Les outils pour les voix se sont transformés de façon aussi radicale que les techniques d'enregistrement elles-mêmes. Les microphones sont devenus meilleurs et moins chers ; les micros « d'entrée de gamme » actuels surclassent parfois les champions des décennies passées. Les préamplis, qu'ils soient à lampes ou à transistors, affichent des niveaux de bruit que l'on ne peut mesurer qu'avec les outils extrêmement sensibles. Les possibilités de traitement sont nombreuses : tranches de console dédiées exclusivement à la voix, correcteurs de hauteur tonale, modélisation numérique reproduisant la signature sonore de micros et de préamplis donnés (illustration 1). Les compresseurs, les reverbs et même les cabines de chant ont tous profité du progrès technique.
Alors, quel est le meilleur moyen d’enregistrer les voix de nos jours ? Bien sûr, tout est envisageable tant que vous obtenez le résultat escompté. Voici quelques-unes des possibilités.
Choix du micro
Peu de sujets font autant débat que le choix du micro et du préampli voix. Remarquez qu’une combinaison micro+préampli qui sonne parfaitement avec un chanteur peut ne pas fonctionner avec un autre. Exemple typique : au cours d’une séance, ma voix était enregistrée avec un micro dynamique à moins de 100 € et avec un électrostatique à 1000 €. De l’avis de tous, le micro dynamique sonnait mieux.
Est-ce que c’est parce qu’il était « meilleur » ? Non. Objectivement, il était inférieur. Mais sa réponse présentait des anomalies qui flattaient ma voix. Le micro à condensateur était précis, mais ma voix n’avais pas besoin de cette précision : il me fallait une bosse de présence dans l’aigu et de la chaleur sonore (apportée par l’effet de proximité prononcé du micro. Pour rappel, l’effet de proximité désigne la tendance qu’ont beaucoup de micros à accentuer le grave lorsque vous chantez très près de la capsule).
Parfois, j’aimerais que tous les micros soient semblables et sans étiquette. Cela forcerait les ingénieurs du son à rafraîchir leur approche à chaque séance. C’est trop facile de s’appuyer sur les vieux classiques en partant du principe qu’un micro qui a donné de bons résultats lors d’un enregistrement passé fera tout aussi bien pendant la séance actuelle (ce qui n’est pas toujours vrai). De plus, il faut tenir compte de la pertinence du couple micro/préampli : un micro X peut sonner très bien avec le préampli A mais pas avec le préampli B.
En bref, testez chaque micro avec un chanteur, enregistrez les résultats puis choisissez le modèle le plus approprié. Je vous recommande de comparer les micros deux par deux pour éviter d’avoir « trop d’options » : choisissez le meilleur de chaque paire puis faites une finale avec les vainqueurs.
Réussir la meilleure performance
La performance artistique est beaucoup plus importante que les équipements utilisés. Pourtant, bien qu’elles semblent jouer un rôle négligeable dans la performance, les techniques utilisées peuvent permettre d’exploiter au mieux les qualités du chanteur. Il ne s’agit pas seulement de tamiser des lumières pour améliorer l’atmosphère mais de travailler de façon adaptée au style du chanteur.
Par exemple, l’enregistrement en boucle, qui consiste à enregistrer successivement plusieurs prises en une fois, chaque prise étant empilée dans une nouvelle piste ou un nouveau dossier, est particulièrement intéressant car il fournit plusieurs performances dans lesquelles on peut choisir les meilleurs passages. Cependant, certains chanteurs se crispent quand la musique ne s’arrête jamais car ils ont besoin de respirations entre les prises. D’autres semblent au contraire se transcender lorsque la durée de la performance augmente. Autre question : est-ce que le chanteur aime avoir une longue introduction avant la partie à enregistrer pour se mettre dans l’esprit du morceau ou préfère-t-il attaquer directement dans le passage à enregistrer ? Trouvez les réponses à ces questions et organisez votre matériel en fonction.
Des voix plus riches
Pour épaissir les voix, l’une des techniques classiques consiste à demander au chanteur de doubler ses lignes de chant en chantant une nouvelle prise en même temps que la piste originale. La seconde prise est généralement mixée en retrait de la voix principale, quelque part entre –3 et –10 dB.
