Qu’on aime ou non son jeu et son groupe, il faut tout de même reconnaitre à Michael Balzary le mérite d’avoir apporté au rock des années 90 le « bass hero » qui lui manquait.
Héritier en cela de Jack Bruce ou de John Entwhistle, il contredit l’image traditionnelle du bassiste de rock effacé jouant tranquillement des fondamentales en croches au fond près du batteur, tandis que le guitariste et le chanteur occupent l’avant de la scène.
Et s’il a un style et une attitude, Flea a également un son, qu’on associe le plus souvent à des basses de type MusicMan, avec un unique gros micro à double bobinage Musicman (ou Lane Poor) et éventuellement un manche graphite Modulus, et c’est sûrement ce type de design que l’on associerait spontanément à l’idée d’une basse « Signature Flea ». Mais dans la période la plus récente de la carrière des Red Hot Chili Peppers, on a également vu souvent Flea utiliser pour les morceaux plus pop une véritable perle rare : une Jazz Bass de 1961, c’est-à-dire la deuxième année de fabrication de ce modèle, et qui plus est dans une couleur extrêmement rare et peut-être unique au monde : la finition Shell Pink.
Ainsi lorsque Fender a annoncé, au début de l’été dernier, la sortie d’un modèle « Signature Flea », ce n’est pas une Fender à la sauce MusicMan qui est sortie des planches à dessin, mais une reproduction fidèle de la perle rare. Et foin du Custom Shop aux reproductions fidèles, mais extrêmement onéreuses, c’est dans la gamme Road Worn, donc le haut du panier des mexicaines, que l’instrument se positionne.
Tout cela mérite bien un test, non ? Let’s funk !
Comment reproduire une puce ?
Eh bien vous prenez un papa puce et une maman puce et… tout cela devient rapidement gore. Je vous propose donc de plutôt parler de la reproduction des instruments à cordes, un processus bien plus paisible.
En l’espèce, la reproduction que nous avons sous la main ne risque pas de nous piquer, il s’agit plutôt d’un modèle assez doux, quoique tout de même mordant. Les caractéristiques sont très fidèles à l’instrument d’origine imaginé par Leo Fender :
- Corps en aulne de forme Jazz Bass, au vernis nitro-cellulosique d’un rose pâle tirant sur le blanc cassé, avec les traces d’usage « Relic » typiques de la série Road Worn
- Manche en érable, vissé avec une plaque signée « Flea » (seule mention de l’aspect « signature » du modèle), avec des dimensions « traditionnelles » c’est-à-dire un diapason de 34 pouces, un profil en C fin, une largeur au sillet de 1,5 pouce, un radius de 7,25 pouces, et 20 frettes plutôt fines
- Coté électronique, les deux micros sont les Fender American Vintage '64 Single-Coil Jazz Bass qu’on croise habituellement plutôt sur les modèles American Vintage 60s et autres Custom Shop, avec comme contrôles les fameux et rares « stacked pots ». Il s’agit d’un binôme volume + tonalité (crantée) pour chaque micro, par opposition à la configuration 2 volumes + une tonalité devenue la norme pour les JB à partir de 1962
- Coté accastillage, un chevalet aux pontets striés et des mécaniques « reverse » (elles tournent dans le sens inverse des mécaniques plus modernes), le tout conforme aux standards de 1961, avec des chromes légèrement vieillis pour aller avec le look « Road Worn », et un pickguard Tortoise lui aussi légèrement terni.
Notons que, fidélité au vintage oblige, l’accès au truss rod se fait à l’ancienne par une vis cruciforme à la base du manche et qu’il faut au moins ôter le pickguard, voire démonter le manche, pour régler la tige. Les joies du rétro…
Breaking the bass
Au déballage, hors de la housse (fournie), l’ensemble donne une impression de douceur et de fluidité absolument onctueuse. On est ici en présence d’une sorte d’archétype de la basse électrique, le grand ancêtre, la Référence. La prise en main est remarquable de confort ! On se sent immédiatement « à la maison », comme si on prenait en main une basse qu’on possède depuis des lustres. À moins que depuis longtemps vous n’ayez joué qu’exclusivement sur des 5 ou 6 cordes au diapason étendu et à l’électronique active ultra-complexe, vous devriez immédiatement ressentir cette impression de familiarité très surprenante, mais pas du tout désagréable.
