Dans un marché - et une époque - où les références ayant imposé leur style et leur identité sonore sont nombreuses et, pour certaines d’entre elles, difficilement détrônables, il n’est pas chose aisée pour une jeune marque de proposer de nouveaux standards en matière d’équipements audio professionnels. Mais quand une conception originale et orientée vers un développement durable, faisant ainsi barrage à une obsolescence programmée, rejoint un plan marketing plutôt redoutable, on est en droit de se demander si les produits ne mériteraient pas un peu plus notre attention. C’est donc les oreilles grandes ouvertes et le cœur plein d’entrain que nous avons voulu en savoir un peu plus sur la marque AIAIAI, au travers du casque TMA-2, un casque bien dans l’air du temps.
Si la marque scandinave affiche près de 15 ans d’existence au compteur, force est de constater que le rayonnement d’AIAIAI a été concentré depuis plusieurs années autour d’un public spécialisé facilement identifiable : les artistes et DJ. En effet, une rapide visite sur le site web du fabricant nous permet de découvrir, bien évidemment, un certain nombre de reviews mais surtout une liste bien plus fournie de musiciens endorsés. Outre de nombreux artistes/DJ/producers de par le monde – Young Guru, ?uestlove, Richie Hawtin, Charlotte de Wilde, pour les plus connu(e)s – on y retrouve quelques personnalités musicales françaises comme Yuksek, Brodinsky ou encore Busy-P, confirmant un partenariat professionnel avec la marque et éloignant quelque peu la thèse du name-dropping aléatoire et intempestif, que l’on trouve parfois dans les plans de marketing web de certaines marques.
Au départ orientée dans la fabrication d’écouteurs et casques destinés à une utilisation domestique et quotidienne, la firme danoise a donc peu à peu fait évoluer son rayonnement auprès de professionnels qui, pourtant, ne manquent pas de référence en la matière et dont l’utilisation demeure un tout petit peu plus exigeante. Mais outre cette relative « crédibilité médiatique » entourant le fabricant, c’est avant tout le positionnement ainsi que la conception originale qui ont suscité notre intérêt. Tout d’abord, la marque offre peu de produits — 3 au total — comprenant Pipe, une paire d’écouteurs pour un usage quotidien et Tracks, un petit casque léger rappelant ceux utilisés jadis, du « temps béni » des baladeurs et autres walkmans. Mais c’est bel et bien le casque le plus abouti qui nous intéresse ici — le TMA-2 — dont le concept modulable offre bien des possibilités.
Ca fait mal ?
Le principe — et la raison d’être — du TMA-2 est d’offrir un casque dont ses éléments peuvent tous être changés, remplacés, et optimisés pour s’adapter à l’évolution de nos besoins… ou à l’utilisation que l’on va faire du casque au fil du temps. Nous verrons juste après que ce n’est pas un mythe mais, pour l’heure, le TMA-2 est livré dans une seule boîte au design minimaliste, et au poids étonnamment léger.
Le fait de recevoir un packaging aussi léger, je l’avoue, m’a rendu plus que dubitatif quant à la qualité générale du produit ; j’ai, avec le temps, eu la (mauvaise ?) habitude d’associer poids avec qualité de fabrication. Je me suis même demandé si, au final, le casque en entier m’avait bien été livré !
A ma grande surprise, c’est en ouvrant ladite boîte que je découvre plusieurs sachets qui, conformément à la volonté de marque AIAIAI, pousse la modularité de ces équipements à son paroxysme : chaque élément constituant le casque est conditionné individuellement comme si, au final, le TMA-2 qui m’a été livré avait été conçu et « configuré » pour les besoins du test, juste avant son envoi. En réalité, il s’agit d’un « preset » de configuration : le TMA-2 HD.
Deuxième point assez déroutant : l’exercice d’assemblage des différents éléments (très simple, je vous rassure) constituant le casque qui rappelle — non sans une certaine ironie — les sombres heures d’aménagement mobilier liées à une grande marque de distribution suédoise…
Ce qui fait la légèreté du conditionnement est avant tout la légèreté des différents éléments, qui ne semblent pas pour autant fragiles et qui restent facilement manipulables. Tout est livré séparément et donc, modulable : l’arceau, les transducteurs gauche et droit, les coussinets ainsi que le câble sont conditionnés de manière totalement indépendante. Afin de spécifier la configuration qui m’a été envoyée, je vais devoir détailler les éléments retenus.
L’arceau correspond au modèle H04 — High Comfort — qui reprend une structure en nylon renforcée d’une mousse en microfibre s’ajustant parfaitement sur le dessus de la tête. Si de prime abord le matériau utilisé pour la confection de l’arceau semble délicat, le futur me démontrera qu’il est extrêmement résistant. Deux petits connecteurs en « tire-bouchon » permettent de relier, de chaque côté, les deux transducteurs livrés à part. Une encoche de sécurité permet d’assurer le maintien de la liaison des écouteurs avec la connectique de l’arceau.
