Grand spécialiste de la banque orchestrale aussi symphonique que hollywoodienne, ProjectSAM sort de son domaine de prédilection avec Swing! Au programme : du jazz, mais pas que...
D’Orchestral Brass à Symphobia en passant par True Strike, ProjectSAM s’est, en bientôt 15 ans, imposé comme une valeur sûre de la banque orchestrale pensée pour la musique de film, télé ou jeu vidéo. Toutefois, si ce petit marché était autrefois occupé par peu d’acteurs (EastWest, VSL, Garritan, etc.), l’arrivée de quantité de nouveaux challengers (Audiobro, Spitfire, 8dio, CineSamples, Orchestra Tools, Native Instruments, Impact Soundworks, etc.) fait qu’il est aujourd’hui autrement plus disputé. Il ne s’agit plus seulement de proposer d’excellents produits, mais il faut encore que ces produits soient originaux, qu’ils se démarquent et apportent quelque chose de neuf.
C’est sans doute pour cela que ProjectSAM en est venu à réaliser Swing! qui, comme son nom le suggère, s’attaque à un genre étonnamment peu représenté sur le marché des banques de samples en regard de l’importance du genre dans l’histoire de la musique et de son usage dans les musiques de film. On trouve bien sûr un certain nombre de collections de boucles dédiées au jazz mais il faut alors se contenter de phrasés tous faits, tandis qu’au rayon des banques multisamplées, l’offre se réduit à peau de chagrin. En dehors d’instruments solos qui peuvent évidemment être utilisés dans le genre (batteries, contrebasses, pianos, cuivres, orgues), les collections d’instruments se résument pour l’essentiel au Jazz & Big Band de Garritan (orchestre complet), au Broadway Big Band de Fable Sound (section cuivre) et au Jazzistic et au Gypsy Jazzy d’UVI (petites formations Jazz). Mentionnons d’ailleurs que Gypsy Jazzy est, à ma connaissance, la seule banque qui se soit intéressée au jazz manouche jusqu’à l’arrivée du Swing! qui nous occupe.
Le jazz est au programme donc, et plus généralement la musique jazzy (c’est le mot précisément employé par l’éditeur) utilisée pour les BO de films. Il est important de souligner la nuance car vous ne trouverez pas ici une banque couvrant tous les courants et sonorités du jazz, mais une collection d’instruments et de multis vous permettant de retrouver les couleurs de styles bien particuliers. Ne pensez donc pas au Out to Lunch d’Eric Dolphy mais plutôt à la Panthère Rose de Mancini, ni même au Take Five de Dave Brubeck ou aux solis de Charlie Christian mais à la guitare manouche de Django Reinhart, et, de manière générale, à toute la musique qu’on utilise dès qu’on veut évoquer les années 30 et 40 à l’écran… Ça et bien d’autres choses comme on s’en rend compte après avoir installé et autorisé la banque de 18 Go, utilisable dans Kontakt comme dans Kontakt Player.
Quand le jazz est là… la java aussi !
Comme de coutume avec ProjectSAM, la banque propose d’un côté une collection d’instruments rangés par catégories, et de l’autre des multis assemblés et programmés avec soin pour être immédiatement jouables en live.
Ces derniers portent des noms plus ou moins évocateurs et permettent de se faire une idée du périmètre stylistique de la banque. Or, en jouant avec eux, on se rend compte que Swing! voit beaucoup plus large que son nom ne le laissait supposer.
Si West Side et Trench Coat lorgnent ainsi ouvertement vers le big band et si Django nous renvoie effectivement à la musique du célèbre guitariste, Aloha s’aventure vers les ambiances hawaïennes avec son ukulele et son Lap Steel, tandis que Place du Tertre nous sert de la musette à grands coups d’accordéon et de piano jouet façon Yann Tiersen, et que les sifflets de Sunny Sunday évoquent la folk minimaliste qu’on utilise aujourd’hui dans nombre de publicités ciblant les hipsters.
Bref, un joyeux bric-à-brac qu’il convient d’examiner en détail en délaissant le répertoire Multis pour celui des instruments.
