La clavier phare de Native nous revient dans une troisième version avec un tarif singulièrement revu à la hausse. Reste à voir si tout cela se justifie...
Avec le Komplete Kontrol S premier du nom sorti fin 2014, Native peut se vanter d’avoir fait évoluer le marché des claviers de contrôle pensés pour l’informatique musicale. Sans parler de l’excellente qualité de fabrication du clavier lui-même, c’est surtout alors le nouveau format NKS et son intégration hard/soft qui changeaient la donne : depuis le clavier, on pouvait enfin rechercher dans les dizaines de milliers de présets de la Komplete comme des instruments ou effets compatibles, et disposer pour chacun de mappings prêts à l’emploi en même temps que de repères lumineux facilitant le jeu comme la programmation. Bref, le clavier était plein de bonnes idées, à tel point qu’il est vite devenu une référence intégrant quantité de studios ou de home studios, même si certains partis pris étaient critiqués par les utilisateurs : juste 8 encodeurs et une molette de navigation, deux touchstrips en guise de pitch bend et de modulation, ça semblait un peu juste pour beaucoup quand la concurrence proposait quantité de sliders, de pads, voire de pads x/y. Et personnellement, tout en trouvant l’idée d’un navigateur de presets globale extrêmement pertinente, j’avoue que l’usage d’une molette qu’il fallait tourner, tourner et encore tourner pour faire défiler ces derniers me semblait bien rustique à l’heure des écrans tactiles.
Arrivée trois ans plus tard, la version mk2 s’est chargée pour de corriger certains défauts sans grandement remettre la formule en question. Le pitch bend et la modulation ont enfin eu droit à de « vrais » contrôles physiques (comprendre non tactiles), la molette de défilement est devenue molette ET joystick, et on a surtout eu droit à deux écrans couleurs permettant non seulement d’afficher les paramètres d’une façon autrement plus esthétique et conviviale, mais aussi et surtout le navigateur de présets du logiciel Komplete Kontrol. Si le succès de cette seconde mouture a été au rendez-vous (dur de ne pas tomber sur un Komplete Kontrol dans la plupart des vidéos sur Youtube), bien des défauts relevés sur la première version sont demeurés toutefois, tels que le peu de contrôles physiques offerts pour le jeu ou la navigation toujours un tantinet laborieuse en absence de tactile.
Autant dire donc que cette version mk3 est attendue au tournant, non seulement parce qu’elle débarque six ans plus tard, mais aussi parce qu’il s’est passé bien des choses dans le domaine du clavier depuis : non seulement la concurrence a sorti quelques très bons claviers, qu’il s’agisse d’Arturia, Novation ou Nektar notamment, mais on a même vu arriver des technologies de rupture dans le sillage des produits Roli, comme sur le synthé Osmose d’Expressive E dont on espère franchement qu’il sera décliné en clavier de contrôle. En outre, si le MPE s’est généralisé dans quantité de logiciels, il semble que l’Arlésienne MIDI 2.0 soit enfin arrivée à maturité !
Bref, c’est avec fébrilité qu’on se jette sur le carton pour déshabiller le nouveau venu, dont on espère bien qu’il exaucera nos souhaits les plus fous !
Kontrol technique
Et le déballage est à la fois une bonne et une mauvaise surprise. Commençons par la bonne : le clavier est vraiment « beau » (autant qu’un clavier de contrôle peut l’être, hein), tout en métal noir, rehaussé de ses LED RGB, tandis que les deux petits écrans cèdent la place à un grand écran… De la qualité de tous les contrôleurs à la fermeté du clavier, tout respire en outre la qualité, avec un feeling « haut de gamme » indubitable…
Mais alors, c’est quoi la mauvaise nouvelle ? Eh bien, c’est que les connectiques à l’arrière sont les mêmes que sur le mk2 en dehors de l’adoption de l’USB-C mais surtout qu’il n’y a toujours pas de pads, de sliders, de pad x/y, et qu’on a même sensiblement moins de boutons sur cette nouvelle version que sur la précédente. Des 40 dont on disposait sur la version mk2, il n’en reste que 29, soit une régression assez rare dans l’évolution d’un matériel. Bon, tempérons ce point tout de même : tout dépend de la façon dont l’ergonomie a été pensée, plus de boutons n’étant pas forcément, loin de là, synonyme de mieux…
On branche donc la machine pour s’apercevoir d’un autre problème : si le KK2 Mk2 pouvait être autoalimenté en USB, ce n’est plus forcément le cas de cette version MK3, suivant la puissance électrique délivrée par votre prise USB (un macbook n’y suffit pas, mais un hub branché sur le secteur, oui)… Sur ce point, on revient donc à l’époque de la version Mk1, sachant que cette consommation électrique plus élevée s’explique probablement par les LED RGB plus présentes sur la machine (désormais sur les molettes de pitch bend/modulation ou cerclant la molette de navigation), le grand écran ou peut-être aussi l’arrivée de la plus grosse nouveauté de cette version : la gestion de l’aftertouch polyphonique. Nous y reviendrons, après être passés par la case navigation/contrôle.
