La musique orchestrale peut-elle être imitée de manière convaincante en utilisant un ordinateur ? Avec du travail, oui. Nous allons donc dans ce dossier préciser les quelques points importants pour y arriver.
Notions d’instrumentation
Le premier principe pour imiter l’orchestre est d’avoir quelques notions d’instrumentation et d’orchestration. Nous avons la chance à notre époque d’avoir le CD qui nous permet d’avoir un orchestre symphonique à la maison. Écoutez les orchestrations que vous aimez en essayant de disséquer les différents mélanges de timbres, les rôles dévolus à chaque groupe, les nuances de jeu des différents types d’instruments ainsi que les rapports d’équilibre au sein de l’orchestre (méfiez vous quand même car les retouches en studio sont fréquentes).
Si vous le pouvez, lisez régulièrement des partitions, formez vous l’oeil à la disposition de l’orchestre, cela vous aidera beaucoup car très souvent la fenêtre de votre séquenceur favori y ressemble étrangement.
Il est très important de respecter la [def]tessiture[/def] de chaque instrument. Rien de plus bizarre que d’entendre une flûte jouer un Fa 2 ! Il faut aussi essayer d’écrire pour leur bon registre, là encore un basson s’obstinant à jouer au-dessus du SI 3 semblera peu crédible. La lecture d’un traité d’instrumentation vous y aidera.
Toujours à propos de l’instrumentation essayez de vous mettre à la place des instrumentistes, par exemple pour les vents plutôt que d’enchaîner de longues valeurs insérez des silences pour simuler la respiration. Si vous voulez de longues valeurs créez des relais. Pensez aussi à la fatigue et à la gêne qu’ils peuvent éprouver dans les registres extrêmes de leur instrument. Laisser le tuba se reposer après une longue phrase staccato et forte dans son registre grave. Vérifier dans un traité d’instrumentation si ce que vous écrivez est réalisable, chaque instrument possède un doigté spécifique rendant certains passages délicats voir même impossibles pour l’instrumentiste.
L’équilibre sonore
Le deuxième point important concernant l’orchestre est l’équilibre sonore. Il est très important d’avoir une notion du rapport de puissance qui existe entre les différents groupes de l’orchestre. L’avènement de la M.A.O. a permis aux compositeurs d’expérimenter des équilibres sonnant à merveille dans un mix mais aussi très souvent loin de la réalité acoustique de l’orchestre.
Voici quelques petits conseils qui pourront peut-être vous aider :
- Une phrase de mon ami Jean Philippe BEC, « dans le piano tout se vaut », donc dans un faible niveau sonore vous pouvez distribuer les différents constituants de votre musique (mélodie, rythme, harmonie) à n’importe qui dans l’orchestre.
- Nikolay Rimsky-Korsakov indique dans son traité d’orchestration deux formules courantes servant pour les passages forte :
1 Trompette = 1 Trombone = 1 Tuba = 2 Cors et 1 cor
= 2 Flûtes = 2 Hautbois = 2 Clarinettes = 2 Bassons
Il indique aussi qu’un Bois = une section de cordes (1 flûte = violons I) dans un passage piano et deux Bois = une section de cordes (2 flûtes = Violons I ou 1 Flûte + 1 Hautbois = Violon I) dans un passage forte. Attention l’équilibre dépend aussi du mode de jeu des instruments. - Après, s’il fallait classer par ordre croissant la puissance de chaque groupe, on aurait les vents, les cordes et les cuivres pour terminer. Je ne parle pas des percussions qui ont très rarement un rôle mélodique ou harmonique sauf pour les instruments à son déterminés (xylophone, vibraphone, marimba, etc…)
- Le timbre joue aussi un rôle très important, en effet, on situe très facilement un hautbois au milieu d’un fond d’orchestre alors que les cors bouchés ont plutôt tendance à spatialiser leur son, ils sont donc moins repérables au premier abord.
