Yamaha fait sa rentrée avec Reface, une série de quatre mini-claviers, chacun dédié à une forme de synthèse ou à un type d’instruments. Petit format implique-t-il petites fonctions, petit son ou, au contraire, les dimensions réduites cachent-elles des surprises de taille ? Réponses.
Difficile, quand on est une grande marque dont le catalogue est riche de nombreux produits ayant marqué l’histoire du son, de la synthèse, de la musique, de réinventer la roue à chaque sortie d’un nouveau modèle. Ceci explique parfois l’attitude dubitative des clients potentiels, quand après des teasing plus ou moins réussis, les produits sont révélés. Le « tout ça pour ça » est encore un réflexe (salutaire ?) assez présent, même s’il reste une précaution essentielle pour éviter de trop succomber au GAS (Gear Acquisition Syndrome).
Les commentaires et réactions ont été à peu près à égale proportion entre le désappointement et l’enthousiasme, une fois que Yamaha a révélé juste avant le Summer NAMM ce qui se cachait sous les différentes vidéos mises en ligne (quatre au départ, et nombreux sont ceux qui ne pensaient qu’à l’arrivée d’une seule bécane) : quatre mini-claviers, chacun reprenant une forme de synthèse ou une catégorie d’instruments, CP pour les claviers de type électromécaniques, YC pour les orgues, DX pour la synthèse FM et CS pour la synthèse (à modélisation) analogique. Un véritable résumé miniaturisé de l’histoire de Yamaha, chaque instrument reprenant le sigle des gammes de produits les plus fameux du constructeur.
Il fallait donc que votre site préféré se précipite sur ces claviers afin de découvrir ce qu’ils renferment. Nul ne l’ignore, la technique, le monde de la synthèse et celui de la scène sont à un tournant très important : l’arrivée des tablettes et contrôleurs permet maintenant de se créer un set live extrêmement performant, avec une multitude de types de synthèse, le tout pour un tarif de plus en plus accessible. Prenons un simple exemple, le mien, constitué d’un clavier iRig Keys Pro de IK Multimedia (des grandes touches, peu de contrôleurs MIDI, mais le tout pour une centaine d’euros), un iPad Mini 2 (280 euros) et plusieurs synthés et effets iOS, dont le tarif s’étale entre 2,99 et 50 euros. Pour à peine 400 euros, on dispose d’un outil extrêmement performant, capable de sonorités et fonctions très variées, des Korg iMS20 à l’Animoog, en passant par le FLUX:FX, le Cyclop iPad, WaveGenerator, Alchemy et autres Thor (sans compter tout ce qu’on peut faire hors musique, du type Internet, traitement de texte, retouche image, montage, etc.). Les configurations peuvent varier à l’infini, de contrôleurs à pads aux claviers de toutes tailles, et rester sous la barre des 500 euros. Bien sûr, l’acquisition d’interfaces audio, voire MIDI, de contrôleurs haut de gamme alourdira la facture, mais à proportion de ce qui se passe dans le monde du studio, qu’il soit home, project ou pro.
Autant dire que l’arrivée de mini-claviers créés par l’un des grands de la synthèse, dans un marché assez encombré, et très disparate en termes de qualité sonore et de fabrication, peut poser questions. La tâche d’y répondre a donc été confiée à l’ami Skywalker et à moi-même par le staff d’AF : à lui les CS et DX, à moi les CP et YC, avec échanges multiples d’infos et d’opinions !
On commence aujourd’hui par le CP, dernier né d’une vaste gamme comprenant aussi bien les CP60, 70 et 80 utilisant marteaux, cordes et micros que les CP30 ou CP7 utilisant une synthèse analogique, jusqu’à la série CP Stage comprenant un mélange de SCM (Spectral Content Modeling) et AWM2 (Advanced Wave Modulation 2, à base d’échantillons). Autant dire que l’ascendance est imposante. Voyons comment s’en sort le petit dernier.
