Remise au goût du jour dans la variété par Thomas Dutronc et San Severino, la guitare manouche était bien peu représentée dans le monde du virtuel... jusqu'à ce que les grecs d'Impact Soundworks s'en mêlent.
Si les guitares acoustiques virtuelles ne manquent pas sur le marché, grâce notamment à Ilya Efimov, Orange Tree Samples, Ample Sound, Vir2 ou Acousticsamples, force est de constater que l’optique retenue pour leur réalisation est toujours la même : proposer un instrument relativement polyvalent pour les genres Rock, Pop, Folk, Country voire Classique/Musique latine quand il s’agit d’une guitare à cordes en nylon. La démarche se comprend, mais elle a ses limites, les instruments proposés étant rarement à l’aise dans des genres plus spécifiques comme le Flamenco, la slide guitar ou… la musique manouche. Les techniques et intentions de jeu propres à ces styles sont en effet très rarement accessibles dans les instruments, de sorte que le seul moyen d’aborder ces genres en virtuel consiste à utiliser de bonnes vieilles boucles ou des instruments basés sur des boucles.
Dans le domaine de la guitare manouche qui nous occupe, on pouvait ainsi recourir à Gypsy Jazzy d’UVI ou encore à Swing! de ProjectSAM, toutes deux proposant des patches de guitares basés sur des boucles et de quoi bricoler quelques petits solos. Reste que rien n’existait en dehors de cela et qu’à défaut d’être intégralement consacrées à la seule guitare manouche, ces solutions s’avéraient lacunaires. Jusqu’à ce qu’Impact Soundworks s’en mêle.
Auteur d’excellentes guitares électriques, qu’elles soient orientées Métal (la famille Shreddage) ou Jazz/Blues (Archtop), mais aussi de quelques cordes pincées plus exotiques (un Oud, un Bouzouki), l’éditeur s’est taillé une belle réputation en privilégiant toujours un excellent rapport entre le réalisme du son et la simplicité des programmations nécessaires à son obtention. De fait, les guitares d’Impact Soundworks ne sont peut-être pas les plus exhaustives du marché, mais comparées aux usines à gaz d’un Vir2, elles ne nécessitent pas des heures de programmation pour sonner bien, ce qui les rend nettement plus pertinentes au quotidien.
Inutile de dire, donc, que l’arrivée de Django, une guitare façon Selmer pour jouer de la musique manouche, n’est pas passée inaperçue, d’autant que l’éditeur s’est fendu comme à son habitude de démos impressionnantes de réalisme. Bref, nous avions toutes les raisons d’aller voir ce que cette nouvelle guitare a dans la rosace.
3 instruments pour 8 doigts
Occupant 4,5 GB sur le disque dur pour un total de 20 800 samples, Django est une librairie pour la version complète de Kontakt (et non Kontakt Player donc : vous ne pourrez l’utiliser si vous ne possédez pas la version complète du sampler de Native Instruments) qui s’organise en trois instruments distincts, réalisés à partir de la même guitare : une D-Hole réalisée par le luthier grec Adonis Goulielmos et sur laquelle on a monté un micro simple bobinage Kleio 51 de la marque Gabojo.
On dispose ainsi dans Kontakt de trois instruments distincts : Lead (guitare samplée note à note et reprise par des micros), Lead DI (guitare samplée note à note et reprise au moyen du Gabojo via une DI) et enfin Rhythm (guitare samplée en pompe manouche et reprise par des micros). Même si on ne l’attendait pas de prime abord, on est ravi de voir qu’Impact Soundworks a inclus une version électrifiée de l’instrument qui rend Django plus polyvalent qu’on l’aurait imaginé, grâce entre autres à une sympathique section d’effets sur laquelle nous reviendrons.
Occupons-nous pour l’heure de détailler les instruments lead qui présentent chacun la même interface.
Swing majeur
L’interface principale est assez épurée. En vis-à-vis de la représentation de la guitare, quatre potards nous sont proposés : ‘Picking’ définit le sens du coup de médiator (ascendant, descendant ou en alternance des deux), ‘Neck position’ précise la position de la main qui frette les notes sur le manche (Low soit les 5 premières cases, Middle ou High, au-delà de la dixième frette), ‘Release’ permet de choisir la façon dont les doigts qui frettent quitte les cordes (Normal, mouvement ascendant ou descendant) et enfin Articulation qui nous permet de détailler les différentes techniques de jeu retenues par Impact Soundworks et dont les noms sont parlants.
