Ça y est, nous sommes en 2012 et pour certains la fin du monde approche à grands pas... Enfin, pas pour tous, car le monde du plug-in, lui, se porte bien ! La preuve en est avec ces deux «nouveaux» arrivants, les RND Portico 5033 et 5043, qui reprennent trait pour trait les caractéristiques des versions matérielles concoctées par M. Rupert Neve himself.
Nevellement par le haut
Il est de ces noms qui, partis d’une idée, d’une personne ou d’une entité, deviennent au fil des années de véritables standards que l’on ne peut éviter… ou que l’on ne veut pas éviter ! Et s’il y a bien un nom dans l’industrie audio qui mérite sa réputation, c’est bien celui de Rupert Neve qui, depuis près de 60 ans maintenant, officie derrière les circuits audio pour le plus grand bonheur de nos oreilles.
Si certains produits de ce cher monsieur sont désormais des références indiscutables, sa jeune marque Rupert Neve Designs tente d’imposer ses nouvelles conceptions au travers d’une identité sonore quelque peu différente des machines que l’on connaît de lui, mais pour une qualité toujours exemplaire. Fervent défenseur de l’électronique analogique, Rupert Neve nous a tout de même surpris en s’associant avec Yamaha et Steinberg pour le développement de deux de ses nouveaux périphériques : le 5033 EQ et le 5043 compresseur.
En effet, sous l’impulsion de Steinberg et du département Recherche & Développement de Yamaha, M. Neve décide de superviser la déclinaison de ses modules en version logicielle, orchestrée par l’ingénieur Toshifumi « Dr K. » Kunimoto, un monsieur qui a déjà fait ses preuves chez Yamaha puisque c’est lui qui fut notamment à l’origine des synthétiseurs VL1 et Motif, entre autres… Mais pour le développement de ces nouveaux plug-ins – censés reproduire le comportement sonore de leurs aînés hardware – notre cher Dr K a fait appel à une technologie propre à Yamaha : la technologie VCM pour « Virtual Circuitry Modelling ».
Sur le papier, le principe de cette technologie semble plutôt simple : chaque composant équipant un périphérique est analysé et chacun de ses comportements est minutieusement reproduit, incluant également les éléments non linéaires du comportement électronique, les taux et seuils de saturation des composants, etc. Et même le comportement audio du périphérique lorsque celui-ci est en « by-pass » ! Dans les faits, l’équipe aura tout de même planché près de 2 ans pour arriver à un résultat satisfaisant les exigences de tous. Un tel niveau de recherche et de précision ne pouvait donc qu’attirer notre attention.
Avant de rentrer dans les détails de chacun des plug-ins, précisons tout de même que, malgré une installation rapide et sans difficulté, les plug-ins ne sont disponibles pour l’instant qu’aux formats VST et AU… et avant de pouvoir les faire tourner sur une DAW, l’utilisation des Portico 5033 et 5043 nécessite une clef eLicenser pour leur autorisation… C’est donc avec un iMac de 2011 (Core i5) sous Cubase 6 que le test se déroulera !
5033 EQ ET 5043 Compresseur
En ouvrant les plug-ins pour la première fois, ce qui frappe le plus d’entrée de jeu est la ressemblance visuelle avec le hardware : même design, même charte graphique et – quasiment – même sérigraphie. Je dis « quasiment » car les plug-ins ont vu 2–3 fonctionnalités adaptées à leur utilisation au sein d’une DAW et leurs possibilités d’affichage.