Cependant, vous n’aurez pas toujours la possibilité d’enregistrer une seconde prise pour doubler la voix, par exemple parce que le chanteur est en tournée. Dans ces circonstances, voici une alternative simple :
- Copiez la piste de chant que vous voulez épaissir pour avoir deux pistes avec la même voix.
- Utilisez un pitch shifter logiciel ou matériel sur l’une des pistes ou désaccordez la piste si cette option existe dans le programme que vous utilisez (illustration 2).
- Pour le réglage du pitch shifter, voici un bon point de départ :
- Pitch Shift = de –20 à –30 centièmes
- Dry Mix = 0
- Wet Mix = 100 (vous voulez uniquement le son traité)
Si votre plugin possède un paramètre de feedback, réglez-le à 0. Si le temps de delay et une modulation sont disponibles, essayez de moduler très lentement la hauteur tonale sur une plage de 3 à 15 centièmes. Cela permet d’ajouter de légères variations. Atténuez aussi le niveau de la prise traitée de sorte qu’elle ne concurrence pas la prise principale mais la complète. Bien entendu, il ne s’agit ici que de suggestions qui donnent de bons résultats avec ma voix ; modifiez-les selon vos goûts.
Pour épaissir encore le son, placez les deux pistes de voix autour du centre de l’image sonore. Si vous placez une voix totalement à droite et l’autre totalement à gauche, vous entendrez deux voix distinctes et non plus une voix composée (cependant, il se peut que ce soit l’effet recherché).
En bref, « pannez » légèrement les voix sur la gauche et la droite (par exemple à 10h pour la gauche et à 2h pour la droite). Cela permet d’obtenir un son légèrement plus plein et une diffusion stéréo plus large.
Synthétiser les harmonies vocales
Généralement, on obtiendra le résultat le plus naturel possible en chantant les harmonies. Mais il arrive que les picth shifters, qui ne sont pas parfaits, ajoutent des imprécisions de timbre et de timing qui peuvent donner de meilleurs résultats dans certaines situations. Les solutions logicielles ne sont pas les seules : des fabricants tels que DigiTech et TC Electronic proposent des processeurs pour voix matériels. Par exemple, bien que conçus pour la scène, les DigiTech VL2 (illustration 3) et VL4 sont également utiles en studio pour générer des harmonies et traiter des voix.
Voici un exemple de création d’harmonies avec le processeur V-Vocal de Sonar (le principe est le même avec d’autres programmes de correction de la hauteur tonale, notamment Celemony Melodyne, et avec les options de correction du pitch de MOTU Digital Performer). L’illustration 4 montre deux pistes de voix : la piste que l’on aperçoit en arrière-plan dans le coin supérieur gauche est la voix originale, celle en dessous est une version « clonée ». La piste du clone a été transformée en clip V-Vocal, autrement dit elle peut être traitée à l’aide du correcteur de hauteur tonale du V-Vocal.
Le V-Vocal affiche une ligne rouge et une ligne jaune superposées à la forme d’onde. La ligne rouge représente la hauteur tonale originale de la voix, tandis que la courbe jaune a été « redessinée » pour modifier la hauteur tonale et créer ainsi une harmonie. Oui, c’est aussi simple que ça : modifiez simplement la hauteur (pitch) jusqu’à obtention de l’harmonie recherchée.
Attention toutefois à ne pas abuser du pitch shifting : plus vous vous éloignez de la hauteur originale, moins le son est réaliste. C’est pourquoi le V-Vocal possède un outil permettant de modifier les « formants » (caractéristiques) des voix pour que les pistes de chant transposées sonnent de façon plus naturelle. Il se peut que vous ne souhaitiez pas conserver les formants originaux pour créer une « voix à l’hélium », auquel cas transposez vers le haut, ou une voix style Dark Vador, auquel cas transposez vers le bas.
Pistes de voix compilées
Le copier-coller a bénéficié aux voix car il permet de faire plusieurs prises puis d’assembler les meilleurs passages pour obtenir la voix « compilée » parfaite. Certains producteurs trouvent que de tels assemblages ne donnent pas de résultat aussi naturel qu’une prise effectuée du début à la fin du morceau. D’autres estiment qu’en choisissant parmi plusieurs prises, ils obtiennent des parties de voix plus nuancées qu’avec une seule prise. Pour réaliser des voix compilées, voici les étapes principales :
1. Enregistrez les prises. Enregistrez suffisamment de prises pour que les différentes versions permettent de compiler une bonne performance vocale (l’enregistrement en boucle est particulièrement pratique pour les voix).
