Dernière production d’EastWest, Ghostwriter résulte d’une collaboration avec Steven Wilson, figure incontournable de la musique prog et ambient de ces dernières années. Coup de pub ou coup de maître ?
Le récent test de BreakTweaker d’iZotope donnait l’occasion de parler des collaborations entre artistes et éditeurs de logiciels ou fabricants de matériels. On n’y refera pas donc pas référence ici, même si le sujet du test de ce jour est le fruit d’un travail commun entre Doug Rogers, le patron d’EastWest et Steven Wilson, artiste essentiel, musicien et producteur s’étant et s’illustrant toujours au sein de groupes et projets aussi divers que Porcupine Tree, No-Man, Bass Communion ou Storm Corrosion, ainsi que par un travail de mixage, remixage (notamment 5.1) ou co-production avec des groupes et artistes très différents comme Anja Garbarek, ELP, King Crimson, Marillion, Jethro Tull, Caravan, etc. Même si l’orientation reste quand même très rock progressif (ou néo-rock progressif)…
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Nous voici donc face à une co-réalisation qui promet beaucoup a priori, de par la personnalité de ses deux concepteurs, d’un côté Rogers et ses méthodes entrepreunariales, mélange d’audace, de savoir-faire technique indéniable et de rouerie commerciale, et de l’autre Wilson et sa vision artistique ainsi que son flair de producteur sachant être là où il faut quand il le faut. Le nom de leur produit commun est assez équivoque, Ghostwriter, qui correspondrait en français à « nègre (littéraire, artistique, musical) », alors qu’ils le présentent plutôt comme une source d’inspiration, ce qui n’est pas vraiment la même chose. D’autant que la pratique de signer une musique que l’on n’a pas composée reste encore un des problèmes de l’industrie musicale et cinématographique, que l’on se serve d’œuvres existantes ou que l’on fasse travailler une équipe non créditée.
Mais nous n’allons pas nous attarder sur le nom d’un produit, les exemples de choix tendancieux voire catastrophiques ne manquant pas, et ce dans tous les domaines. Voyons plutôt ce que renferme cette nouvelle bibliothèque, et les nouveautés aussi proposées par Play, le lecteur de l’éditeur qui bénéficie d’une nouvelle version.
Introducing EastWest Ghostwriter
Même si l’éditeur est passé depuis peu à la livraison de ses produits par téléchargement, la taille de Steve Wilson’s Ghostwriter ne s’y prête pas vraiment, sauf si l’on dispose de la connexion la plus rapide possible. En effet, l’instrument pèse plus de 60 Go, ce qui lui vaut d’être livré soit sous forme de DVD (351 euros TTC), soit sous la forme d’un élégant disque dur Western Digital USB 3 (avec son câble vers USB 2, 439 euros TTC). L’éditeur précise que ce dernier ne pourra être utilisé comme support de lecture des échantillons qu’à condition de disposer d’une connexion USB 3, le débit de l’USB 2 n’étant pas suffisant pour gérer correctement les exigences des programmes. Il faudra alors sauvegarder les dossiers Ghostwriter Instruments et Ghostwriter Samples sur un disque véloce, minimum 7200 tr/min et FireWire 800. Les solutions en interne via Sata, SSD ou externe via Thunderbolt feront aussi l’affaire.
On prendra soin de télécharger la dernière version de Play (4.1.8 au moment de ce test) et de cocher l’installation de Ghostwriter dans le menu approprié. L’autorisation repose toujours sur une clé iLok. EastWest conseille un système et un ordinateur récents, ainsi qu’une quantité confortable de RAM. On dispose après installation (le programme d’installation n’est toujours pas conforme, il faut donc faire un Ouvrir via clic-droit sur Mac…) d’une application autonome et de plugs 32 et 64 bits, AU, VST, AAX…
A full band
Avant de faire un tour sur l’interface de Play (les nouveautés se font tout de suite remarquer), un coup d’œil sur la structure de la bibliothèque nous informe de la volonté des créateurs de nous offrir un instrumentarium de type groupe complet : au menu, guitares, basses, claviers, batteries, voix et le classique Misc (pour divers…). On y reviendra.