Sur l’écran noir de mes touches blanches…
Que dire des premières impressions ? Qu’il est bien agréable d’avoir un grand écran de bonne qualité comme celui-ci, même si ce dernier n’est toujours pas tactile et que son usage ne change pas grandement l’aperçu visuel des instruments qu’on y charge par rapport à ce que faisait la version MK2 : on ne dispose toujours pas de l’aperçu de l’interface réelle de l’instrument ou de l’effet que l’on charge, mais d’un « papier peint » occupant la moitié de l’écran à titre de décor, et de potards correspondant en dessous aux différents paramètres, quels qu’ils soient.
Cela permet évidemment de rendre intuitif l’usage des 8 encodeurs physiques proposés en vis-à-vis, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’avec une telle surface d’affichage, on aurait grandement apprécié de travailler sur les vraies interfaces graphiques des instruments ou effets chargés, comme on regrette toujours l’absence de sliders pour certains contrôles, notamment parce qu’on peut manipuler plusieurs de ces derniers avec une seule main, chose qu’il est nettement moins évident à faire avec des encodeurs rotatifs. Avec un Komplete Kontrol S, jouer un orgue Hammond n’a plus rien à voir avec les sensations de l’original dont toute l’ergonomie est basée sur des tirettes, par exemple.
Mais c’est aussi limitant sur les instruments orchestraux qui réclament souvent de gérer plusieurs contrôleurs continus pour gérer et la vélocité, et l’expression et le vibrato par exemple. Et c’est même contre-intuitif lorsqu’il s’agit juste d’éditer des paramètre On/Off. En tournant à droite on allume, à gauche on éteint : ou comment se compliquer la vie avec un simple bouton…
Et c’est évidemment la même chose pour ce qui est du contrôle de la table de mixage d’une STAN : on voudrait des sliders et des potards pour gérer et le volume et le panoramique, mais il faudra tout faire avec 8 encodeurs seulement. Et force est de la constater : à cause de cela, on passe toujours pas mal de temps à faire défiler les contrôles de manière logique, certes, mais un brin fastidieuse tout de même. Bref, on est loin, très loin de ce que propose le model 2A de MPMidi qui vaut certes, à lui seul, le prix de ce Komplete Kontrol sans offrir ni clavier ni quantité de choses propres au bébé de Native, dont le système de navigation qui lui vaut son nom.
La navigation dans les présets ne change pas grandement elle aussi, dans la mesure où l’on retrouve toujours un système de filtres permettant d’écourter une longue liste de sons qu’il faudra, à la fin, parcourir à grands coups de molette. Peut-on faire de l’exclusion de filtre ? Toujours pas, hélas. Tout juste dira-t-on que la navigation est cohérente, que la baisse du nombre de boutons ne se fait pas sentir, et qu’il est toujours aussi agréable de disposer d’une préécoute audio d’un préset avant de le charger, mais que la molette n’est pas ce qui se fait de mieux pour parcourir de longues listes. Sans parler d’ergonomie tactile, un large jogwheel tel qu’on en trouve dans le domaine de la vidéo aurait été autrement plus pratique, à défaut de disposer d’un clavier pour saisir une recherche.