Introducing Yamaha reface CP
Si l’on veut un aperçu rapide des claviers, on ira consulter les vidéos dans la news que leur a consacré AF, ici. Yamaha a d’abord annoncé un prix public conseillé de 479 euros, et on commence à le voir ici et là en dessous de 400 euros.
Mais déballons notre petit carton ; les contenus sont les mêmes d’un modèle à l’autre, à savoir le clavier (37 touches, action HQ-Mini), les manuels en diverses langues, assez succincts (sont aussi disponibles des manuels en PDF), une alimentation externe, un câble épanoui MIDI (deux prises DIN classiques, In et Out, d’un côté, mini-DIN de l’autre). La bête inspire tout de suite confiance par son poids (elle dépasse les 2 kg avec les piles), et la qualité des plastiques utilisés. Les rotatifs et curseurs sont fermes (le resteront-ils ?), seuls les petits switches à l’ancienne d’activation/sélection des effets peuvent sembler fragiles (du moins sur le long terme). Mais qu’il soit posé sur les genoux, sur une surface stable ou un stand clavier, le CP rassure par sa rigidité et son équilibre, un bon point (quiconque a essayé de jouer des récents synthés poids plume des concurrents comprend là de quoi il s’agit…).
Le constructeur a intégré une amplification correcte (2 × 2 W), qui permet de jouer sans être obligé de brancher le CP à une sono ou de travailler au casque. En revanche, on regrette que l’insertion des jacks dans les prises prévues ne désactive pas les haut-parleurs (l’option « retour » ne fonctionnant qu’en dessous d’un certain niveau sonore…). On y remédiera en branchant un jack dans la prise casque à l’arrière, ou en allant dans les réglages de clavier, qui permettent d’activer/désactiver nombre de fonctions (canal MIDI, mise hors tension automatique, pitch bend, sustain, etc.). On visualisera les modifications via diverses combinaisons des voyants disponibles.
Parlons-en, de la connectique : tout est en face arrière, avec une prise pour l’adaptateur secteur, un port USB permettant la connection MIDI à un hôte, deux sorties jack, une entrée auxiliaire (sur mini-jack stéréo), une prise MIDI (déjà évoquée), une prise casque et une prise pour pédale (avec gestion de demi-pédale si l’on utilise une FC3 du constructeur, non fournie, ou une pédale équivalente), ainsi que l’interrupteur On/Off. Notons que l’alimentation est coupée au bout de 30 minutes d’inactivité. Sur la base du clavier se trouve la trappe d’accès aux logements des piles (six LR6).
La prise USB permet la transmission des données MIDI, et l’on pourra gérer les programmes via un éditeur iOS, le Yamaha Reface Capture (dont le manuel PDF pour les connexions iPhone/iPad est annoncé dans celui des Reface, mais pas encore accessible), mais qui n’est pas disponible au moment de la rédaction de ce test. Impossible donc de dire s’il aura une utilité en ce qui concerne le CP voire le YC, ça ne fait aucun doute en revanche pour les DX et CS.
Autre programme à venir, Soundmondo, une plateforme de partage et éditeur faisant appel au WebMIDI (le futur, déjà présent…), intégrant directement les claviers Reface au navigateur Chrome. Ces deux logiciels seront la seule manière de gérer des programmes (sous réserves…), car la machine est dénuée de mémoires utilisateur, ce qui pourrait pourtant être utile pour se préparer quelques réglages avec effets, etc.
Un comparo de poids…
Retour du protocole de mesure de l’envoi de la vélocité : courbe de réponse à la vélocité linéaire (quand c’est possible), neuf lâchers d’un poids de 100 grammes sur la même touche blanche (le bord du poids est à la verticale de celui de la touche, le poids est posé sur la touche sans le laisser peser, suivi d’un lâcher brusque), puis moyenne des neuf, avec indication des valeurs les plus faible et plus forte.
Voici les résultats.
- Yamaha Reface CP : fourchette 38–51 (moyenne 45,5)
Et ceux précédemment mesurés. Il faut néanmoins prendre en compte la petite taille des touches, l’effet de levier et donc de résistance n’étant pas le même que sur une grande touche.