Les deux écouteurs S05 livrés sont équipés de transducteurs en Bio-Cellulose rigide, censés retranscrire une écoute « détaillée, avec des hautes fréquences définies, un médium plus prononcé, une meilleure dynamique et un équilibre timbral plus naturel ». Le « haut du panier » de la gamme, même si j’aurais été tenté de tester quelque chose d’un peu plus « neutre » – sur le papier du moins.
Les coussinets E08 constituent eux aussi le fleuron de la gamme : les mousses s’ajustent parfaitement autour de l’oreille grâce à leur structure recouverte d’Alcantara. Enfin, le câble de connexion noir C15, dit « HiFi », offre une connectique renforcée au format minijack symétrique 3,5 mm qui, équipé d’un raccord jack 6,35 mm (fourni), permet de le raccorder à n’importe quelle prise casque standard – le tout pour une longueur de 1,5 m. D’autres modèles de câbles sont disponibles dans des couleurs, longueurs et formes différentes (câbles droits ou torsadés), avec différentes options de connectique – comme le Lightning pour raccorder le casque à un équipement Apple. À ce sujet, plusieurs autres modèles d’arceau (en silicone, nylon renforcé de cuir, pour connexion Bluetooth avec micro intégré…), de coussinets (en microfibre, cuir, sur ou autour de l’oreille) ainsi que de transducteurs à la réponse adaptée (neutre, punchy, warm, etc.) sont disponibles ; le site d’AIAIAI répertorie chaque élément avec une description succincte mais concise, permettant ainsi des centaines de configurations de casque possibles.
Confort et écoute
Le casque offre un maintien immédiat tout à fait confortable, un peu situé entre un HD25 et un ATH-50 — si tant est que de telles références puissent aider à se faire une idée — mais avec une douceur de pose autour des oreilles certainement due à l’utilisation de l’Alcantara. 9 points de réglage permettent d’ajuster le casque à tous types de formes de tête ; ce TMA-2 peut convenir à toutes les morphologies.
Passons maintenant à l’écoute de quelques morceaux que je connais bien, dans des styles bien distincts.
BECK – The Golden Age
Dès l’intro, la couleur générale révèle un côté brillant plutôt agréable, un peu plus prononcé que dans mon souvenir, mais pas agressif pour autant. Le rapport centre/côtés — fortement éprouvé dans ce titre — est bien respecté, sans être « forcé ». Malgré une délicatesse d’équilibre dans le haut médium et l’aigu, la basse et la grosse caisse appuient bien le rythme et donne à la dynamique du titre toute son identité. La voix, bien présente, me semble un tout petit peu « affinée » par ce petit regain d’énergie dans l’aigu qui, de fait, met le médium légèrement en retrait.
FILTER – Drug Boy
Autre musique, autre monde. La caisse claire — qui d’habitude me laisse une impression dans le bas médium un peu plus présente — me semble un tout petit plus « lissée », tout comme les guitares barytons qui prennent une place habituellement lourde mais vitale dans le titre. Attention cependant : le bas reste très joli et bien contenu. Le titre, à la dynamique déjà extrêmement maintenue, se trouve un poil plus « lissée » elle aussi, et perd un tout petit son côté « sale » et « rock n’roll » adéquat dans ce genre de musique. En revanche, pas de pitié pour la distorsion harmonique qui se fait entendre ici et là (principalement quand les floor toms sont martelés en même temps que le reste de la musique) : on peut donc tout à fait faire confiance au TMA-2 pour retranscrire avec précision certains éléments « techniques » qui, sur une autre écoute, pourraient passer à la trappe.
FRANK SINATRA – Misty
On change encore de décor. L’orchestre se révèle d’une clarté limpide (mais ça vient déjà de la production, of course) et sa balance est parfaitement retranscrite. La réverbe sur la voix se laisse entendre un peu plus sur la modulation du titre et ce genre de détail fait du bien à entendre. Cependant, bien que la voix de Monsieur Sinatra soit joliment présente, il y a un petit détail qui, à mon sentiment, manque un peu : on perd un tout petit peu de ce joli bas médium qui « ronronne » légèrement. Un élément fréquentiel qui manquait un tout petit peu dans la guitare de « The Golden Age » et que je perçois aussi ici dans la voix du sieur Sinatra. Un détail infime qui pourrait tout de même manquer à certain(e)s.
