Les noise gates ne sont plus aussi importants qu'à l'époque du tout analogique, lorsque le souffle s'invitait dans tous les enregistrements. Pourtant, les noise gates permettent de créer des effets spéciaux très sympas qui n'ont rien à voir avec la réduction de bruit. Cet article présente des utilisations alternatives illustrées par des exemples sonores susceptibles de réanimer l'intérêt porté à ces processeurs. Mais tout d'abord, commençons par exposer les bases des noise gates aux non initiés.
Les bases
Un noise gate (littéralement : porte de bruit) ne délivre pas de signal de sortie lorsque le niveau du signal entrant est faible. Inversement, il laisse passer les signaux de niveau plus élevé. Voici les paramètres classiques des noise gates, qu’ils soient analogiques, numériques ou logiciels.
Seuil (Threshold) : lorsque le niveau d’entrée passe sous le niveau seuil, la porte se ferme, autrement dit la sortie ne délivre aucun signal. Dès que le signal d’entrée repasse au-dessus du niveau seuil, la porte s’ouvre de nouveau.
Attaque (Attack) : ce paramètre définit le temps nécessaire à la porte pour passer de l’état « totalement fermée » à « totalement ouverte » lorsque le niveau du signal d’entrée dépasse le niveau seuil.
Déclin (Decay) : ce paramètre définit le temps nécessaire à la porte pour passer de l’état « totalement ouverte » à « totalement fermée » lorsque le niveau du signal d’entrée repasse sous le niveau seuil. Étant donné que les signaux oscillent souvent autour du niveau seuil lors des phases de déclin, le fait d’augmenter le Decay permet d’éviter les effets de « hachage ».
Entrée de commande (Key input) : normalement, les noise gates s’ouvrent et se ferment en fonction de l’amplitude du signal à traiter. Cette entrée permet de commander le noise gate avec un autre signal que le signal source (par exemple, on pourra utiliser une grosse caisse comme signal de commande pour que le signal à traiter soit alternativement audible/inaudible au rythme de la grosse caisse). Remarquez que cette fonction est bien plus courante sur les processeurs physiques que sur les plugins.
Bien, passons maintenant aux exemples d’utilisation.
Reverb sélective
Lors de la production d’un morceau, dans lequel j’utilisais une boucle de batterie pré-mixée provenant de la bibliothèque Discrete Drums Series 2, je voulais plus de reverb sur la caisse claire – et uniquement sur la caisse claire – pendant un passage bien précis du morceau. Bien que la Series 2 soit une bibliothèque multipiste, je voulais éviter de « revenir en arrière » pour refaire entièrement la boucle de batterie. J’ai donc eu l’idée d’extraire la caisse claire, de lui ajouter de la reverb puis de la mixer avec la batterie.
Comme le montre l’illustration 1, j’ai copié la boucle de batterie de la piste 1 dans une seconde piste de mon séquenceur (avec une configuration hardware, il faudrait alimenter deux canaux de la table de mixage avec la boucle). Dans la seconde piste, j’ai inséré un égaliseur que j’ai utilisé pour supprimer tout le bas du spectre, afin de retirer la grosse caisse du signal, ainsi que les hautes fréquences pour atténuer le niveau des cymbales crash.
Ensuite, j’ai inséré un noise gate dans la piste 2 et réglé le niveau seuil (Threshold) de sorte que l’effet ne laisse passer que les crêtes de la caisse claire.
Ces crêtes alimentaient la reverb que j’ai routée dans le bus master où elle était mélangée à la batterie originale. Le noise gate m’avait donc permis d’appliquer la reverb uniquement à la caisse claire et de l’ajouter au reste de la batterie.
Voici un exemple de reverb sélective. Les quatre premières mesures correspondent à la boucle de batterie seule ; les quatre mesures suivantes correspondent à la caisse claire extraite et réverbéré ; les quatre dernières mesures combinent les deux pistes.
Pseudo expanseur
Une astuce un peu similaire permet d’améliorer une partie de batterie dont la dynamique est insuffisante. Copiez le signal dans un autre canal du mixeur et utilisez un noise gate de sorte que seules les crêtes soient audibles. Mixez les deux canaux pour amplifier légèrement les crêtes de la boucle de batterie. Cette technique marche aussi avec n’importe quel instrument possédant des transitoires rapides : attaques du médiator pour une guitare ou d’un orgue de type B3.
Distorsion destructrice
Avec des temps d’attaque et de déclin réglés au minimum (généralement 0 ms pour l’attaque et 0 à 10 ms pour le déclin), le noise gate s’ouvre et se ferme tellement vite qu’il se déclenche sur les cycles individuels du signal source, ce qui entraîne de la distorsion.