2. Écoutez ce que vous avez enregistré. Écoutez chaque prise et isolez les passages intéressants (en coupant les passages inutiles). Lorsque vous comparez des prises, je vous conseille de placer les marqueurs de boucle autour de phrases très courtes puis d’écouter successivement chaque prise en solo. Si vous jugez qu’une prise n’est pas bonne, coupez la phrase. Si une prise est candidate au mixage final, conservez-la.
Sélectionnez les trois meilleures pistes et supprimez les passages correspondants des autres prises. Procédez ainsi jusqu’à avoir passé en revue l’ensemble du morceau et trouvé les meilleurs passages (illustration 5).
Ensuite, écoutez des combinaisons des différentes phrases. Faites la part des choses entre les aspects techniques et artistiques : sélectionnez les parties qui s’enchaînent bien ainsi que celles qui sont acceptables sur le plan technique. Parfois, vous pourrez choisir délibérément une version peu expressive d’une phrase si cette dernière intervient juste avant un passage à forte portée émotionnelle afin de renforcer le contraste.
Après avoir sélectionné les segments nécessaires à une performance cohérente, effacez les parties inutilisées. Pensez éventuellement à archiver certaines données, au cas où… En revanche, si vous êtes déçu du résultat après avoir assemblé les phrases, il vaudra mieux refaire des prises plutôt que d’investir toujours plus de temps dans l’édition audio.
3. Éditez la piste compilée. A ce stade, vous voudrez certainement nettoyer les prises à l’aide de traitements numériques dont vous avez le secret. Voici quelques procédés classiques :
- Réglage du gain basé sur la phrase. Si une phrase présente des écarts de niveau (elle est objectivement plus ou moins forte qu’une autre phrase), utilisez un traitement adapté ou l’automation du programme pour régler le problème.
- Traitez les bruits de respiration et d’inhalation. Il se peut que certains bruits de respiration très prononcés résultent de la combinaison de deux prises différentes. Dans ce cas, coupez-en une. Cependant, ne supprimez pas tous les bruits de respiration car ils participent au caractère vivant de la musique.
- Au besoin, ajoutez des traitements de la dynamique, de la reverb, égalisez, etc. Ne traitez pas les prises pendant que vous les découpez : il devient compliqué de faire correspondre les effets et certaines queues de reverb peuvent être interrompues. Effectuez les traitements après avoir optimisé toute la piste pour obtenir les meilleurs résultats.
Réglez les problèmes de voix doublées
Avec les parties de chant doublées, il arrive que deux voix fonctionnent parfaitement ensemble sauf sur quelques mots occasionnels. Plutôt que de réenregistrer la seconde voix ou d’y ajouter des overdubs, copiez la section incriminée de la voix originale. Collez-la dans la seconde piste de voix mais retardez-la avec un delay de 20 à 30 ms. Tant que le segment est suffisamment court, vous n’aurez pas de problème (les segments plus longs sonneront comme un écho ; cela peut fonctionner mais ne correspond plus à une voix doublée).
Compression des voix
Le contrôle de la dynamique est un paramètre essentiel de l’enregistrement des voix. Le meilleur contrôle de la dynamique réside dans la capacité du chanteur à ajuster sa position par rapport au micro, un peu comme s’il « jouait du trombone à coulisse » : micro rapproché pour les passages intimistes et éloigné pendant les parties chantées fort. Malheureusement, peu de chanteurs maîtrisent parfaitement leur position par rapport au micro et vous devrez souvent recourir au contrôle électronique de la dynamique (compression, voir illustration 6).
On peut utiliser la compression pour d’autres applications, par exemple pour donner un caractère plus intime à la voix ou pour amplifier les portions de signal les plus faibles. Quoi qu’il en soit, et quelle que soit votre application, ne compressez pas exagérément pour éviter de tuer la vie dans vos prises de voix. Voici quelques conseils pour une compression optimale :
- Les réglages les plus importants sont Threshold (niveau seuil) et Ratio (taux de compression). Pour atténuer les crêtes tout en conservant le reste de la réponse dynamique presque intacte, choisissez un ratio élevé (10:1 ou plus) et un seuil relativement haut (de –1 à –6 dB). Pour un son plus compressé, abaissez le seuil. Si la compression est excessive, essayez un ratio plus faible.
