Dans l’article précédent, nous nous sommes penchés sur l’échantillonnage, effectué selon le principe de la modulation d’amplitude (Pulse Code Modulation — PCM — en anglais). Nous allons aborder ici les tables d'ondes et les banques d'échantillons.
Ce standard est employé en audionumérique, informatique musicale, production de CDs et téléphonie numérique. Dans un signal PCM, c’est l’amplitude du signal qui est mesurée à intervalles réguliers, et codée numériquement avec un taux d’approximation variable en fonction du nombre de bits employés.
Nous avons également vu dans le précédent article qu’un échantillon représentait l’élément de base de la numérisation. Et c’est là que la terminologie informatico-musicale nous joue des tours, accrochez-vous bien…
Un joyeux bazar
Car la lecture d’échantillons implique souvent deux confusions de termes. La première concerne la notion même d’échantillon (sample en anglais). En effet, un signal numérisé « complet », donc composé d’un ensemble d’échantillons (rappel : 44 100 échantillons par seconde pour la norme CD, par exemple), s’appelle lui aussi… un échantillon ! Dans quel cas ? Dans celui où ce fameux signal complet est utilisé comme source sonore pour simuler un instrument réel, souvent avec d’autres petits camarades « signaux complets » au sein de ce que l’on appelle des « banques d’échantillons » (voir paragraphe éponyme).
Et c’est là que nous découvrons la seconde confusion, car les banques en question ne sont pas à confondre avec les « tables d’ondes » — composées quant à elles d’échantillons « première définition ». Et c’est pourtant cette seconde confusion que certains gens du marketing des années 90 ont contribué à entretenir en nommant abusivement « modules à tables d’ondes » (wavetable modules en anglais) des modules à banques d’échantillons (la carte-fille Wave Blaster pour les cartes son de Creative Labs par exemple).
Si vous êtes un peu perdu à ce stade de l’article, rassurez-vous, nous sommes là pour clarifier tout cela !
La synthèse à table d’ondes
La lecture de table d’ondes est une forme de synthèse qui ne fonctionne que dans le domaine numérique. Elle s’appuie sur le fait qu’une forme d’onde périodique est par nature répétitive. Plutôt que de « gaspiller » de la puissance de calcul en demandant au synthé/ordi de calculer les valeurs d’échantillons de l’ensemble d’un signal sonore donné, on ne lui fait calculer que les valeurs d’échantillons pour un seul cycle de l’onde que l’on souhaite produire. Chaque valeur d’échantillon individuelle est ensuite stockée dans une « case ». La lecture consécutive de chacune de ces cases revient à lire l’ensemble des informations des échantillons constituant un cycle. Pour reproduire ce cycle ad libitum, il suffit au système de relire la liste de cases en boucle. C’est l’ensemble de ces cases que l’on appelle une table d’ondes.
Nous avons vu dans l’article n° 3 de cette série que la hauteur d’une onde sonore périodique dépend directement de sa fréquence, donc du nombre de fois que le cycle de base de cette onde se reproduit en l’espace d’une seule seconde. Dans le cas de la lecture par table d’ondes, la méthode la plus efficace qui a été retenue pour modifier la hauteur d’une onde sonore a donc été de ne lire qu’un certain nombre de cases de la table, augmentant ainsi la rapidité de lecture d’un cycle, donc la rapidité de reproduction de celui-ci, donc la fréquence du signal… donc sa hauteur ! CQFD. C’est selon ce principe que fonctionnent les oscillateurs numériques, les DOs (Digital Oscillators), que nous déjà évoqués dans l’article numéro 6 de cette série.
La méthode que je viens de décrire concerne ce que l’on appelle la lecture de table d’onde fixe, c’est-à-dire pour une seule forme d’onde. Toutefois, plusieurs tables d’onde, contenant chacune l’échantillonnage d’une forme d’onde différente, peuvent coexister au sein d’un même synthétiseur. Celui-ci peut alors passer, grâce à un paramètre de modulation, de la lecture d’une table à celle d’une autre – donc d’une forme d’onde à une autre — créant ainsi des effets de transition sonore des plus intéressants ! On parle alors de lecture de tables d’ondes dynamique.
