processeur ARM sous Linux (ouvrant la voie à l’intégration matérielle)…
Et c’est d’ailleurs sur ce terrain que nous attend la première nouveauté de cette version 8 puisque Modartt nous promet sous peu une version iOS de son instrument : avis aux possesseurs d’iPad qui pourront mettre leur tablette au bout de n’importe quel clavier de contrôle lesté pour obtenir une solution dont le rapport qualité/prix devrait donner des sueurs froides à plus d’un constructeur de piano numérique… L’essentiel de cette mise à jour ne tient pas toutefois dans ce portage, même s’il n’est peut-être pas complètement étranger à la première grande nouveauté de cette V8 : sa nouvelle interface graphique.
Coup de peinture…
Cette huitième mouture est en effet l’occasion pour l’équipe de Modartt de faire évoluer une interface qui n’avait que peu bougé depuis les premières versions de Pianoteq. Notez qu’on est plus dans un rafraichissement que dans une refonte de fond en comble, la plus grosse nouveauté tenant dans le fait qu’un aperçu graphique de l’instrument et de son environnement acoustique vous est désormais proposé en première intention dans la partie supérieure de la fenêtre. Et c’est une bonne chose en pratique car en dépit d’un changement qui avait lieu lorsqu’on passait à des pianos électriques ou des percussions chromatiques, rien ne venait jusqu’ici différencier dans l’interface un modèle de piano d’un autre. Dans le cas où l’on utilise plus d’une instance de Pianoteq au sein d’un même projet, il est désormais plus simple de savoir qui est qui au premier coup d’oeil !
Soulignons-le aussi : les sliders quittent leur aspect 3D pour un rendu « Flat Design » et les polices de caractères sont également plus grasses et plus sobres (fini les empattements comme les similireflets qu’on pouvait trouver jusqu’en version 7). On sent une volonté d’aller vers un rendu plus épuré et contrasté, ce qui n’est pas pour nous déplaire vu que cela amène nettement plus de lisibilité : on s’en rend compte notamment sur l’édition des partiels du panneau Voicing.
Rien dans tout cela ne devrait toutefois perdre les habitués qui retrouveront vite leurs petits vu que l’organisation est demeurée la même : on retrouve les mêmes panneaux aux mêmes endroits avec les mêmes interfaces à peu de choses près, sachant que les vraies nouveautés se trouvent du côté du moteur de modélisation, comme on s’en rend compte en découvrant ça et là un nouveau réglage ou une nouvelle option…
Une guitare dans le piano
Et il y en a de nouvelles options car la plus grosse nouveauté de ce Pianoteq 8, outre sa sortie sous iOS et son interface remise au goût du jour, c’est l’intégration d’une modélisation de guitare classique qui ouvre un tout nouveau terrain de jeu en termes de jeu… Certes, Pianoteq s’était déjà aventuré du côté des cordes pincées avec plusieurs modèles de clavecins ou une harpe, mais un nouveau pas est désormais franchi avec cette recréation d’une guitare classique : il ne s’agit plus de modéliser un simple marteau ou un simple plectre actionnant la vibration d’une corde, mais bien de deux mains interagissant l’une pour gratter, pincer ou buter, l’autre pour fretter, ce qui est autrement plus complexe que les instruments auxquels s’était frotté Modartt jusqu’ici…
De fait, une multitude de nouveaux paramètres viennent enrichir l’interface cependant que le résultat est assez bluffant quand on songe qu’il n’y a aucun sampling derrière :
- BLUESfull(2)00:16
- andy(2)01:05
Voyez qu’on est très loin du rendu ridicule des instruments Wedge Force et même franchement bien au-dessus du rendu un peu « plastique » typique des guitares d’Applied Acoustic System qui sonne très électroacoustiques. Sans conteste, Modartt peut donc se targuer d’avoir réalisé la modélisation de guitare la plus aboutie et crédible du marché, d’autant que les principales articulations de l’instrument ont été recréées et bien recréées…
Voyez ce qu’il en est du hammer/pull-off, d’abord en monophonique, puis en polyphonique, et sur une trille :
- hammerpulloff00:04
- hammerpulloffpoly00:04
- trille00:02
Le glissando est aussi de la partie, en monophonique comme en polyphonique, avec possibilité de déterminé si la note finale est attaquée ou non :
- glissandomono00:04
- glissandopoly00:02
Les harmoniques sont évidemment de la partie :
Tout comme le palm Mute qu’on gère via un contrôle continu :
Sachant que l’avantage de la modélisation tient dans son infinité de niveaux de vélocités :
