Nouveau venu dans la famille des pianos acoustiques virtuels, le logiciel de VI Labs affiche son ambition dès son nom : True Keys. Promesse tenue ?
Énormes sont les progrès réalisés par les éditeurs dans le domaine de la restitution par le biais de l’échantillonnage (ou de la modélisation) de ce que d’aucuns appellent l’instrument-roi ou le roi des instruments, le piano acoustique. Sans refaire tout l’historique (on se reportera aux différents tests ici présents sur Audiofanzine), on est parti de très loin, puis on est passé par des moments de grâce dans le domaine du hardware (les pianos des Kurzweil, dont la légende veut que ceux du K250 aient trompé les golden ears en écoute comparée à l’époque, ou le fabuleux triple strike du K2600, avec seulement 12 Mo d’échantillons, mais toute la synthèse VAST et le KDFX derrière…) et d’autres plus pénibles (les épouvantables « pianos » du M1, par exemple).
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Quand l’informatique sur ordinateur personnel a permis l’échantillonnage extensif à des fréquences et résolutions élevées, les choses ont changé jusqu’à voir apparaître des bibliothèques uniquement dédiées aux pianos acoustiques dépassant les 250 Go (les quatre pianos EastWest, par exemple, avec des tailles de 73, 87, 58 et 46 Go, respectivement pour les Bechstein D-280, Steinway D, Bösendorfer 290, et Yamaha C7). Chez Synthogy, autre éditeur proposant des banques copieuses (dirigé par Joe Lerardi, concepteur des pianos acoustiques Kurzweil pré-K2600, c’est-à-dire ceux réalisés avec seulement 4 Mo d’échantillons…), on trouve un Bösendorfer pesant 28 Go, un German D de plus de 29 Go et un Yamaha affichant crânement sur la balance 23 Go. Rappelons qu’un G4 400 haut de gamme était vendu en 2000 avec un disque dur de… 10 Go, et l’on comprendra ce que le prix du Go en baisse continuelle a fait pour la qualité des instruments échantillonnés (pensons aux sons d’orchestre aussi). Ce prix absolu est hélas en hausse depuis l’apparition du SSD, que l’on espère vite voir chuter, tant le gain de temps, la rapidité sont phénoménaux (mais quid de la longévité et de la stabilité ?). Mais foin de digression.
True Keys, à l’origine uniquement bundle de trois pianos mais depuis peu les proposant à l’unité, offre un Steinway D (21 Go en format .ufs), un Bechstein demi-queue (18 Go) et un Fazioli F308 (24 Go) compatible avec le lecteur gratuit UVI Workstation, et donc avec MachFive 3, sur lequel ce test est effectué.
Introducing VI Labs True Keys
Direction le site de l’éditeur ou celui de l’importateur pour l’achat en ligne (on peut aussi acheter le bundle de piano sous forme de boîte, sur une clé USB), au tarif de 329 euros (349,99 $ chez l’éditeur), les éléments séparés étant eux vendus 149,99 dollars chaque. On télécharge un installeur (7,8 Go, en un seul fichier…), qui se décompressera dans un dossier regroupant un autre installeur, les cinq fichiers .rar de samples et programmes d’un côté, et les manuels de l’autre (y compris celui de l’UVI Workstation, livré avec la bibliothèque). On lance donc le deuxième installeur qui propose d’installer l’un, l’autre ou tous les pianos. Une fois cette installation effectuée, on se retrouve avec un total de plus de 50 000 samples pour 63 Go, sous forme de trois fichiers .ufs, le format conteneur de l’éditeur de l’UVI.
L’autorisation se fait, après création de compte et enregistrement sur le site de l’éditeur et, via iLok, dont on connait les sérieux problèmes ayant suivi la mise à jour de leur système et de leur site, et qui devraient être résolus (on l’espère…) au moment de la publication de ce test. Par chance, je n’ai pas eu ces soucis (qui sont de toute façon au niveau des bases de données d’iLok, et non dépendants des configurations des utilisateurs). Les caractéristiques, configurations minimales et autres considérations logicielles sont celles de MachFive3 et de l’UVI Workstation, compatibles Mac et PC, 32 et 64 bits.