Pour plus de détails sur les équilibres entre instruments de chaque groupe ou entre différents groupes, sur l’équilibre harmonique, sur ce qui ressort ou non, etc … l’investissement dans un traité d’orchestration est une très bonne chose.
Constituer un kit d’orchestre
Ensuite vous allez devoir vous constituer un kit d’orchestre. La solution du sampleur me semble la meilleure, mais assez onéreuse, puisqu’il y a du monde qui joue. Onéreuse car, en plus des machines, il faudra vous procurer des banques de sons orchestraux qui sont assez chères (imaginez le travail pour sampler un orchestre note à note, groupe par groupe) et puis pour pouvoir écrire assez librement il faut disposer de la quasi-totalité de l’orchestre sous les doigts, ce qui veut dire qu’il faut plusieurs sampleurs bourrés à craquer de mémoire et de bons moyens de sauvegarde.
Pour ma part voici la solution que j’ai adoptée :
- Un Akai S5000 qui fait les cuivres
- Un EMU E6400 pour les cordes
- Un ESI 4000 Turbo pour les bois
- Un Power Sampler Creamware pour tout ce qui manque en particulier les percus, harpe, piano etc…
Le tout piloté par Digital Performer. Ce système est un choix personnel, mais tout est possible pourvu que tout l’orchestre soit là [NDLR : l’utilisation d’échantillonneurs virtuels semble de plus en plus d’actualité]. Pour gagner du temps essayez de « pré-panner » vos sons (c’est à dire choisir la position des instruments dans l’espace), gardez en tête la disposition habituelle de l’orchestre sans oublier que nous vivons dans un monde libre et qu’il est donc possible de changer la position des instruments.
Ce schéma (adapté du livre « The Guide to MIDI Orchestration » de Paul Gilbreath) montre, à titre indicatif, une disposition d’orchestre par 3 courante. J’y ai rajouté les différentes échelles de graduation concernant le panning que l’on trouve sur la plupart des sampleurs.
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Il va vous falloir ensuite opter pour le type d’orchestre que vous allez utiliser c’est-à-dire par 2, par 3, par 4… Ce chiffre représente le nombre de bois utilisés dans votre orchestre (2 flûtes / 2 hautbois /2 clarinettes / 2 bassons, ou 3 flûtes / 3 hautbois / 3 clarinettes etc…) le reste de l’orchestre s’équilibrant par rapport aux bois. Les instruments spéciaux comme le piccolo, le cor anglais, la clarinette basse, etc… sont joués par le dernier de chaque famille. À titre d’exemple, le Cor Anglais est donné au Hautbois II pour un orchestre par 2 ou au Hautbois III pour un orchestre par 3 (utile pour le panning).
Il va donc vous falloir utiliser autant de sons différents que d’instruments constituant votre orchestre (2 flûtes différentes, 2 hautbois etc…) pour éviter un effet de phasing provoqué par le jeu de sons exactement identiques. Je vous conseille de n’utiliser que des sons mono pour tous les instruments seuls, vous y gagnerez de la clarté et de la précision (et de la mémoire dans les sampleurs !). Les banques de sons du commerce proposent souvent plusieurs instruments de la même catégorie. Attention, il y a un gros travail de ré-accordage à effectuer, l’utilisation d’un accordeur électronique peut vous aider, mais la vérification à l’oreille s’impose.
Il n’est pas une mauvaise idée de faire une patchlist de votre set au fur et à mesure que vous le constituez, cela vous permet par la suite d’envoyer des patchs changes aux sampleurs quand vous n’avez pas assez de canaux midi. Appréciable aussi car cela vous évite d’avoir à ouvrir 80 pistes dans le séquenceur, il y en a déjà suffisamment.
