Hum ? Un test de jeu vidéo sur AudioFanzine ? Tout à fait ! Sauf que ce jeu-là ne se joue pas avec un gamepad mais avec une vraie guitare. Et ça change tout...
Si la borne d’arcade GuitarFreaks de Konami faisait figure d’OVNI à sa sortie, force est de constater qu’en inspirant le Guitar Hero d’Activision, puis le Rockband de Rockstars, elle a depuis engendré un genre vidéoludique à part entière : le jeu de synchro musicale.
Il faut dire que le concept a de quoi plaire : vous mettre dans la peau des plus célèbres guitaristes de la planète en jouant, devant des foules en délire, les plus grands standards du rock, de la pop ou du métal… Comment ? En utilisant une guitare en plastique à 5 touches en vis-à-vis d’une partition revisitée façon Tetris : des symboles glissent sur un tapis roulant et dès qu’ils atteignent le bas de l’écran, vous devez presser les touches qui leur correspondent pour déclencher telle note, tel accord ou tel effet de jeu. Le gameplay est certes archaïque, avec un score bêtement basé sur votre précision, mais il est compensé par un tel plaisir de jeu que le public a complètement adhéré au principe. Le plaisir ? C’est d’abord celui de jouer de la guitare comme un Dieu sans devoir apprendre à jouer vraiment de la guitare (pas de crampes, pas d’ampoules et une progression autrement plus facile) mais c’est aussi et surtout le bonheur de jouer, non sur des réorchestrations des chansons mais sur les versions originales : quand vous tenez la guitare sur Satisfaction des Rolling Stones, c’est bien Mick Jagger qui chante à vos côtés et Charlie Watts qui enclume derrière vous. Bref, si tous les gamins des générations précédentes faisaient des playbacks avec une raquette de tennis en poussant le volume à fond sur la chaîne hi-fi familiale, ceux des années 2000 se sont éclatés sur GuitarFreaks, Guitar Hero ou encore Rockband qui, au fil des versions, ont étendu le concept à d’autres instruments ou univers : basse, DJing, chant, batterie…
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Or, avec ce dernier exemple, on était plus proche que jamais d’un véritable apprentissage de l’instrument, car taper un rythme sur une batterie jouet, c’est finalement aborder un travail rythmique qui gardera tout son intérêt pour jouer de la vraie batterie ensuite. De ce fait, on n’est donc pas trop surpris de voir arriver ce Rocksmith qui gomme un peu plus encore la frontière entre le jeu vidéo et le logiciel d’apprentissage en troquant la guitare jouet à 5 touches pour une vraie guitare à 6 cordes : fini de faire semblant, cette fois, c’est pour de vrai !
D’ailleurs, pour marquer le coup, Ubi Soft a mis les petits plats dans les grands et s’est associé à Epiphone pour vendre son jeu en bundle avec une Les Paul Junior au prix de 200 €. Évidemment, si cette guitare d’entrée de gamme ne vous intéresse pas, vous pouvez acquérir le jeu seul pour un peu moins de 70 €, lequel sera livré avec un câble Jack/USB qui fera office d’interface audio entre n’importe quelle guitare électrique et votre console ou votre PC car, précisons-le, Rocksmith tourne sous PlayStation 3, X-Box 360 et PC. Pas de Mac ? Non, pas de Mac.
Pour notre test, nous avons d’ailleurs utilisé la version X-Box en conjonction avec 3 guitares différentes (une Fender Telecaster Deluxe, une autre Standard et même une Variax 600 de Line 6) sans jamais rencontrer le moindre problème, le tout fonctionnant avec une latence tout à fait jouable. Le pari est d’autant plus réussi techniquement que la détection polyphonique est bien au rendez-vous, malgré certaines limites : l’algorithme ne se soucie guère des doigtés (un mi grave fretté à la cinquième case est détecté comme un la à vide par l’accordeur), cependant qu’il se montre relativement tolérant en termes de précision pour ne décourager personne (du moins au début).
Penchons-nous, pour l’heure, sur le jeu proprement dit…
Ma femme, c’est Keith Richards
Compatible avec n’importe quelle guitare ou basse électrique, Rocksmith vous demandera d’abord si vous souhaitez réaliser le parcours Guitare ou le parcours Basse, en sachant que ce dernier pourra être réalisé soit avec une vraie basse, soit avec une guitare que le logiciel se chargera de transposer. Une fois ce choix fait, il vous posera quelques questions sur votre instrument pour adapter au mieux son interface et ses visuels : on peut ainsi préciser si l’on est gaucher ou droitier et le type de tête de la guitare, avant de passer à un calibrage simple du son (vérification du niveau sonore) puis à son accordage. C’est à cette occasion que l’on fait connaissance avec les codes couleurs utilisés par le jeu : rouge pour le mi grave, jaune pour le la, bleu pour le ré, orange pour le sol, vert pour le si et rose pour le mi aigu.
