Matériel ou logiciel, le modulaire a le vent en poupe et ce n’est pas avec VCV Rack que cela est près de s’arrêter vu que sa V2 offre quantité de choses attendues par la communauté de ses utilisateurs et utilisatrices.
Selon Andrew Belt le créateur de VCV Rack, le synthé modulaire est un des instruments les plus élitistes au monde à cause notamment de son prix. En effet les amateurs de synthé comme moi le savent bien, pour avoir ne serait-ce qu’une voix de synthé basique avec un modulaire eurorack il faut au minimum acheter un VCO, un VCA, un module d’enveloppe et un LFO. A cela, il faut rajouter les câbles et le boîtier. Tout ça pour faire des sons parfois très plats et assez peu flexibles. Non, assurément pour avoir un synthé modulaire avec lequel vous ne vous lasserez pas au bout de cinq minutes, il faut craquer un peu la tirelire et s’acheter pas mal de modules. C’est ainsi que ce qui a commencé comme une innocente passion pour la bidouille sonore peut rapidement se transformer en gouffre financier.
La promesse de VCV Rack apparaît donc évidente, permettre à tous de s’essayer au modulaire sans dépenser un centime à condition que l’on dispose d’un ordinateur. Tout cela paraît bien prometteur, mais qu’en est-il dans la réalité ? Est-ce que VCV Rack remplace un vrai modulaire ? Est-ce que ça sonne bien ? Comment s’intègre-t-il dans une config home studio ? Est-ce que c’est vraiment gratuit ? Tant de questions et plus encore auxquelles nous allons tâcher de répondre dans ce test.
Avant de nous lancer, je tiens à préciser que je connais bien VCV Rack j’ai d’ailleurs fait une vidéo à son sujet il y a un an environ), mais à l’heure où j’écris ce test je viens seulement de télécharger la version 2 du logiciel qui promet pas mal d’améliorations en termes d’interface ainsi que l’ajout de certains modules et certaines fonctionnalités. Vu la nature du produit, les tests audio inclus ici sont évidemment assez peu révélateurs des immenses possibilités sonores et musicales qui s’offrent à vous.
Rack against the machine
La première fois qu’on ouvre VCV Rack, on est accueillis par le patch de base de la machine. Une simple « voix de synthé » comme on dit. Quelques oscillateurs, un filtre, des enveloppes, un mixeur et un module avec du texte qui vous explique le patch (en anglais évidemment). Rien de bien palpitant jusqu’ici, mais ce patch a la mérite de mettre en lumière deux modules essentiels de VCV Rack. Je parle ici des modules de gestion audio et Midi. En effet, sans ces modules, vous ne serez ni en mesure d’utiliser un contrôleur midi ni d’écouter vos chefs-d’œuvre.
Il existe plusieurs versions de ces modules, mais ils fonctionnent tous de la même manière pour le module Midi, vous n’avez qu’a sélectionné dans la liste le contrôleur de votre choix. Notez que vous pouvez également utiliser le clavier de votre ordinateur (en mode QWERTY uniquement) pour contrôler les notes qui sortent de votre module MIDI. Fonction intéressante, vous pouvez également utiliser la souris pour contrôler le pitch, plus vous montez haut dans l’écran plus le pitch est élevé. Une version moderne du Theremine ?
Passons maintenant au module audio. Vous sélectionnez votre carte son dans la liste et vous pouvez maintenant entendre le son du patch. Le module inclus dans le patch de base n’est capable de recevoir et d’envoyer que sur une seule paire de sortie, mais il existe des versions avec 8 entrées/sorties et 16 entrées/sorties. Maintenant que l’ont connaît les deux modules les moins intéressants, mais les plus essentiels, il est temps d’explorer l’immense bibliothèque de module que contient VCV Rack.
Deux cent dizaines de modules… Et moi ! Et moi ! Et moi !