Sur le plan esthétique, le « Shell Pink » s’avère beaucoup plus proche du blanc cassé que du rose Barbie. Votre intérieur en sera moins funky (vous perdez un point sur le « valériedamidomètre »), mais c’est probablement plus facile à assortir à votre tenue de scène – sauf si vous êtes Bootsy Collins – et sûrement moins lassant sur le long terme.
L’aspect « Road Worn » est bien fait, même si, à titre purement personnel, j’adhère moyennement au concept. Mais ce n’est pas spécifique à ce modèle signature Flea. La fiche technique ne dit pas si les éclats de vernis et autres mises à nu du bois du corps sont reproduits d’après le modèle original de l’artiste (comme le font les luthiers maniaques du Custom Shop Fender) ou bien s’il s’agit des marques d’usure « standards » des Road Worn. Il faudrait pour cela comparer plusieurs séries de photos des divers modèles, ce que j’avoue ne pas avoir fait.
One big bass
À ce stade de la revue, je dois confesser à mes lecteurs un fait honteux : non seulement je ne suis guère fan de Flea, mais je ne sais pas slapper. Pour couronner le tout, mon album préféré des Red Hot est One Hot Minute, celui sans Frusciante parti voir ailleurs si les éléphants roses y sont. Autant dire que je suis plus que disqualifié pour faire la revue d’une basse signature Flea.
Mais pourtant, ne reculant devant aucun défi, je m’y colle. Après tout, Flea n’utilise pas l’originale de cette copie pour ses lignes les plus débridées, mais pour les sons plus classiques ou pour ses lignes dans d’autres projets tels qu’Atom for Peace (qui ne respire pas le funk poisseux).
Et basse en main, on constate très vite que cette basse est tout simplement, mais c’est déjà beaucoup, une excellente Jazz Bass. Cela se traduit par un micro manche qui sait grogner dans les bas médiums (tonalité à fond) ou s’adoucir dans le grave (tonalité coupée), et un micro chevalet dont le coté acidulé peut lui aussi s’adoucir en baissant la tonalité (le son « à la Jaco » n’est pas loin, même si cette basse est frettée). Le mélange des deux est le royaume des sons naturellement creusés dans les médiums, toujours magiques aux doigts.
Dans les trois extraits sonores suivants j’explore ces trois sons de base : micro manche (tonalité à fond, puis baissée à moitié, puis complètement), micro chevalet (avec les mêmes étapes pour la tonalité) et enfin les deux micros ensemble (deux tonalités à fond).
- Test Flea piste 1 00:51
- Test Flea piste 2 00:47
- Test Flea piste 3 00:32
La sensation générale est celle d’une Jazz Bass très dynamique, avec des médiums très présents lorsqu’on isole l’un des micros, et au caractère sonore affirmé. L’ensemble est très cohérent, la basse est à la fois facile à jouer, très résonante à vide, punchy et agréable une fois branchée, c’est une vraie réussite. Cette basse est un instrument addictif, plus on le joue moins on a envie de le lâcher.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une spécificité des basses de cette époque ou du modèle cloné ici, mais j’ai trouvé le son généralement plus incisif que le son « JB classique » qu’on a souvent en tête. C’est pour moi une qualité, mais peut-être que cette basse serait un poil trop présente dans des registres demandant un son plus rond, plus effacé. Quelque chose me dit cependant que cette basse ferait des miracles montée en filets plats, pour combiner l’assise et la rondeur de ce type de cordes avec l’attaque et les médiums naturels de la basse.