Si en amont de ces réglages, une courte vidéo vous explique comment tenir votre médiator, on notera que l’appareil pédagogique du logiciel se montre discret dès le départ pour ne pas gêner l’accès à sa partie ludique. Sitôt arrivé dans le menu principal, le riff de Satisfaction se fait d’ailleurs entendre comme une invitation qui ne se refuse pas : allons-y !
On se retrouve alors avec le son de guitare fuzz qui convient face au fameux tapis roulant où les notes dégringolent jusqu’à atterrir sur le bloc corde au bas de l’écran, au moment précis où il faudra les jouer. Chaque note est évidemment de la couleur d’une corde et d’un design particulier pour vous permettre d’anticiper vos actions, tandis que le tapis roulant figure les cases de votre manche, au moyen de chiffres évoquant ses repères : 3e case, 5e case, 7e case, etc.
Le système est efficace même s’il demande un petit temps d’adaptation, pour le grand débutant comme pour le guitariste plus confirmé : il faut mémoriser la position de chaque corde en fonction de sa couleur, ce qui n’a rien de très évident lors des premières parties. On s’y fait vite toutefois, tout comme à ce manche virtuel qui scrolle horizontalement en fonction des notes à jouer. Et au bout d’une heure, on est à l’aise avec ce système qui s’avère relativement intuitif.
Une chose est sûre en tous cas, pour ne rien louper des consignes qui défilent à l’écran, et parce qu’il s’agit ici de directement jouer la chanson dans son tempo original, on est forcé de regarder l’écran et non son manche, ce qui est une très bonne chose pédagogiquement. Évidemment, le débutant aura plus tendance à regarder ses doigts mais, sous peine de louper la moitié des notes qui lui sont confiées, il finira vite par faire confiance à sa main gauche comme à sa main droite.
L’autre aspect intéressant du soft qu’on remarque dès cette première partie, c’est sa difficulté qui s’adapte en temps réel au progrès du joueur : si au début, on ne vous demande que de jouer quelques notes éparses pour ne pas vous démotiver, le logiciel sera attentif à vos progrès pour augmenter, quand il lui semble que vous maîtrisez ce que vous faites, le nombre de notes à jouer. Sur le riff de Satisfaction, on ne joue au départ qu’une note, puis deux, puis trois, quatre jusqu’à arriver au riff complet. Notez bien que cet ajustement de la difficulté ne se produit pas entre deux morceaux, mais bel et bien en cours de jeu, ce qui donne un côté imprévisible à chaque partie et permet de maintenir un challenge constant.
Toutefois, bien que cet aspect de Rocksmith fasse beaucoup pour son gameplay, il ne va pas sans poser certains problèmes sur le plan pédagogique : dans les choix qu’il opère sur les notes à ajouter, l’algorithme n’est pas toujours des plus pertinents et complique parfois inutilement les choses. Sur les 8 notes que compte le riff de Satisfaction par exemple, après s’être concentré sur les deux premières notes sur quelques mesures, le soft s’est bizarrement mis à ajouter la quatrième qui, à contretemps, n’était pas la plus évidente à jouer. Du coup, il était presque plus facile de jouer le riff en entier que cette note seule… Plutôt que de confier la gradation du niveau à la machine, on aurait donc préféré qu’UbiSoft demande à un prof de guitare de découper la progression de chaque morceau d’une façon qui fasse sens sur le plan pédagogique. Cela aurait en outre permis de proposer des vidéos ou des modélisation de la main gauche du guitariste car, autre défaut de Rocksmith, on n’y aborde jamais la question des doigtés. De fait, lors de l’observation de ma chère et tendre qui m’a servi de cobaye grand débutant, je me suis aperçu qu’elle jouait toute la chanson avec son seul index pour fretter, préférant glisser de case en case plutôt que d’utiliser ses autres doigts : pourquoi ne l’aurait-elle pas fait puisque rien ne lui disait de ne pas le faire ?