Tout d’abord, concernant le 5033 EQ, celui-ci est désormais doté d’un graphique permettant de voir sur quelle fréquence ou bande de fréquences on agit. Très sobre, ce genre d’affichage est un peu devenu un standard dans le monde des plug-ins… Autrement, on retrouve exactement les mêmes fonctionnalités que le Portico 5033 hardware : 5 bandes d’égalisation, dont 2 filtres shelf et 3 filtres paramétriques à Q variable. Les 2 shelfs LF et HF ont respectivement une plage de fréquences allant de 30 à 300 Hz et de 2,5 à 25 kHz. Les 3 paramétriques, quant à eux, vont de 50 à 400 Hz pour le bas médium, de 330 à 2500 Hz pour le médium et de 1,8 à 16 kHz pour le haut médium. Tout comme sur la version hardware, la valeur du facteur de qualité est réglable de 0,7 à 5 pour les 3 bandes paramétriques, qui possèdent également un switch de bypass individuel. En revanche, il n’existe qu’un seul bypass commun aux 2 shelfs. Chaque bande a un réglage de gain allant de –12 à + 12, tout comme le potentiomètre de Trim général en amont des 5 bandes. Enfin, un switch de bypass général permet de couper l’action du plug-in. Attention, car, théoriquement, le signal subit malgré tout le même traitement que lorsqu’un signal analogique traverse l’unité hardware lorsque celle-ci est en bypass…
Le 5043 compresseur – à l’origine une unité stéréo – devient donc un plug-in mono. La face avant est par conséquent un peu moins « chargée » que son homologue hardware et possède deux vumètres (un pour le niveau d’entrée et un pour la réduction de gain) qui lui sont totalement dédiés ; exit donc le switch pour afficher ce qui concerne le 1er ou le 2e canal puisque le plug-in ne gère plus qu’un seul canal. Mis à part ce petit détail, on retrouve exactement les mêmes caractéristiques que la version matérielle. Le Threshold tout d’abord, voit sa plage de niveau ajustée en dB Fs puisque celle-ci va de –50 à 0, contre une plage allant de –30 à +20 dB pour le hardware. Le Ratio, qui occupe désormais une nouvelle place dans l’agencement des potentiomètres, offre des taux de compression allant de 1,1:1 à la fonction Limit qui, comme son nom l’indique, dépasse les 12:1… Les réglages d’Attack et de Release offrent quant à eux des plages temporelles allant respectivement de 20 à 75 ms et de 100 ms à 2,5 s. Le Gain de Make-Up reste lui sur ses possibilités d’origine, avec un ajustement de niveau prévu entre –6 et + 20 dB. Enfin, en plus du Bypass général de l’unité, on retrouve le switch FB (pour Feed-Back) qui reprend le comportement de la version matérielle en mode contre-réaction, dont le VCA serait piloté par la sortie du 5043. Cette fonction offre la possibilité d’une compression plus douce, contrairement au mode « normal » Feed-Forward (où la tension pilotant le VCA est issue de l’étage d’entrée du 5043) qui offre quant à lui une compression beaucoup plus marquée et plus « efficace ».
Dans l’effet
Si la tentation de comparer dans le détail la version matérielle avec la version logicielle est grande, j’ai néanmoins préféré rester en dehors du vieux débat sur le bien-fondé de la modélisation analogique. En effet, même avec les meilleurs outils de mesure du monde et les meilleurs développeurs, personne ne peut – il me semble – reproduire le câblage de mon studio, le matériel se trouvant autour de mes périphériques (console, convertisseurs, etc.) et surtout ma mine naïvement béate quand je constate, avec déception, que ledit matériel était resté en bypass alors que je trouvais son rendu sonore incroyable… C’est pourquoi j’ai préféré utiliser et écouter ces deux plug-ins tels quels, sur une session que je connais bien.
J’ai réalisé (en étroite collaboration avec Red Led, que je remercie au passage) une série d’exemples sonores sur différents instruments et voix, d’abord dry, puis avec lesdits traitements, séparés ou combinés, en situation de mix. Chaque traitement possède son réglage qui est répertorié ci-après.
- Batterie – Dry00:48
- Batterie – EQ00:48
- Batterie – Comp00:48
- Batterie – EQ + Comp00:48
- Grosse caisse – Dry00:48
- Grosse caisse – EQ00:48
- Grosse caisse – Comp00:48
- Grosse caisse – EQ + Comp00:48
- Caisse claire – Dry00:48
- Caisse claire – EQ00:48
- Caisse claire – Comp00:48
- Caisse claire – EQ + Comp00:48
- Drums No Comp00:31
- Drums Comp FB00:31
- Drums Comp FF00:31
- Basse – Dry00:48
- Basse – Comp00:48
- Guitare Acoustique – Dry00:48
- Guitare Acoustique – EQ00:48
- Guitare Acoustique – Comp00:48
- Guitare Acoustique – EQ + Comp00:48
- Voix – Dry00:48
- Voix – EQ00:48
- Voix – Comp00:48
- Voix – EQ + Comp00:48
À ma grande surprise, le 5033 m’est apparu comme un EQ hyper musical, très « analogique » dans son approche de l’égalisation. À aucun moment le plug-in ne fait preuve d’agressivité, même dans des réglages quelque peu « extrêmes » (je parle de +10 dB de gain sur une bande de fréquences). Pas de bluff pourtant, l’égalisation est bel et bien là. Mais toujours dans une certaine finesse qui laisse à penser que le respect des phases fut un peu le mot d’ordre du développement de ce plug-in.
