Un seul nouveau module dans Ozone 11 ? Eh bien oui, mais on y trouve bien d’autres choses qui rendent cette nouvelle mouture extrêmement intéressante…
Un nouvel Ozone est toujours un événement. D’abord parce qu’il squatte sur chaque projet la tranche master de nombreux home studistes comme d’ingénieurs du son, mais aussi parce qu’Izotope a pris l’habitude de nous surprendre avec des algos novateurs qui simplifient au quotidien les tâches de mastering et de pré-mastering… Et cette nouvelle version est d’autant plus attendue qu’en vis-à-vis d’un éditeur qui a toujours eu à cœur de proposer des logiciels « intelligents », de nombreux concurrents se sont mis à creuser dans cette même direction, apportant des idées neuves dans un monde toujours trop préoccupé par l’émulation des mêmes vieilles scies. Entre Sonible et sa série Smart, Eventide et son SplitEQ, Waves Factory et son Spectre ou encore Oaksound et son Soothe, on vit en ce moment un âge d’or en termes d’innovation logicielle. Et c’est sans même parler de la révolution IA qui, après ChatGPT, s’invite chez Waves, Steinberg ou Adobe pour aboutir à des traitements qu’on pensait impossibles il y a encore quelques années… Bref, Izotope a une réputation à tenir s’il veut garder son avantage sur le marché des suites de mastering comme sur celui des suites de restauration…
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles…
Cela commence par un nouveau module baptisé Clarity et qui, comme l’indique son nom, sert à amener de la clarté à un mix, soit de la brillance dans les hauts médiums et les aigus. Izotope n’est pas bien loquace sur la façon dont la chose fonctionne (« it adaptively maximizes the spectral power of your tracks », nous dit-on), d’autant que pour l’heure, nous n’avons pas accès à la doc du logiciel. De ce qu’on en voit, on pourrait tabler sur un traitement qui ressemble au Stabilizer ou au Spectral Shaper, et qui probablement découpe en fines tranches le signal pour les soumettre à un traitement dynamique (on dispose d’ailleurs de réglages d’attaque et de relâchement), le tout étant paramétrable via un seuil de fréquences à partir duquel commence le traitement, un contrôle de son dosage, mais surtout un Tillt qui permet d’arbitrer l’équilibre médium/aigu, sachant que Clarity n’est pas forcément fait pour mettre en valeur les aigus et peut tout à fait servir à les atténuer…
Voyez ce que ça donne avec cet extrait et comment Clarity permet de remonter les shakers notamment…
- WAITSdry00:23
- WAITSclarity00:23
Qu’en dire ? Que cela marche très bien et permet effectivement de récupérer dans notre cas de la brillance, de l’air, de la présence sur un mix un peu trop sourd, en gagnant en densité sur le haut du spectre (on n’est pas face à un bête EQ, c’est sûr)… L’outil est donc bienvenu et il l’est d’autant plus qu’il tient lieu de seul nouveau module de cette version, même si de grosses améliorations impactent Ozone dans son ensemble…
Banana Split (wou !)
Souvenez-vous : dans sa version 10, Izotope avait répondu au Gullfoss de Soundtheory avec Stabilizer. On ne sera pas étonné du coup que l’éditeur se soit cette fois intéressé à reproduire une autre innovation de poids dans le monde de l’audio : la séparation transitoire/sustain chère au SplitEQ d’Eventide.