Évidemment, Keith Richards ne joue pas avec beaucoup plus de doigts et la difficulté augmentant, elle fut vite obligée de revoir sa technique de jeu pour pouvoir progresser, mais on sent bien qu’il peut être très facile de prendre de mauvais réflexes avec Rocksmith. Des réflexes qui seront, pour certains, difficiles à perdre…
Mon premier, c’est plaisir
Reste qu’en dépit de ces réserves, le jeu d’UbiSoft remplit haut la main son contrat dès la première partie. Pourquoi ? Parce que, portée par le plaisir de jouer vraiment de la guitare avec le vrai groupe à ses côtés, et même sans jouer toutes les notes, ma douce a eu immédiatement envie de recommencer une partie pour s’améliorer, et s’améliorer encore. De fait, après 3 heures passées à s’acharner sur les Black Keys, les Red Hot Chili Peppers, Jarvis Cocker, Nirvana ou les Pixies, elle avait significativement progressé : elle ne regardait plus son manche à la moindre note et se montrait plus précise dans ses attaques comme dans ses déplacements.
Et de préciser qu’elle aurait pu passer la journée dessus, elle qui, ordinairement, ne voit dans les jeux vidéos qu’une perte de temps relativement stérile : « ici, je ne perds pas mon temps, je fais quelque chose d’utile, j’apprends quelque chose… »
À l’heure où nombre de grandes entreprises se mettent au Serious Gaming pour rendre leurs formations plus efficaces, ces propos ne manqueront pas d’interpeller plus d’un professionnel de l’enseignement musical, non que Rocksmith puisse le moins du monde se substituer à un prof ou à une méthode traditionnelle, mais qu’il soit visiblement un peu plus qu’un simple jeu vidéo et qu’il ouvre, à ce titre, de nouvelles perspectives en termes de support d’apprentissage…
Certes, pour ne pas dégoutter le joueur, le logiciel n’est pas trop regardant sur la précision du timing et certes, je serais curieux de voir comment son algorithme de détection se sortirait d’une partition touffue à la Steve Vai, mais il n’en reste pas moins qu’à force de vouloir bêtement améliorer son score, on finit par apprendre des plans, puis des morceaux entiers, avec le choix à certains moments de choisir entre Rythmique ou Lead, et qu’à la fin, les oreilles prennent le relais des yeux pour jouer les bonnes notes au bon moment. Par honnêteté, je dois avouer que ma grande débutante n’en est pas encore à ce point, mais l’envie est là, le jeu semblant par ailleurs particulièrement addictif.
Voilà qui donne en tout cas envie d’aller fouiner du côté de la partie pédagogique du soft, pour voir ce que l’on peut en tirer.
Hot for teacher
Avant de découvrir de nouveaux morceaux dans le jeu, une voix off vous présente très succinctement les nouvelles techniques auxquelles vous aurez à faire dans le morceau suivant (bend, hammers, note tenue, harmonique, etc.) sans autre recommandation que d’aller voir dans la section Techniques du logiciel pour en savoir plus. À cet endroit vous attendent en effet des exercices dédiés assortis de vidéos explicatives qui vous permettent de vous familiariser avec tel ou tel type de technique. On découvre d’ailleurs qu’UbiSoft ne tourne pas le dos aux bonnes vieilles méthodes pédagogiques : les chansons sont découpées en sections (intro, riff, couplet, refrain, solo, etc.) et nombre d’exercices reposent sur un travail à vitesse ralentie d’abord, puis s’accélérant progressivement ensuite.
Tous ces exercices sont relativement bien conçus, au point qu’il est dommage de les avoir mis de côté plutôt qu’au sein de la progression même du jeu, le débutant ayant tendance à les ignorer pour enchaîner les chansons. Dans le même ordre d’idées, UbiSoft a imaginé toute une série de petits jeux qu’on contrôlera en réalisant telle ou telle note sur la guitare : du Duck Hunt au Space Invader en passant par le Simon ou le casse-brique, ce sont là autant d’opportunités de travailler l’instrument en s’amusant, tout comme le démineur et le solitaire n’avait d’autre but, dans les premières version de Windows, que de familiariser l’utilisateur avec les déplacements, les clics et les drag & drop de la souris.
Là encore, on aurait aimé que ces mini-jeux soient intégrés à la progression principale, non seulement pour varier le gameplay, mais pour s’assurer aussi que le joueur ne passe pas à côté. Parce qu’il faut dire qu’il est facile de les ignorer tant l’interface globale du soft ne brille ni par son design, ni par son ergonomie. Sur fond de cave obscure grossièrement modélisée, une succession de menus et de sous-menus assez lourdingues vous donne d’accès à tous les compartiments du jeu, l’occasion de découvrir de bonnes comme de mauvaises choses. Les bonnes choses, ce sont par exemple un dictionnaire d’accords, ou encore un espace vous permettant de jouer librement avec les différents amplis, guitares et effets que vous débloquerez au fil de votre progression dans le jeu, avec un petit laïus sur chacun. Parmi les choses appréciables, on notera également la possibilité de jouer à deux via le réseau X-Box Live ou la boutique Rocksmith Shop qui permet, contre paiement in-app, d’acheter de nouveaux matos, de débloquer toutes les fonctionnalités du jeu ou encore d’ajouter de nouvelles chansons à la playlist de base (avec un achat à l’unité ou par packs, et des choses relativement intéressantes comme Queen, Police, Otis Redding, etc.).
