Connu à la base pour ses excellentes guitares virtuelles, l'éditeur Impact Soundworks n'en finit plus de diversifier son catalogue, misant pour ce faire soit sur des instruments rares, soit sur des approches originales . C'est encore le cas avec la banque Straight Ahead Jazz Horns qui nous occupe aujourd'hui, bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une complète nouveauté.
Comme leur nom l’indique, ces Jazz Horns ont en effet été réalisés par le petit éditeur Straight Ahead, spécialiste du jazz auquel on doit également une chouette batterie à balais et une excellente contrebasse. Insistant bien sur le fait qu’aucun nouvel enregistrement n’a été fait à l’occasion de cette réédition, Impact Soundworks précise toutefois qu’en marge d’une remise au carré de la banque de samples, le gros du travail a porté sur les scripts et l’interface, ce qui était précisément les points sur lesquels pêchait le produit original.
Cap Horns
De quoi parlons-nous donc ? D’une section de cuivres telle qu’on a l’habitude d’en avoir dans les big band jazz, c’est à dire avec des cuivres (4 trompettes, 3 trombones et un trombone basse) mais aussi des bois cuivrés via la présence de 5 saxophones (2 altos, 2 ténors et 1 baryton). Première originalité de la banque : les 13 instruments proposés résultent bien du sampling de 13 instruments différents et non de bidouillage de samples. Pour les trompettes par exemple, on n’a donc pas enregistré une seule trompette 4 fois ou pitché les mêmes samples pour produire des variations mais bien enregistré 4 trompettes différentes, chacune ayant son caractère. Le détail est appréciable car il est garant non seulement d’un plus grand réalisme lors d’un usage en section, mais vous offre en outre plus de choix pour un usage solo, le grain de tel ou tel instrument pouvant mieux se prêter à tel ou tel contexte.
Voyez la même ligne jouée par les 4 différentes trompettes :
- Trumpet 1 00:06
- Trumpet 2 00:06
- Trumpet 3 00:06
- Trumpet 4 00:06
Si l’éditeur ne renseigne pas sur le nombre de couches de vélocité ou de samples alternatifs (round robin) enregistrés pour chaque note de chaque instrument, ce qu’on sait en revanche, c’est que tout cela a été enregistré en 24 bits convertis en 16 bits (vous avez donc le choix de la résolution à employer) au moyen de deux micros (un ruban, et un condensateur à tube) et qu’on dispose de 15 articulations pour les trompettes et les trombones, pour 12 articulations pour les saxophones. Résultat : plus de 75 000 samples qui occuperont plus de 23 Go sur le disque dur, soit une belle bête.
L’installation se fait en téléchargeant 11 fichiers de 2 Go à décompresser vous-même sur votre disque dur, et à compléter par un autre fichier à décompresser dans le répertoire de Kontakt. Ne reste ensuite qu’à autoriser le logiciel en ligne via l’interface de Native Instruments, sachant qu’il s’agit bien d’un instrument compatible Kontakt Player et qui ne nécessite donc pas la version complète de Kontakt pour être utilisé. De ce fait, on dispose depuis Kontakt du petit bandeau qui va bien et au sein duquel nous attendent sagement nos 13 instruments flanqués de 6 multis.
Commençons donc le tour du propriétaire.
Ce manche au bout du cuivre
Chaque instrument s’organise en trois onglets dont le premier qui nous accueille est évidemment le plus important. Tout en ayant le mérite de ne pas nous noyer sous les infos et les potards, ce dernier comprend tout le nécessaire pour paramétrer le rendu et les réactions au jeu de l’instrument. C’est notamment ici qu’on réglera le niveau et le pan des deux micros proposés, et qu’on jouera sur l’enveloppe de volume globale des samples. On pourra également sélectionner différents scripts : Alt Dyn Mode vous permet d’utiliser une égalisation et un filtre dynamiques en lieu et place du fondu de samples pour recréer les différents niveaux de dynamique, Extra Dyn Filter rajoute sur la sortie un passe-bas à pente douce (6 dB/octave) lié à la dynamique et Sus Phase Align permet d’aligner les phases des différents samples, ce qui affectera le timbre et rendra les unisons plus « stables ». Un bouton ‘ADV’ permet ensuite d’accéder à la configuration avancée du moteur de rendu : longueur et durée du fondu en mode legato, vitesse et profondeur du vibrato, comportement du round robin, etc.
Sur l’onglet suivant nous attend une section d’effets rudimentaire mais bienvenue puisqu’elle contient les outils de base pour mixer des cuivres : EQ paramétrique, compresseur, delay et réverb à convolution fournie avec une trentaine de réponses à impulsions, des Halls et des Rooms pour la plupart. Il n’y a pas grand-chose à redire sur cette section qui fait son job en dépit de son absence de gestionnaire de presets, mais qu’on aura tendance à ne pas trop utiliser pour faire sa tambouille soi-même dans sa STAN avec ses propres plug-ins.