De fait, tous les modules spectraux et spatiaux disposent désormais de cette possibilité de séparer le signal en transitoires et sustains, en plus des stéréos Droite/Gauche et Milieu/Côtés. Et cela s’avère extrêmement puissant car cela permet de faire des choses bien difficiles, voire impossibles, à faire autrement : garder l’attaque de cymbales bien compacte tandis qu’on élargira leur sustain sur les côtés, atténuer les coups de médiator d’une guitare dans les aigus sans abîmer les graves de la note, etc. Les applications ne manquent pas et déploient un nouveau paradigme dans la façon dont on envisage les problèmes comme les traitements mélioratifs. C’est à ce point pertinent que cette seule nouveauté pourrait justifier la mise à jour vers une nouvelle version…
Voyez à titre d’exemple comme on peut faire inhiber le bas d’un kick (atténuation sur la transitoire) au profit de la résonnance du fut (boostée dans son sustain) :
- DRUMSsustrandry00:08
- DRUMSsustranwet00:08
Or, ce serait passer encore à côté de choses très intéressantes comme l’intégration au plus bas plan dans le logiciel du démixage…
Mix dans le master
La technologie de démixage est devenue courante, permettant d’isoler plus ou moins proprement les Stems dans un titre. Ozone 10 proposait d’ailleurs cela avec le composant Master Rebalance, utile pour ramener une partie du mix sur le devant ou au contraire de l’inhiber. Poursuivant dans cette démarche, cette version 11 dispose désormais, un plus du composant Master Rebalance, d’un sélecteur permettant de travailler sur le mix global ou sur la voix, la batterie ou l’instrumentation seulement. Un gadget pour le mastering, pensez-vous ? Loin de là si l’on considère qu’on ne peut pas toujours avoir accès aux Stems d’un morceau pour y corriger des choses dans le mixage, à plus forte raison quand la source sur laquelle on travaille est un bête enregistrement mono ou stéréo (c’est le cas des premiers disques comme celui de quantité d’enregistrements utilisés pour le son à l’image). Bref, la fonction, c’est certain, saura se rendre utile dans les cas désespérés…
Mais on s’enthousiasmera aussi pour la nouvelle fonction Delta qui équipe quasiment tous les modules de cette version. Grâce à cette dernière, vous pouvez entendre la différence entre signal traité et signal non traité, histoire de comprendre avec exactitude ce que fait le plug-in sans vous laisser abuser par la visualisation. C’est l’occasion de s’apercevoir que telle compression impacte surtout le bas de votre spectre ou que tel traitement est quasi inaudible en dépit de ce que vous pensiez. Bref, un ajout bien utile qu’on voudrait voir, avec la compensation de gain ou l’encodage M/S, sur tous les plug-ins de traitement audio du marché, à commencer par tous ceux de l’éditeur : on est assez confiant sur le fait que cela devrait bientôt être le cas.
Dans les petites choses qui font plaisir, on notera d’ailleurs aussi la refonte des interfaces de Low End Focus, Spectral Shaper et Maximizer, lesquelles permettent au soft de gagner en cohérence sur le plan ergonomique. Et puisqu’on parle de Maximizer, qui est sans conteste le module le plus populaire d’Ozone, il est à noter que ce dernier a le droit lui aussi à sa petite nouveauté…
Par dessous…
Outre sa refonte, Maxmizer se dote désormais d’un nouveau traitement pour faire de la compression ascendante, upward compression comme l’appellent les anglophones. Pour comprendre de quoi si s’agit, un peu de théorie s’avère nécessaire. Vous le savez : compresser, c’est réduire la dynamique d’un signal, soit la différence entre son niveau le plus fort et son niveau le plus faible. Or, si pour ce faire, on utilise la plupart du temps une compression descendante (downward compression) pour baisser le niveau des pics dépassant un certain seuil, on peut tout aussi bien le faire en remontant le niveau des sons les plus faibles.
