Le tout est égal à la somme des parties... Tous ceux qui ont déjà manipulé une bande analogique vous le confirmeront ! Comment oublier les sensations ressenties en entendant le nouvel apport de bruit incompressible engendré par chaque montée de fader, le souffle de la piste supplémentaire sur la bande s'ajoutant à celui des autres pistes ?
Avec les enregistreurs numériques actuels, le souffle des bandes n’est plus un problème. D’un autre côté, nos exigences sont devenues plus strictes. Tout le monde veut une résolution en 24 bits et un bruit incompressible rapporté à son minimum théorique. Par conséquent, chaque petit dB de bruit, de distorsion ou de coloration supplémentaire joue un rôle, tout spécialement si vous utilisez volontiers de nombreuses pistes. Le souffle d’un préampli micro bas de gamme n’aura pas une grande incidence si l’appareil est utilisé uniquement pour enregistrer la voix du brailleur d’un groupe de punk. En revanche, si vous utilisez ce même préampli pour enregistrer 12 pistes d’instruments acoustiques, le désagrément sera très net.
J’ai souvent rappelé que l’impact émotionnel est le but suprême en musique. Malgré tout, cet impact est d’autant plus fort que la qualité audio est sans faille. Observons « à la loupe » (même s’il ne permet pas de mixer, le casque audio est parfait quand il s’agit d’analyser chaque détail d’une piste) et nettoyons nos pistes dB par dB.
Prévention du bruit
Même dans l’ère numérique actuelle, on peut rencontrer du souffle généré par des convertisseurs, des amplis guitare, des préamplis, des boîtes de direct, des sorties instrument, etc. La contribution de chaque source au bruit semble négligeable à l’échelle d’une piste. Pourtant, dès que les signaux faibles d’un mix ne sont plus masqués par le bruit, le son global devient beaucoup plus ouvert et gagne en profondeur (si vous ne voulez pas croire que des niveaux de bruit extrêmement faibles peuvent avoir un impact tangible, prenez l’exemple du dithering : ce bruit de niveau très faible a des répercussions significatives sur notre perception du son.)
La première mesure de réduction du bruit est la prévention. Il est peut-être temps de penser à investir dans un nouveau préampli micro s’il permet de réduire le bruit de quelques dB. Et votre boîte de direct ? Si elle est active, le moment est peut-être venu de la changer. Si elle n’est pas active mais utilise un transformateur, le problème est intrinsèque car le transformateur peut amplifier un bruit sourd (première mesure : orienter la boîte de direct différemment).
Quelques astuces supplémentaires :
- Le réglage du niveau des signaux quand ils passent d’un étage à l’autre est crucial pour minimiser le bruit : aucun étage ne doit surmoduler le suivant, qui doit cependant recevoir un signal de niveau suffisant. Le but est de maximiser le niveau du signal dans l’étage suivant sans toutefois atteindre le seuil de distorsion. Mais soyez prudent. Personnellement, je préfère quelques dB de bruit en plus plutôt que d’être confronté à une distorsion causée par une surmodulation (clipping) dans l’un des étages.
- Les craquements peuvent poser plus de problèmes que le souffle. Mettez de la bombe contact sur les connecteurs de vos câbles et de vos patchs, voire même sur les connecteurs et les commandes de vos périphériques. De légers craquements masqués par d’autres sources pendant l’enregistrement pourront réapparaître lors d’une écoute attentive. Dans le pire des cas, les surfaces de métaux différents auront commencé à cristalliser. Ces cristaux génèrent du bruit, mais surtout ils sont potentiellement de petits récepteurs à cristal qui peuvent transformer les interférences radio en signaux audio absorbés par les connecteurs (voir article « Tout savoir sur les câbles »).
- Avant d’enregistrer, veillez à muter (rendre muet) tous les canaux superflus de la console. Chaque canal audible est une source de bruit potentielle.
- À moins d’avoir une carte son haut de gamme telle qu’une Lynx, évitez d’envoyer des signaux analogiques dans votre ordinateur. Utilisez des connexions numériques et un module de conversion séparé.
- Si vous utilisez un écran à tube, ou même si un écran cathodique est allumé pendant que vous enregistrez, n’oubliez pas que ce genre de moniteur produit un signal haute fréquence (vers 15 kHz). Ce dernier peut passer par vos micros et ajouter du bruit. Si possible, éteignez vos écrans cathodiques pendant que vous enregistrez. Ou mieux pour l’audio et pour vos yeux, achetez un moniteur à cristaux liquides.
- Si vous enregistrez une guitare électrique, sachez que les micros de l’instrument ont tendance à attraper du souffle et d’autres interférences. Essayez différents endroits de la pièce pour trouver celui qui génère le moins de bruit indésirable. Si vous possédez une Line 6 Variax, réjouissez-vous : elle ne reprendra pas de bruit.
Peu importe comment vous procédez, du bruit s’immiscera dans les pistes que vous enregistrez. C’est le moment de sortir la grosse artillerie : suppression du bruit, utilisation de noise gates et réduction du bruit.
Traiter le bruit après coup
Avec un système d’enregistrement sur disque dur classique, vous aurez trois solutions principales pour vous débarrasser du bruit constant (souffle, ronflement) : l’utilisation d’un noise gate, la suppression du bruit et la réduction du bruit.