Attention toutefois, s’il est vrai que le 5033 reste très propre dans son traitement, il n’en est pas moins un plug-in au caractère chaleureux. Simplement, les différentes bandes de fréquences restent « tenues », notamment dans le bas et le haut du spectre. C’est évident, vu la possibilité des réglages de facteur de qualité, le 5033 n’est pas forcément le meilleur EQ pour effectuer des traitements chirurgicaux, mais c’est un plug-in qui, mis à part son interface graphique, redonne les mêmes sensations qu’un EQ hardware de console… D’ailleurs, à titre personnel, je me serais bien passé de cette courbe graphique des fréquences qui, selon moi, est bien le seul détail nous rappelant que l’on officie dans le monde numérique !
Pour terminer sur cet EQ, il ne manquerait presque qu’un étage de filtres coupe-bas/coupe-haut pour que le 5033 soit parfait. Néanmoins, quand on sait à quel point les développeurs ont tenu à respecter la reproduction du périphérique d’origine, on comprend mieux pourquoi le 5033 fait fi de cet aspect.
Le 5043 reste dans cette lignée sonore et surprend par sa polyvalence. Certes, malgré un mode Feed-Forward poussé dans ses derniers retranchements de limiteur, il est difficile d’en faire un compresseur uniquement créatif, capable de sculpter le son pour lui donner un aspect différent de son signal d’origine. Mais, d’après mes (trop?) rares utilisations de la version matérielle, il me semble que ce n’est pas non plus le but du Portico 5043 et on retrouve une compression propre, qui traite le signal sans « se faire entendre » (si vous voyez ce que je veux dire…), ce qui est plutôt rare pour un plug-in. En somme, pas d’effet de « pompage » indésirable. Comme pour le 5033, la compression reste elle aussi musicale et « raffinée » si j’ose dire.
Que ce soit sur des pistes individuelles, comme des groupes d’instruments (et notamment la batterie), le 5043 est vraiment un bon allié. Cela reste subjectif, mais, pour le hardware comme le soft, j’aurais aimé obtenir une compression un peu plus « virile » dans l’approche du son, mais, après tout, il existe d’autres unités pour cela…
Côté ressources, les plug-ins semblent bien moins gourmands qu’ils n’y paraissent. En effet, sur notre iMac doté d’un processeur Core i5 à 2,7 GHz, même en empilant les instances nous avons du mal à faire décoller la jauge ASIO de Cubase…
Au final, peu m’importe de savoir si oui ou non le plug-in reproduit exactement le comportement du hardware. Ce qui est certain c’est que, d’après mes souvenirs purement subjectifs, ces deux plug-ins de grande qualité lui rendent un vibrant hommage et surtout, permettent de retrouver l’essence même du son Rupert Neve Design Portico : un traitement chaleureux, musical et raffiné. Certes, on est loin du « célèbre son vintage » Neve (mais les Portico le sont aussi!) et ces deux plug-ins ne brillent pas par une originalité déconcertate mais, comme le disent si bien nos amis anglo-saxons : what you see is what you get. En mieux même !
Conclusion
Fort d’une collaboration pour le moins surprenante, Steinberg délivre là un couple de plug-ins particulièrement efficaces. Sans pour autant être des plus innovants, les RND 5033 et 5043 plug-ins brillent par leur caractère musical et leur son particulièrement fidèle à l’esprit Rupert Neve Designs. Seul bémol de l’opération : le prix ! Annoncé au tarif de 799 € TTC (471 € TTC le plug-in tout de même !), le bundle n’est vraiment pas donné et beaucoup d’utilisateurs amateurs du son Portico risquent de passer à côté. Il est vrai que la recherche, le développement et qualité se paient et, dans le cas présent, la qualité est vraiment au rendez-vous. Pour ceux dont les bourses sont limitées, l’investissement mérite d’y réfléchir à deux fois ! Mais pour ceux qui veulent retrouver le son des Portico au sein d’une DAW – dans le cadre d’une utilisation professionnelle ou semi-professionnelle – je ne saurais trop que conseiller ces deux plug-ins qui redonnent un petit goût d’analogique à ce monde numérique bien souvent trop froid.