Pour commencer, il faut que vous vous connectiez à votre compte dans l’application dans le menu Library situé en haut de l’interface. Pour charger un nouveau module dans notre patch, il suffit de cliquer à un emplacement vide. Une fenêtre s’affiche avec tous les modules disponibles dans votre bibliothèque. Vous noterez qu’il n’y en a qu’assez peu, mais c’est en cliquant en haut de la fenêtre sur le bouton « Browse VCV Library » qui ouvre une fenêtre de votre navigateur web vers la bibliothèque complète qui contient à l’heure ou j’écris, 2175 modules. Parmi tous ces modules, 1888 sont entièrement gratuits et 1577 sont open source. Vous avez une barre de recherche en haut de la page ainsi que des menus déroulants pour sélectionner des développeurs en particulier ou par trier la multitude de modules par catégorie. Pour ajouter un module à votre bibliothèque, vous n’avez qu’à cliquer sur la petite croix intitulée Add. Une fois vos modules sélectionnés, il faut mettre à jour votre bibliothèque dans l’appli afin que vos nouveaux modules puissent être chargés.
Parmi la multitude de modules, on retrouve des clones officiels de certaines entreprises très réputés dans le monde de l’Eurorack comme Befaco ou Instruo ou encore Bastl ainsi que des clones non officiels comme ceux de Mutable Instruments (appelés ici Audible Instruments). Si on est vraiment reconnaissant envers ces éditeurs qui proposent leurs modules gratuitement, il serait fou de ne s’attarder que sur ces clones, car selon moi, c’est chez des éditeurs indépendants que l’on trouve les modules le plus intéressants. Vous vous doutez bien que je ne vais pas ici détailler tous les modules disponibles, mais on retiendra de très intéressants modules de générations de séquences, de bons effets et des outils de modulation vraiment uniques.
Vous avez le choix de télécharger les modules individuellement ou bien de télécharger tous les modules d’un même développeur d’un coup. Vous voilà donc bien fourni de tous les modules que vous ne pourriez probablement pas acheter dans la vraie vie. Il existe quand même quelques modules payants que je n’ai pas eu l’occasion de tester excepté les modules VCV Drums et Sound Stage inclus dans la version payante de VCV Rack et pour être honnête aucun module payant vendu par un tiers ne m’a vraiment intéressé au point de sortir la carte bancaire. Les seuls modules que j’aurais voulu tester sont ceux qui permettent de charger des VST directement dans VCV Rack et de moduler leurs paramètres. Je dédie un paragraphe sur les modules inclus dans la version payante de VCV Rack un peu plus bas.
À vos marques, prêt, patchez !
Comment tester un produit comme VCV Rack ? Avec des centaines de modules disponibles et des millions de manières de les connecter ensemble, vous admettrez que la tâche n’est pas aisée. C’est d’ailleurs la beauté du modulaire, vous désignez votre propre instrument jusque dans les moindres détails. Concentrons-nous donc d’abord sur l’interface. Selon moi, tout a été pensé pour faciliter la création de patchs qu’ils soient simples ou complexes et c’est tant mieux parce que le nombre d’entrées/sorties et de paramètres à votre disposition peuvent vite vous sembler étouffante.
Pour remédier à cela, la plupart des modules comportent un code graphique simple. La dénomination des entrées est écrite en texte noir sur blanc et pour les sorties c’est du blanc sur un fond noir. Ce n’est pas le cas de tous les modules, car au fond, chaque designer est libre de faire le design qui lui plaît, mais c’est une convention assez répandue dans l’eurorack. De toute façon lorsque vous laissez votre souris au-dessus d’un paramètre ou d’une prise jack, une petite fenêtre apparaît à côté avec des informations concernant celui-ci : input, output, voltage qui passe actuellement dans le port et même les connexions actives transitant par ce port.