Pour la suppression du bruit, le noise gate constitue la méthode la plus sommaire. Pour rappel, les noise gates travaillent avec un niveau seuil donné. Les signaux dont le niveau est supérieur à ce seuil atteignent la sortie de l’effet sans rencontrer d’obstacle. Les signaux dont le niveau est inférieur au seuil (souffle, ronflement, etc.) entraînent la fermeture de la porte (gate) qui empêche tout signal d’atteindre la sortie.
Les vieux noise gates comportaient différents problèmes, notamment un phénomène de « hachage » car les signaux oscillent souvent autour du niveau seuil lors des phases de déclin, ce qui ouvre et ferme alternativement et rapidement la porte du noise gate. Les gates plus récents (illustration 1) possèdent des réglages qui permettent de déterminer le temps d’attaque, pour que le gate s’ouvre progressivement plutôt que de façon abrupte, et une fonction « look-ahead » qui permet d’utiliser un temps d’attaque court sans tronquer les premiers transitoires. Les noise gates sont efficaces avec les signaux de niveau très réduit et avec les pistes dont certains « blocs d’audio » sont séparés par un bruit qui perdure en étant plus ou moins masqué lorsqu’un signal est présent (pour en savoir plus sur les noise gates, lisez l’article « Utilisation créative des noise gates »).
La suppression du bruit est la variante manuelle de ce que fait le noise gate (illustration 2). C’est un procédé beaucoup plus fastidieux mais qui peut donner de meilleurs résultats lorsque la source « pose problème ». La suppression du bruit consiste à couper les silences entre les blocs d’audio que vous souhaitez garder en ajoutant des fondus d’entrée et/ou de sortie en fonction de vos besoins pour masquer les coupes. Cependant, cette méthode réclame beaucoup de temps s’il faut renouveler l’opération pour toutes les pistes d’un morceau ; dans la plupart des cas, un noise gate donnera un résultat de qualité comparable.
La réduction de bruit supprime le bruit d’une piste de façon chirurgicale plutôt que de le masquer. Étant donné que la réduction de bruit est un processus gourmand en ressources processeur, il est souvent préférable d’utiliser une application autonome comme DC Seven ou un plugin doté d’un éditeur de forme d’onde. Pour Windows, Adobe Audition, Wavelab et Sound Forge possèdent des outils de réduction de bruit très efficaces ; pour Mac, BIAS SoundSoap Pro (illustration 3) offre des possibilités équivalentes. Les autres éditeurs qui proposent des logiciels de réduction de bruit sont notamment iZotope, Waves, Sony, Wave Arts et Algorithmix.
Notez que vous devrez certainement exporter la piste de votre application de MAO sous forme de fichier audio séparé, traiter ce dernier dans le programme de réduction de bruit puis l’importer de nouveau pour l’utiliser dans votre projet. Généralement, vous aurez aussi besoin d’un échantillon du bruit que vous souhaitez supprimer (on dit de cet échantillon que c’est une « empreinte du bruit » en référence aux empreintes digitales). Quelques centaines de millisecondes suffisent à condition qu’elles contiennent uniquement le signal que vous souhaitez supprimer, et rien d’autre. Une fois l’échantillon capturé, le programme peut le soustraire mathématiquement de la forme d’onde pour créer un signal débarrassé de ce bruit.
Cependant, certains algorithmes de réduction de bruit n’utilisent pas d’empreinte sonore mais des filtres qui suppriment les hautes fréquences lorsque seul un souffle est présent. Le fonctionnement rappelle celui d’un noise gate, à la différence qu’il constitue un moyen plus sélectif de supprimer le bruit car seules les fréquences contenant le bruit sont affectées.
Tout ça sonne très bien en théorie, et dans 90% des cas en pratique. Malgré tout, il est avantageux d’accumuler de l’expérience car il y a quelques bémols.
- La réduction de bruit donne les meilleurs résultats sur les signaux qui contiennent peu de bruit. Le fait d’essayer de supprimer de gros blocs de bruit entraîne inévitablement la suppression de portions d’audio que vous souhaitiez conserver.
- Utilisez le montant minium de réduction de bruit nécessaire à l’obtention du résultat escompté : 6 à 10 dB sont des réglages généralement fiables. Des valeurs supérieures peuvent donner de bons résultats, mais peuvent aussi ajouter des artefacts à l’audio. Laissez vos oreilles être juges ; comme pour la distorsion, je trouve les artefacts audibles plus désagréables qu’un peu de bruit.
- N’hésitez pas non plus à enregistrer des presets d’un échantillon de bruit particulier, par exemple qui se rapportent à un préampli que vous utilisez souvent. Ainsi, vous pourrez même appliquer une réduction de bruit à des signaux dont aucun passage contient uniquement le bruit.
- Dans certains cas, il sera plus avantageux d’appliquer une réduction de bruit faible deux fois de suite plutôt que d’opter pour un seul traitement drastique.
Et est-ce que tous ces efforts en valent la peine ? Je pense que vous serez très surpris en entendant votre mix une fois que le bruit apporté par chaque piste aura été supprimé. Certes, ce n’est pas ce qui saute le plus aux oreilles car il s’agit de portions de signal de niveau très faible. Pourtant, même en minimisant le bruit de niveau réduit, on peut améliorer considérablement le son final… comme si l’on époussetait une grande œuvre d’art.
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.