L'article d'aujourd'hui sera de nature un peu différente des précédents. En effet, je vous propose exceptionnellement de nous intéresser cette semaine davantage à l'histoire musicale qu'à la théorie.
La dernière fois, je vous ai parlé de l’atonalité, et notamment de la série dodécaphonique instaurée par Arnold Schönberg. Il m’a semblé intéressant de montrer brièvement le parcours musical de ce compositeur atypique, et de revenir plus en détail sur le lien de parenté paradoxal entre romantisme et atonalité déjà évoqué dans le précédent article.
L’évolution musicale de Schönberg
Schönberg est né en 1874 et en tant que tel, son œuvre est au début directement influencée par le romantisme apparu durant le XIXe siècle dans tous les domaines artistiques. Dans ses œuvres de jeunesse, Schönberg est totalement baigné dans cet héritage. C’est particulièrement audible dans son poème musical pour sextuor à cordes La nuit transfigurée, écrit en 1899 alors qu’il n’a que 25 ans.
On entend que cette œuvre est encore fortement traversée de tonalité et de rapports de tensions et de résolutions.
La forte inspiration romantique qui traverse cette œuvre est encore davantage audible dans les Gurre-Lieder, œuvre pour voix et orchestre basée sur la légende du roi danois Waldemar 1er et de sa maîtresse Tove dans leur château de Gurre :
Dans cette célébration romantique du patrimoine culturel et mythologique du domaine germano-scandinave, la figure tutélaire de Wagner est encore très proche !
Mais Schönberg ne tardera pas à se libérer de cette influence, et dès 1908 et son second quatuor à cordes, il affirmera son propre langage musical basé sur la remise en question du système tonal, et ceci bien que ledit quatuor soit encore défini comme étant en Fa dièse mineur.
On sent bien encore dans cette œuvre des notes qui pourraient être perçues comme des centres tonaux vers lesquels mèneraient encore des restes de construction mélodico-harmonique. Mais le destin de la tonalité est ici clairement scellé : ce sera la dernière œuvre que Schönberg achèvera avec un accord issu du système tonal. Le compositeur qui est en train de mener à bien cette révolution n’emploie en revanche pas lui-même les termes d’atonalité, ni de dodécaphonisme. Il préfère alors parler de « tonalité suspendue » ou de « pantonalité » .
À partir de ce moment, Schönberg assurera au fil de ses œuvres tout d’abord la suppression des rapports de tension-résolution pour arriver ensuite à une mise à égalité complète des douze sons de la gamme chromatique, mise à égalité que l’on entendra bien davantage ici dans son Quatuor pour cordes numéro 3 :
Comme on peut l’entendre, toute trace du romantisme des débuts du compositeur semble avoir disparu dans cette œuvre qui sacre la toute-puissance de la dissonance. Or cette dissonance a malheureusement aliéné un grand nombre d’auditeurs de l’époque – et encore d’aujourd’hui – à la musique classique contemporaine. Et pourtant, il a été écrit que Schönberg ne souhaitait que conceptualiser un système qui pourrait être compris de tous en s’affranchissant des règles d’harmonie tonale connues que de certains.