Avant que le chien de ma voisine ne fut tout à fait nuisible et moche, c’était un chiot assez cabot, avec ses grands yeux et sa petite truffe noire.
Un jour, sa maîtresse s’est cassé la jambe en tombant de son scooter et comme je suis un chic type, je me suis improvisé promeneur de chien pendant quelques jours. Et là, j’ai découvert un truc formidable : dans le cerveau des gens et tout particulièrement des femmes, tout ce qui est petit est mignon : même avec Brad Pitt au bout d’une laisse, on aurait moins de succès qu’avec un chiot. Alors je me suis dit : tiens, puisque tu n’as pas de cabot et que tu n’en veux pas, ça vaudrait le coup d’essayer avec une mini basse. Car après tout, elle reste la meilleure amie de l’homme que tu es. Et comme depuis quelque temps, on voit une compagnie qui grimpe sur ce créneau, voilà une belle opportunité de tester ce que propose la marque Kala. Je vous propose donc le premier test d’un modèle électro-acoustique fretless qui sera suivi par sa sœur en solid body frettée.
Basse-partout
Pour ce qui est de ses origines, la Ubass est le fruit de l’association de deux compagnies américaines : la compagnie Road Toad Music, qui en proposa le concept et la société Kala Brand Music Co qui se charge de sa production. Les deux marques œuvrent sur le même front, en se concentrant sur le marché du ukulélé à des échelles différentes : Road Toad Music étant un atelier de lutherie (installé en Californie), tandis que Kala produit en série, à l’international (la société est californienne, mais sa production est à la fois américaine et asiatique).
Contrairement à ce que l’on peut penser, le ukulélé n’est pas natif de l’archipel d’Hawaï : il ne descend pas du cocotier, mais débarque bien d’un bateau en 1879. Cette année-là, trois émigrés de Madère mettent pied à terre sur les îles Sandwich (l’Hawaï actuel) pour cultiver la canne à sucre. Ils ont emporté avec eux leurs chansons et leur instrument traditionnels qu’ils appellent cavaquinos (ou braguinha) : ce sont en fait de petites guitares portugaises, équipées de quatre cordes (accordées en RE-SOL-SI-RE). Les trois musiciens exilés sont aussi ébénistes de formation et quand ils ne sont pas aux champs, ils passent le temps à reproduire leur braguinha avec une essence de bois locale, le koa. La braguinha deviendra ukulélé sur cet archipel, mais gardera son nom au Brésil où elle sera aussi adoptée. Intégré à ce nouveau folklore, l’instrument deviendra vite un phénomène populaire. Il se vendra sur tous les continents, pour quelques deniers, durant ses cent trente-cinq printemps. Aujourd’hui, il connait un nouveau succès qui permet à une compagnie comme Kala de vendre plus de 300 000 unités, avec un chiffre d’affaires de plus de quinze millions de dollars, rien que pour l’année dernière. La UBASS est une descendante directe du Ukulélé : son concepteur Owen Jones Keoholaumakani est un luthier d’origine hawaïenne installé en Californie. Il y fabrique artisanalement des instruments traditionnels polynésiens vendus sous sa marque (Road Toad Music) et en 2002, il arrive avec un nouveau concept qui se résume à une basse acoustique au format d’un ukulélé, montée avec des cordes en polyuréthane. L’instrument est prometteur, mais le luthier a besoin de moyens de production supplémentaires. Il rencontre Mike Upton, le fondateur de la société Kala en 2007. Ce dernier, qui est bassiste, est emballé par ce qu’il voit et entend.
Cette association, toujours d’actualité, aboutira aux instruments que je vais tester pour vous.
Lancé de mains
Sa housse est un poil plus grande que celle d’une raquette de tennis : ainsi, tout de nylon vêtue, cette basse a le mérite de se vendre dans un écrin parfaitement prévu pour sa taille. Et suffisamment rembourré pour prévenir des moindres incidents de la route, mais dans le fond, cela reste un softbag et il ne fera pas de miracles en cas d’impact lourd ou d’écrasement. Cela me fait penser que si la Kala avait la bonne idée de proposer des étuis rigides adaptés (façon violon), sa clientèle n’hésiterait pas à investir dans cet accessoire. Un beau geste tout de même, qui évitera à un paquet de monde d’écumer les magasins de musique avec un mètre à la main.
