Dans les précédents articles, nous avons commencé à explorer l'utilisation des modes, notamment à travers l'étude de leurs caractéristiques harmoniques et des cadences qui les articulent.
Dans le présent article, je vous propose de poursuivre cette exploration à travers l’étude deux figures d’écriture très employées dans le système modal. Comme je vous l’ai déjà moultes fois expliqué, le système tonal repose essentiellement sur la résolution de tensions, là où le système modal est davantage porteur de l’idée d’une certaine stabilité, ou plus exactement d’une mise en suspension. Dans le cadre de ces idées de stabilité et de suspension, il me semble donc cohérent de revenir d’abord sur une forme évoquée déjà dans l’article 29 du présent dossier, à savoir la pédale, avant de vous présenter l’autre forme du jour, l’ostinato.
Le retour de la pédale
Nous avions vu précédemment que la pédale reposait sur la présence d’une ou deux notes à travers plusieurs accords contigus, note(s) maintenue(s) en général à la même octave, ce qui implique les renversements d’un ou plusieurs des accords concernés. Cette forme d’écriture porte donc en elle-même la stabilité invoquée par le système modal. Attention, il ne s’agit pas pour autant de prétendre qu’elle ne s’utilise que dans ce cadre-là ! Nous avons vu dans l’article 29 qu’elle est totalement pertinente également dans un contexte tonal. Mais la répétition d’une ou plusieurs notes sur un temps relativement long s’applique particulièrement bien au système modal, comme nous le voyons dans l’exemple suivant en Do dorien :
La pédale est ici déterminée par le Do maintenu à la ligne de basse sur tous les accords de cette suite.
L’ostinato
L’ostinato est une forme d’écriture qui repose elle aussi sur la répétition. D’ailleurs, le terme « ostinato » provient de l’italien « obstiné », et ce n’est pas pour rien : il désigne un ensemble musical bref qui sera répété autant qu’on le souhaite. Bien souvent d’ailleurs, pédale et ostinato peuvent être employés ensemble. On observe ainsi souvent un ostinato se développer au-dessus d’une pédale… comme ci-dessous où l’on répète plusieurs fois une cellule musicale basée sur le schéma harmonique de l’exemple précédent :
Toutefois l’ostinato se différencie de la pédale sur plusieurs plans. Tout d’abord, l’ostinato ne repose en général pas que sur une ou deux notes comme le fait la pédale. Ensuite, et surtout, cette forme d’écriture peut être mélodique, harmonique et / ou rythmique, là où la pédale sera toujours harmonique. Enfin, on observe que si la pédale se base sur la répétition de notes longues, le module à l’origine de l’ostinato est le plus souvent constitué de plusieurs notes de courte durée.
Pour illustrer cette notion d’ostinato, on peut citer plusieurs exemples, même si l’on pourra s’éloigner du cadre strictement modal. Ainsi, en ce qui concerne l’ostinato mélodico-harmonique, on pense bien sûr au Bolero de Ravel, répété pas moins de 17 fois. Pour l’ostinato rythmique, les rythmes africains sont particulièrement « parlants », ceux-ci pouvant se développer même en polyrythmes. Enfin, dans le cadre des musiques actuelles, on pourra considérer que c’est la boucle audio qui sera la représentante du concept d’ostinato.