Le jeune fabricant indonésien GFI System propose depuis 2010 des pédales s’inscrivant dans la mouvance dites « boutique ». Avec son modèle phare, la pédale de delay et réverbe Specular Tempus, la marque ose s’attaquer aux grands pontes que sont Strymon, Eventide ou TC Electronic. L’avenir des effets haut de gamme est-il en Orient ?
Depuis une dizaine d’années, le marché des pédales d’effet « boutique » n’a cessé de prendre de l’ampleur. Si le phénomène s’est longtemps cantonné aux frontières américaines et européennes, de nombreux fabricants provenant de pays plus lointains se sont plus récemment engouffrés dans la brèche. C’est le cas de GFI System, dont nous avons testé le modèle le plus populaire : la Specular Tempus.
GFI, des idées d’Indonésie !
Henry Widjaja, le fondateur de GFI, est un ingénieur spécialisé dans le traitement du signal. Grand amateur de pédales, il découvre la vague « boutique » lors de ses années d’études aux États-Unis, autour de 2003. De retour dans son pays natal, Widjaja entame une carrière d’ingénieur au service de sociétés ou d’universités, tout en ayant pour projet de se lancer sérieusement dans la fabrication d’effets. En 2010, il quitte finalement son travail et se lance pleinement dans l’aventure entrepreneuriale en fondant GFI System. Il se cantonne d’abord aux pédales analogiques, avant d’opter pour des solutions numériques en 2013. Tout s’accélère ensuite, et la marque acquiert petit à petit une jolie réputation, notamment grâce à la réverbe Specular, au delay Clockwork, ou encore au simulateur de baffe Cabzeus. Mais s’il fallait ne retenir qu’un modèle, c’est bien la Specular Tempus qui s’imposerait !
Écran bleu
Comme nous l’avons déjà indiqué, la Specular Tempus est une pédale de réverbe et de delay numérique. Elle prend la forme d’un rectangle un peu plus petit qu’une pédale Strymon, mais relativement épais. L’appareil est livré dans une boîte sobre, accompagnée par un livret dont l’impression n’est pas de grande qualité, et, chose rare, par un câble USB. D’emblée, nous avons donc affaire à un paradoxe : peu de moyens ont été mis dans l’impression du manuel, mais un câble USB est fourni, là où la plupart des marques vous laisseront vous débrouiller tout seul. Le châssis de la machine est simple et joli, et il est surmonté de quatre potards, d’un petit bouton, de deux footswitchs, et d’un écran très simple, mais bien rétroéclairé qui offre une belle lisibilité. La construction semble globalement sérieuse et sans fantaisie. Bref, jusque là, la Specular Tempus joue clairement la carte du minimalisme. C’est en observant les côtés de la machine que l’on se rend compte que la Specular Tempus est un appareil ambitieux.
Ainsi, à l’arrière du châssis, on trouve deux entrées et deux sorties stéréo, un port USB pour relier la pédale à un éditeur logiciel sur PC et MAC, un port pour une alimentation 9V, et une boucle d’effet… au format jack 3,5 mm ! Si l’idée d’incorporer une boucle d’effet pour ajouter des effets uniquement sur les réverbes et les répétitions est excellente, il sera nécessaire d’utiliser des adaptateurs jack 3,5 mm vers jack 6,35 mm. Le manque de place est certainement la raison de ce choix, mais c’est dommage !
L’avant du châssis est tout aussi intéressant. Dans un premier temps, on y trouve une entrée MIDI 5 broches pour envoyer une horloge MIDI, du Program Change (PC) ou du Control Change (CC). Une entrée Aux pour brancher un footswitch externe (de 1 à 3 sélecteurs) et ainsi piloter la pédale est aussi là. Enfin une sortie Aux est présente. Elle permet de changer les canaux d’un ampli directement depuis la Specular Tempus, ou bien d’envoyer le signal du Tap Tempo vers une autre machine afin de synchroniser les rythmes.
Le voyage intérieur
En son sein, la Specular Tempus embarque 32 algorithmes. Ainsi, on trouve 13 réverbes, 13 delays, et 6 presets combinant des delays et des réverbes. Vous l’aurez compris, vous ne pourrez malheureusement pas cumuler librement les algorithmes de votre choix. Jetons un œil à la liste des réverbes et delays disponibles.
