Les questions de phase sont un des points majeurs de l'audio et souvent source de problèmes. La plupart des consoles et des logiciels audionumériques sont munis d'un inverseur de phase, outil nécessaire, mais insuffisant. C’est pour cela que Little Labs propose un boitier de direct permettant une rotation complète de la phase que nous testons aujourd'hui...
Little Labs a été fondée par Jonathan Little en 1988. Ce dernier était technicien de maintenance studio à Los Angeles en 1979 et il est ensuite devenu directeur technique de plusieurs gros studios de LA. C’est au contact des grands ingénieurs du son avec lesquels il y a travaillé qu’il a développé la plupart de ses produits. Il est aujourd’hui « Eletron Direktor » des studios Chalice à Hollywood qui comptent dans leur clientèle quelques-uns (et quelques-unes) des plus gros vendeurs de disques de la planète. L’idée fondatrice de Little Labs est de fournir des produits couvrant des domaines inexplorés par les produits existants sur le marché. C’est le cas de cette DI à phase variable dont il n’existe à ma connaissance aucun produit similaire.
La phase
Puisque le produit que nous étudions aujourd’hui concerne essentiellement les questions de phase, il est bon d’en dire quelques mots. Les connaisseurs peuvent sauter ce chapitre. Comme j’ai récemment évoqué la phase dans l’article sur le casque ATH-ANC7 à réduction de bruit d’AudioTechnica, je vous invite à lire le passage concerné avant que nous ne poursuivions. Ça y est ? Vous avez une idée de ce qu’est la phase ? Lorsqu’on prend une source avec deux micros, on risque fortement des déphasages (ou opposition de phase partielle). Ceci a pour conséquence l’atténuation, voire la disparition de certaines fréquences, pouvant faire perdre de la substance au son, voire donner comme des trous proches de la sensation d’oreilles bouchées.
Pour éviter ceci, il faut jouer sur la distance entre le micro et la source. En effet, la phase est un rapport des signaux au temps et la distance micro-source représente un temps multiplié par la vitesse du son. Or, devoir mouvoir le ou les micros présente pas mal d’inconvénients d’un point de vue ergonomique. Si ce n’est pas très difficile sur un enregistrement d’ampli, l’encombrement, le manque de place et la multiplicité des micros ne rendent pas les choses simples sur une batterie. Le second point est que le placement de micro n’est pas déterminé uniquement par la prise optimale du son, mais par un compromis entre celle-ci et la mise en phase avec les autres micros. Ce sont tous ces soucis que l’IPB propose de résoudre.
Tour d’horizon
L’objet fait 1U de hauteur et un ¼ U de largeur, ce qui permet au constructeur de proposer des versions en rack avec deux, trois ou quatre unités. L’IPB est livrée dans une valise solide en plastique rappelant celle contenant des outils électroportatifs, et notamment les disqueuses. Du solide, donc. Dedans, on trouve la boîte de direct, son alimentation (conséquente) et la documentation, plus un document sur les autres produits Little Labs. Le tout est solidement calé par des mousses. Par contre, malgré la taille conséquente de la boîte, la place pour mettre ses propres câbles promise dans la documentation commerciale est réduite. Tout au plus pourra-t-on mettre un ou deux adaptateurs. Enfin, c’est propre, fonctionnel et on voit difficilement comment le contenu pourrait être abîmé dans un tel contenant, même en utilisation en tournée. La documentation, en anglais, est assez claire. Elle est succincte, mais largement suffisante : utiliser l’IPB n’est vraiment pas sorcier.