Voici l’articulation Picked :
Puis Hammeron/Pulloff, qui se limite hélas à des notes écartées au mieux de deux demi-tons :
Glissando qui ne fonctionne hélas que dans le sens du grave vers l’aigu et dans la limite d’un ton :
Bend, qui n’exclut en rien l’usage du Pitchbend MIDI traditionnel sur toutes articulations, vu qu’il se limite à des bends relativement sages :
Harmonic qui, comme on l’entend, nécessiterait quelques petits réglages au niveau des vélocités :
Et Octave qui ajoute une note à l’octave inférieure en mutant les autres cordes, selon une technique très employée dans le jazz manouche, mais aussi dans le jazz tout court vu qu’elle est assez caractéristique du style de Charlie Christian.
On le voit à ce stade, la présence d’une articulation ‘Octave’ ou les différents modes de relâchement proposés sont typiques du genre, ce qui fera toute la différence à l’arrivée.
Mais c’est encore dans les paramètres mêmes du son que l’on trouve ce qui permet à Django de sonner si différemment des autres guitares virtuelles. En pressant une petite icône en forme d’engrenage, on accède ainsi à des réglages supplémentaires :
‘Offset’ définit le début du sample, ce qui permettra de mettre en valeur le son qui se produit avant la note, pour plus de réalisme, ou au contraire de raboter ce dernier pour obtenir un instrument plus jouable en temps réel. On aura tout intérêt à jouer avec cette valeur à zéro au moment de la saisie, pour la remonter au maximum de –40ms au moment du mixage, quitte à devoir décaler la piste en fonction dans le séquenceur.
‘Shred’, de son côté, joue sur la longueur de la note, histoire que les attaques soient cohérentes avec la vitesse du jeu. ‘Release Volume’ joue sans surprise sur le niveau des sons qu’on entend lorsque les doigts quittent les cordes, tandis que trois potards permettent de paramétrer les bruits si caractéristiques de la guitare manouche : ‘Noise volume’, ‘Noise Occurence’ et surtout ’Dirty Occurence’ qui permet de simuler des notes mal frettées et qui font ‘chtonk’ ou 'dzouing’ au lieu de résonner, ce qui n’est pas rare lorsqu’on descend ou remonte le manche à grande vitesse en ayant une grosse attaque côté Médiator.
Histoire de voir l’effet produit par l’ensemble de ces paramètres, voici un passage joué avec tout à zéro, puis tout à fond :
- Nuage straight 00:13
- Nuage dirty 00:13
Cette section s’achève avec un dernier paramètre lié à l’éventuelle synchronisation de l’instrument au tempo de séquenceur hôte pour obtenir plus facilement quelque chose de réaliste tout en restant suffisamment carré.
Évidemment, tous ces réglages sont à mettre en relation avec l’effort de sampling fait par l’éditeur : on dispose ainsi de 4 couches de vélocité avec un saut très distinct entre les vélocités faibles et moyennes.
On en profitera d’ailleurs pour noter la très efficace alternance de samples (round robin) pouvant utiliser jusqu’à 4 échantillons différents par note pour éviter l’effet mitraillette.
Coup de pompe
L’instrument Rhythm est quant à lui très différent puisqu’il est entièrement dédié à la fameuse pompe manouche, si caractéristique du genre. Précisons le, Django Rhythm n’est disponible qu’en acoustique, ce qui est parfaitement compréhensible. Deux modes de contrôle sont proposés pour ce qui est du frettage : soit vous définissez la fondamentale de l’accord et sa nature (et ça marche), soit vous jouez directement les accords sur votre clavier qui seront alors reconnus par le logiciel (et je ne suis pas parvenu à le faire fonctionner…).
Pour ce qui est des motifs rythmiques proprement dits, vous pourrez soit les jouer en temps réel sur le clavier en alternant les différents coups de médiators et les étouffements de cordes, soit passer par un séquenceur à 16 pas pour bricoler des patterns que vous pourrez ensuite assigner à des touches. Assorti d’un mode swing fort à propos, ce dernier permet d’obtenir simplement des pompes crédibles, comme en témoigne cet extrait :
Avec la possibilité de doubler la guitare d’un clic avec contrôle du panoramique possible :
Pas mal, non ? D’autant que l’instrument est parfaitement complété par la version Lead qui permettra, au prix d’un peu de programmation, d’enrichir les accords pour aller choper des choses plus exotiques.