L’arsenal
Une bonne quarantaine de patches nous sont proposés dans 7 catégories dont voici le détail :
- LEAD INSTRUMENTS: Big Band Legato / Trumpet Harmon Legato / Trumpet Harmon Cup Legato / Nylon Guitar (full range) / Manouche Guitar (gypsy-style, melodic range) / Accordion 8-Stop / Accordion Musette / Harmonica / Toy Piano / Whistle Ensemble
- BIG BAND ENSEMBLE: Big Band Unison / Big Band Tutti / Big Band Tutti Wide Octaves / Big Band Chords (set of 3) / Big Band Gestures / Big Band Bonus Material
- SAX SECTION : Sax Ensemble Unison / Sax Ensemble Chords (set of 5) / Sax Ensemble Gestures / Sax Ensemble Bonus Material
- BRASS SECTION: Trumpet Section Mutes / Trumpet Section High / Trumpet Solo Harmon / Trumpet Solo Harmon Cup / Trombone Solo
- RHYTHM SECTION: Strum Chords Manouche Guitar / Strum Chords Nylon Guitar / Strum Chords Ukelele / Double Bass (newly recorded, different from Lumina) / Fender Precision Bass / Jazz Drums (brushes) / Finger Snaps
- OTHER INSTRUMENTS: Lap Steel Single Notes / Lap Steel Maj6 Chords / Pedal Steel Maj Chords / Pedal Steel Phrases / Low Ensemble featuring Trombone / Low Ensemble featuring Contra Bassoon
- TEMPO SYNC GROOVES: Jazz Drums Grooves (3 tempo sets) / Manouche Guitar Grooves (4 tempo sets) / Nylon Guitar Grooves (3 tempo sets) / Ukelele Grooves (1 tempo set)
Comme on le voit, ce sont les vents qui prédominent, avec une orientation Big Band, ainsi que les guitares et assimilés. Et en marge de choses attendues (contrebasse, batterie jouée aux balais), les surprises sont nombreuses, conformément à ce que laissaient penser les multis : Pedal Steel et Lap Steel, ensemble de siffleurs, harmonica, accordéons, piano jouet.
À l’inverse, on pourra s’étonner de certaines absences, à commencer par celle du piano, pourtant si important dans tant de musiques jazzy et dans le jazz tout court. Dans la mesure où l’instrument pourrait à lui seul faire l’objet d’une banque dédiée, on peut comprendre le choix de ProjectSAM, d’autant qu’il existe déjà une offre conséquente en la matière, que ce soit en piano jazz ou honky tonk.
En vis-à-vis d’un Ukulele ou des Lap Steel/Pedal Steel un peu hors-cadre de mon point de vue, on déplorera en revanche l’absence de pas mal d’instruments qui auraient pourtant mérité leur place dans cette optique jazzy. Swing! ne propose ainsi pas de flûte traversière (pour la musique du Saint, vous repasserez), ni de vibraphone, et on ne peut pas dire qu’il offre de quoi aborder sereinement le style Nouvelle Orléans (pas de fanfare ni de banjo). Dans le contexte de la musique jazzy pour l’écran, il manque aussi une batterie frappée aux baguettes ainsi qu’un assortiment de percussions typique du genre (vibraslap, triangle, timbales, claves, etc.), et plus encore, un violon et une clarinette. Car si Swing! a convoqué Django sur la partie guitare, Stéphane Grappelli comme Hubert Rostaing restent aux abonnés absents : impossible donc de partir dans les Nuages du Hot Club de France… C’est d’autant plus dommage qu’il n’existe pas, sur le marché, de banque de violon pertinente pour ce style particulier et que le Gypsy Jazzy d’UVI demeure très limité de ce côté.
Ne nous focalisons pas toutefois sur ce qui manque pour nous concentrer sur ce qu’on nous propose et sur les choix qui ont été faits par ProjectSAM en matière de mapping et de scripts.
Let’s swing!
On sent très clairement à l’usage de chacun des instruments que ProjectSAM a cherché la simplicité et l’efficacité plutôt que l’exhaustivité. Les guitares proposées sont ainsi loin d’offrir toutes les nuances des instruments Efimov ou AcousticSamples, que ce soit en termes de vélocités ou d’articulations. Quant à la section Big Band, pourtant la plus développée, elle sera loin de faire de l’ombre à la Broadway Big Band de Fable Sounds (autrement plus chère il est vrai) ou des instruments de Sample Modeling. Plutôt que de reproduire des instruments en intégralité, ProjectSAM a en effet pris le parti de ne garder que les articulations emblématiques du genre et de recourir au besoin à des boucles (grooves de batteries et rythmiques de Ukulele ou de guitare prêts à l’emploi), ce qui permet d’aborder des techniques caractéristiques et de grandement simplifier la prise en main comme la programmation.
De fait, les interfaces graphiques sont toujours très épurées tandis qu’aucune banque ne fait appel au moindre keyswitch. Pour gérer les différentes articulations, l’éditeur a préféré miser soit sur des splits de clavier (on accède à tel type d’articulation sur telle ou telle octave), soit sur la molette de modulation, soit sur les splits de vélocité : suivant qu’on joue piano, normal ou forte, on accède à tel ou tel type d’articulation.