Comme d’habitude, l’interface est personnalisée (mais toujours aussi grosse, un problème sur un portable), mais c’est surtout les modules inhabituels qui attirent l’œil : à gauche, un délai nommé EP-1 et à droite, un Amp et une Reverb différente de celle à laquelle on a d’habitude affaire. La plupart des réglages habituels sont fournis à l’identique, à quelques modifications près (voir les différents tests des bibliothèques d’EastWest sur Audiofanzine). Le filtre, par exemple, passe d’un Low Pass résonant à un quasi Band Pass grâce à la présence de deux coupe-bas, Low et High. On gagne aussi deux réglages d’accordage sur la GUI, par demi-tons (± 24) et centièmes (± 50), comme sur The Dark Side.
Les Delay et ADT ont disparu pour être donc remplacés par un EP-1, qui se veut une émulation d’Echoplex. On dispose donc de réglages de Flutter, Drive, temps de délai (pouvant être synchrone au tempo de Play ou de l’hôte, de la triple croche à deux mesures), nombre de répétitions et de niveau. Plutôt efficace, émulant aussi le comportement lorsqu’on modifie en temps réel le temps de délai (ce qui est devenu la moindre des choses maintenant si l’on se pique de faire analogique…).
Voici quelques exemples à partir d’un des programmes de guitare, une Tele D.I., avec divers réglages de Flutter, Drive, Sync, etc.
Plutôt réussi. À l’exception d’un problème assez incompréhensible : les paramètres d’automation apparaissant dans Logic (on suppose qu’il se passe la même chose dans d’autres STAN) sont ceux des anciens effets (ADT, Delay, différents filtres, etc.)… Heureusement, le MIDI Learn fonctionne correctement. On est toujours étonné par cette dichotomie qui caractérise les produits EastWest, notamment dans la partie software : les samples sont indéniablement d’excellente qualité, les sons font montre d’une très grande attention à la prise, et d’un autre côté les bouclages, points de loop, ou les fonctionnalités de Play (si l’on reprend depuis le début les promesses de fonctions à venir jamais intégrées…) sont parfois limites, quand ils ne sont pas bâclés.
Autre nouveauté, un Amp, offrant Drive, Bass, Middle, Treble et Master, et 80 modèles d’amplis différents. Aucune indication quant à la technique retenue, mais l’on imagine qu’il peut s’agir de convolution, sauf erreur, pour les sonorités caractéristiques de l’ampli et des micros utilisés (renseignés dans le nom du préset), et de techniques algorithmiques habituelles pour le reste.
Les présets y faisant assez souvent appel, on entendra dans l’exemple suivant des guitares et des basses avec et sans ampli (parfois avec de l’EP-1 et de la réverbe). On arrive même de temps à temps à attraper un équivalent de larsen, et les possibilités de sound design sont très variées, grâce entre autres au routing pré et post EP-1 de la réverbe…
Ces deux modules réussis sont pour le moment exclusifs à Ghostwriter, nul doute qu’on les retrouvera dans d’autres instruments de l’éditeur.
Effets complets
Enfin, la réverbe se voit dotée d’un routing pré ou post-EP-1 et d’un bouton In/Out (dans le premier cas, le bouton Volume augmente le volume d’entrée dans la réverbe, dans le second cas, le volume de sortie après réverbe), sachant que l’on peut régler l’un puis l’autre après basculement du switch, très bien vu. Là aussi, l’éditeur a truffé sa réverbe de nouvelles IR (726 de plus !), mais cela s’appliquera pour tous les possesseurs de la SSL/EW FX Global Suite, fournie d’usine avec Ghostwriter (youpi !), mais indisponible dans les autres instruments Play sans l’achat d’une licence, actuellement à 94 euros (moins youpi…).
À peu de choses près, on se retrouve avec l’équivalent de la QL Spaces (voir test ici), à l’exception des réglages Dry et Wet séparés. La liste des IR rappelle en effet fortement celles de la réverbe de l’éditeur, sachant que celle intégrée à la suite d’effets inclut les True Stereo ainsi que les HDIR.