L’avantage ? On va de la sorte gagner en volume perçu sans pour autant écraser les transitoires du signal, même si, en fonction des cas comme des réglages (un compresseur ascendant, tout comme un compresseur descendant, se règle avec un seuil, un ratio, un temps d’attaque et un temps de relâchement), on obtiendra parfois un traitement beaucoup moins discret qu’avec une compression descendante, capable même de faire remonter de la pièce ou du bruit… Voyez ce qu’il advient de cette boucle de batterie pour comprendre le traitement : d’abord la boucle dry, ensuite avec une compression descendante, puis une compression montante (voyez comme le son de pièce remonte et pompe), puis les deux mélangée :
- DrumsDRY00:11
- DrumsDownward00:11
- DrumsUpward00:11
- DrumsUpward&Downward00:11
Pourquoi le proposer sur le Maximizer ? Parce qu’il permettra dans certains cas de gagner en densité sans que tout repose sur le rabotage des transitoires. Bref, un outil intéressant proposé ici dans son plus simple appareil puisqu’un seul potard nous permet de le doser : pas de réglage de seuil, pas de ratio, pas de temps d’attaque ni de relâchement. Ozone s’occupe de tout en vous réclament juste le nombre de dB qu’il doit appliquer à l’augmentation de gain des niveaux faibles (on n’aurait pas été contre un peu plus de contrôle d’ailleurs, histoire de ne pas se retrouver avec des effets de pompages qui peuvent facilement survenir dès qu’on a la main un peu trop lourde). Couplé à la fonction Transient Emphasis, voilà qui devrait vous permettre de hausser le loudness de vos mixes sans pour autant trop charcuter les pics de volume… Intéressant donc.
Et puis, et puis… Et puis, pour finir, il n’y a pas Frida mais ce bon vieil assistant qui a fait une partie du succès d’Ozone, même s’il n’apporte toujours pas le café, et qui profite a priori de toutes ces évolutions. L’heure est venue de prendre de ses nouvelles…
Un esprit trop brillant
L’assistant est depuis bien des années maintenant l’une des fonctions les plus attractives des logiciels Izotope, non qu’il permette de régler les problèmes de mixage, de mastering ou de restauration tout seul, mais qu’il facilite dans bien des cas le travail en sélectionnant une chaîne de traitement et des préréglages pouvant être utilisés comme points de départ. Izotope a d’ailleurs toujours bien pris soin de ne pas trop parler d’IA le concernant mais de presets adaptatifs : une nuance qui dit bien ce qu’elle veut dire.
Pour cette version 11, l’Assistant fait lui aussi peau neuve, en intégrant bien plus de réglages globaux que son prédécesseur de la version 10. En marge des genres musicaux, de la courbe de balance spectrale et de l’oscilloscope de Loudness flanqués l’un et l’autre d’un bouton de dosage, on dispose désormais de plus de contrôles dans la partie droite pour doser les différents traitements : Stabilizer Amount, Clarity Amount, Width Match, Dynamic Match… et même niveau de la voix ! Rien à dire sur ce tableau de bord bien fichu auquel ne manquera sans doute que le Low End Control…
Quant à savoir si l’assistant, en regard de sa bonne bouille, s’avère efficace, on notera qu’il utilise nettement plus d’outils que par le passé, sept modules étant alors sollicités : un EQ, suivi d’Impact, Imager, Clarity, Stabilizer, Dynamic EQ et Maximizer fermant logiquement la marche… Pour quel résultat ? Eh bien disons que comme son prédécesseur, Ozone 11 aime la brillance, et qu’il l’aime même parfois au point d’être agressif dans ce registre. Il faut dire qu’entre le premier égaliseur qui ne se prive pas pour faire de gros boost dans ce secteur, et Clarity puis Stabilizer, les occasions de gonfler le haut ne manquent pas… On en vient d’ailleurs à regretter que la possibilité de réclamer un mastering Vintage ne soit plus, depuis Ozone 10, de la partie, de sorte qu’aucun des traitements Vintage présents dans le logiciel ne soit plus utilisé par l’assistant… Et c’est bien dommage quand on sait les belles émulations de Pultec qu’Izotope propose dans son Vintage EQ par exemple, tandis que son simulateur de bande ne démérite pas non plus… Bref, le son est résolument moderne et je l’ai trouvé, comme dans Ozone 10, souvent trop brillant pour mes goûts personnels, au point de retoucher l’EQ de départ, et de commuter Stabilizer en atténuateur plutôt qu’en boosteur… Gardons toutefois à l’esprit que c’est exactement ce qu’Izotope préconise : partir de la suggestion et la bidouiller pour faire sa cuisine comme on l’aime…
Reste que le retour d’un menu d’intentions artistiques, comme ne disposait jusqu’en version 9, ne serait pas du luxe, tant du point de vue du spectre que du niveau, Ozone ayant tendance à pousser le loudness assez loin : fort, brillant, une certaine idée de la modernité en somme… Bien sûr les dosages des principaux traitements sont là pour tempérer cela, mais je demeure persuadé que le plus intelligent de la bande restant l’utilisateur, il serait bon qu’il ait un peu plus la main pour guider l’assistant en amont de son calibrage automatique…
Ce petit reproche n’est d’ailleurs pas le seul qu’on pourrait adresser au logiciel.