Touche à touches
L’interface des instruments est toujours la même : après chargement, on se retrouve face à une vue fuyante des cordes, des chevilles d’accord, des agrafes, du cadre et/ou de la table d’harmonie, sur laquelle se trouve un bouton Settings. Ce dernier ouvre la fenêtre des réglages de l’instrument. On y dispose d’un grand nombre de paramètres, sur trois lignes, permettant de totalement personnaliser le son du piano utilisé.
Comme bien d’autres bibliothèques, True Keys fait appel à un principe permettant de mélanger plusieurs prises de sons, en l’occurrence trois : Close, Player et Side, complétées par un mélange des trois, Mix. Les présets offerts par le piano reprendront donc cette caractéristique, chacun d’entre eux complété par une version Lite, ainsi qu’un préset « master », simplement intitulé du nom du piano, par exemple Tue Keys – German.M5p ; sauf mention contraire, ce sont ces présets globaux qui seront utilisés le long de ce test.
L’échantillonnage est copieux, l’American compte 3422 Keygroups, le German 2647 et l’Italian 3515. On présentera d’ailleurs tous les exemples audio dans cet ordre. On a accès à tous les layers, les échantillons, les effets, filtres, etc. Les layers contiennent jusqu’à neuf couches pour les Sustains (et par demi-tons), à l’exception des aigus à partir de Fa#5 (pour l’Italian), offrant six couches. On pourra ainsi sélectionner, entendre voire exporter sample par sample (qui sont tous en 16 bits, 44,1 kHz). Les samples ne semblent pas bouclés, mais je n’ai pu vérifier l’intégralité de la bibliothèque (50 000 échantillons, rappelons-le…). Les échantillons de résonance sympathique sont eux au nombre de un par demi-ton. L’éditeur a en effet fait un choix technique sur cet aspect fondamental du piano virtuel, de l’échantillon là où d’autres font appel à un mélange de modélisation et de sample. Voici un exemple d’un de ces échantillons, afin d’entendre ce qu’ils contiennent exactement. Leur volume, leur entrée en action dépendront de plusieurs paramètres sur lesquels on reviendra.
La première ligne de réglages offre les volumes des échantillons de Release, de Pedal et de Key Noise (le bruit produit par les touches et marteaux). Le bruit de la pédale, un classique, dépendra aussi ici de la vitesse, si l’on dispose d’une pédale de sustain de type CC, c’est bien vu.
Dans ce premier exemple sur un American Mix, on entendra d’abord ces réglages au minimum, au « milieu », puis au maximum.
On trouve ensuite le comportement du piano en fonction de la pédale de sustain, avec un réglage de résonance pour les échantillons dédiés, et deux switches activant le mode True Pedal et le mode Repedal, censés être garants du réalisme : on entendra ainsi l’instrument résonner si l’on déclenche la pédale après avoir joué et tout en maintenant la note (True Pedal), et si l’on enfonce la pédale très rapidement après avoir relâché la note. Dans l’exemple suivant, True Pedal avec accord plaqué, puis Repedal très rapidement après relâchement des notes.
Les deux influeront (et vice-versa) sur la résonance sympathique des cordes, dont on peut régler le nombre d’harmoniques (jusqu’à 40) et le volume (global, pas individuel), le résultat étant encore une fois produit par des échantillons et non de la modélisation. Voici le même exemple sur chacun des pianos (il faut mettre le réglage de seuil de vélocité sur 2, afin de ne pas déclencher les notes de l’accord, et la polyphonie est sur 10).
Toujours du côté vélocité, voyons ce que donne la même note passant par les 128 degrés disponibles sur les trois pianos (prise de son Close).
Et un accord joué à la plus faible valeur audible, et celle maximale.
Autre aspect important, la répétition des notes qui ne doit jamais être… répétitive. À cet égard, on dispose d’un bouton d’activation Repetition Strikes. Voici sans et avec.
Je peux me tromper, mais il ne m’a pas semblé qu’il y ait plusieurs échantillons de Round Robin comme peuvent les inclure d’autres éditeurs. En lieu et place, il y a commande de l’ouverture d’un filtre passe-bas un pôle (6 dB/oct., commutable par sample !) et une légère modification de hauteur (pas trouvé à quel niveau ça se passait, en revanche…). Faute d’informations sur le sujet, je n’insisterai pas.