- Observez l’afficheur de la réduction de gain qui indique la réduction de niveau appliquée au signal entrant. Généralement, vous n’aurez pas besoin de plus de 6 dB de réduction, ce qui est déjà conséquent. Pour une réduction de gain moins importante, augmentez la valeur du seuil ou réduisez le taux de compression (ratio).
- Ajustez le niveau de sortie pour qu’il s’approche le plus possible de 0 dB sans jamais dépasser cette limite.
- Les taux de compression faibles (de 1,5:1 à 3:1) produisent un son plus naturel que les ratios élevés.
- Avec un temps d’attaque à 0, la compression des crêtes est instantanée. C’est le type de compression le plus drastique. Si vous voulez que le signal ait un niveau moyen élevé sans jamais atteindre 0 dB, utilisez un temps d’attaque de 0. Personnellement, je préfère un temps d’attaque de 5 à 20 ms pour laisser passer quelques crêtes, même si c’est au prix d’un niveau moyen légèrement moindre.
- Le paramètre Decay (déclin) n’est pas aussi important que l’attaque. Commencez entre 100 et 250 ms.
- Le paramètre Knee (pas toujours présent) contrôle le temps de montée de la compression. Avec la caractéristique Soft Knee, lorsque le niveau d’entrée dépasse le seuil, le taux de compression appliqué est d’abord faible, puis augmente jusqu’au taux de compression fixé au fur et à mesure que le niveau d’entrée s’accroît. Avec la caractéristique Hard Knee, le taux de compression fixé est appliqué instantanément dès que le niveau d’entrée excède le seuil. Utilisez Hard Knee lorsque le contrôle des crêtes est une priorité et Soft Knee pour limiter la coloration du son.
- Certains compresseurs possèdent une fonction qui règle les temps d’attaque et de déclin de façon automatique en fonction du signal source. Il s’agit certainement du meilleur réglage si vous êtes débutant.
Conseils concernant la reverb
Illustration 7
Une bonne reverb n’a pas son pareil pour mettre le chant en valeur. Pour les voix, je privilégie un espace acoustique naturel. Cependant, les lieux dédiés étant en voie de disparition, vous utiliserez certainement une reverb numérique. Le réglage d’une reverb est une affaire de goût. Deux paramètres sont particulièrement importants (illustration 7).
La diffusion. Pour les voix, je préfère une diffusion faible où chaque réflexion est « séparée ». Les réglages de diffusion faibles sonnent souvent très bien avec des percussions car les échos individuels font l’effet de billes rebondissant sur une plaque d’acier. Avec les voix, un montant réduit de réflexions permet d’éviter que le chant soit submergé par une réverbération trop généreuse.
Le pré-delay. Les valeurs de 50 à 100 ms donnent de bons résultats. Le delay permet aux attaques de la voix de percer le mix sans reverb et aux parties de chant tenues de profiter de la réverbération.
Augmentez l’intelligibilité
Amplifiez le haut-médium (autour de 3 à 4 kHz) avec un égaliseur pour augmenter l’intelligibilité et le « claquant » des voix. Voici une proposition pour mettre un peu d’animation dans le son :
Traitez la piste avec un plugin d’effet envelope follower en parallèle (au besoin, faites une copie de la piste pour créer la boucle d’effet parallèle). Réglez le filtre autour de 2,5 à 4 kHz et l’enveloppe de sorte qu’elle suive la voix. Mixez le tout en retrait de la voix pour éviter que l’effet soit trop prononcé.
Pendant les parties chantées, le balayage des fréquences souligne le haut-médium de façon changeante et dynamique. Si vous distinguez ces variations, le filtre est mixé trop fort : l’effet doit être très subtil et audible uniquement lorsque vous isolez la piste de voix à un volume d’écoute élevé. Mais essayez : ça peut accentuer le côté vivant des voix de façon impossible à obtenir autrement.
J’espère que ces conseils vous ont donné quelques idées pour améliorer les voix que vous produisez. Souvenez-vous juste que la voix est l’instrument le plus intime. Par conséquent, concentrez-vous d’abord sur la performance car la grande majorité des équipements actuels donneront de bons résultats à partir du moment où la performance artistique est bonne !
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.