La bête fait un bon poids, ce qui augure d’une bonne qualité de fabrication. Elle dispose de quatre pieds en caoutchouc qui, associés à son poids, la maintiennent parfaitement en place. Posée sur une table, elle peut supporter sans problème le poids d’un bon jack branché dessus sans qu’elle ne risque de glisser (évidemment si on ne tire pas franchement dessus). La finition est impeccable. La sérigraphie est claire et lisible si ce n’est ce placement idiot sous les boutons-poussoirs et non au-dessus. L’IPB est destinée à être posée sur une table ou au sol et même en rack, il y a peu de chances pour qu’elle se trouve au-dessus du regard de l’utilisateur. Moralité, les boutons cachent en partie leur sérigraphie, obligeant à se baisser pour la lire. Un peu bête alors qu’il y avait la place sur le dessus.
Les boutons-poussoirs eux-mêmes ont une course longue ce qui évite toute fausse manoeuvre. Ils sont peu espacés et assez fermes, ce qui ne rend pas leur usage des plus agréables. Rien de bien méchant, mais peut mieux faire comme disaient tous mes profs. Leur positionnement aligné est également critiquable. Puisqu’il y avait de la place en façade, pourquoi ne pas les avoir disposés sur deux rangées ? Ou on aurait pu en profiter pour rajouter des leds. Car l’IPB n’en comporte qu’une seule qui indique si on est en mode ligne ou en mode instrument. Il aurait été intéressant d’en avoir au moins une autre pour le bypass de l’alignement de phases.
Et puisqu’on parle de la face avant, faisons-en le tour. De gauche à droite, nous avons :
- une prise jack femelle de toute évidence de très bonne qualité pour l’entrée instrument
- le bouton de sélection instrument/ligne surmonté de sa diode
- un bouton earth lift
- le bouton de bypass de l’ajustement de phase
- un bouton d’inversion de phase
- un bouton permettant de choisir entre une rotation de phase sur 90 ou 180°
- un bouton concernant la hauteur des fréquences ajustées (basses ou hautes)
- le rotatif d’ajustement de la phase
Comment ça marche ?
Pourquoi un bouton réglant la hauteur de fréquence d’action ? Voyons comment l’IPB travaille. Celle-ci ne traite pas la totalité du signal. Elle est en effet basée sur des filtres. Un article complet inclus dans la documentation explique d’ailleurs le principe du contrôle de phase avec des filtres. Je n’y ai rien compris. Ce qui me rassure, c’est que d’autres gens normalement assez calés en ingénierie sonore n’y ont rien compris non plus ! Bref, l’IPB travaille à partir de filtres et donc sur une partie du signal. Le bouton de hauteur permet de choisir si le point central du filtre est placé dans le bas du spectre ou plus haut selon le type de sources que l’on traite.
Le potentiomètre au rotatif d’ajustement de phase qui agit sur 90° ou 180° selon le réglage est précis et agréable à manipuler. Il dispose d’un point dur central assez léger pour ne pas gêner la manoeuvre tout en étant assez sensible pour le retrouver sans problème.
La face arrièreOn trouve dans l’ordre :
- la prise d’alimentation, une classique prise mâle 4 broches avec vissage recevant l’alimentation externe 48 V
- l’entrée XLR femelle line in
- la prise XLR mâle line out
- la sortie jack femelle instrument re-amper out
- la sortie jack femelle buffered instrument out
À ceci s’ajoutent un réglage de gain de l’entrée instrument et un réglage de volume de sortie re-amper. Ceux-ci se font par petites vis profondément incrustées dans la carcasse. Pour les régler, il faut employer un tournevis de précision. On peut supposer qu’il y aura rarement à y toucher. En tout cas, on ne risque pas de les dérégler par mégarde !
DI ou effet ?
L’entrée niveau ligne permet plusieurs choses. La IPB est une DI, mais elle peut aussi s’utiliser comme un effet en insert. Ce qui permet de l’utiliser sur n’importe quelle source et pas seulement sur un instrument. On peut aussi bien s’en servir sur une tranche de micro que sur une sortie de sa station audionumérique pour réaligner la phase d’une piste après traitements (lesquels modifient généralement la phase).La seconde utilisation est la technique du re-amp en utilisant l’entrée ligne et la sortie re-amper. Cette technique classique consiste à ressortir un signal d’un enregistreur pour l’envoyer dans un ampli par l’intermédiaire d’une DI qui réadapte le signal de niveau ligne à un signal de niveau instrument. Ce que permet l’IPB, et ceci avec ou sans réglage de la phase.