- Réverbes : Spatium, Room, Title Room, 70s Plate, Spring, Modulated, Shimmer, Swell, Vortex, Voices, Anti-Shimmer, Tremble et infinity
- Delays : Digital, Analog, Echoes, Spectral, Filter, Formant, Transposer, Ambiental, Dual Stereo, Dual Dotted, Dual Gold, Multi-Tap 3, Multi-Tap 4
- Réverbes et delays cumulés : +Digital Dly, +Analog Dly, +Echo Dly, Diffuse Dgtl, Diffuse Anlg, Diffuse Echo
La navigation entre les différents algorithmes se fait par l’intermédiaire de banques composée de deux presets. Le premier preset correspond au footswitch gauche de la pédale, et le second au footswitch droit. Il est donc possible d’actionner en un mouvement l’un ou l’autre. En appuyant sur les deux footswitchs en même temps, vous passez à la banque suivante. Il y a au total 4 pages composées de 4 banques, soit 32 emplacements pour presets. Comme vous le savez, les potards de la machine sont au nombre de quatre, et ils sont lumineux. GFI a donc eu l’intelligence de s’en servir comme de précieux retour visuel accompagnant l’écran. La navigation est simple et intuitive, même s’il faut parfois appuyé de nombreuses fois sur les deux footswitchs en même temps pour enfin atteindre le preset souhaité. Heureusement, le MIDI et la possibilité d’organiser les presets dans l’ordre de son choix ou bien de brancher un footswitch externe (on peut alors atteindre le favori de son choix instantanément) permettent de pallier à cela.
Revenons justement aux potards ! Ils modifient évidemment les presets, et l’on peut enregistrer les nouveaux réglages en restant appuyé quelques secondes sur le footswitch concerné. Le premier potard est un blend et permet de doser la présence de la réverbe ou du delay. Le deuxième agit sur le déclin dans le cas des réverbes, et sur les temps de répétitions dans le cas des delays. Il fait aussi office de réglage des subdivisions rythmiques, et l’on peut accéder à des triolets, des croches, des croches pointées et des noires. Le troisième bouton agit sur des paramètres différents en fonctions des presets. La plupart du temps, il modifie la tonalité. Enfin, le dernier potard modifie l’intensité des réverbes et le feedback des delays.
Pour modifier des presets plus en profondeur et changer carrément d’algorithmes, il faudra utiliser le petit bouton View/Edit placé entre les deux presets. Vous pourrez alors sélectionner l’algorithme de votre choix ! Ce bouton permet aussi de rentrer dans les paramètres globaux de la Specular Tempus. En vrac, vous aurez la possibilité de transformer le footswitch B en Tap Tempo (il n’y a donc plus qu’un preset par banque, mais un footswitch externe peut aussi contrôler le Tap Tempo), d’activer une fonction Kill Dry (seul le son wet des effets est audible), ou encore de choisir si le Tap Tempo prend en compte la moyenne de vos différents « taps » ou seulement les deux derniers. Ajoutons tout de même que c’est aussi dans ce menu que vous pourrez choisir les fonctions d’éventuels footswitchs externes et les canaux MIDI. Enfin, vous pourrez modifier le nombre de pages de presets afin de vous faciliter la vie si vous utilisez un nombre de favoris restreints.
Windows 95
Si l’utilisation de la Specular Tempus est plutôt simple, l’écran relativement petit et la navigation à base d’appuis sur les deux footswitchs en même temps peuvent rapidement présenter des limites. Heureusement, GFI System propose le SpecLab, un logiciel d’édition dédié à sa machine.
À l’instar de la pédale, le logiciel est d’une grande simplicité. L’interface est laide et vieille, mais est ergonomiquement très efficace. On peut modifier les paramètres de la pédale à la volée, et l’incidence sonore est directe. Par contre, sachez que lorsqu’on bouge un potard sur la pédale, les paramètres ne s’ajustent pas automatiquement dans le logiciel. C’est dommage, car des fabricants comme TC Electronic le permettent.
Quoi qu’il en soit, tous les paramètres accessibles depuis la Specular Tempus sont dans le logiciel. Les réglages sont divisés en deux catégories : « Real » et « Virtual ». La partie Real correspond aux quatre paramètres assignés aux potards de la pédale, ainsi qu’aux fonctions comme le Tempo, l’Auto-swell (nous y reviendrons), etc. La partie Virtual, elle, est dédiée à des paramètres uniquement disponibles via SpecLab. On trouve notamment des filtres, des modulations, le panorama stéréo, les octaves pour les effets Shimmers, etc. Attention, lorsqu’on modifie des réglages provenant de la zone Virtual, le son se coupe quelques millisecondes. Nous vous déconseillons donc de les modifier en live.