GESAFFELSTEIN – Pursuit
Le synthé lead d’intro marque tout de suite par sa présence et son aspect stéréophonique maîtrisé. Le bas et le sub tapent bien là où il faut et les hi-hats leur offrent une bonne réponse dans l’autre partie du spectre. On arrive à bien déceler la note de résonance du kick avec une précision tout à fait maîtrisée et c’est fort agréable. Rien d’agressif, ce qui confirme mon sentiment d’équilibre quelque peu « allégé » qui, à mon avis, est bien profitable pour de longues heures d’écoute.
Nous le savons tou (te) s : un dessin vaut parfois mieux qu’un grand discours, alors nous avons voulu demander à nos partenaires de Sonarworks s’ils voulaient bien effectuer un relevé de la courbe de réponse fréquentielle et de la distorsion du casque et voici leur retour :
La courbe de réponse fréquentielle acoustique perçue confirme bien le ressenti éprouvé lors de l’écoute et permet de mieux comprendre le comportement du casque. Sa réponse étant loin d’être linéaire, il va falloir prendre en considération ces éléments suivant l’utilisation que l’on veut en faire.
Néanmoins, le confort d’écoute et la fiabilité d’un casque ne s’évaluent pas sur une dizaine de minutes et deux courbes, mais plutôt sur des heures d’utilisation ; à ce sujet, je dois dire que les mois passés avec le TMA-2 ont balayé bon nombre de mes soupçons initiaux.
Tout d’abord, contrairement à mes toutes premières impressions, le TMA-2 se révèle plutôt résistant ; en effet, pendant des mois, je l’ai transporté, déplacé, branché/débranché, trimballé même, des centaines de fois, dans différents endroits. Parfois j’en ai pris soin, parfois je l’ai posé sur des consoles, je l’ai emmené dans mon sac à dos ; je pense même l’avoir fait tomber des dizaines de fois (la faute à un câble trop court !). Malgré tout cela : le TMA-2 ne bronche pas.
J’ai l’expérience de plusieurs casques maintenant et un élément récurrent dans le confort d’écoute reste le positionnement sur les oreilles et la fatigue que cela entraîne, aussi bien d’un point de vue physique que physiologique. Et bien j’ai été surpris de constater que je pouvais travailler des heures durant avec ce casque, sans que le tour de mon oreille ne se sente affecté. Pour bien des références, plusieurs heures d’utilisation me laissent souvent une douleur auriculaire, et c’est extrêmement gênant. Avec le TMA-2 HD et ses coussinets hyper confortables, je n’ai jamais eu ce genre de sensation. Et pourtant, je l’ai utilisé ! Pas non plus de fatigue auditive, ni de sensation d’avoir été « agressé » par l’écoute ; au contraire, une sensation plutôt agréable en fin de journée et ce, malgré la bosse de brillance dans l’aigu.
Enfin, en ce qui concerne l’écoute en elle-même, tout est affaire de goût. Mais j’avais quelques appréhensions quant à la courbe de réponse fréquentielle et au son du casque qui, je dois le dire, m’ont tout de suite semblé tendre vers quelque chose de trop « brillant ». En réalité, j’ai été surpris de constater que plusieurs mixages réalisés seulement avec le casque offraient une meilleure « translation » sur d’autres systèmes d’écoute que ce que je ne pensais. Certes, il est toujours préférable d’écouter sur plusieurs systèmes et supports, mais j’étais plutôt réticent quant à une utilisation quasi exclusive du casque au moment du mixage ; je dois dire qu’à 80 %, j’étais satisfait du résultat – tout du moins, je retrouvais les sensations d’écoute recherchées. Une bonne surprise au final.
Conclusion
Évaluer un casque, c’est comme évaluer une paire d’enceintes : les facteurs objectifs ont toujours tendance à être éclipsés par les paramètres subjectifs quant à l’appréciation du produit. Certes, les éléments techniques constituant un casque permettent une appréciation neutre et distanciée mais, avouons-le, à la fin, c’est le goût et le ressenti personnel qui l’emportent. Malgré tout, pour une utilisation professionnelle, il y a un minimum de requis attendus et, en la matière, le TMA-2 HD remplit bien son contrat. De son concept initial à la configuration proposée, le TMA-2 HD m’a étonnamment séduit. Étonnamment, car la stratégie marketing du produit, l’image de la marque, son concept ainsi que les spécifications techniques du casque n’avaient, au départ, rien pour me convaincre dans la durée. Ma perplexité a été éprouvée bon nombre de fois pendant ces mois d’utilisation où je pensais que ce casque ne pourrait jamais satisfaire mes besoins professionnels sur la durée. Au final, ma conclusion est tout autre et le TMA-2 HD se révèle être un agréable compagnon de studio que je ne regrette pas du tout d’avoir rencontré. Annoncé au prix de 295 € sur le site d’AIAIAI (dans sa version HD), ce casque s’adresse à un public averti qui, comme moi, pourra allier concept original et plaisir d’écoute tout en étant capable de vous suivre partout.