En attendant Ozone 12
Nous le soulignions dans la version 10 : l’abandon de la version autonome du logiciel demeure toujours aussi regrettable, certains utilisateurs aimant particulièrement le fait de pouvoir bien séparer la phase de mixage de celle de mastering tout en ayant une approche plus complète de ce dernier : enchaînement des titres, générations d’images DDP ou encodages dans différents formats. On adorerait surtout qu’au lieu de se calibrer sur une partie de quelques secondes d’un mix, la plus dense, le soft puisse le comprendre dans son entier, sachant que les traitements qui sont valables sur le refrain le plus fort d’une chanson, avec ses sections cuivres, cordes, ses chœurs et ses guitares hurlantes, ne sont pas forcément ceux qui sont pertinents lors de sa petite intro guitare/voix et que c’est bien pour cela qu’en mastering comme en mixage, on recourt aussi à des automations.
Ce serait aussi l’occasion de permettre à Ozone d’héberger des plug-ins de tierce partie, ce que sa version plug-in pourrait d’ailleurs également faire. De la sorte, il deviendrait LA plateforme idéale susceptible de s’adapter aux préférences de chacun, tout en accueillant des émulations de matériels de références comme en propose Plugin Alliance par dizaine (et notamment les plug-ins Elysia, la saturation Black Box, les compresseurs Shadow Hills ou bx_Townhouse Buss Compressor pour n’en citer que quelques-uns) ou de nouvelles références du son comme Gulfoss (que perso, je n’échangerais pas contre Stabilzer, si sympathique soit-il dans l’absolu), Soothe ou encore les plug-ins de Leapwing Audio, Acoustica, Softube, pour n’en citer que quelques éditeurs…
Bref, Ozone a encore une belle marge de progrès devant lui, ce qui n’empêche pas cette onzième version de s’avérer réellement enthousiasmante à plusieurs titres.
Conclusion
Même si sur le papier, cet Ozone 11 ne propose qu’un seul nouveau module, c’est bien une mise à jour intéressante de la suite qui nous est ici proposée car en marge de l’efficace Clarity, on louera surtout le fait de pouvoir travailler avec une séparation des sons entre transitoires et sustain. Voilà qui change bien des choses tandis que les améliorations de l’Assistant comme la fonction Delta rendent Ozone 11 plus agréable et efficace que son prédécesseur. Certes, on attend toujours le retour d’une vraie bonne version autonome comme la capacité d’héberger des plug-ins tiers, on aimerait aussi que revienne la possibilité de déclarer des intentions esthétiques en amorce de l’assistant pour tempérer le goût pour la brillance de l’assistant, mais force est de constater que le roi est loin d’avoir perdu sa couronne. Ozone demeure en effet à ce jour la plus intéressante boîte à outils qu’on puisse utiliser pour le mastering et le pré-mastering parce qu’on y dispose d’une foule d’outils efficients dans une interface à l’ergonomie et aux fonctions bien pensées. On resigne donc pour un an !