Dengarkan musik
C’est bien beau de décrire les capacités d’une pédale, mais encore faut-il l’écouter pour réellement se faire un avis ! Ça tombe bien, nous vous avons concocté plus de deux heures de sons ! C’est simple, vous pourrez écouter en profondeur chacun des algorithmes présents dans la pédale.
Commençons par les sons de réverbes :
- 1 Spatium 03:26
- 2 Room 04:20
- 3 Tile Room 04:04
- 4 70 s Plate 03:44
- 5 Spring 03:32
- 6 Modulated 04:26
- 7 Shimmer 03:58
- 8 Swell 02:56
- 9 Vortex 02:22
- 10 Voices 04:12
- 11 Anti shimmer 03:14
- 12 Tremble 03:34
- 13 Infinity 04:26
Qu’on se le dise, la Specular Tempus sonne vraiment bien. Nous avons été agréablement surpris par les réverbes Shimmer. L’effet de pitch est assez subtil, il ne fait pas trop synthétique. Les queues de réverbe sont belles et s’effacent naturellement lorsque le decay est long, mais un poil trop brusquement lorsque le decay est assez court. On a déjà entendu mieux chez Strymon, Eventide ou Meris. Pour autant, il s’agit de subtilités que seuls les plus exigeants des auditeurs remarqueront : ça compte, mais il faut le relativiser.
Si le mode Shimmer est intéressant, le mode Anti-shimmer sort encore plus du lot. Il est très original avec son effet « décroissant ». De plus, il permet d’observer que la pédale réagit bien à l’attaque, puisque l’effet est plus prononcé et long lorsqu’on gratte les cordes avec force. Le mode Voices nous a aussi plu, car il offre un effet Shimmer plus doux et plus épais. On a affaire à de vraies nappes.
En parlant de nappes, le mode Infinity est marquant. Il permet de créer des nappes sonores qui perdurent pendant que l’on joue par dessus. Un appui long sur les deux footswitchs en même temps fait office de fonction « freeze » ! Deux paramètres d’intensité et de tonalité sont destinés au son de la nappe, alors que les réglages Blend et le Decay agissent uniquement sur le son dry de la guitare. Il est donc possible de naviguer entre des sons trainants et d’autres, plus secs, tout en jouant par dessus la nappe. C’est vraiment excellent ! Notons que l’algorithme Infinity peut être utilisé de deux manières. Un premier mode permet de créer une nappe, puis d’en générer une autre lorsqu’on utilise à nouveau la fonction freeze. Un second mode permet, lui, de superposer des couches indéfiniment.
De nombreuses réverbes présentent aussi des effets de modulations. C’est assez réussi, et nous avons particulièrement apprécié le mode Tremble qui offre un trémolo uniquement sur la réverbe. C’est beau, et on peut évidemment modifier l’intensité de l’oscillation, ainsi que la vitesse.
Enfin, insistons sur l’utilité du paramètre « Warmth » qui accompagne la quasi-totalité des réverbes. Il assombrit légèrement le son en éliminant petit à petit les aigus. C’est efficace en particulier sur des sons un peu agressifs comme les effets Shimmer ou sur des modulations.
À présent, passons aux delays :
- 17 Digital +harmonizer Kemper 03:18
- 18 Analog 06:02
- 19 Echoes 03:38
- 20 Spectral 04:02
- 21 Filter 04:58
- 22 Formant 03:26
- 23 Transposer 04:30
- 24 Ambiental 02:56
- 25 Dual Stereo 03:50
- 26 Dual Dotted 03:20
- 27 Dual Gold 03:54
- 28 Multi Tap 3 03:26
- 29 Multi Tap 4 02:16
À l’instar des algorithmes de réverbe, les presets de delay sont, pour la plupart, classiques. La simulation de delay analogique offre une jolie modulation façon bande lorsque les répétitions s’estompent, c’est naturel et flatteur. D’ailleurs, on peut ajouter une petite modulation proche du vibrato dans tous les algorithmes grâce à la section Virtual du logiciel SpecLab. Évidemment, la vitesse et la profondeur sont modifiables.