Après avoir choisi vos sons et formé vos différents groupes il va falloir essayer de faire un travail sur l’expression, la dynamique en particulier. J’ai expérimenté plusieurs méthodes, la première constituait simplement à éditer la courbe de volume en fonction de la nuance que je désirais produire, mais le problème était que le timbre n’évoluait pas alors que dans la réalité un violon jouant forte est plus brillant que lorsqu’il joue piano. Pour gagner un peu de temps j’ai préparé mes sons en assignant la molette de modulation de mon clavier maître au volume de chaque son, du fait, je pouvais interpréter un peu plus facilement, mais rien de nouveau pour le timbre. La solution est venue d’un filtre coupe haut lui aussi assigné à la modulation. Du coup, en baissant la molette le volume diminue et le son perd de sa brillance ce qui rend la nuance plus crédible. Ce système fonctionne bien sur les sons tenus et permet, par exemple, des très beaux crescendo/decrescendo pour les cuivres, il ne remplace quand même pas le fait d’utiliser des sons prévus pour chaque nuance forte ou piano. Pour les sons staccato j’utilise le même principe sauf que cette fois j’assigne le volume et le filtre à la vélocité.
Un autre paramètre à éditer, c’est l’enveloppe. Créez différents presets du même son, avec différentes attaques. Attention par contre aux releases, n’oubliez jamais que quand un musicien coupe le son de son instrument c’est presque toujours immédiat, il ne reste que la résonance de la caisse si cet instrument en possède une ou la sympathie des cordes si elles ne sont pas toutes étouffées (pour les instruments à cordes évidemment). Préférez un travail sur la réverbe. Là encore l’idée est de recréer l’espace autour de l’orchestre, pour ce faire j’utilise une réverbe hall unique, j’envoie tout le monde dedans et je cherche un équilibre entre le son direct et le son réverbéré. J’essaye de me mettre à la place des premiers rangs et de restituer les distances, les cordes à quelques mètres de moi, puis les bois, les cuivres et les percussions au fond. Seuls les cors disposent d’une réverbe en plus pour simuler le fait qu’ils ont leur pavillon tourné vers le fond de la salle, donc un son plus diffus que les autres.
Pour les sons de percussions, je fabrique des layers, c’est-à-dire que j’assigne à une note plusieurs samples correspondant à différentes nuances (3 en général : p, mp, f) qui se déclenchent en fonction de la vélocité. Dans le même ordre d’idée, vous pouvez resampler des layers d’instruments que vous utilisez souvent, par exemple pour une musique que j’ai composée, les violoncelles doublés 8ba par les contrebasses (pas très original) jouaient le thème du méchant, j’ai resamplé le tout, rebouclé chaque sample et j’ai gagné un paquet de mémoire et un confort d’utilisation accrue quand on passe un bout de temps sur un projet (et c’est réutilisable).
Conclusion
Pour finir ne quantifiez pas trop, restez humain. Quand vous écrivez un long accord décalez un peu la fin de chaque note, au contraire si l’accord est staccato décalez légèrement les attaques. Imaginez vous en train de diriger les ritenuto, accelerando et autres nuances d’expression en jouant avec les tempi. Et surtout rappelez vous que de toutes les façons, vous n’obtiendrez qu’une infime partie des capacités d’expression d’un orchestre réel, mais c’est déjà pas si mal pour se faire plaisir.
Téléchargez aussi les deux versions, une midi et l’autre orchestre réel, du morceau « Egg Travels » issu de la B.O du film Dinosaure composée par James Newton Howard, là c’est la claque. Vous trouverez le lien à la fin de cet article.
Références
« Principles of orchestration », Nikolay Rimsky-Korsakov – Ed. Dover
« Les instruments d’orchestre », A.-F. Marescotti – Ed. Jean Jobert
« Traité de l’orchestration » en 4 volumes, Charles Koechlin – Ed. M.Eschig
« La musique et l’image », Maurice Coignard – Ed. M.Eschig
« The guide to midi orchestration », Paul Gilreath – Ed. Music Works
un article sur James Newton Howard.
J’espère que cet article vous aidera dans votre musique, n’hésitez pas à me contacter si vous avez expérimenté d’autres méthodes, j’en serai ravi.