Commençons par une anecdote : quelque part dans la nuit allemande, plusieurs centaines de fans attendent anxieusement le coup d'envoi d'un concert. La tension est palpable car le show fait l'objet d'un enregistrement live. Le chanteur apparaît, traverse la scène et attrape un casque audio. En le voyant brancher le casque dans une table de mixage, je me dis qu'il s'apprête à vérifier une dernière fois le son de sa voix pendant que le groupe se met en place. Le chanteur ouvre généreusement le réglage de gain du préampli, ce qui n'est pas surprenant puisque les micros possèdent un niveau de sortie plutôt faible. Mais à ma surprise, il porte le casque à hauteur de sa bouche et commence à chanter. Il avait branché sciemment le casque dans un canal de la console pour l'utiliser comme un micro... Alors, c'est ça l'enregistrement des voix du 21ème siècle ?
La réponse est oui… et non. Non, dans le sens où une voix bien enregistrée avec un micro de haute qualité et un bon préampli reste l’un des fondements du processus d’enregistrement. Oui, dans le sens où cette anecdote souligne une vérité fondamentale : avec les technologies modernes, tout est possible.
Les outils pour voix se sont transformés de façon aussi radicale que les techniques d’enregistrement elles-mêmes. Les microphones sont devenus meilleurs et moins chers ; les micros « d’entrée de gamme » actuels surclassent parfois les champions des décennies passées. Les préamplis, qu’ils soient à lampes ou à transistors, affichent des niveaux de bruit que l’on ne peut mesurer qu’avec les outils les plus sensibles. Les possibilités de traitement sont nombreuses : tranches de console dédiées exclusivement à la voix, correcteurs de hauteur tonale du genre Antares Auto-Tune, modélisation numérique reproduisant la signature sonore de micros et de préamplis réels. Les compresseurs, les reverbs et même les cabines de chant ont profité du progrès technique.
Alors, quel est le meilleur moyen d’enregistrer les voix de nos jours ? La réponse est : tout est envisageable. Voici quelques-unes des possibilités.
Enregistrement des voix
Peu de sujets font autant débat que le choix d’un micro et d’un préampli voix. Remarquez qu’une combinaison micro+préampli qui sonne parfaitement avec un chanteur peut ne pas fonctionner avec un autre. Exemple typique : au cours d’une séance, ma voix était enregistrée avec un micro dynamique à moins de 100 € et avec un électrostatique 10 fois plus cher. De l’avis de tous, le micro dynamique sonnait mieux.
Est-ce que c’est parce que le micro dynamique était « meilleur » ? Non. Objectivement, il était inférieur. Mais sa réponse présentait des anomalies qui flattaient ma voix. Certes, le micro à condensateur était précis, mais ma voix n’avais pas besoin de cette précision. En fait, elle nécessitait une bosse de présence dans l’aigu et une bonne dose de chaleur que le micro dynamique fournissait grâce à son effet de proximité prononcé (pour rappel, l’effet de proximité désigne la tendance des micros à accentuer le grave quand on chante très près de la capsule).
Parfois, j’aimerais que tous les micros soient semblables et sans étiquette. Cela forcerait les ingénieurs du son à se débarrasser de leurs préjugés avant chaque séance. C’est trop facile de s’appuyer sur les vieux classiques en partant du principe qu’un micro qui a donné de bons résultats lors d’un enregistrement passé fera tout aussi bien pendant la séance actuelle (ce qui n’est pas toujours vrai). De plus, il faut tenir compte de la pertinence du couple micro/préampli : un micro X peut sonner très bien avec le préampli A mais pas avec le préampli B.
En bref, testez chaque micro avec le chanteur, enregistrez les résultats puis choisissez le modèle le mieux adapté. Je vous recommande de comparer les micros deux par deux pour éviter d’avoir « trop d’options » : choisissez le meilleur de chaque paire puis faites une finale avec les vainqueurs.