Autre moyen de savoir que des informations transitent entre deux points de connexion, les ports s’allument de manière plus ou moins vive en fonction de l’intensité du voltage qui y transite. Concernant les câbles eux-mêmes, leur couleur est assignée de manière aléatoire, mais vous avez la possibilité d’en choisir la couleur parmi cinq teintes différentes en faisant clic droit lorsque vous créez une nouvelle connexion. Pour plus de clarté, vous avez aussi à l’aide du menu « View » de régler la tension ainsi que l’opacité des câbles. Ils sont tendus à 100 % et leur opacité est à 50 % par défaut et, selon moi, c’est très bien ainsi.
À propos de l’interface, vous avez également la possibilité de baisser graduellement la lumière ambiante de « la pièce » et votre souris se transforme en une sorte de lampe torche. Ce n’est pas une fonction très utile à proprement parler, mais ça peut quand même reposer vos yeux si vous prévoyez une longue nuit de patching.
Vous avez à disposition un zoom général de l’interface qui s’avérera utile si vous accumulez beaucoup de modules. Voilà donc les différentes options qui s’offrent à vous pour customiser votre instrument eurorack.
Et si vous passiez pro ?
Comme je l’ai dit plus haut, 95 % des modules disponibles dans VCV Rack sont gratuits et je mets au défi n’importe qui d’arriver à court d’inspiration avec la version gratuite. En revanche, on trouve dans la version Pro de VCV Rack disponible au prix de 189 $ certaines fonctionnalités bien utiles. Tout d’abord on a accès à certains modules exclusifs. Une drum machine d’abord avec dix instruments à votre disposition et une section de mixage. Notons que les différents instruments sont aussi disponibles sous la forme de modules individuels.
Ce qui est bien c’est que ces modules ne semblent pas basés sur des samples, mais bien sûr de la synthèse ce qui permet une plus grande palette sonore par instruments.
On peut par exemple régler le Decay d’une cymbale, l’intensité de l’attaque d’une caisse claire ou encore la hauteur tonale d’un clap. J’apprécie vraiment l’addition de cette drum machine, car je trouvais personnellement qu’il manquait une section rythmique digne de ce nom (et non basée sur des samples) dans les versions précédentes de VCV Rack.
Le deuxième module exclusif à la version Pro est le module Sound Stage. Il s’agit d’une réverbe algorithmique à quatre entrées censée simuler une pièce dans laquelle on peut placer librement les différentes sources audio ainsi que les micros virtuels que l’on va utiliser pour capter la pièce. Je dois dire que j’étais un peu sceptique, quoiqu’intrigué par ce module, mais il s’avère en fait être un outil créatif très puissant. L’avantage de l’eurorack c’est de pouvoir moduler tout un tas de paramètres. Lorsque vous commencez à moduler la position d’un instrument percussif ou d’un synthé dans cette pièce, vous ajoutez à votre patch une profondeur parfois difficile à reproduire avec une simple reverbe stéréo.
La dernière fonction très intéressante de VCV Rack Pro est la possibilité de charger VCV Rack en tant que plug-in dans votre STAN. Étant principalement un utilisateur de Logic, j’ai été déçu que la version AU ne soit pas encore disponible à l’heure du test, mais la version VST fonctionne très bien dans Ableton Live 11. J’ai trouvé vraiment très puissant de pouvoir faire sortir le Midi du plug-in vers un instrument Ableton afin d’enregistrer le MIDI ou de contrôler des synthés externes. Créer des séquences évolutives et complexes est chose aisée dans un environnement modulaire, c’est donc très bienvenu de pouvoir l’intégrer dans un environnement familier dans lequel on a l’habitude de composer. J’attends avec impatience la sortie du plug-in au format AU.
