Le précédent article nous a fait faire la connaissance d’un nouvel outil de synthèse sonore, les grains. Voyons maintenant dans quels cadres nous pouvons les utiliser.
La synthèse granulaire en soi est un sujet très vaste. Elle-même est composée de multiples sous-catégories, que Curtis Roads définit en détail dans son livre « The Computer Music Tutorial », traduit en français sous le titre « L’Audionumérique ». Nous en retiendrons quatre, parce qu’elles nous ont semblé être les plus représentatives. D’aucun pourra remettre ce choix en question, j’en assume pleinement l’aspect subjectif.
Les deux premières sont celles basées respectivement sur des grilles dites « de Fourier » et sur les « ondelettes ». La principale caractéristique de ces deux formes très proches de synthèse granulaire est la possibilité qu’elles offrent de modifier la hauteur d’un son sans en modifier la durée, et vice-versa. C’est sur ce principe que repose la majorité des traitements audio évolués de manipulation de durée (time-stretch) et de hauteur (pitch-shift) du son, que l’on trouve de nos jours dans la plupart de nos logiciels.
Malgré la complexité des procédés utilisés, on peut en trouver une traduction assez simple, dans le domaine analogique, dans le fonctionnement du Tempophon, que nous décrivons dans le paragraphe suivant.
L’image ci-contre illustre le principe de l’échantillonnage granulaire et du repositionnement des grains entre eux.
Une autre forme de synthèse granulaire est celle dite « synchrone aux hauteurs », qui se base sur les sons à éléments formantiques pour permettre de synthétiser, par exemple, une voix humaine de manière convaincante. Rappelons, en simplifiant, qu’un formant est un caractéristique sonore qui définit notamment les voyelles dans l’expression vocale humaine.
Enfin, la synthèse granulaire asynchrone permet de « pulvériser » des grains dans l’espace sonore. Les groupes de grains ainsi pulvérisés se nomment des « nuages ». Les paramètres de chaque nuage de grains sont alors définis de manière statistique. C’est cette méthode qui est la plus employée pour créer des mutations sonores particulièrement spectaculaires et l’intrication la plus forte entre des sonorités individuelles.
L’illustration suivante montre des nuages de grains représentés selon une échelle « fréquence/temps ».
Le Tempophon
Dennis Gabor (voir article précédent) ne s’est pas contenté de théoriser la synthèse granulaire. Il a en effet également cherché à la concrétiser via des machines de son invention. Toutefois, celles-ci, faute de développement des processus informatiques autorisant le traitement de l’ensemble des données générées par cette nouvelle forme de synthèse, ne permettaient pas d’en mettre en pratique toute la richesse.
Mais cela n’a pas empêché ses travaux d’aboutir à ou d’inspirer des productions tout à fait intéressantes, tout comme le Tempophon fabriqué par la société Springer dans les années 50, et qui a équipé un certain nombre de studios de musique électroacoustique et électronique.
Je ne résiste pas à l’envie de vous en décrire le mode de fonctionnement tant il offre une illustration simple de l’emploi des grains dans les manipulations de time-stretch et de hauteur pitch-shift du son. Et tant pis si cela nous fait sortir du cadre strict de la synthèse.
Donc, dans le cas du Tempophon, le son d’origine, imprimé sur une bande magnétique ou un film, est « copié » par petits bouts – des grains – sur une autre bande par une tête enregistreuse rotative, qui n’entre en contact avec le son d’origine qu’une seule fois par tour. Selon la vitesse de rotation de cette tête, celle-ci va capter d’un tour à l’autre des bouts de son originellement plus ou moins éloignés les uns des autres, mais qui seront enregistrés sur la seconde bande de manière rapprochée. Ainsi, la tête pourra, par exemple, omettre entre deux tours la partie centrale d’un son pour n’enregistrer que le début et la fin, lesquels se trouveront accolés l’un à l’autre sur la seconde bande. À la lecture de celle-ci, on aura donc une sensation d’accélération du son (début+fin sans partie centrale), sans pour autant que sa hauteur en soit modifiée. Une modification de cette hauteur s’obtient en modifiant cette fois la vitesse de lecture de la seconde bande.
« Oui mais », me direz-vous, « la vitesse de reproduction sonore du signal va être modifiée elle aussi, et ça ne changera rien au lien habituel entre celle-ci et la hauteur du son ? » Eh bien, il suffit de compenser préalablement la modification de la vitesse de lecture par un étirement ou une compression temporelle du signal, grâce à la méthode de granularisation précédemment décrite. Malin, non ?
Utilisation d’aujourd’hui
Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, « fabriquer » des grains consiste essentiellement à appliquer une enveloppe à une forme d’onde ultra-courte. Rien qu’un montage analogique autour d’un simple oscillateur ne soit en mesure de réaliser… si l’on oublie que chaque grain ne représente en moyenne qu’entre un centième et un millième de seconde de signal sonore !
C’est donc sans surprise que l’on comprend d’une part les difficultés de Gabor à traduire pleinement sa théorie dans le monde strictement analogique, et d’autre part l’intérêt grandissant pour ce nouvel outil depuis le développement de l’informatique. Comme précisé plus haut, on la retrouve comme principe de traitement sonore au cœur des outils de manipulation de durée et de hauteur du son dans nos DAWs. Et en tant que source sonore, elle est employée par des logiciels aussi puissants et répandus que l’Absynth de Native Instruments, l’Omnisphere de Spectrasonics ou encore le Malström de Propellerhead. Sans compter qu’elle fait la joie des bidouilleurs de tous poils développant sur des plateformes de type MAX/MSP.
Si cette forme de synthèse gagne autant en popularité, c’est qu’elle est sans doute celle qui permet les créations sonores les plus audacieuses, en abolissant les frontières entre tous les types de générations du son. Et puisque nous en parlons, il y a un type de génération sonore que nous n’avons fait qu’évoquer jusque-là, et qu’il serait profondément injuste de ne pas étudier plus en détail dans le prochain article, j’ai nommé la synthèse FM !