Les instruments proposés par Jazz Horns sont par défaut assez faciles à programmer, en usant d’une octave de keyswitches ou de la vélocité des notes pour passer d’une articulation à l’autre et de la molette de modulation pour gérer l’intensité du souffle. La vélocité des notes servira quant à elle à déclencher une articulation précise : jusqu’à 109, on est en Legato, et au-delà en Fortepiano, ce qui s’avère très pratique pour le jeu en temps réel. Si toutefois cette configuration ne vous convenait pas, sachez qu’un dernier onglet permet de personnaliser tout cela. Au sein d’une interface très claire, on peut ainsi dire quelle articulation se déclenche par quel moyen (Keyswitch, pédale, vélocité, etc.). C’est très bien fait.
Il y a donc de quoi faire simplement même si, en lisant le manuel, on apprend qu’une quinzaine de contrôleurs continus permet de sophistiquer la sauce un peu plus encore et de gérer certains aspects avancés de certaines articulations : durée des glissandos, temps d’attente et de fondu après un scoop, comportement du fortepiano, etc. On découvre même à cet endroit que le CC23 est réservé pour un usage futur, preuve que l’éditeur a anticipé des évolutions.
Tatapoueeet !
À la faveur de tout cela, on dispose donc a priori du nécessaire pour programmer des parties de cuivres complexes et il faut reconnaître qu’à quelques détails près, Straight Ahead a plutôt fait du bon boulot en matière d’enregistrement, en insistant sur le round robin là où il était le plus nécessaire (staccatos et staccatissimos). Il ne devrait pas toutefois inquiéter les cadors du genre au vu de certains aspects un peu chiches de sa banque : à l’oreille, j’ai pu distinguer sur le patch Legato 4 couches de vélocités sur les trompettes et sax pour trois seulement sur les trombones, avec des sauts tout à fait audibles.
Voyez ce même pattern, certes mécanique, mais qui permet d’entendre distinctement cela, sur les trois types d’instruments :
- velocity trumpet 00:22
- velocity trombone 00:22
- velocity sax 00:22
Au passage, notez le petit problème de justesse sur le trombone sur les deux premières plages de vélocité. Je l’ai mis en évidence car on trouve ça et là des petites scories du genre. Il n’y a rien qu’une mise à jour ne puisse corriger toutefois et, avouons-le, de tous les cuivres, le trombone est probablement l’un des instruments dont la justesse soit la plus précaire. Un autre exemple de cela :
Je trouve plus regrettable en revanche qu’il n’y ait pas plus de couches de vélocité car outre les problèmes que cela posera en termes de nuances avec des transitions entre des timbres marqués, cela nuit aussi à la dynamique de l’instrument, quel que soit le réglage de la courbe de vélocité. On sent qu’il manque par exemple un vrai arbitrage entre piano et pianissimo.
Sans régler ce problème, les différentes articulations permettent toutefois de donner du peps à nos lignes de cuivres. Voici un échantillon pour chaque type d’instrument.
- articulations trumpet 00:27
- articulations trombone 00:27
- articulations saxtenor 00:19
- articulations saxbaryton 00:19
- articulations saxalto 00:19
- articulations basstrombone 00:27
On notera sur le trombone basse le manque d’homogénéité des volumes suivant les articulations. Encore les scories dont nous parlions.
En dépit de ces défauts, il faut admettre que les instruments et leurs articulations forment un ensemble cohérent qu’on appréciera surtout en section. Si en solo, Jazz Horns ne fera en effet pas d’ombre aux réalisations d’un Sample Modeling ou d’un Fable Sound, il n’en tire pas moins son épingle du jeu en sections où le fait d’avoir enregistré différents instruments s’avère payant.
- section trumpet 00:10
- section trombone 00:10
- section sax 00:10
- section ensemble 00:10
Conscient qu’il s’agit d’une des forces de son produit, Impact Soundworks le livre d’ailleurs avec quelques multis qui nous réservent une bien belle surprise.
