Si le Pro-Q de Fabfilter règne depuis plusieurs années sur le monde des égaliseurs logiciels, il semblerait qu’à force de fonctions innovantes, la concurrence soit sur le point de renverser le roi. Dernier rival en lice, SplitEQ arrive avec des arguments d’autant plus sérieux qu’il émane d’Eventide, des gens qui n’ont jamais eu l’habitude de rigoler sur le terrain de l’innovation…
Il faut bien l’admettre : en accouchant avec Pro-Q d’une ergonomie quasi parfaite, Fabfilter a non seulement poussé ses concurrents à se mettre au niveau sur ce point, mais aussi à réinventer l’égaliseur en imaginant des fonctions inédites. Cela nous donne d’un côté des égaliseurs « intelligents » comme en proposent Sonible, Soundtheory, Oeksound ou Izotope, mais aussi des égaliseurs proposant des concepts originaux : pitch tracking avec SurferEQ chez SoundRadix, modulations dans tous les sens avec Shade chez UVI, égalisations complémentaires avec Claro chez Sonnox, etc.
Et c’est dans ce bouillonnant contexte que nous arrive SplitEQ, le dernier joujou d’Eventide qui n’est autre qu’un cousin éloigné du multieffet Physion sorti il y a quelques années, comme nous allons le voir.
Un EQ comme les autres…
De prime abord, SplitEQ ne paye pas particulièrement de mine : on est face à un égaliseur paramétrique 8 bandes avec un large visualiseur représentant graphiquement la courbe d’égalisation. Graphiquement, l’interface librement redimensionnable est plutôt bien pensée même si on regrette un certain manque de contraste dans les gris utilisés et des couleurs qui semblent un peu passées, ainsi que quelques lacunes ergonomiques : on s’attend à pouvoir double cliquer sur la courbe pour activer une bande, mais il faut le faire depuis le bandeau du bas qui regroupe les commandes de chacun des huit filtres. Étrange aussi : lorsqu’après avoir activé une bande, on tente un clic droit sur le point qui permet de la manipuler, aucun menu contextuel ne nous permet d’accéder à plus de paramètres. Enfin, le logiciel ne gère pas la molette de la souris, ce qui est pourtant si intuitif lorsqu’on veut régler la largeur de bande depuis un point, ou incrémenter une valeur depuis le reste de l’interface…
C’est donc dans le bandeau du bas que tout se passe, l’occasion de se rendre compte que les filtres qui nous sont proposés sont classiques (coupe-bas et coupe-haut, low et high shelf, cloche, notch, tilt, passe-bande) avec des pentes allant de 6 à 96 dB… Rien de bien étonnant jusqu’à ce le regard s’attarde sur la partie droite de l’interface où deux vu-mètres sont proposés : un nommé Tonal, et l’autre nommé Transient. Et nous voici au cœur de l’originalité de SplitEQ.
Une séparation
Tout comme le faisait Physion, SplitEQ est doté d’un algo capable de séparer les contenus harmoniques des contenus inharmoniques dans le signal, ce qui n’est pas sans évoquer une forme plus sophistiquée du processeur de transitoires tel de SPL l’a inventé avec son Transient Designer. On dispose de plusieurs réglages pour paramétrer cette séparation, que ce soit en déclarant le type de source sur laquelle on travaille, ou la force du traitement, son déclin avec la possibilité d’adoucir la « coupe »…
Et comme vous l’avez deviné, on peut grâce à tout cela dédoubler la courbe d’égalisation du logiciel. Pour chaque bande, on peut en effet égaliser différemment les transitoires du sustain, ce qui nous pousse à envisager certaines problématiques de mixage sous un jour complètement nouveau. Dès lors, on peut parfaitement apporter de la brillance à l’attaque d’une caisse claire tout en atténuant la résonance du fût, ou l’inverse. Et sur le bon vieux problème de la basse et du kick qui se bouffent, on peut s’arranger pour redonner de l’impact au kick tout en inhibant l’attaque de la basse, plutôt que de recourir à un compresseur ou un égaliseur classique en sidechain…
On a d’autant plus de possibilités que le bandeau du bas de l’interface peut passer du mode EQ au mode PAN pour accéder à toutes les commandes de spatialisation. C’est ici qu’on peut non seulement déterminer si la stéréo est gérée en droite/gauche ou en mid/side, mais qu’on peut surtout jouer sur le panoramique des transitoires et du sustain différemment, et ce pour chaque bande ! De la sorte, on peut jouer sur le placement dans l’espace comme sur la largeur des éléments : écarteler les résonances d’un piano sur les côtés par exemple, en gardant les attaques au centre…
Bref, c’est vraiment un détail qui change tout, d’autant que cette séparation transitoire/tonal se retrouve dans tout le soft, y compris dans l’écoute solo des bandes… De nombreux presets permettent en tout cas d’embrasser les vastes champs d’application qui sont ceux de SplitEQ : outre les problématiques de masquage que nous venons d’aborder, on pourra l’utiliser pour restaurer (declicker, deesser, etc.), rééquilibrer une prise (atténuer une cymbale trop agressive sur une batterie), élargir ou rétrécir l’image stéréo ou l’enhancement (donner plus de corps à un kick, d’attaque à une guitare acoustique, de mordant à une voix). Quantité de presets sont d’ailleurs fournis par Eventide qui vous serviront de bases pour apprivoiser cet incroyable EQ.