Les banques d’échantillons
Celles-ci sont composées de sons « complets » pré-enregistrés qui peuvent être chargés en mémoire – dans un module hardware ou bien dans un ordinateur – afin d’accéder rapidement à des sonorités réalistes.
Par le passé, on n’enregistrait que certaines notes « clés » d’un instrument – les fameux échantillons dans la seconde acceptation du terme — et un algorithme se chargeait de calculer les hauteurs pour les notes intermédiaires, ce qui nuisait dans certains cas à la qualité de la reproduction sonore. Aujourd’hui, les capacités de stockage numérique se sont tellement étendues que l’on peut se permettre de numériser par exemple des pianos entiers, avec non seulement un échantillon par note, mais également presque un échantillon par niveau de vélocité.
Les lecteurs d’échantillons gèrent en arrière-plan tout ce qui se passe pendant que vous jouez, de telle manière que vous n’ayez pas à vous en soucier. Vous jouez, et le logiciel dans le module hardware ou bien dans l’ordinateur se charge de choisir le sample qui répondra le mieux à vos intentions de jeu en termes d’attaque ou de vélocité par exemple. Sans compter qu’un nombre grandissant de lecteurs d’échantillons vous permettent d’éditer vous-mêmes des « scripts » définissant des règles de reproduction sonore – si vous souhaitez que l’appareil produise une tierce majeure à chaque note que vous jouez, par exemple.
Et concrètement ?
J’ai un peu simplifié les choses en écrivant, dans les articles précédents, que la lecture d’échantillons provenait uniquement de la recherche d’une méthode plus efficace en termes de paramétrages que la synthèse additive, et en sous-entendant que le premier lecteur d’échantillons aurait été le Fairlight CMI. En réalité, des musiciens et ingénieurs ont cherché dès les années 20 à manipuler des sons pré-enregistrés en temps plus ou moins réel. Parmi les instruments qu’ils ont alors pu inventer, le plus célèbre a été le Mellotron, apparu au début des années 60, très largement utilisé par les groupes musicaux de l’époque, et qui utilisait une petite bande magnétique par note et par timbre.
Mais c’est bien la société Fairlight qui a été la première à introduire le concept d’échantillonnage numérique tel que nous le connaissons aujourd’hui dans une machine à réelle vocation de synthèse, cette dernière illustrée notamment par la possibilité de modifier le contenu harmonique du son d’un simple coup de lightpen sur un écran. Elle a ouvert la voie aux Emulators de chez E-MU, aux fameux samplers serie S de chez Akai jusqu’aux échantillonneurs logiciels d’aujourd’hui tels que Kontakt ou Omnisphere.
En ce qui concerne la synthèse à tables d’onde, elle a principalement été introduite et utilisée par Wolfgang Palm au sein de la marque PPG dans ses célèbres synthétiseurs « Wavecomputer » et « Wave 2 » au début des années 80, et au sein de la marque Waldorf pour le « Microwave » et le « Wave » de 1993. Mais on la retrouve comme mode de production sonore secondaire chez de nombreux fabricants, et forcément, par sa nature intrinsèquement numérique, dans de nombreux instruments de synthèse virtuels, souvent d’ailleurs aux côtés de la lecture d’échantillons complets.
Ainsi, comme on peut le voir dans la capture d’écran ci-contre, le premier des trois générateurs de son du célèbre Absynth de Native Instruments contient ici un échantillon « seconde définition » sous forme de fichier wav.
Tout ceci nous amène donc à en conclure qu’aujourd’hui, à l’heure de la virtualisation galopante, les frontières entre la synthèse issue de formes d’onde basiques et la reproduction d’éléments sonores pré-numérisés n’ont jamais été aussi floues.