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Bebe et Louis Barron : pionniers de l'electro - Les grands oubliés de la musique électronique au cinéma

Leurs noms ne vous reviennent peut-être pas. Pourtant, Louis et Bebe Barron sont les Pierre et Marie Curie de la musique électronique au début des années 50. Qui sont ces avant-gardistes ? Comment ont-ils bousculé les codes de la musique à l’image ? On vous en dit plus.

De la fac à John Cage

Vos coups de coeur musicaux : Ton S.b, tape unitAvant même de s’ap­pe­ler Bebe Barron (petit nom donné par son futur mari), Char­lotte May Wind aborde son parcours dans la musique comme un bon élève de conser­va­toire. Étudiante en piano à l’Uni­ver­sité du Minne­sota, elle suit des cours de compo­si­tion avant de s’en­vo­ler pour New-York, atti­rée par les bruits de l’avant-garde artis­tique de la Big Apple. Entre-temps, elle rencontre son futur époux Louis Barron, étudiant en musique à Chicago. En guise de cadeau de mariage, pas de belle bagnole ou de bouteille de cham­pagne : les Barron reçoivent l’un des premiers modèles de magné­to­phones à bandes magné­tiques en plas­tique impor­tés aux Etats-Unis : un modèle alle­mand des années 40 conçu par IG Farben. Initia­le­ment, ces magné­to­phones étaient utili­sés par les soldats alle­mands pour commu­niquer pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces machines employaient des rubans en PVC recou­verts d’oxyde de fer. Des modèles rela­ti­ve­ment simplistes, qui n’ont plus été produits après la disso­lu­tion d’IG Farben, lors de la grande vague de déna­zi­fi­ca­tion de l’in­dus­trie alle­mande après la guerre.

Mais reve­nons à nos Barron. Rapi­de­ment, le couple explore les possi­bi­li­tés d’un tel appa­reil. Ils s’es­sayent à ralen­tir les bandes en les mani­pu­lant, puis ajoutent des effets d’écho pour complexi­fier les sons. En 1949, ils colla­borent avec des écri­vains célèbres comme Tennes­see Williams ou Aldous Huxley pour créer une série de portraits audio, guidées par le son des bandes magné­tiques retra­vaillées.

 

Ben Burtt, monteur et concep­teur sonore osca­risé, vous invite à décou­vrir les diffé­rents équi­pe­ment du couple Barron)

La même année, ils fondent l’un des premiers studios élec­troa­cous­tiques privés. Ce studio sera bien­tôt l’antre de leurs expé­ri­men­ta­tions les plus notoires. Des centaines de circuits élec­triques et d’os­cil­la­teurs à lampes es occupent l’es­pace. Ces grands circuits permettent aux Barron d’ob­te­nir des varia­tions sonores selon plusieurs carac­té­ris­tiques présentes sur le circuit : la hauteur, le rythme ou le timbre. Pour la radio améri­caine NPR, Bebe Barron évoque a poste­riori “un travail érein­tant”, celui de mani­pu­ler plusieurs centaines de bandes magné­tiques brutes dans l’es­poir d’ob­te­nir ces varia­tions. Un travail fasti­dieux donc, qui ne manque pas d’at­ti­ser la curio­sité de certains grands noms de l’avant-garde musi­cale new-yorkaise.

Avant d’autres curieux, c’est le compo­si­teur John Cage qui perçoit le poten­tiel de leurs travaux. Bebe et Louis Barron sont enga­gés comme ingé­nieurs par Cage. Ensemble, ils conçoivent des pièces instru­men­tales guidées par l’idée de “non-inten­tion”. Autre­ment dit, la musique est libre de jouer dans des systèmes de circuits cyber­né­tiques aléa­toires. Les sons enre­gis­trés sur bande magné­tique sont décou­pés puis arran­gés au hasard. Un proces­sus de compo­si­tion tech­nique et instable, choyé par John Cage. Enri­chi de cette expé­rience, le couple Barron quitte fina­le­ment les rangs du compo­si­teur pour une autre aven­ture, celle qui lancera vrai­ment leur légende.