Et dans la possibilité de déplacer librement la main qui gratte pour obtenir un son plus rond vers le centre du manche ou plus aigrelet vers le chevalet :
Enfin, on appréciera la qualité globale du vibrato :
Avouez que c’est de la belle ouvrage ! Jamais en tout cas on n’avait entendu de modélisation si réussie, au point que le petit monde de la guitare samplée à du soucis à se faire : there is a new kid in town…
Sur la corde
Est-ce pour autant la meilleure guitare virtuelle du marché si on la confronte aux guitares samplées qui font référence ? Peut-être pas non plus, car un certaines choses manquent, à commencer par une prise en compte plus convaincante des différents doigtés dans le modèle. Je m’explique : sur une guitare, une même note peut être jouée sur différentes cordes à différents endroits du manche. Le Mi aigu qu’on obtient avec la sixième corde à vide en accordage standard, on le trouve aussi à la cinquième case de la corde de Si, à la neuvième de la corde de Sol et à la quatorzième case de la corde de Ré. Et il sonnera à chaque fois différemment en termes de timbre vu que les cordes sont de différentes sections, de différente matières (les trois cordes aiguës sont en nylon tandis que les trois cordes graves sont en métal enroulé autour d’une âme de soie) et que leur portion vibrante ne fait pas la même taille… Or, s’il semble que la modélisation de Modartt gère cela en termes de script, avec la possibilité de contraindre le doigté à une corde ou à une zone du manche en particulier, disons qu’au niveau du rendu, les différences sont bien trop timides par rapport à ce qu’on observe en jeu réel…
Voyez avec cet exemple qui propose le Mi (12e case de la corde de Mi grave, 7e de La puis 2nde de Ré), puis le Sol (15e case de la corde de Mi grave, puis 10e de La, puis 5e de Ré puis corde de Sol à vide), puis le Si (14e case de la corde de La, puis 9e case du Ré, puis 4e case du Sol puis la corde de Si à vide) puis enfin le Mi aigu (19e case de la corde de La, puis 14e case du Ré, puis 9e case du sol, puis 5e case du Si et enfin la corde de mi aigu à vide) :
Avouez que les différences ne sont pas hyper flagrantes tandis que les bruits de déplacement de doigts sont un peu trop aléatoires et un peu trop présents pour sonner réalistes…
En marge de la guitare qui a été très bien modélisée, il semble de fait que des progrès soient aussi à faire dans la modélisation du guitariste… En effet, malgré l’excellent travail réalisé ici et la reproduction convaincante de plusieurs techniques de jeu, le son est souvent trop parfait pour produire quelque chose de pleinement réaliste : des attaques trop régulières et franches, un sustain toujours ultra long, avec des harmoniques qui se déploient idéalement. On a du coup parfois cette impression d’un piano avec un son de guitare car tout cela sonne trop bien et il n’y a pas assez d’imperfections dans le jeu au-delà du placement (on voudrait des notes mal attaquées ou mal frettées ce qui occasionnerait des résonances plus hétérogènes…) et on aimerait pouvoir introduire plus d’aléatoire pour compenser cela : que cela s’étouffe ou frise, bref, que cela respire un peu plus humain, car une main est autrement plus complexe et changeante qu’un marteau. Or, on a beau pousser les sliders Pro/Casual et Condition pour dégrader un peu tout cela, on sent qu’il y a encore de la marge pour que les sons produits soient plus crédibles encore. Conscient de cela, Robin Tournemenne, le luthier numérique en charge de cette guitare, bosse d’ailleurs sur un algo qui permettra aux cordes de friser et devrait être proposé gratuitement dans la version 8.1 du soft : on a hâte d’entendre ça… Mon petit doigt m’a dit qu’il travaillait aussi à parfaire les attaques et à inclure toujours plus de paramètres dans le slider Pro/Casual…
On notera en outre l’impossibilité d’utiliser un capodastre ou de recourir ou non à un médiator… On objectera que cette absence est bien compréhensible pour une guitare classique mais vu que Modartt se fend de presets « 12 cordes » ou « Jazz guitar », il n’y a pas de raison de ne pas assumer plus clairement cette polyvalence sur le plan des fonctionnalités. Et puisqu’on parle de Jazz guitar, on pense forcément à la nécessité d’étoffer la section d’effets du logiciel car contrairement aux pianistes qui demeurent très sages sur ce plan, les guitaristes adorent les effets de toutes sortes… comme les amplis !