Précisons-le : à présent que Kontakt a intégré Komplete Kontrol depuis sa version 7, la surcouche logicielle de Native Instruments n’est plus nécessaire pour ce dernier, ce qui présent certains avantages à l’usage. Non seulement, la surcouche n’alourdira plus l’usage de Kontakt mais dans votre STAN, vous ne verrez plus des dizaines de Komplete Kontrol sur vos pistes sans savoir ce qu’ils cachent… Cette nouveauté est toutefois hélas réservée au mk3, car elle passerait vraisemblablement par un processeur intégré pour interpréter le rendu des métadonnées récupérées par le clavier : point de tout cela sur le mk2 donc. Bref, voilà qui simplifie un tantinet les choses pour le logiciel vedette de Native Instruments, dont les utilisateurs deviennent la cible première de ce clavier, sachant que si, au-delà de Kontakt, quelques grands éditeurs ont intégré le format NKS (Arturia, EastWest, U-He, AAS, Eventide, Modartt, Waves, Xils, Unfiltered audio, etc.), il demeure toujours de grands absents : Spectrasonics, UVI, Vienna notamment ne proposent pas de support de NKS même si l’on trouve ça et là sur le web des patches pour y remédier…
On le notera par ailleurs, cette meilleure intégration de Kontakt ne s’étend pas pour l’heure à Reaktor qui nécessite toujours, quant à lui, de passer par la surcouche Komplete Kontrol… À voir si Native aura à cœur de faire évoluer ce dernier comme il l’a fait pour son sampler, et surtout quand il le fera, les développements étant souvent longs à venir chez Native…
Mais laissons-la la partie contrôleur et navigation pour nous pencher sur ce qui constitue la moitié du Komplete Kontrol S mk3 : son clavier…
Un contrôleur qui fait aussi clavier…
Comme nous l’avons dit plus haut, la qualité de toucher du clavier est irréprochable et donne tout son sens au terme « semi-lesté ». Sans qu’on parle du toucher lourd d’un piano réservé au modèle S 88, les touches offrent ici un poids et une résistance ferme tout à fait excellents, avec une précision qui ne souffre aucun reproche à la clé. On dira d’ailleurs autant de bien des molettes de modulation et pitch bend qui, comme les encodeurs, sont désormais en métal et rehaussées d’un éclairage RGB, et sont placées sous le ruban tactile plutôt qu’au-dessus comme sur la version Mk2. Ce positionnement est-il plus pertinent ? Pas nécessairement : disons que c’est une question d’habitude.
Ceci étant dit, comme aimait à le rappeler Saint-Exupéry, l’essentiel est invisible pour les yeux. Et si je vous dis cela, ce n’est pas tant qu’un chapeau se cache dans le boa mais que la plus grande nouveauté de ce nouveau Komplete Kontrol tient dans ce qu’il gère l’aftertouch polyphonique. De fait, après avoir enfoncé trois touches, le clavier sera sensible aux variations de pression que vous pouvez appliquer sur chacune d’elles, ce qui offre bien des façons de faire des nuances dans le jeu des notes tenues, en fonction de la façon dont le contrôleur continu a été implémenté dans l’instrument que vous utilisez. À n’en pas douter, c’est un vrai plus en termes d’expressivité comme de créativité, même si cela ne présente d’intérêt que sur un jeu plutôt lent. On se retrouve ainsi à pouvoir donner de la vie au sustain de chaque note, et grâce à la polyphonie, à pouvoir créer des mouvements extrêmement complexes…
25 % de boutons en moins mais 25 % plus cher ?
Bon, les râleurs auront raison de le souligner : à voir l’expressivité d’un Osmose, on aurait rêvé que cet aftertouch polyphonique s’accompagne d’un pitch bend polyphonique. Mais soyons honnête, cela aurait occasionné une sacrée hausse du prix de la machine, l’Osmose étant vendu trois fois plus ch… Ah non, pardon, pas trois fois plus cher vu que Native a singulièrement augmenté le tarif de ses claviers…
Si le Komplete Kontrol S49 mk2 était en effet proposé à 600 euros, ce qui n’était déjà pas rien, cette version mk3 nous arrive à… 750 euros, soit une augmentation de 25 % du prix !
Ouch !
Alors oui, on a globalement un contrôleur de grande qualité de fabrication avec toujours plus de métal et moins de plastique, un clavier haut de gamme désormais sensible à l’aftertouch polyphonique, le tout flanqué d’un grand écran en couleur et illuminé de quantité de pads rétroéclairés en RGB. Soit ! Mais on dispose aussi de moins de boutons, d’un écran qui ne change pas tant que ça l’ergonomie de la machine et d’un nombre de contrôleurs toujours aussi restreint : huit encodeurs seulement, et toujours pas les sliders et les pads réclamés par la communauté d’utilisateurs depuis la première version. Or, si sur le registre des pads, on peut comprendre Native ne veuille pas faire d’ombre à Maschine avec ses claviers, on se dit que rien ne justifie l’absence de sliders ou d’encodeurs ou potards supplémentaires… De la sorte, vous l’aurez compris, il n’est pas si évident que ce Komplete Kontrol S49 Mk3 soit 25 % mieux que son prédécesseur qui, du coup, aussi incroyable que cela puisse paraître, est peut-être son plus grand concurrent. Essayons d’ailleurs d’y voir plus clair à l’heure des conseils d’achat.
KK pour qui, pour quoi ?