- Kurzweil Forte : 25–38 (32,2)
- Arturia KeyLab 49 : 36–66 (56)
- Arturia The Laboratory 61 : 56–73 (64,4)
- Korg Taktile 49 : 67–73 (69,5)
- Kurzweil K2500X : 37–39 (37,8)
- Novation Launchkey 61 : 43–52 (48,6)
- Studiologic Numa Concert : 35–43 (36,8)
- Yamaha SY99 : 19–24 (21,7)
Mythiques claviers
Les contrôles fleurent bon les ancêtres dont s’inspire le CP : curseurs de volume et d’octave (plus ou moins deux en plus de la position centrale), rotatifs de sélection des claviers et réglages des huit effets fournis (voir plus avant), et switches de sélection et coupure des effets.
Yamaha a donc intégré six claviers différents, deux versions de Rhodes (façon mkI et mkII, avec respectivement simulation d’ampli US et British), un Wurlitzer et un Clavinet (tous deux avec simulation d’ampli US), un CP80 (avec simulation d’ampli British) et un Toy Piano (avec simulateur d’ampli sans précision). La technique de production sonore employée, comme déjà évoquée, est un mélange de SCM (la modélisation maison) et d’AWM2 (synthèse à base d’échantillons, dont la première version, développée pour le Clavinova CLP-50, remonte à 1986, et la seconde à 1989, intégrée dans le SY77, sauf erreur). Comme à son habitude (et à celles de la plupart des fabricants de hardware), Yamaha ne donne aucune information quant à la taille de la Rom utilisée. Mais peu importe, car il n’est pas question de faire ici ce que l’on peut faire sur un ordinateur, avec sampleur performant et banques de sons de plusieurs Gigaoctets.
Passé le temps d’adaptation à la taille des touches (et en pestant contre la tessiture limitée, une octave de plus n’aurait pas été de trop…), on se prend à jouer sans trop se poser de questions, grâce à la réponse du clavier à la vélocité, et à la façon dont les sonorités répondent aux intentions de jeu. La restitution par les deux haut-parleurs (3 cm, ou 1,18 pouces) est assez étonnante, même si l’on devra s’interdire de pousser le volume au maximum. Il ne faut pas non plus en attendre le contenu dans le bas que délivrera un système d’écoute approprié.
Voyons d’abord comment la réponse du son en fonction de la vélocité est gérée.
On l’entend, à l’exception du Clavinet et du Toy Piano, les passages sont plutôt discrets, alors que l’on imagine bien que l’on ne dispose de couches de vélocité en très grand nombre. En revanche, il y a des samples de relâchement, on y reviendra dans le paragraphe consacré à la section effets. Notons toutefois qu’à réglages identiques, les différents claviers ne sonnent pas aussi fort les uns que les autres. Et il est aussi raisonnable de penser que les échantillons sont bouclés afin d’obtenir les durées adéquates, même si l’édition est bien faite, comme ici sur ce Fa joué sur le CP80. En revanche, on est loin de la durée réelle du vrai : un Fa joué avec la même force sur le vénérable « ancêtre » dure pas loin de 45 secondes, pour seulement 34 secondes dans sa version Reface.
Voici quelques exemples pour chaque instrument dans l’ordre énoncé plus haut, sans effets, ni Drive (certains depuis les MIDIfiles maison, pour entendre des tessitures plus larges que ne le permet le jeu en direct).
Les différents instruments sont plutôt réussis, même si, et curieusement car c’est quand même un instrument maison, le CP80 est en dessous en termes de restitution sonore dans les graves, avec une dynamique assez réduite, alors que sa patate est légendaire quand on « rentre » dans le clavier. Et puis, surtout, au fur et à mesure des manipulations, on s’aperçoit que le volume maximum est bridé (apparemment autour de 80), mais qu’un envoi MIDI depuis une STAN ou un contrôleur externe sur le CC 7 (volume) permet de pousser le CP jusqu’à la valeur 127. Malheureusement, ce volume maximum résulte en une saturation directement depuis le CP, sur les Rhodes en particulier (interface audio, niveaux d’entrée, etc., tout a été vérifié…). Voici deux fois le même fichier, d’abord avec le volume MIDI à 127, ensuite avec le volume par défaut.