Sans s’enflammer sur le potentiel de tout cela, signalons que les presets Bouzoukis, 12 cordes et Jazz Guitar sont plus des variations amusantes que des choses vraiment convaincantes à l’usage… Il n’y a pas de miracle : pour produire des équivalents crédibles de ces instruments, il faudra les modéliser un par un pour en tirer toutes les subtilités (et on croise les doigts bien forts pour que le projet KIVir de l’éditeur se penche sur les « protoguitares » dont regorgent les musées et tous les autres guitaroïdes : luths, sitar, ukulele, guitare portugaise, manouche, etc.). Ne vous dites donc pas que vous achetez avec ce Pianoteq 8 de quoi couvrir tous vos besoins en guitare virtuelle : vous avez là une très bonne guitare classique (à cordes nylon donc, sachant qu’il pourrait être intéressant d’émuler différents jeux de cordes pour passer de la Savarez Rouge à l’Augustine Bleue) et c’est déjà très bien !
Ceci étant dit, on pourra regretter le fait que Modartt ne pousse pas plus fermement son innovation comme il l’a fait sur Organteq. Il ne fait aucun doute en effet que cette guitare gagnerait en effet à disposer de sa propre interface, que ce soit pour faciliter la programmation (rien n’est disponible ici pour séquencer des parties de strumming ou d’arpèges comme chez certaines concurrents) ou adapter le vocabulaire à l’instrument. Parler de « Key release note », de « Mallet bounce » ou encore de « dampers » n’a rien de très intuitif dans le contexte d’une guitare, même si cela simplifie la donne pour les pianistes. Du coup, cette excellente guitare n’a sans doute pas l’écrin qu’elle mérite… Et on le pense d’autant plus que la très intéressantes fonction de morphing pour obtenir des pianos hybrides n’est pas des plus intéressantes lorsqu’on essaye de croiser piano et guitare… On se retrouve en effet souvent avec des instruments au son très faible, comme si les modèles se neutralisaient, comme si l’hybridation n’était pas féconde au sens darwinien du terme :
Même si au hasard des essais, il arrive de tomber sur des choses plus pertinentes :
Bref, on est face à un instrument déjà très intéressant mais qui promet bien plus encore et on espère sincèrement que Philippe Guillaume et son équipe auront à coeur d’explorer ce nouveau monde qui s’offre à eux et dont les défis sont ô combien nombreux mais passionnants ! On se prend à rêver de toutes sortes de guitares (folk, à résonateurs, électriques, etc.) et peut-être même un concurrent de poids pour Modobass, ses basses et ses contrebasses, qui sait… Voyez ce preset réalisé par un utilisateur montrant le potentiel du modèle sur ce plan :
Et puis, il s’agirait de ne pas l’oublier, Pianoteq c’est avant tout du piano…
One piano to rule them all
Et du piano, il y en a ! Et du beau et du bon, avec quantité de modèles déclinés dans quantité de presets. Voici quelques exemples de ce qui est proposé sur la célèbre Pavane de Ravel :
- ravel-petrof(2)00:59
- ravel-bechstein00:59
- ravel-steinwaymodelD00:59
Sachant que la plupart sont déclinés dans deux modèles Felt, convaincants mais sans doute pas assez « cinématiques » pour l’emploi qu’on fait le plus souvent de ce registre aujourd’hui :