Vivre la synthèse en communauté
VCV Rack ne serait pas ce qu’il est sans sa communauté d’utilisateurs et de développeurs. Ce logiciel est une plateforme bouillonnante d’inspiration, de créativité et d’apprentissage. La communauté se concentre en premier lieu sur le forum dédié ou l’on discute à la fois de développement de plug-in et d’idées concernant les meilleures manières d’utiliser tels ou tels modules ou de patcher tel ou tel type de son. La communauté de développeurs est impressionnante et certains de ces développeurs sont très actifs et n’hésitent pas à conseiller les débutants qui voudraient se lancer dans la création de modules.
Pour celles et ceux qui manquent d’inspiration, on retrouve également sur le site Patchstorage des centaines de patchs créés par la communauté que l’on peut filtrer par type. La philosophie derrière VCV Rack est bien celle de l’open source et du partage de ressources.
Je suis personnellement un fervent défenseur de ce type de plateforme dans une industrie musicale où certains éditeurs ou constructeurs n’hésitent pas à forcer les utilisateurs à payer des mises à jour, pire encore, à payer uniquement pour renouveler sa licence. Je suis conscient que ce n’est pas en donnant tout gratuitement que l’on gagne sa vie, mais je suis aussi convaincu que laisser la communauté participer au développement d’un produit est un très bon moyen de lui assurer soutien et pérennité.
- VCV Drums et Soundstage Reverb00:33
- Slow Modulated Bass00:49
- Probable par Onky Stealthworld00:27
- Melodeep00:47
- VCV Drums Modulation00:32
- Boom Insectes00:54
- Automatic Mutes par Dave Hammer00:50
- Arp et reverb00:36
VCV Rack vs le monde
Il me semblait judicieux de mettre VCV Rack en perspective et de le comparer à ses concurrents. Le monde du modulaire logiciel a vraiment explosé depuis quelques années et maintenant que VCV Rack est disposé a s’intégrer dans nos STAN préférées, ce qui n’était au départ qu’un petit logiciel open source ambitieux peut maintenant rivaliser avec les mastodontes du marché que sont Reaktor de Native Instruments et Softube Modular.
La grosse différence tient évidemment dans le fait que ceux-ci sont payants et que la plupart des modules supplémentaires sont eux aussi payants… et parfois assez chers ! La différence est peut-être dans la qualité du son me direz-vous. Vous aurez peut-être raison, car ces entreprises développent des synthés et des effets logiciels depuis des années, ils ont donc derrière eux l’expertise et les équipes pour s’assurer de la qualité des algorithmes audio. Cela étant dit, quand on voit que VCV Rack a réussi à attirer de très gros développeurs de modules eurorack comme Befaco ou Instruo et que ces modules sont gratuits, on se demande bien pourquoi dépenser 30 euros dans une enveloppe ou 40 euros dans un délai. Je crois en fait que ce sont ici deux mondes et deux conceptions de la création musicale qui se confrontent sans forcément s’opposer entièrement.
Quand on paie, on compte sur une entreprise pour offrir un service après-vente et des produits testés et retestés dans lesquels on peut normalement avoir confiance. Dans le monde de l’open source on apprend plus par soi-même et on fait davantage confiance à une communauté (avec ses conseils parfois imprécis) plutôt qu’à une entreprise.
Malgré tout on ne peut que saluer le travail d’Andrew Belt et de toute la communauté VCV Rack, car elle contribue selon moi à développer des techniques de création musicale et d’exploration sonore qui ouvre les portes de la musique électronique à tous.
Conclusion
Vous l’aurez compris, il n’y a pas de raison de ne pas se jetter sur cette V2 de VCV Rack, recommandée dans sa version gratuite comme payante. Non seulement le logiciel est d’une richesse incroyable mais on peut compter sur la large communauté que lui assure l’Open Source pour évoluer et se montrer sans doute bien plus dynamique que les projets payants. Bref, on ne peut pas tout à fait parler d’un Linux ni d’un Reaper du modulaire, mais on en est pas loin, ce qui rend forcément VCV Rack extrêmement sympathique. Voilà qui méritait bien un Award !