Autre élément à vérifier, phase et panoramique. Voici pour les trois pianos, l’étendue des 88 notes à la même vélocité en prise de son Player (il faudrait le faire entendre à toutes les vélocités, sur les trois prises de son, on comprendra que cela dépasse le cadre de ce test, mais les exemples proposés sont assez révélateurs du comportement global).
On l’entend, quelques petits mouvements de phase, assez légers ; en revanche, les notes manquent parfois de cohérence dans le placement stéréo, certaines attaques ressortant plus d’un côté ou de l’autre, brisant la continuité voulue sur la largeur stéréo (presqu’un peu trop large parfois).
Clés des chants
On dispose ensuite d’une réverbe (iReverb, à convolution, avec choix de plusieurs empreintes spécialement adaptées au piano), avec réglages Dry/Wet et Tone (qui règle de façon bipolaire le gain d’un EQ paramétrique centré sur 7,16 kHz, avec facteur Q large).
La ligne du milieu offre les différentes prises de son, avec volume indépendant, boutons de chargement (des échantillons) et boutons de Bypass, ainsi qu’une vue de dessus d’un piano avec le placement des micros.
Voici un exemple utilisant la position Close, avec une légère réverbe courte (les réglages sont strictement identiques pour les trois pianos, pour un même exemple). Pourquoi une réverbe ? Eh bien parce qu’on n’entend quasiment jamais un piano sans la pièce dans laquelle il est placé…
Ensuite, on utilise ici un mix entre Close et Player (la quasi-totalité des extraits de ce test propose les mêmes morceaux et exemples techniques que dans les autres tests de piano sur AF signés bibi).
L’œuvre suivante fait appel au réglage Mix, dans dans une réverbe Clean Hall plus prononcée.
On terminera par un réglage perso des trois prises de son dans une réverbe Large Ensemble.
Derniers éléments de réglage, présents dans la troisième ligne, et outre la résonance sympathique déjà mentionnée, la polyphonie (de 32 à 128), le seuil et la courbe de vélocité, la sensibilité et la dynamique de l’instrument. Ainsi qu’un ensemble plutôt rare, permettant de choisir les contrôleurs pour le Sustain (classique), celui pour la pédale Una Corda et celui pour la pédale Sostenuto, ainsi que le réglage central de la demi-pédale, possibilité fondamentale sur un vrai piano, moins souvent implémentée dans le monde virtuel, d’autant qu’ici les échantillons sont fournis, tout comme ceux pour l’Una Corda. C’est Byzance. Bien entendu, la charge RAM, CPU, disque dur augmente en considération, c’est le prix à payer pour le réalisme de l’instrument. Exemple, sonorité « normale » puis Una Corda (American, trois prises de son).
Bilan
Indéniablement une belle réussite. Il devient de plus en plus difficile de faire un choix dans ce domaine, car il va relever de plus en plus de données subjectives et non plus objectives (défauts constatés, bugs de lecteur, qualité du son, etc.). Ici, on ne trouve que quelques rares défauts, rapidement contrebalancés par les qualités propres du son, de la programmation et de la puissance logicielle si l’on utilise MachFive3 (mais l’UVI Workstation fonctionne elle aussi très bien). Au nombre des premiers, des attaques un peu trop présentes en pianissimo, une stabilité de l’étendue du clavier dans la stéréo parfois faiblarde, quelques (petits) problèmes de phase (Bechstein et Fazioli surtout), un peu trop de monde dans certains cas dans les fréquences graves (manque éventuellement un petit nettoyage), quelques résonances métalliques (sur l’American particulièrement), peut-être un manque de layers dans les vélocités supérieures, le Fazioli sonnant bien plus fort que les deux autres (normal, mais parfois problématique dans le cadre d’une bibliothèque) et une gestion des notes répétées moins convaincante que chez la concurrence.
Tout le reste, on l’entend dans les exemples, ici et chez l’éditeur. Le caractère de chaque piano est bien présent, les sensations sont assez agréables pour peu que l’on dispose d’un bon clavier-maître, et une fois enregistrés, l’impact, la présence et la subtilité des instruments sont bien ceux que l’on attend d’un enregistrement. Oui, il devient de plus en plus dur de choisir…
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