Ainsi, si une piste d’enregistrement de guitare ou de basse prise au micro devant l’ampli ou post ligne d’effet n’a pas un son totalement satisfaisant, on pourra utiliser la piste avec le son brut de l’instrument enregistré avec la DI pour la repasser dans l’ampli et/ou la ligne d’effets avec de nouveaux réglages ou encore dans un autre ampli. Et ceci, sans devoir demander au musicien de refaire la prise. Une technique bien pratique qui permet également l’empilement de prises quand on cherche le fameux « gros son ».Que la IPB sorte en niveau ligne constitue un excellent avantage : pas besoin de passer par un préampli micro. Il suffit d’entrer dans une tranche ligne de la console ou mieux encore, directement sur une entrée de la carte son. Bien pratique pour ceux possédant une interface qui n’a pas d’entrée instrument ou de préampli. Et pour ceux qui en disposent, on économise une de ces entrées pour d’autres sources. Le son délivré par la IPB est impeccable, il se montre plutôt neutre et semble faire ressortir le son brut de l’instrument tout en respirant l’analogique de bonne qualité.
La sortie buffered out permet de ressortir l’instrument branché sur la DI dans une boucle d’effets ou d’attaquer directement l’ampli. Rappelons qu’une sortie « bufferisée » permet d’éviter les pertes de signal liées aux longs câbles et à la multiplicité des connexions dans le cas d’un rig d’effets assez conséquent, sans compter les pertes éventuelles générées par les pédales non munies de true-bypass. En toute logique, la sortie buffered out n’est pas affectée par le traitement de phase. Notez qu’on peut utiliser simultanément la sortie buffered out et la sortie re-amper, ce qui permet de splitter le signal entre deux amplis ou chaînes d’effets avec un ajustement de phase.
Comme on peut le constater, la IPB est vraiment une DI très fonctionnelle et un produit très bien pensé permettant de nombreuses utilisations et couvrant de larges situations.
Le travail sur la phase
Trois tests sonores ont été réalisés :
- enregistrement d’une basse par la DI plus micro devant l’ampli
- enregistrement d’une guitare dans la même configuration
- utilisation de l’IPB en insert sur un micro enregistrant la grosse caisse d’une batterie avec recalage de la phase par rapport aux overheads.
Dans les trois cas, l’IPB s’est montrée performante et son utilisation pertinente. On arrive à réellement structurer le son comme on le souhaite, surtout sur la basse et la batterie. On peut ainsi donner la priorité au grave ou avoir de la présence et du claquant. Il en est de même sur la guitare, mais sur une prise unique (deux pistes), les différences sont un peu plus subtiles, même si elles sont bien là. Et on sent immédiatement à quel point l’aide de l’IPB peut être cruciale en cas d’empilement de pistes pour rechercher un gros son.
On peut éventuellement se dire qu’on obtiendrait la même chose à l’égaliseur. Pas évident du tout. D’abord, l’égaliseur est un effet qui génère pas mal de détimbrage du son original (une modification de la structure du son). Ensuite, il a fortement tendance à faire bouger la phase. Ce qui rend le travail d’égalisation de plusieurs pistes pas si évident pour obtenir un résultat similaire à ce qu’on obtient avec l’IPB. En effet, il peut y avoir des risques de transformation du son alors qu’avec l’IPB, c’est directement le son original qu’on ajuste. Et on évite ou limite les post-traitements facteurs de dégradation du son.