- Felt-SteinwayB00:59
- Felt-Blüthner00:59
Ça manque de poussière et d’ambiance dirons-nous face aux banques samplées et c’est un reproche qu’on pourrait plus largement adresser à Modartt, de se focaliser sur ses modèles de cordes quand le sound design relève d’une approche plus globale, où l’acoustique et la nature de chaque élément de la chaîne audio jusqu’aux grincements du tabouret de piano ont aussi droit de cité. La gestion de l’acoustique et du bruit comme des traitements audio, soit la prod au-delà du seul son de l’instrument, demeurent du coup probablement la partie où Pianoteq a la plus grande marge de progrès s’il veut élargir son public de pianistes focalisés sur les sensations de jeu brutes à celui, plus large, de ceux qui ont besoins de sons de piano un peu plus produits… Sachant que quantité de choses pourrait aussi se passer du côté de la synthèse comme on le voit sur les pianos samplés NextGen qui sortent en ce moment (Native Instruments Noire & Colors, Hammers + Waves, etc.)…
Revenons toutefois à nos pianos avec un Ragtime, en sachant qu’on ne dispose hélas que d’un unique modèle de piano droit signé Yamaha :
- Raggtime-Grotrian00:19
- Raggtime-Steingraeber00:19
- Raggtime-SteinwayBhb00:19
- Raggtime-Steinwayhonky00:19
- Raggtime-Steinwayhonkyhb00:19
Je ne repasserai pas sur les harpes, pianos électriques et autres percussions chromatiques si ce n’est pour vous faire entendre ce que tout cela peut donner lorsqu’on utilise les instruments en surcouches (layers) :
- layers-xylotar00:16
- layers-steeltoys00:16
- layers-rhodyharp00:16
- layers-distort00:16
Puis en morphing :
- morph-xyloharp00:16
- morph-petroftoy00:16
- morph-petroftar00:16
- morph-mkItoy00:16
- morph-guitardyna00:16
Sachant qu’on dispose dans ces deux modes d’une fonction Random pour générer aléatoirement des presets, au petit bonheur la chance, qu’on pourra affiner ensuite : une très bonne idée !
Bref, vous le voyez : il y a de quoi faire, sachant que quelque soit le terrain de jeu, on retrouve toujours la qualité d’expressivité de Pianoteq, comme son excellente gestion des résonances sympathiques, raisons pour lesquelles certains ne jurent que par lui…
Conclusion
Dur de ne pas être enthousiaste sur ce nouveau Pianoteq tant le logiciel est convaincant sur les plans du son comme sur celui des fonctionnalités, le tout en étant léger et abordable avec ses trois versions aux rapports qualité/prix bien étudiés (c’est assez rare pour le souligner : Modartt est aussi très peu gourmand dans le tarif de ses mises à jours). Ce galop d’essai dans le monde de la guitare est en outre suffisamment bluffant pour qu’on espère que Modartt creuse dans cette direction, que ce soit en termes d’interface, de modélisation ou d’effets : disons clairement qu’un Guitartec ne serait pas pour nous déplaire…
Bref, chapeau bas aux toulousains, sachant qu’après une si belle surprise, on se demande déjà où Pianoteq nous emmènera pour sa neuvième version…
* Comment fait-on pour faire rentrer 4 éléphants dans une 2 Chevaux ?
2 devant et 2 derrière.