Les cuivres pour les nuls
Loin de se contenter de nous fourguer de bêtes empilements d’instruments, l’éditeur s’est ainsi fendu d’un bon gros script d’harmonisation automatique qui va faciliter l’écriture de nos cuivres. Il suffit en effet de plaquer un accord de la main gauche et de jouer une mélodie de la main droite pour obtenir un arrangement prêt à l’emploi, toutes les notes de l’accord se répartissant sur les octaves en fonction de la tessiture des instruments. La chose est d’autant plus plaisante qu’en fonction de la section que l’on choisit (trompettes, trombones, saxophones, All brass, Full Ensemble ou Pop Horns), ou peut a priori choisir parmi différents voicing (Triades, unisons, octaves, etc.), différentes approches pour régler les problèmes (chromatique, diminué, dominant, etc.) et que vous disposez de possibilités pour humaniser le pitch, le placement ou le volume et rendre vos parties plus vivantes…
Voyez ce que ça donne sur une même ligne mélodique :
- voicing original 00:10
- voicing 1 00:12
- voicing 2 00:12
La fonction est intéressante mais comme on peut l’entendre, ce n’est pas parfait, que ce soit en termes de mixage des différents instruments ou des lignes qui ont été générées. Le très bon point, c’est que via la fonction ‘Send MIDI to outside world’ de Kontakt, vous pouvez récupérer les parties MIDI pour les retravailler (corriger un voicing qui ne vous convient pas, ajouter quelques ornements, etc.) ou pour piloter un autre instrument virtuel… L’outil est donc particulièrement bienvenu et complète agréablement ce Jazz Horns qui jouit d’atouts non négligeables même s’il n’est pas parfait.
On en veut toujours plus
Si ce Straight Ahead Jazz Horns est relativement complet, on ne peut s’empêcher de relever quelques manques. On regrettera ainsi l’absence de sourdines ou de wah-wah, ne serait-ce que sur les instruments lead, car même si leur emploi est plus anecdotique, ils sont de grands classiques du jazz. L’éditeur s’en est en outre tenu à la composition canonique de la section Horns d’un Jazz Band, quand il aurait pu proposer plus de choses : bugle, tuba, saxo soprano ou même clarinette. Côté articulation, on regrettera aussi de ne pas trouver de trilles.
Il y a encore sur le son quelques petites choses perfectibles : outre les petites faussetés et le manque de vélocités qui nuit aux nuances, les vibratos, réalisés synthétiquement, ne sont pas des plus naturels à l’usage, tandis que les glissandos font parfois des choses bizarres d’une note à l’autre et qu’on ne dispose pas de trilles. Pour sa part, l’excellente idée du Smart Voicing promet souvent plus qu’elle ne tient, produisant des harmonies parfois bizarres au point de n’être qu’un outil de suggestion quand on voudrait qu’il soit un véritable arrangeur. Bref, on sent qu’un patch corrigeant tous ces petits détails ne serait pas du luxe.
Côté ergonomie enfin, ne serait-ce que pour simplifier la programmation, on aurait aimé que les paramètres cachés disposent de leur propre panneau au sein du logiciel, et surtout que le système Smart Voicing offre une interface un peu plus développée : une simili table de mixage permettant d’éditer globalement les paramètres de tous les multis mais aussi leur volume, pan et leur transposition aurait été plus pratique que de devoir ouvrir chaque instrument de manière bien fastidieuse. Sur 4 trompettes, ça reste gérable, mais sur 13 instruments, devoir commuter un paramètre comme le très utile Phase align tourne au calvaire.
Il n’y a rien qui ne soit toutefois corrigible dans ces reproches et force est d’admettre qu’au prix de 250 $ où il est vendu, ce Jazz Horns trouve sa place au sein du marché. En face, sur le même registre de la section de Big Band, l’offre se résume à des produits sensiblement plus chers comme le Kick Ass Brass! d’AMG (325 $), nettement plus chers comme le Mojo Horns de Vir2 (500 $) ou le Horns Pro de Chris Hein (650 euros), ou encore beaucoup beaucoup plus chers comme le Broadway Big Band de Fable Sounds qui fait certes référence, mais qui est vendu… 2300 euros ! Ou alors à des produits clairement moins aboutis comme le Jazz & Big Band 3 de Garritan (150 $) ou le Vintage Horns de Big Fish Audio (200 $). L’offre est donc cohérente : il y a certes mieux, mais c’est plus cher, et à n’en pas douter, plus d’un utilisateur trouvera dans cette banque de quoi animer ses compos jazz, funk, reggae-ska ou pop avec, au prix d’un peu d’huile de coude, un rendu tout à fait crédible.
Une affaire à cuivre
S’appuyant sur le bon travail réalisé en amont par Straight Ahead, Impact Soundworks réussit son pari en livrant avec ce Jazz Horns une banque dont les qualités et défauts sont cohérents en regard du prix. En s’en tenant à la plus simple définition de la section de Big Band, le produit n’est pas parfait et on aurait souhaité un peu plus de nuances sur l’ensemble, mais les lacunes de la banque sont rattrapées par une programmation relativement aisée et par le script Smart Voicing qui fournira une base d’arrangement propre à faire gagner pas mal de temps. Voilà qui complètera donc les Bravura Scoring Brass et le Megabrass de l’éditeur au rayon des cuivres, tandis qu’on espère que cette relecture du travail de Straight Ahead va se poursuivre avec la contrebasse et les batteries.