Cette technique fonctionne particulièrement bien avec une batterie très compressée. Dans cette application, on pourrait dire que le seuil est un « réglage de laideur ». Avec un niveau seuil faible, vous entendrez un genre de « bourdonnement » occasionnel. Avec un niveau seuil élevé, vous obtiendrez des sons aigres, désagréables et tranchants (remarque : avec le temps de déclin au minimum, les portions de signal situées au-dessus d’une fréquence donnée ne seront pas affectées. Ce sera par exemple le cas pour toutes les fréquences au-dessus de 200 Hz avec un Decay de 5 ms.)
Voici une boucle de batterie distordue à l’aide de cette technique :
Attaque retardée
En choisissant un temps d’attaque élevé (entre 100 et 250 ms), vous obtiendrez un signal qui « monte progressivement » jusqu’à son niveau maximal. Par exemple, avec un jeu staccato (notes détachées les unes des autres), un genre de fondu d’entrée (fade in) sera appliqué à chaque nouvelle note excédant le niveau seuil du noise gate. Dans ce cas, la durée du fondu est déterminée par le temps d’attaque. On peut ainsi modifier les caractéristiques de l’attaque des instruments à transitoires rapides tels que le piano et la guitare ou donner des attaques de type cuivres à un orgue. Cette technique permet également de réduire le bruit d’inhalation des prises de chant : lorsque le chanteur inhale, un fondu d’entrée est appliqué à la respiration. Ainsi, on peut atténuer les bruits de respiration sans les éradiquer complètement afin que la prise de chant conserve un aspect naturel.
Dans cette application, le réglage du temps de déclin est également important. Avec un déclin long, le noise gate restera ouvert pendant les espaces entre les notes rapprochées. Ainsi, l’effet ne se déclenchera par sur l’attaque de chaque note. Inversement, un temps de déclin trop court pourra engendrer l’effet de « hachage » décrit plus haut. Par conséquent, choisissez un temps de déclin aussi court que possible mais permettant malgré tout d’obtenir un son naturel et doux.
Grosse caisse surgonflée
Voici une astuce qui s’applique essentiellement aux noise gates physiques. Supposons que vous vouliez gonfler le son d’une grosse caisse avec un kick rap très épais (souvenez-vous de la fameuse TR-808). Voici une méthode détournée :
- Prenez un générateur d’onde sinusoïdale (un oscillateur de test par exemple). Réglez sa fréquence entre 40 et 60 Hz puis reliez sa sortie à l’entrée du canal de la console contenant le noise gate.
- Alimentez l’entrée de commande du noise gate avec le signal de la grosse caisse et réglez le seuil relativement haut de sorte que le niveau de la grosse caisse ne dépasse que très brièvement le seuil.
- Réglez le Decay du noise gate pour que le signal de l’oscillateur possède le déclin souhaité. L’idéal est de posséder un noise gate dont le temps de déclin monte jusqu’à environ 2 secondes (en fait, même une valeur de 1 seconde pourra donner de bons résultats).
À présent, le noise gate s’ouvre pendant une fraction de seconde à chaque battement de la grosse caisse et laisse ainsi passer l’onde sinusoïdale dont le fondu de sortie (fade out) est déterminé par le temps de déclin.
Manipulation en temps réel
Voici une astuce concernant l’utilisation en temps réel qui permet de créer des effets intéressants pour le hip-hop, la techno et les autres genres musicaux basés sur des variations de boucles de batterie. Dans la plupart des boucles, la caisse claire et la grosse caisse possèdent les niveaux les plus élevés, tandis que le charley et les autres percussions (maracas, shakers, tambourin, etc.) sont généralement mixées en arrière plan. Le fait de modifier le seuil du noise gate en temps réel permet de hacher différentes portions du signal de façon sélective. Ainsi, lorsque le seuil est au minimum, vous entendez l’ensemble de la boucle. Augmentez le seuil et les percussions disparaîtront. Augmentez-le encore et le charley disparaîtra également. Continuez à augmenter le seuil et la caisse claire ainsi que la grosse caisse perdront leur déclin et deviendront extrêmement percutantes.
Voici un exemple de boucle traitée en temps réel avec un noise gate :
Pour cette application, on règlera le temps d’attaque au minimum et on choisira un déclin court (environ 50 ms). Ce type de traitement est très utile pour ajouter de la dynamique à une boucle de batterie.
Finalement, le noise gate n’est pas un effet aussi ennuyeux qu’il en a l’air. Essayez les techniques exposées plus haut pour vous en convaincre.