Le Komplete Kontrol S est-il le meilleur clavier de contrôle jamais produit par Native Instruments ? Sans l’ombre d’un doute, en considérant l’apport de l’aftertouch polyphonique et du MIDI 2.0 sur cette version. Toutefois, comme en regard de cela, les nouveautés sont rares, que les vieilles lacunes demeurent et que le prix du produit fait un bond spectaculaire, il n’est pas certain que les possesseurs de la version Mk2 se laissent tenter par nouvelle mouture : tout dépend de la façon dont ils valorisent l’aftertouch.
À l’intention des autres, on soulignera qu’en dépit des défauts que nous avons mentionnés, pour la qualité globale de son clavier, l’interaction poussée que permet le format NKS en termes de navigation comme de jeu (mappings préconfigurés, lightguide), le Komplete Kontrol et sa couche logicielle sont indubitablement la meilleure solution pour qui cherche à simplifier son rapport avec une multitude d’instruments et d’effets sans avoir à passer des heures dans un utilitaire de mapping.
Il n’en reste pas moins que l’offre de Maschine ne compense pas l’absence de pads (parce qu’on veut pouvoir utiliser des pads simplement sans se frapper la surcouche logicielle Maschine et donc sans un paquet de boutons qui ne servent alors à rien) tandis que piloter une STAN, il y a mieux, pour piloter des synthés matériels, il y a mieux aussi, et que même pour piloter des instruments, il y a presque aussi bien et moins cher, à commencer par le Komplete Kontrol S Mk2…
Conclusion
Le Komplete Kontrol S est-il le game changer qu’on attendait ? Non hélas, car tout en progressant sur quelques points comme l’aftertouch polyphonique ou l’intégration de Kontakt, tout en demeurant un clavier au-delà de tout reproche en termes de qualité de construction, il n’en exauce pas pour autant les souhaits de longue date des utilisateurs : d’aucuns voulaient des pads, des sliders, plus d’encodeurs, d’autres réclamaient du tactile pour simplifier la navigation fastidieuse à la molette, d’autres encore voulaient du CV/Gate pour piloter des synthés externes et rien de tout cela n’a été pris en compte. De fait, le Komplete Kontrol S Mk3 n’est certainement pas le clavier le plus polyvalent du marché et ce n’est pas lui qu’on regardera en premier si on veut piloter physiquement sa STAN ou disposer d’un outil pour un usage généraliste ou dans un home studio hard/soft…
En vis-à-vis de cela, soulignons toutefois ce que sait faire le Komplete Kontrol S mk3, grâce notamment au format NKS, et ce qu’il permet en termes de navigation et d’ergonomie (le lightguide demeure pratique à plus d’un titre), il est le seul à le faire sur le marché, et à présent qu’il a renforcé son intégration à Kontakt, il est un outil de choix pour ceux qui utilisent majoritairement le sampler de Native. Ça n’a rien d’étonnant en regard de la stratégie de l’éditeur ces dernières années, mais pour ceux qui font de la musique orchestrale ou du son à l’image, pour ce type de compositeurs polyvalents devant tout aussi bien faire du symphonique que du rock, de l’electro, du jazz ou une hybridation de tout cela en passant par Kontakt 7, alors là, oui, c’est sans le clavier à avoir… pour peu que vous achetiez un jeu de sliders à côté…
Reste le sujet qui fâche : ce mk3 est 25 % plus cher que son prédécesseur, sans être 25 % hélas plus pertinent pour autant, car quantité d’utilisateurs ne valoriseront pas forcément l’ajout de l’aftertouch par exemple… Du coup, la pilule a un peu de mal à passer, à plus forte raison quand Native fait la sourde oreille sur les desiderata de sa communauté. À ce stade, la question se pose toutefois de savoir si, en ces temps où la récession croise les problématiques géopolitiques et environnementales, avec ce que cela implique en termes de coûts du point de vue de l’énergie, des ressources et des transports, Native n’a pas construit le clavier dont nous rêvions, mais le clavier dont il pouvait assumer la construction de manière suffisamment durable… Voilà qui est dur à dire, sachant qu’il faudra voir les directions prises par le constructeur concernant son évolution, comme la réaction des concurrents à l’heure où le MIDI 2.0 pourrait tout à fait, sur le papier, se poser en solution alternative sur certaines capacités du NKS (le mapping notamment).
Bref, vous l’aurez compris : on se retrouve là avec un clavier haut de gamme, plus que jamais taillé pour Kontakt, mais qui peine à justifier son nouveau tarif face à son prédécesseur par rapport à ce qu’il apporte concrètement. Et il nous tarde déjà de voir ce qu’il deviendra en version mk4 pour savoir si Native saura de nouveau nous enchanter…