Réussir la meilleure performance
La performance artistique est beaucoup plus importante que les équipements utilisés. Pourtant, bien qu’elles semblent jouer un rôle négligeable dans la performance, les techniques utilisées permettent d’exploiter au mieux les qualités du chanteur. Il ne s’agit pas seulement de tamiser des lumières pour créer l’ambiance adéquate mais de travailler de façon adaptée au style du chanteur.
Par exemple, l’enregistrement en boucle, dans lequel un passage du morceau est répété à l’infini pour créer une nouvelle version dans une piste supplémentaire à chaque répétition, est idéal pour réaliser plusieurs prises. Cependant, certains chanteurs se crispent quand la musique ne s’arrête jamais car ils ont besoin de respirer entre les prises. D’autres semblent au contraire se libérer lorsque la performance s’allonge. Autre question : est-ce que le chanteur a besoin d’une longue introduction avant la partie à enregistrer pour se mettre dans l’esprit du morceau ou préfère-t-il attaquer directement dans le passage à enregistrer ? Trouvez les réponses à ces questions et organisez vos équipements en conséquence.
Modélisation de micros : escroquerie ou saint Graal ?
Chaque microphone possède sa propre « signature » sonore qui dépend en grande partie de sa réponse en fréquence. Ainsi, les outils de modélisation de micros, qu’ils soient logiciels ou matériels, analysent la réponse de micros célèbres ainsi que certaines de leurs propriétés et appliquent cette signature sonore à votre micro.
Pour que ce procédé fonctionne vraiment, soit le logiciel de modélisation doit pouvoir analyser votre micro afin d’appliquer la compensation adéquate, soit vous devez utiliser l’un des micros de la liste des modèles connus du logiciel.
Mais est-ce que cette technologie permet vraiment de transformer un micro de karaoké en Neumann à lampe vintage ? En aucun cas ! En admettant qu’il sonne plus comme un Neumann après traitement, le micro de karaoké n’atteindra jamais le niveau de performances et de qualité d’un original. Cependant, la modélisation de micros peut être très utile si vous possédez un bon micro source et ne demandez pas l’impossible à cette technologie ; par exemple, avec un microphone dynamique, le résultat sera certainement meilleur si vous tentez de le faire sonner comme un autre modèle dynamique plutôt que comme un micro électrostatique à grand diaphragme.
Les limitations sont les mêmes qu’avec la modélisation d’amplis guitare. Il est clair qu’une guitare branchée directement dans un préampli à modélisation ne procurera pas les mêmes sensations qu’en jouant l’instrument avec un ampli guitare et un baffle réels. Et cela n’est pas surprenant ! Pourtant, il est étonnant de constater que l’on peut approcher l’original de très près, et plus encore que très peu d’auditeurs entendront la différence entre la simulation et l’original à l’écoute de l’arrangement complet.
La modélisation ne peut donc pas remplacer un bon parc de micros mais permet de l’enrichir sensiblement. Même si la modélisation de micros ne vous intéresse pas, cette technologie possède une utilité certaine grâce aux courbes de réponse complexes qu’elle permet de créer.
Des voix plus riches
Pour épaissir les voix, l’une des techniques classiques consiste à demander au chanteur de doubler ses lignes de chant en enregistrant une nouvelle prise en plus de la piste originale. La seconde prise est généralement mixée en retrait de la voix principale, quelque part entre –3 et –10 dB.
Cependant, vous n’aurez pas toujours la possibilité d’enregistrer une seconde prise pour doubler la voix, par exemple parce que le chanteur est en tournée. Dans ces circonstances, voici une alternative simple.
Copiez la piste de chant que vous souhaitez épaissir pour avoir deux pistes avec la même voix.
Utilisez un pitch shifter logiciel ou matériel sur l’une des pistes.
Pour le réglage du pitch shifter, voici un bon point de départ :
Pitch Shift = de –20 à –30 centièmes
Dry Mix = 0 (pas de signal direct)
Wet Mix = 100 (uniquement le son traité)
Si vous disposez d’un paramètre de feedback, réglez-le à 0. Si le temps de delay et une modulation sont disponibles, essayez de moduler très lentement la hauteur tonale dans une plage de 3 à 15 ms. Cela permet d’ajouter de légères variations. Atténuez aussi le niveau de la prise traitée de sorte qu’elle ne concurrence pas la prise principale mais la complète. Bien entendu, il ne s’agit ici que de suggestions qui donnent de bons résultats avec ma voix ; modifiez-les selon vos goûts.