L’algorithme Spectral nous a particulièrement marqués avec son balayage semblable à un phaser. On peut accélérer l’effet et modifier sa tonalité grâce aux réglages Warmth. Les algo Filter et Formant sont aussi excellents, puisqu’ils embarquent des filtres sensible à l’attaque et donc réactif à notre jeu.
Encore une fois, tout sonne très bien, mais très sage hormis les presets que nous avons spécifiquement mentionnés. Les effets Dual et Multi permettent de créer des effets stéréo un peu poussés, et l’on peut même modifié la largeur stéréo. Pour autant, nous n’avons pas retrouvé la finesse stéréo de la Meris Polymoon et de la Empress Effects Echosystem que nous avons eu l’occasion de tester. Quant aux effets multi-tap, vous aurez accès à quatre patterns pour l’algorithme Tap 3, et à quatre autres pour le Tap 4.
Écoutons maintenant les algorithmes mêlant réverbe et delay :
- 14 +Digital Dly 04:14
- 15 +Analog Dly 04:34
- 16 +Echo Dly 05:20
- 30 Diffuse Dgtl 04:08
- 31 Diffuse Anlg 02:36
- 32 Diffuse Echo 03:38
Les modes qui mélangent delay et réverbe sont très classiques, puisqu’ils reprennent les réverbes et les delays les plus standard disponibles dans la Specular Tempus. On a deux algorithmes typés numériques, deux autres typés analogiques, et deux derniers plutôt « ambient ». Ça sonne très bien, et on peut parfois jouer sur des modulations, sur un effet ping pong, etc. Notons que, dans la plupart des cas, la réverbe s’applique uniquement sur les répétitions. C’est intéressant, mais tout cela reste très sage. Malheureusement, nous ne pouvons pas combiner deux algorithmes complètement dingues à la manière de l’Echosystem, et cela manque.
Avant de conclure ce test, nous tenions à vous faire découvrir un extrait illustrant la fonction Auto-swell. L’Auto-swell permet de choisir un paramètre, et de passer d’un réglage à un autre en restant appuyé sur les deux footswitchs en même temps. Dans notre cas, nous avons choisi le delay Ambiential et avons assigné la fonction au feedback. Ainsi, nous passons de répétitions peu nombreuses à des répétitions envahissantes en quelques secondes :
Conclusion
La Specular Tempus est une pédale déconcertante. Les réverbes et les delays s’illustrent dans un registre très typé « ambient » relativement classique. Ca sonne très bien, mais on ne retrouve pas le grain de folie, le surplus d’âmes d’autres pédales. Nous regrettons aussi que l’ajout d’un footswitch supplémentaire soit quasi indispensable pour utiliser la machine à son plein potentiel. Pour autant, la pédale de GFI System a de sérieux atouts !
L’ergonomie minimaliste est efficace, et on trouve des éléments assez rares sur une machine de ce type vendu au tarif relativement contenu de 359 €. On a le droit à un écran particulièrement utile, il y a une boucle d’effet, du MIDI sans avoir besoin d’un adaptateur, une entrée Aux pour ajouter un footswitch ou un Tap Tempo, une sortie Aux pour synchroniser des machines tierces, une fonction Auto-swell, etc. C’est tout de même impressionnant ! Le logiciel est aussi très efficace, même s’il a besoin d’un bon petit lifting.
Honnêtement, si votre budget vous le permet et que vous recherchez la perfection, nous vous conseillons de viser certains produits de la concurrence qui en feront quasiment autant, mais seront plus chers. Si votre porte-feuille fait grise mine, mais que le son et l’originalité sont vos priorités absolues, une autre option est de choisir une machine à l’identité sonore plus marquée et vendue à un tarif similaire, mais qui offrira bien moins de fonctions. Quant à la Specular Tempus, c’est une bonne machine qui se démarque avant tout en offrant un compromis intéressant. Le nombre de possibilité, de fonctions et de branchements est impressionnant pour le prix, et les algo sont bien réalisés même s’ils manquent de saveur à notre goût. Vous l’aurez compris, la pédale aurait pu s’imposer comme une valeur sûre avec un petit peu plus de travail sur le son ou un tarif légèrement plus faible. L’award ne sera pas pour cette fois, mais la pédale de GFI System trouvera à coup sûr son public.