Nous avons vu dans le précédent article la synthèse soustractive, la plus répandue des méthodes de création sonore synthétique, et nous avons vu qu’elle reflétait les modes de production et de manipulation sonores décrits dans les premiers articles de cette série.
Aujourd’hui, nous allons rencontrer l’ancêtre toujours verte de toute création sonore synthétique, la synthèse additive.
Description
À l’inverse de la synthèse soustractive, qui consiste à retrancher des éléments d’un signal sonore harmoniquement riche comme l’on sculpte un bloc de marbre, la synthèse additive part du principe de l’empilement de signaux simples pour créer un son riche.
Ce mode opératoire repose essentiellement sur les travaux de Joseph Fourier, que nous avons déjà brièvement évoqué dans cette série. C’est lui qui a – rappelons-le – découvert que tout signal sonore complexe pouvait être réduit à un groupe de sinusoïdes simples. Il est donc rapidement venu à l’idée de beaucoup de parcourir le chemin inverse et de recréer les sons complexes ainsi précédemment analysés, à partir de l’empilement de leurs sinusoïdes élémentaires. Il est à noter toutefois que toute analyse présente des limites dans sa résolution, et qu’à cause d’elles l’on ne peut jamais reproduire à l’identique un son précédemment analysé. Mais le principe même de la synthèse additive était déjà appliqué en musique bien avant que Fourier ne fournisse une base théorique.
Un ancêtre inattendu
En effet, on peut tout à fait affirmer que l’un des tout premiers instruments de synthèse additive a été… l’orgue d’église, eh oui ! Et ceci pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, comme pour une onde simple en synthèse sonore, le son produit par l’orgue peut-être maintenu ad libitum. Il ne varie pas en amplitude tant que le doigt est enfoncé, contrairement au piano par exemple.
La seconde et principale raison en revient à l’organisation de l’instrument en différents « jeux » ou groupes de tuyaux produisant chacun un timbre particulier. Ces groupes, et donc ces timbres, peuvent être mélangés et équilibrés entre eux à volonté par l’organiste, via les registres, les fameuses « tirettes ».
L’ère moderne
En 1896 apparaît le premier instrument de l’ère moderne, « électrique » : le Telharmonium, inventé par l’Américain Thaddeus Cahill, qui en élaborera une seconde version en 1906. Cet énorme instrument de 7 tonnes (et dont la diffusion sonore se faisait… via les lignes téléphoniques !) fonctionnait selon le principe des roues phoniques. Une roue crantée tourne devant un bobinage (comme sur les guitares électriques). Les crans de la roue créent des variations de tension périodiques qui sont traduites par le bobinage en tensions électriques, elles-mêmes transformées en son via un amplificateur. La fréquence dépend de la vitesse de rotation et du nombre de crans de la roue.
Quel rapport avec la synthèse additive, me demanderez-vous ? Tout simplement le fait qu’en dehors des fréquences fondamentales, l’appareil était capable de produire un certain nombre d’harmoniques, modifiant ainsi le timbre général par ajouts de fréquences supplémentaires.
Ce même principe sera repris dans les années 30 par l’ingénieur Laurens Hammond dans la fabrication des célèbres orgues du même nom, dont le plus réputé est le modèle B3.
Mais le tout premier véritable synthé additif sera le Bell Labs Digital Synth de l’ingénieur Hal Alles, appelé aussi Alles Machine ou Alice.
Ce synthé possédait une architecture particulièrement complexe basée sur 72 oscillateurs contrôlés numériquement – dont une partie dédiée à la production des fréquences fondamentales et l’autre à celle des harmoniques – 32 filtres programmables (synthèse soustractive, quand tu nous tiens…) et 256 générateurs d’enveloppe. Sans le numérique, la gestion d’une telle complexité de paramétrages n’aurait même pas été envisageable (cf article 10 sur la polyphonie).
Mais entretemps, les ingénieurs de l’entreprise Fairlight travaillaient sur le Quasar M-8, qui devait permettre de synthétiser en temps réel n’importe quel son à partir de l’addition d’un nombre quasi illimité d’harmoniques. Toutefois, ce noble projet s’est heurté aux contraintes techniques de l’époque. Et il démontre l’aspect paradoxal de la synthèse additive. En effet, bien que son principe soit le plus ancien, il s’avère être le plus complexe à mettre en œuvre.
Les initiateurs de l’aventure M-8 se sont alors décidés à « tricher » en quelque sorte et à se consacrer à l’élaboration du Fairlight CMI (Computer Musical Instrument), la première machine fonctionnant selon le principe de la lecture d’échantillons, que nous étudierons dans le prochain article.
Mais l’un des appareils les plus populaires fonctionnant sur le principe de la synthèse additive est le Kawai K5, apparu en 1987.
Ses capacités de synthèse exceptionnelles, basées entre autres sur la possibilité de choisir entre 126 harmoniques pour chaque fondamentale et de leur attribuer des enveloppes séparées, ont même réussi à faire oublier une ergonomie pas toujours très intuitive.