Sans compter qu’au niveau ergonomie et facilité, il n’y a pas photo. Sur l’IPB, il suffit de tourner un bouton (celui d’alignement de phase) jusqu’au son désiré. On peut essayer entre une rotation sur 90 et 180°, avec une position centrale du filtre plus ou moins basse, mais dans tous les cas, le réglage est extrêmement rapide avec en plus, la sensation que le son « ne bouge pas » et reste bien le son de l’instrument là où un égaliseur donne rapidement la sensation d’avoir modifié la source. Cette nuance, cette sensation est difficile à retranscrire, mais vous la sentirez peut-être à l’écoute des extraits audio.
Le travail sur la phase, suite
Le craquements audibles sur les extraits de basse surviennent quand on change un bouton de réglage lorsque la DI est froide.
Par contre, pour une bonne utilisation quand on veut enregistrer DI plus micro, il est largement préférable de disposer d’une cabine séparée de la control room. En effet, il est très difficile d’ajuster correctement le réglage de la rotation de phase si la source (ampli ou batterie) est dans la même pièce. Même avec un casque, la source vient se mélanger au signal monitoré et rend l’écoute du bon réglage délicate, voire impossible. Pour les home-studistes qui n’ont pas de cabine et travaillant seuls, il faudra probablement en passer par de multiples enregistrements avec différents réglages pour choisir le bon, ou encore utiliser l’IPB comme effet sur sa piste préalablement enregistrée. Cette « faiblesse » n’est pas due au produit, mais une des limites que subissent les home-studistes travaillant dans une unique pièce.
Notons cependant qu’on retrouve le même problème quand il s’agit de placer correctement un micro. Or, l’IPB change fortement l’approche du placement de micro, que ce soit en enregistrement DI plus micro ou en configuration deux micros. Habituellement, le positionnement du micro est un compromis entre la bonne captation de la source et le bon accord de phase entre les pistes. Avec un outil d’alignement de phases comme l’IPB, plus besoin de se préoccuper de la phase. On ne s’occupe plus que de placer son micro de façon optimale pour la meilleure captation, puis il suffit de jouer sur le bouton de réglage sur l’IPB pour mettre celle-ci en phase avec l’autre (ou les autres) piste. Un régal d’ergonomie ! Surtout sur les batteries où l’on sait que l’encombrement rend fastidieux le placement et le déplacement des micros.
Ainsi, que ce soit en configuration de studio ou de home-studio en pièce unique, l’IPB apporte un énorme confort de travail.
Voici les exemples audio réalisés à l’aide de la bête avec, en premier lieu, la batterie :
Pour la basse :
Pour la guitare :
-
Mélange micro + IBP, Q sur high avec rotation complète de la phase
Conclusion
Nous avons avec l’IPB un produit bien pensé, construit avec soin et respirant la qualité. Il propose de nombreux usages et apporte une excellente réponse aux problèmes de phase tout en simplifiant le travail de prise de son. Que rêver de mieux ? Peut-être qu’elle soit un peu moins chère ! Car à 520 €, elle n’est pas à la portée de toutes les bourses. Mais c’est sûrement le prix de la qualité… L’IPB semble donc un investissement précieux, si ce n’est obligatoire, pour tout studio décent ou pour tout musicien amateur d’empilement de prises et en quête du gros son. En fait, on se dit que toute personne ayant investi pas mal d’argent dans son équipement pour avoir un super son devrait avoir une IPB. Bien plus qu’une cerise sur le gâteau, elle peut constituer un ingrédient essentiel. Et si vous n’avez pas l’usage des fonctions DI, vous pourrez vous tourner vers l’IPB Junior, son petit frère qui ne s’occupe que de l’alignement de phases et qui est proposé à 200 € de moins.Remerciements
Un grand merci aux personnes qui ont gracieusement accepté de contribuer à ce test :
Guitare : Guillaume Kerrien du groupe Mewlane
Basse : Seb Picard du groupe Jokebox (Myspace)
Batterie : Fanch Le Cornec du groupe Shadyon (myspace) aux Studios MAPL Lorient
Ingé son studio : David Le Cloirec, ingé son de séance : Gwen Kerjan