Forbid­den Planet : le couple Barron aux portes d’Hol­ly­wood

Au début des années 50, les extra­va­gances tech­niques chez les compo­si­teurs de musique de film se font rela­ti­ve­ment rares. À ce stade de l’his­toire, le dernier instru­ment élec­tro­nique utilisé dans une bande origi­nale est le fameux Théré­mine, que l’on entend par exemple dans La Maison du docteur Edwardes d’Al­fred Hitch­cock (1945). Ainsi, lorsque Dore Schary, direc­teur de la Metro Goldwyn Mayer (la plus grande société de produc­tion de Holly­wood) fait appel aux Barron en 1955, il ne peut anti­ci­per la portée de leurs travaux.

Bebe et son mari acceptent de compo­ser pour Forb­bi­den Planet, un film de science-fiction qui met en scène des explo­ra­teurs spatiaux, aux prises avec un monstre mysté­rieux sur une planète recu­lée. Au départ, les deux acolytes sont appe­lés à travailler autour d’une parti­tion orches­trale clas­sique, et réalisent une partie rela­ti­ve­ment “acces­soire” de la bande son, essen­tiel­le­ment des brui­tages. Seule­ment, inspi­rés par l’ima­ge­rie futu­riste et le scéna­rio, les Barron ne se contentent pas de répondre aux consignes. Ils composent de longues phrases instru­men­tales, lais­sant s’ex­pri­mer la finesse et la profon­deur des diffé­rents maillons de leurs circuits cyber­né­tiques.

 bande annonce de Forbi­den Planet – Leslie Niel­sen (1956)

Progres­si­ve­ment, ils deviennent les prin­ci­paux arti­sans de l’iden­tité sonore du film. La musique des Barron se marie plei­ne­ment aux péri­pé­ties de l’his­toire. Par exemple, la mort du robot dans le film est illus­trée en musique par un circuit caco­pho­nique qui semble hors de contrôle. Une véri­table prouesse artis­tique et tech­nique, celle d’ar­ri­ver à prendre le dessus sur une tech­no­lo­gie aussi simpliste qu’aléa­toire pour imiter la puis­sance des images.

Comment recréer le son des Barron dans votre home studio ?

Vos coups de coeur musicaux : id-1536x838Peut-on faire du Bebe Barron sans le matos de Bebe Baron ? Pas aussi bien, sûre­ment, mais c’est possible. En-tout-cas, c’est ce que le déve­lop­peur et sound-desi­gner italien Gior­gio Sancris­to­foro souhaite nous faire croire, avec son nouveau synthé­ti­seur expé­ri­men­tal : Crea­ture from the ID. Ce synthé­ti­seur logi­ciel (qui n’est donc pas un VST), est le fruit de plusieurs années de recherches dans les archives les plus anciennes de la musique élec­tro­nique. Concrè­te­ment, Gior­gio s’est inspiré du grand bazar de circuits du couple Barron pour créer un instru­ment maté­riel qui incarne les sono­ri­tés de ces fameux circuits.

Pour tester le synthé, c’est rela­ti­ve­ment simple. Vous dispo­sez de deux géné­ra­teurs de sons simi­laires, tous deux équi­pés d’une forme d’onde (sinu­soï­dale ou en dents de scie), de basses fréquences, et d’une molette de retour croi­sée entre les deux géné­ra­teurs. Puis, l’in­té­rêt du soft­ware réside dans les diffé­rentes options de varia­tions comme la vitesse d’in­sta­bi­lité, les indices de modu­la­tion, le délai ou la satu­ra­tion. En jouant sur ces para­mètres tout en mani­pu­lant les molettes de volume et de pano­ra­mique, on retrouve alors l’es­prit instable et aléa­toire des circuits des Barron. Chaque para­mètre est assez sensible, un mouve­ment brusque et le magma élec­tro­nique bouillonne autre­ment qu’il y a quelques secondes. De plus, il est possible de bran­cher un contrô­leur midi pour huma­ni­ser votre jeu.

 Demons­tra­tion de Crea­ture from the ID © Gior­gio Sancris­to­foro

Plutôt fun et simple d’uti­li­sa­tion, le synthé­ti­seur de Gior­gio Sancris­to­foro est digne de sa démarche de rendre hommage aux travaux des Barron. Les circuits du logi­ciel ont leur propre chemin, et donnent vie à un instru­ment éton­nant, permet­tant d’ob­te­nir des sons étran­ge­ment chaleu­reux et impré­vi­sibles. De quoi ravir les amateurs des B.O. de science-fiction des années 50 aux sono­ri­tés fantai­sistes.

Crea­ture for ID : dispo­nible sur MacOS ici pour 19€50. Version Windows prévue courant Juillet 2024.


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