Pour épaissir encore le son, placez les deux pistes de voix à proximité du centre de l’image sonore. Si vous placez une voix totalement à droite et l’autre totalement à gauche, vous entendrez deux voix distinctes et non plus une voix composée (il se peut que ce soit l’effet escompté). Plus concrètement, « pannez » légèrement les voix sur la gauche et la droite (par exemple à 10h pour la gauche et à 2h pour la droite) : cela permet d’obtenir un son légèrement plus plein et une diffusion stéréo plus large.
Régler les problèmes des voix doublées
Avec les parties de chant doublées, il arrive que deux voix fonctionnent parfaitement ensemble sauf sur certains mots. Plutôt que de réenregistrer la seconde voix ou d’y ajouter des overdubs, copiez la section incriminée de la voix originale. Collez-la dans la seconde piste de voix mais retardez-la avec un delay de 20 à 30 ms. Tant que le segment est suffisamment court, vous n’aurez pas de problème (les segments plus longs sonneront comme un écho ; cela peut fonctionner mais il ne s’agit plus d’une voix doublée).
Harmonies vocales synthétiques
Normalement, je chante moi-même les harmonies vocales. Mais il arrive que les picth shifters, qui ne sont pas parfaits, ajoutent des imprécisions de timbre et de timing qui donnent de meilleurs résultats dans certaines situations.
Voici un exemple de création d’harmonie vocale avec le plugin de pitch shifting en temps réel de Sonar (remarquez que le principe est le même dans les autres outils logiciels). Notez que Sonar Producer Edition inclut également un traitement de pitch shifting destructif de haute qualité qui ne fonctionne pas en temps réel. Généralement, j’utilise le plugin en temps réel pour trouver les harmonies qui fonctionnent le mieux dans l’arrangement, mais j’effectue le traitement définitif à l’aide de l’algorithme destructif qui est de meilleure qualité.
Remarquez que l’arrangement fait intervenir quatre pistes de chant : la première contient la voix originale. La piste mauve est une version clonée créée à l’aide de la technique de doublage exposée plus haut. La piste bleue est aussi un clone qui passe par le pitch shifter réglé sur la tierce majeure (sur la capture d’écran, il s’agit de l’instance du plugin au premier plan). Remarquez que certains passages ont été déplacés dans la quatrième piste traitée par le pitch shifter réglé sur la tierce mineure (plugin au second plan sur la capture d’écran). Pour en arriver là, il a fallu découper la prise de façon appropriée puis répartir chaque phrase ou chaque note sur les pistes bleue et verte car le séquenceur ne sait pas quelles notes doivent être transposées à la tierce mineure ou majeure. Pour cette opération, zoomez dans la piste clonée afin de la couper dans les espaces entre les phrases.
Attention toutefois à ne pas abuser du pitch shifting : plus vous vous éloignez de la hauteur originale, moins le son est réaliste. Le pitch shifter en temps réel de Sonar ne préserve pas les formants pendant le traitement ; cependant, lorsqu’on transpose à la tierce majeure, la modification des formants crée un léger effet de « voix à l’hélium » qui peut donner de bons résultats lorsque l’harmonie est mixée en retrait par rapport à la voix principale.
À partir de Sonar 5, l’édition Producer inclut le plugin V-Vocal qui bénéfice de la technologie VariPhrase développée par Roland. Ce plugin permet de « dessiner » des harmonies en déplaçant les notes de la mélodie sur d’autres notes de votre choix. Cette technologie, dont on retrouve des dérivés dans d’autres séquenceurs, notamment Samplitude et Digital Performer, facilite grandement le processus d’harmonisation. Enfin, sachez qu’il existe des applications telles que Zplane Vielklang ou Antares Harmony Engine conçues spécialement pour générer des harmonies.
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.