La grande nouveauté de Play version 4 est bien entendu sa table de mixage, offrant autant de canaux que d’instruments chargés, avec Solo, Mute, Pan, affichage des effets, ouverture des canaux séparés (dans le cas d’un kit de batterie, par exemple), monitoring et changements possibles des canaux MIDI ainsi que choix d’une des neuf paires de sorties stéréo et sélection de l’instrument disponible sur le clavier virtuel (mais hélas pas depuis le clavier de commande) via clic sur le nom du programme.
Quant aux Channel Strip (Gain, Filter, EQ LF, HF plus deux paramétriques, Compressor, Gate/Expander et Output, plus tous les routings possibles), Transient Shaper et Stereo Buss Compressor, ils sont directement licenciés et fournis par SSL, depuis la version Native de leurs plugs Duende. Seul regret, cette suite ne peut être chargée que sur les tranches principales d’instrument, et non sur leurs éléments séparés (exemple, les kits disposent tous d’un mixage par élément, mais il est impossible d’y insérer la suite, qui ne pourra être placée que sur le Bus principal du kit). Attention cependant, à bien surveiller la jauge CPU quand on commence à empiler effets et réverbe, d’autant que Play, que l’on privilégie le streaming ou le chargement en RAM, n’est (toujours) pas un modèle d’optimisation en gestion de ressources.
Des instruments en pagaille
Premier constat, l’éditeur et Wilson se sont montrés particulièrement généreux, puisque l’on dispose de 800 instruments et présets (la notion de préset est importante, puisqu’un même instrument peut-être décliné en une multitude de présets…). Les curieux pourront aller charger le manuel directement chez l’éditeur, ce qui nous évitera ici une longue et fastidieuse description.
Une fois n’est pas coutume, on démontrera le potentiel sonore de l’instrument en présentant les deux démos de l’éditeur, dont on a vérifié autant que possible la validité sonore (pas d’instruments ni effets non inclus dans Ghostwriter selon l’éditeur, mais on ne garantit pas l’absence de compression ou d’utilisation de réverbes de bus) et qui devrait rappeler aux amateurs des différents groupes et projets de Wilson certaines ambiances et sonorités. Voici donc la première démo :
Suivie de la seconde :
On pourra aussi jeter un œil sur cette courte vidéo montrant (rapidement) Wilson et Rogers au travail.
Revenons sur les démos audio : on peut clairement y entendre les limites de certains sons. Par exemple, la présence de kits dotés de caisse claire sans leur timbre est très appréciable, mais parfois on ne peut éviter le sentiment de répétition d’un son unique. On appréciera aussi la possibilité de travailler sur le mix des kits par instrument dans la fenêtre Mixer, incluant les niveaux des Overhead (OH) ainsi que de la repisse (Bleed).
Voici un exemple de kit sans OH ni Bleed, puis avec OH seuls, puis Bleed seule, puis mélange des deux.
Les kits proposés sont d’excellente qualité, les programmes bien conçus, deux reproches cependant : les vélocités faibles des caisses claires ont trop d’attaque, ce qui empêche d’obtenir des ghost notes réalistes (on peut ruser en chargeant le programme en double et modifier le générateur d’enveloppe appliqué au volume), et surtout le panning des instruments sur leur tranche et celui des Overhead sont inversés ! C’est-à-dire que, par exemple, le charley sera à droite sur sa tranche et à gauche dans les OH…
Bilan
Globalement, l’instrument est une réussite, certes très spécialisée. Les musiciens à la recherche de sonorités polyvalentes ou passe-partout ne trouveront pas ici leur content, mais ceux voulant approcher d’une manière ou d’une autre l’atmosphère sonore habituellement associée à Steven Wilson seront comblés. Les nouveautés de Play 4 permettent aussi un travail plus approfondi que d’habitude sur le son, notamment grâce aux deux effets, délai et simulateur d’ampli.
Quelques petits inconvénients ne gâchent pas le plaisir de pratiquer Ghostwriter, ce qui est une bonne nouvelle, certains instruments récents d’EastWest ayant laissé un goût d’inachevé ou de perfectible. Là, les sons provoquent l’idée, ce qui est suffisamment rare pour être mentionné. Bien joué, messieurs.