Cette mini-basse a la forme d’une Dreadnought miniature : corps en acajou et table en épicéa pour ce modèle, qui se propose en sept déclinaisons au catalogue de la marque. Celui-ci est de facture chinoise et pour le coup, après l’avoir retourné (assez facilement) dans tous les sens pour le flinguer du regard sous toutes ses coutures, je peux affirmer que le travail d’assemblage et de finition est bien effectué. Toutes les jonctions sont propres, les collages et assemblages sont bien réalisés, tout comme le binding qui accompagne les lignes de l’éclisse. L’usinage du chevalet en palissandre est d’un bel aspect, la touche également, qui ne souffre pas de défauts de visu. Les mécaniques ont tout d’un kit Hipshot Ultralite, sauf l’estampillage. Je soulève ce point avec un léger le sourire machiavélique, je développerai la chose dans le test suivant et laisse de ce fait un certain suspense opérer…
Le seul bémol que j’ai envie de vous jouer, concernant la réalisation de cette basse, décrira la teinte de l’arrière de la tête de manche, dont les deux tiers sont plus clairs que le reste de la pièce (voir photo). Ça ressemble presque à une vilaine trace de bronzage et il semble que cette délimitation suive le sandwich de la tête de manche, qui comprend un filet supplémentaire, probablement une couche d’épicéa ou d’érable. J’ai vérifié sur plusieurs modèles, sur le net et en magasin et ça n’est pas un cas isolé. Le manche est bien pourvu d’un truss rod, accessible par la rosace. Chose à la fois originale et pratique, l’arrière du corps comprend une trappe aimantée, pour accéder facilement aux connexions du jack (qui fait aussi attache-courroie) et à celles du chevalet. L’idée est vraiment bienvenue. Il est juste dommage que l’un des deux aimants qui équipent la plaque ait été mal collé sur ce modèle-ci, empêchant cette dernière de bien s’ajuster sur le corps. Cela crée un petit décrochage qui se sent vraiment sous les doigts. On dit merci quand même, en espérant que ce second et dernier défaut ne soit pas une série.
La taille compte
La Ubass mesure 75 centimètres de long pour 26 de large. Son sillet affiche 4,6 centimètres de long et la largeur de la touche à la douzième case atteint les 5,6. J’ai aussi mesuré l’intervalle entre les cordes et pour vous en donner un aperçu, je vous laisse ce petit tableau :
Sillet |
XIIe case |
Chevalet |
8 mm |
12 mm |
18 mm |
On obtient un instrument dont le diapason ne dépasse pas les 21 pouces, soit 53 centimètres et qui descendra aussi bas qu’une classique quatre cordes. Pour ce qui est du poids, ma balance de cuisine affiche 1120 grammes, un chiffre qui reste proportionnel à la taille plus que réduite de la UBASS.
Cette petite électro-acoustique est vendue avec un seul attache-courroie, prévoyant par déduction que l’autre partie de votre sangle viendra s’attacher derrière le sillet, autour de la tête de manche.
À voir s’il est possible d’utiliser une sangle de guitare classique (attachée par la rosace), ce qui m’apparait comme le moyen le plus pratique de jouer de la UBASS debout, pour qui n’aurait pas les proportions d’un cow-boy nain.
Préampli assorti
Cette basse est équipée d’un kit Shadow SHNFX EQ-T, conçu spécialement pour les ukulélés. Il comprend un préampli qui fait accordeur (et cela n’est vraiment pas un luxe, voir plus bas…), proposant un volume et une tonalité. Le capteur, baptisé Nanoflex par la marque, a la particularité de prendre en compte l’ensemble des vibrations de l’instrument et pas seulement celles du chevalet.
Démonstration sonore à l’appui, vous pouvez y entendre une série de coups donnés sur la UBASS branchée avec le gain du préampli à fond : cinq coups sur la table d’harmonie par endroits différents, puis quatre sur l’éclisse, trois sur le chevalet, deux sur son sillet. Je finis par toucher un peu les cordes pour que vous puissiez entendre l’effet produit et termine ce formidable témoignage auditif en parlant devant le chevalet. Pour le détail, les prises ne se font qu’avec la sortie préamp pour ce test. Ce dernier est alimenté par deux piles de 3 V, format assez inhabituel, mais rendu bien commode par ses proportions.
Si la volonté, fort louable, de la compagnie Shadow à concevoir un tel micro vise à sortir le piezo de ses retranchements, en se servant des vibrations de tout l’instrument pour apporter une dimension plus « acoustique » de son amplification, l’utilisateur devra adapter son jeu une fois branché.
Car tout s’entend dès que l’on pousse le gain de cette basse : votre bras sur l’éclisse, le moindre frottement sur les cordes (les vibratos sont du coup moins aisés) ou un choc sur la table, même léger.
Chewiiiiiiiing
C’est bien la sensation du polyuréthane, quand on s’en sert pour faire des cordes. On en use aussi pour faire toute sorte de matériaux : de la mousse pour l’isolation, des durites, du revêtement pour les gants de jardin et même, pour les prothèses mammaires. C’est pratique et ça rime avec élastique, du coup on peut tendre ses cordes sur un petit diapason, suffisamment pour qu’elles envoient du bas sans plier le manche. Mais sous les doigts, comment vous dire… Il faut s’y faire ! Les diamètres sont sensiblement les mêmes, mais c’est souple et mou, comme du caoutchouc !
Le premier ennemi qui guettera votre main gauche reste le bending, souvent intempestif, provoqué par la nature très souple de la corde : vous jouez la note et sans vous en rendre compte, par excès de pression du doigt (il suffit d’appuyer normalement pour en faire trop), vous êtes faux.