La moins bonne surprise, vient en revanche du menu Chanson qui permet, quelle que soit votre progression, d’accéder à tous les titres du jeu. Mêlant standards d’hier et succès d’aujourd’hui, cette dernière est plutôt variée et de bon goût, là n’est pas le problème. Mais cet accès à tous les titres rend du coup le mode Progression un peu caduc. Ce dernier s’organise en effet en deux phases : une phase où l’on répète les chansons jusqu’à obtenir un score de qualification, suivi d’une phase de concert où l’on joue ces mêmes chansons devant un public qui, en fonction de la performance réalisée, réclamera un ou deux rappels. En dehors du fait qu’il donne accès à de nouvelles chansons, ce mode ne revêt que peu d’intérêt, UbiSoft n’ayant vraiment pas forcé son talent pour ce qui est de la réalisation : seule différence entre le mode répet et le mode concert, un public fait de sprites grossiers qui clignote pour que l’ambiance soit plus folle. On est très loin des graphismes d’un Rockband et très loin du coup, de ressentir la moindre excitation lors de ces concerts même si l’on comprend que la plus grande complexité du jeu ne permet pas d’axer sur le gameplay sur le côté Jeu de scène. Mais comme de toute façon, les concerts ne servent même pas à débloquer les titres qui sont tous accessibles dans le menu Chansons, on voit mal quel intérêt lui trouver…
À la ramasse sur le graphisme, le jeu est évidemment bien plus à son aise sur le son, avec la possibilité de définir le volume de chaque partie dans les options (guitare, basse, chant), et des simulations d’amplis et d’effets relativement convaincantes, chaque chanson disposant de son preset dédié (précisons d’ailleurs que le jeu devra utiliser la sortie analogique et non HDMI de votre console sous peine de vous retrouver avec une latence le rendant injouable).
Conclusion
Rockmith n’est pas sans défaut, loin de là. Assurant le minimum graphiquement, il a tendance à planquer sa dimension pédagogique sous le tapis pour ne pas être étiqueté 'ludo-éducatif’, ce qui lui interdirait tout espoir de succès commercial (un peu comme si un film Marc Dorcel était classé érotique au lieu de porno). Et pourtant, c’est bien d’un jeu ludo-éducatif qu’il s’agit, au sens le plus noble du terme : on s’amuse et on apprend.
Ce n’est certainement pas une alternative aux méthodes pédagogiques traditionnelles car, en l’absence d’une prise en compte des doigtés et en substituant quelques vidéos et un algorithme à l’expérience d’un prof qui fait du sur mesure pour son élève, il ne dispense pas du tout le même genre d’enseignement. Mais face aux bons vieux exercices qu’il faut travailler à vitesse progressive au métronome avant d’accéder au moindre plaisir de jeu, il représente un support complémentaire de premier choix dans la mesure où sa mécanique le rend addictif et où il offre un plaisir immédiat qui donne envie de persévérer.
Bref. Rocksmith remplace-t-il un prof de guitare ? Non, clairement. Est-il pour tout public ? Oui, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, grattouillant à leurs heures perdues ou n’ayant jamais touché une guitare, aimant ou n’aimant pas les jeux vidéos. Va-t-il susciter de vraies vocations ? À n’en pas douter, ce qui amènera forcément un nouveau public vers l’enseignement traditionnel. Faut-il le mettre sur sa liste de cadeaux pour Noël ? Définitivement. C’est pas un peu cher comme cadeau ? Non si celui à qui vous comptez l’offrir dispose déjà d’un PC ou d’une console, et d’une guitare. Oui s’il n’a rien de tout ça. Mérite-t-il un award ? Oui, sans conteste, celui de l’innovation : ne serait-ce pour souligner que ce n’est pas un constructeur d’instruments ou un éditeur de méthodes pédagogiques qui signe cette réussite, mais le papa de Rayman.
Sur ce, je vous laisse, David Bowie n’attend plus que ma 6 cordes pour entonner Rebel Rebel.