Un défaut assez difficilement compréhensible… On restera donc pour la suite du test aux volumes définis par le constructeur.
Section effets
Question effets, Yamaha nous gâte : pas moins de huit choix, et la possibilité d’en utiliser cinq simultanément. Derrière ces modules se cache la technique VCM (Virtual Circuitry Modeling) au cœur de la quasi-totalité des processeurs et plug-ins développés par la marque. On trouve de gauche à droite un Drive, un trémolo/auto wah (trémolo qui se transforme en Auto Pan pour les Rhodes et CP80), un chorus/flanger, un délai façon analogique ou numérique et une réverbe. On dispose d’au moins deux paramètres pour les réglages (Depth et Rate), sauf pour le Drive et la réverbe. On regrettera par ailleurs l’absence de dosage dry/wet pour la réverbe, et plus véniel, pour le délai. De même, une molette de modulation aurait permis un contrôle manuel de la wah wah, ou d’autres paramètres des effets.
Mais ne boudons pas notre plaisir, car les effets, dans leur recherche de sonorités façon années 70 sont très réussis, notamment le chorus stéréo, le Drive qui apporte son lot de compression et d’harmoniques, ou la wah qui fait merveille sur le Clavinet. Voici quelques exemples sonores.
Seule chose à surveiller : lors de l’utilisation du Drive sur les sons disposant de samples de relâchement, ces derniers deviennent beaucoup trop présents.
Bilan
Une première chose : la taille des touches s’oublie assez vite, et l’on arrive à trouver ses marques assez rapidement. En revanche, trois octaves, c’est très bien pour un synthé mono, mais pour jouer (correctement) des parties de clavier/piano, ça ne suffit pas. Ce sera vraiment l’un des seuls gros reproches faits au CP, et qui explique sa note (on peut aussi discuter de la pertinence du tarif), le second étant l’incompréhensible gestion du volume (bridé en interne), qui une fois débridé via envoi de la valeur max du CC7, produit de la saturation, ce qui oblige à surveiller les automations ou changements de volume via CC lors d’utilisation via une STAN, ou lors de l’utilisation d’une pédale de volume MIDI.
Après, il y en a des plus petits (reproches…), comme l’éventuelle fragilité des switches, l’absence de molette de modulation pour une wah wah manuelle, par exemple, ou pour le dosage dry/wet de la réverbe et du délai (comment, il n’y en a pas ? Ah bé c’est un reproche aussi, alors…). Réverbe dont l’unique algorithme ne plaira pas à tout le monde. Ou l’effet de volume sur les samples de relâchement quand on utilise le Drive.
Pourtant, il faut reconnaître que le clavier sonne très bien, avec une belle dynamique, et que les effets sont très réussis. On peut penser au CP comme à une version miniature d’un CP-1, par exemple, sans les pianos acoustiques ni tous les raffinements apportés aux effets. Si l’on souhaite disposer de ces sons typiques, dans une solution portable, compacte, autonome (merci l’alimentation par piles et les HP inclus), il y a peu (pas ?) de concurrents. On peut envisager le CP comme un outil de préparation, de répétition sur la route, comme clavier-maître ultra-portable pour créer des séquences dans sa STAN préférée ou son appli iOS ou Android. Et une fois un clavier-maître externe grandes touches et 61 notes ou plus connecté, le CP peut exprimer pleinement son potentiel, devenant un expandeur dédié performant. Tiens, d’ailleurs, monsieur Yamaha, pourquoi pas une version rack, ce qui pourrait faire baisser sérieusement le prix, tout en offrant à chacun le choix de son clavier ?
Téléchargez les extraits sonores (format FLAC)