La configuration à deux tonalités mérite qu’on passe un peu de temps à l’apprivoiser, car moins instinctive que celle à une seule tonalité qui est plus courante. Mais pour autant, une fois saisi comment équilibrer les sons, c’est au final quasiment plus naturel et surtout plus polyvalent que la configuration JB classique. Deux approches sont d’ailleurs possibles :
- Régler la tonalité de chaque micro selon le degré souhaité, puis explorer la palette des sons traditionnels d’une Jazz Bass en mélangeant les deux micros, mais sans devoir faire un compromis entre mater les aigus du micro chevalet, ou préserver les aigus du micro manche (et réciproquement). Avec cette approche, l’utilisation de la JB à deux tonalités parait plus logique que celle à une seule tonalité.
- Trouver son équilibre entre les deux micros puis utiliser les deux tonalités comme des « filtres », ces deux potentiomètres n’agissant pas sur les mêmes domaines du spectre sonore. Dans ce cadre, on se retrouve à penser quasiment de la même manière qu’avec une basse à l’électronique active, sculptant le son avec une approche sur l’ensemble du spectre, plus ou moins de graves par ci, plus ou moins d’aigus par là …
En revanche, le champ des sons possibles est un peu restreint par l’absence totale de progressivité des potentiomètres, ce qu’on perçoit d’ailleurs dans les extraits sonores plus haut, micro par micro. Est-ce que, là aussi, c’est fidèle au vintage ? En tout cas, les potentiomètres de volume ont la majeure partie de leur efficacité sur la toute première partie de la course (de « tout à fond » à « juste un peu baissé », on perd beaucoup plus que sur l’ensemble du reste de la couse du potard). Pour les potentiomètres de tonalité, c’est l’inverse, il ne se passe pas grand-chose lorsque l’on tourne le potentiomètre quasiment jusqu’aux derniers crans, et la coupure des fréquences aiguës n’intervient que sur les toutes dernières positions du bouton cranté.
Voici dans les extraits suivants, l’illustration de quelques mélanges possibles :
- Dans l’extrait n°4 je joue au médiator, les deux micros à fond, mais en baissant au ¾ la tonalité du micro chevalet
- Dans l’extrait n°5, je joue aux doigts, les deux tonalités sont à fond, ainsi que le micro chevalet, mais je baisse légèrement le micro manche
- Enfin dans l’extrait n°6, les deux micros sont à fond, la tonalité du micro manche baissée légèrement, et je tente pour vous un slap de niveau école maternelle.
- Test Flea piste 4 00:32
- Test Flea piste 5 00:27
- Test Flea piste 6 00:17
À titre personnel j’ai trouvé mes sons favoris en coupant à moitié voire aux 3/4 la tonalité du micro chevalet, mais en laissant complètement ouverte celle du micro manche, puis en dosant l’équilibre entre micros selon les besoins. Aux doigts comme au médiator, c’est absolument addictif.
This Velvet Bass
Avec un tarif neuf de 1 200 euros, la Fender Flea est relativement bon marché pour ce qui est objectivement une très bonne Jazz Bass, qui plus est dans une configuration « stacked pots » pré-1962 qui se fait rare hors du Custom Shop Fender ou hors les répliques provenant de luthiers spécialisés dans le Vintage. On peut aussi considérer que c’est un prix qui place cette basse loin au-dessus des tarifs habituels de la gamme mexicaine, et plus proche des prix d’occasion pour des « vraies » américaines comme l’American Vintage ’64, qui comporte les mêmes micros, mais n’a pas la même électronique.
Ce débat tarifaire n’est pas propre à cette Flea puisqu’il concerne l’ensemble de la gamme Road Worn. Et si certains trouveront toujours ces basses trop chères pour des Mexicaines, d’autres ne s’arrêteront pas à la provenance et prendront ces basses pour ce qu’elles sont : un excellent rapport qualité/prix.
Et le côté « Signature Flea » dans tout ça ? Eh bien il s’oublie complètement dans l’histoire, et quelque chose me dit que c’est plus ou moins volontaire, quand on considère que le nom de Flea n’apparait qu’au dos sur la plaque de manche. Au final, on ne peut pas vraiment considérer cette basse comme un pur instrument Signature. Je la vois plutôt comme une réplique somme toute abordable d’une excellente basse de 1961 qui, par ailleurs, se trouve être la propriété de Flea. Nuance…
Je vous laisse, je retourne la faire grogner avant de devoir la rendre.