Second phénomène désagréable dû à cette matière : elle a tendance à accrocher sous les doigts de la main gauche, tant et si bien qu’elle peut se torsader si on appuie trop fort, pour repartir comme un ressort. Et le dernier, parce que j’en ai un peu bavé et que je me venge en insistant bien : on passe son temps à rouler des mécaniques sur la UBASS ! Et au sens propre, puisque les cordes élastomères demandent à être accordées régulièrement. Et quand j’écris ça, ma plume reste modéré ! En fait, depuis que j’ai ces deux basses à la maison, je passe mon temps à les accorder et comme il faut dix tours de mécanique au lieu d’un pour arriver à la bonne tension, cette cérémonie réglée en heures canoniales finit par devenir réellement laborieuse. Tant que l’on joue, cela va encore, mais une fois que l’instrument est posé pour quelques dizaines de minutes, il faut se résoudre à l’accorder de nouveau. Il y a tout de même un dénouement positif à noter : il y a une semaine j’avais au moins un ton à embobiner et depuis peu, l’instrument ne descend que d’un demi-ton. Il est donc possible que ces cordes puissent se détendre et se stabiliser. Constatant cela, il est vraiment appréciable de pouvoir profiter d’un accordeur intégré, qui n’a vraiment rien d’un luxe !
Ya Kala faire sonner !
Le titre est vendeur, mais ce qui va suivre l’est moins ! Et la faute est, je pense, au piètre ukuléliste que je suis. J’ai beau jouer fretless depuis plus de dix ans, j’ai bien eu du mal à rester juste sur un tel manche et il fut aussi dur d’éviter certains parasites causés par ma main gauche ou mon bras droit.
Vous risquez, par exemple, d’entendre comme le clapotis d’une vague ou un son de friction : pas la peine de vérifier vos connexions ou d’accuser votre casque, ça vient bien de mes prises ! Pour ma défense, je n’ai que deux semaines de pratique et pour me consoler, on pourra dire que ces extraits vous présentent aussi les choses à éviter : vibratos trop amples, pression excessive de la corde sur la touche et surtout les frottements sur le polyuréthane. Je vous soumets trois pistes, prises avec la UBASS branchée directement dans mon UR22. pour chacun des extraits, j’ai ajouté une version avec un compresseur. Je n’ai pas l’habitude de le faire, mais comme j’ai constaté qu’il y avait une différence de volume entre les cordes (le LA et le RE sonnent légèrement moins fort que le MI et le SOL), je tenais à vous faire entendre la différence une fois que le signal est compensé.
- 1 Tone 2 No comp 01:18
- 2 Tone 2 + compression 01:18
- 3 Tone 4 No comp 00:36
- 4 Tone 4 + compression 00:36
- 5 Tone 8 No comp 01:03
- 6 Tone 8 + compression 01:03
Parenthèse acoustique
Non content de ne pouvoir vous faire jouir d’un enregistrement acoustique, faute de micro correct pour le faire, je peux vous raconter mon expérience personnelle lors d’un bœuf improvisé chez un ancien voisin, qui est vraiment tombé de scooter et se retrouve en convalescence avec son banjo et sa Martin pendant un mois. Je dédicace d’ailleurs cet article à son genou droit !
Parce qu’une UBASS peut s’emporter n’importe où, pour jouer avec qui on veut et dès que l’on peut. C’est ce que je me disais en tout cas en partant de chez moi avec ma petite housse dans le dos : je vous épargne le chapitre du gars un poil décontenancé, qui est bassiste depuis vingt ans et qui se retrouve complètement paumé devant un tel instrument (je l’avais reçue depuis peu et il faut vraiment s’y faire). Je tiens juste à affirmer qu’il est possible de jouer avec un guitariste (mon ami est équipé d’une Martin 000–15 en acajou), si ce dernier n’est pas trop énervé et que votre cerveau peut combler certains manques. Car les fréquences les plus basses et notamment la corde de MI, peuvent avoir des carences en volume. Avec un guitariste modéré dans son jeu, la possibilité de l’accompagner non branché est donc envisageable, sans forcément être tout à fait confortable.
Adopte une naine ?
Parfaitement attachante pour les grands enfants que nous sommes, la UBASS est un instrument vraiment sympa à avoir sous la main : avec des proportions et un poids qui la rendent toujours disponible et facile à balader (avec ou sans laisse…). Pas forcément facile à maîtriser et encore moins pour quelqu’un qui aurait ses habitudes, elle constituera un achat pratique pour qui veut s’y habituer et s’amuser avec. Pour ma part, j’aurai du mal à en faire un usage plus sérieux : sur scène comme en studio, je serai toujours plus enclin à me servir de mes standards à grand diapason.
Mais je sais que cette mini-basse en a déjà convaincu plus d’un. À voir si l’accessoire est à la hauteur du prix. Il frôle tout même les 480 € (un modèle tout acajou s’offre à 390 €), un budget qui reste au-dessus de ce que propose Höfner ou Greg Bennet en petit diapason, mais qui correspond à la concurrence acoustique, notamment chez Ortega avec la série Lizard. Je vous dis à très bientôt, ne ratez pas le test suivant qui vous contera fleurette sur l’autre UBASS, toute aussi naine, mais tout à fait pleine et parée de quelques frettes sur le manche.