Finissons en évoquant un pan commun aux trois instruments : la section d’effets…
Roulotte d’effets
Dans le sillage des différents réglages des guitares nous est ainsi proposée, dans un onglet, une très sympathique section d’effets façon lunchbox comprenant dans l’ordre un étage de préamplification pour arbitrer le mix entre le micro de proximité et les deux micros Room, un filtre de type Notch pour mettre en valeur simplement une partie du spectre, un EQ paramétrique 4 bandes, un processeur de transitoires, un compresseur et enfin un limiteur. Voyez qu’il y a de quoi faire, sachant que sur la version DI de l’instrument, la tranche préamp et le filtre Notch sont remplacés par un simulateur d’ampli/HP incorporant une réverb à ressort. Tout cela est très bien vu et permet vraiment de personnaliser le son de la guitare comme on le désire, en sachant que chaque élément est débrayable et que rien ne vous empêche de récupérer un son ‘dry’ pour faire ensuite votre tambouille avec vos plug-ins préférés dans votre STAN.
Toutefois, quitte à parler de son dry, autant le préciser : Django n’est jamais complètement dépourvu d’ambiance. Même en poussant le micro direct à fond et en coupant les micros room, on garde de la pièce. Ce n’est pas du tout désagréable et concourt au caractère de l’instrument, mais il vaut mieux le savoir car dès qu’on joue du compresseur, que ce soit en utilisant celui de Django ou un plug-in externe, on sent cette dernière remonter avec du souffle à mesure que la note décline.
Django n’est donc pas parfait, mais concernant ces détails audio, c’est tout ce qui fait son charme. D’autres aspects sont en revanche moins charmants et même s’il n’y a rien de rédhiboire à reprocher à l’ensemble, il est temps de les aborder.
Presque parfait
À n’en pas douter, l’instrument est une réussite, d’autant qu’il n’a pas trop de concurrence, mais il y a, çà et là, quelques petits défauts ou manques regrettables : sur les Leads, on regrettera que les hammers et glissandos soient cantonnés à 1 ton, par exemple, mais on nourrira plus de regrets du côté de Rhythm. Outre le mode de détection d’accords que je ne suis pas parvenu à faire fonctionner, disons qu’un switch pour doubler la vitesse de lecture du pattern n’aurait pas été de trop, histoire de ne pas être obligé de bosser systématiquement à 200 BPM. Plus regrettable, on déplorera l’absence du trémolo gipsy pourtant emblématique du genre (les possesseurs du Swing! de ProjectSAM se rattraperont avec ce dernier) et plus important, selon moi, que les harmoniques dont l’usage sera plus anecdotique.
Enfin, même si l’on comprend bien que le style visé était le jazz manouche, on peine à comprendre pourquoi en marge des accords de 6e, 7e ou 9e et autres choses plus sophistiquées que nous propose Rhythm, on ne dispose pas de bêtes accords majeurs ou mineurs, qui auraient pourtant doté la guitare d’une bien plus grande polyvalence car, outre la qualité globale de Django, la vraie bonne surprise de mon test a été de découvrir que l’instrument est évidemment très pertinent pour faire du jazz manouche, mais aussi pour aborder d’autres styles : blues, folk, voire plus si affinité, bref, toutes ces musiques où le côté roots de l’instrument et son naturel apportent un petit supplément d’âme en regard des guitares virtuelles concurrentes, souvent trop propres pour être crédibles.
Django permet ainsi de faire ça :
Mais il permet aussi de faire ça :
- Layla(2) 00:19
- bronzyacous 00:31
- bronzyelec 00:31
Suprenant pour un instrument qu’on n’aurait pas mis dans les mains d’un bluesman de prime abord, non ?
Conclusion
Même s’il elle n’est pas parfaite, la nouvelle guitare virtuelle d’Impact Soundworks se hisse sans problème au niveau des plus belles réussites qu’on ait vues dans le genre. Sans que la programmation soit compliquée, le son est au rendez-vous avec, chose rare dans le virtuel, une vraie identité dont l’intérêt va bien au-delà du style manouche. De fait, on le conseillera à tous ceux qui cherchent une 6 cordes à même d’offrir ce petit supplément d’âme qui manque parfois aux guitares virtuelles, en priant le Dieu aux huit doigts pour que l’éditeur grec poursuive dans sa lancée et nous propose d’autres instruments acoustiques à cordes aussi attachants (une guitare à résonateur, par exemple ?). Chapeau bas en tout cas !