Ce dernier système ravira sans doute les pianistes accomplis disposant d’un clavier de contrôle de qualité. Toutefois, pour les mauvais claviéristes (dont je fais partie) ou ceux dont le clavier n’est pas un modèle de précision (dont je fais partie aussi), inutile de dire que la chose est moins enthousiasmante et rend le jeu difficile. Elle l’est d’autant moins que certains mappings suivent une logique étrange. Sur l’harmonica, on dispose ainsi des articulations suivantes à mesure que la vélocité augmente : Staccato Piano, Swell, Long Normal et Saccato Forte, ce qui s’avère assez compliqué à jouer et oblige à faire beaucoup de choses à la souris. Enfin, on regrettera un manque de cohérence dans le sampling de certains instruments : c’est ainsi que la guitare nylon dispose inexplicablement de plus de déclinaisons d’accords que la guitare manouche, ce qui est agaçant lorsqu’on voudrait doubler l’une avec l’autre.
Ces cas sont toutefois relativement rares et il faut admettre qu’on prend dans l’ensemble beaucoup de plaisir avec ces instruments vu que tout sonne merveilleusement bien. Non seulement l’édition des samples comme leur bouclage est des plus propres, mais les instruments proposés témoignent d’une excellente direction artistique.
Les cuivres sont pêchus et brillants comme il se doit tandis que les guitares font montre d’un caractère qui fait défaut à pas mal de guitares virtuelles : l’usage de boucles est une vraie bonne idée de ce point de vue pour préserver le groove du musicien, et il ne s’avère pas trop limitatif vu que ces dernières sont déclinées, du moins sur le modèle nylon, en majeur/mineur, septième majeur/mineur, diminué/septième diminué et sixième mineur. Du coup, sans trop se fatiguer, on parvient vite à assembler des choses crédibles, à plus forte raison quand ProjectSAM a parsemé ses instruments de petites articulations qui, au détour d’une mesure et à peu de frais, font leur petit effet : runs, swells, trilles, falls, etc.
Enregistrés soit dans la même salle de concert que Symphobia, soit en studio, tous les instruments proposent un réglage permettant de jouer sur le mixage des micros pour doser la quantité de 'pièce’, tandis qu’il est possible d’ajuster l’enveloppe comme la vitesse de lecture du sample, ce qui sera utile pour exacerber ou atténuer l’attaque de certains instruments.
À titre d’exemple, voici quelques bidouilles que j’ai pu faire, sans avoir à suer des heures sur la programmation MIDI comme sur le mixage.
On commence avec une ambiance très hollywoodienne, qui donne l’occasion d’entendre la contrebasse, la batterie et la trompette bouchée mais aussi les ensembles de cuivres dont les pêches sont plutôt convaincantes :
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/475320.png)
Changement d’ambiance avec cette valse qui fleure bon la caricature de Montmartre : accordéon musette, piano jouet et sifflements. On sentirait presque le vin blanc sur le zinc…
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/475319.png)
Ukulele, LapSteel et PedalSteel permettent évidemment de gagner en exotisme pour évoquer, c’est selon, un Hawai de carte postale ou la campagne profonde américaine.
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/475318.png)
Finissons enfin avec du jazz manouche qui met bien en avant les guitares rythmique et solo et montre que la banque peut tout à fait servir dans des contextes plus contemporains, façon musique « manHouse ».
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/475317.png)
Conclusion
Dur de ne pas être emballé par ce Swing! qui répond à une attente étonnamment peu considérée par les éditeurs du marché en dehors d’UVI, Garritan ou Fable Sound et qui, sans tomber dans le piège rigide de la boucle, propose un excellent rapport qualité/simplicité avec un son irréprochable. Sans trop d’efforts, on parvient ainsi à produire des choses très convaincantes, à la lisière des clichés que les réalisateurs adorent convoquer lorsqu’il s’agit de poser une atmosphère en très peu de temps.
Que ce soit pour évoquer la belle époque, le jazz de l’âge d’or hollywoodien, dresser des ambiances amélipoulinesque ou encore faire des balades qui raviront les hipsters, Swing! se révèle fort utile, ce qui ne l’empêche pas toutefois de présenter certains défauts.
Sans même parler du choix de mappings parfois un peu déroutants, on a ce sentiment que la banque part un peu dans tous les sens au risque de survoler les genres qu’elle aborde. Pouvoir faire des ambiances hawaïennes grâce au ukulele et au lapsteel n’est certes pas désagréable, mais on aurait préféré disposer d’un violon manouche pour faire honneur au titre.
Quant au rapport qualité/prix, il me semble ni bon ni mauvais en regard du nombre d’instruments embarqués, de leurs limites, du rapport simplicité/résultats et des services que pourra donc rendre cette banque au compositeur. Quitte à ce que ce soit plus cher, on espère d’ailleurs que ProjectSAM aura la bonne idée de poursuivre dans cette voie et de nous proposer un Swing! Plus Plus encore plus exhaustif, car il y a vraiment de quoi faire.