Même si le mieux sera toujours pour vous de télécharger la version d’évaluation pour vous faire une idée, voici quelques exemples sur une reprise de Weezer.
Sur la batterie un peu trop « boomy » on mon goût, j’ai utilisé un shelf pour largement retirer du grave et du bas médium sur la partie tonale (les résonance de la batterie donc), tout en reboostant les graves du kick. Il en résulte une batterie nettement plus lisible :
- DRUMSdry00:11
- DRUMSwet00:11
Pour la basse un peu trop floue elle-aussi, j’ai pu retirer du grave dans le tonal et baissé le niveau global de ce dernier, tout en montant le niveau des transitoires auxquelle j’applique une petit cloche dans les médiums.
- BASSdry00:11
- BASSwet00:11
Pour la guitare gauche, j’ai souhaité inhiber un peu les attaques avec un coupe-haut sur les transitoires uniquement. Et histoire que les coups de médiators ne soient pas trop présents dans mes guitares doublées, j’ai bien taillé dans les transitoires de la guitare droite pour obtenir un violoning qui fonctionne avec la guitare gauche.
- GUITAR1dry00:11
- GUITAR1wet00:11
- GUITAR2dry00:11
- GUITAR2wet00:11
Voyez le mix sans SplitEQ puis après :
- MIXdry00:11
- MIXwet00:11
Intéressant, non ?
On est donc conquis, au point qu’il faut se prononcer sur l’aptitude de SplitEQ à devenir votre égaliseur de tous les jours, ce qui sera l’occasion de s’attarder sur ses limites et défauts.
GoTo EQ ?
À l’évidence, SplitEQ n’a pas de réel équivalent sur le marché et propose bien des façons d’envisager les problématiques de mixage sous un jour nouveau. S’inscrivant évidemment dans le prolongement de Physion (qui ne nous avait pas pleinement convaincu à l’époque en raison d’une séparation insuffisante des transitoire et du tonal, mais l’algo a visiblement bien progressé depuis) comme dans celui du Quantum de Wavesfactory que nous testions récemment, il jouit d’une orientation plus utilitaire que créative et en combinant la dimension Transistoire/Tonal avec la possibilité de traitement en stéréo classique ou Mid/Side, il s’avère extrêmement intéressant pour réaliser des égalisations irréalisables avec d’autres outils. On espère que l’outil va d’ailleurs se développer car il ne serait pas inintéressant, par exemple, de disposer d’un moyen de saturer chaque bande avec évidemment, un algo, des réglages et un dosage différents suivant qu’on traite les transitoires ou le tonal.
Est-on pour autant face à un outil qui va sonner la retraite pour les EQ traditionnels, Pro-Q en tête ? Loin de là ! Disons qu’il est moins concurrent que complémentaire dans le nouveau paradigme qu’il apporte à la résolution de problèmes car il est dépourvu de quantité de choses proposées par les égaliseurs nuémriques classiques : point d’égalisation dynamique ici, ni de possibilité de piloter le traitement via une entrée latérale (sidechain) ou de communiquer avec les autres occurrences du plug-in, pas de fonction permettant de détecter les masquages ou les pics de résonance, ni de clonage de courbe… Mais surtout, il ne vous aura pas échappé qu’Eventide ne communique pas sur l’usage de SplitEQ en mastering et l’on comprend pourquoi quand on se met à jouer avec les paramètres de séparation un peu trop violemment. Quand on sait qu’un simple coupe-bas déclenche inévitablement des problèmes de phase dès qu’on attaque des pentes un peu trop violentes, vous imaginez bien qu’un algo sophistiqué comme SplitEQ n’est pas irréprochable dans ce domaine si on a la main trop lourde. Et sans même parler de phase, on se retrouve aussi parfois dans des réglages extrêmes avec des artefacts vraiment pas jojo. On ne le reprochera pas à Eventide pour autant car avant de se retrouver confronté à ce genre de soucis, on dispose d’une marge confortable pour que SplitEQ rende de nombreux services. Comprenez juste que nous ne sommes pas en présence d’un outil qui va remplacer votre EQ en toutes occasions, mais d’un outils qui rendra certaines choses plus simples au quotidien, comme Soothe sait le faire par exemple…
Bref, Pro-Q et ses copains ont encore bien des choses à faire valoir, et SplitEQ a pour sa part une bonne marge de progression, même s’il ne sera pas forcément évident d’ajouter des fonctions s’il ne veut pas tourner à l’usine à gaz… Disons pour le moins qu’on aimerait bien voir corrigé les petits détails ergonomiques mentionnés plus haut…
Conclusion
Si les EQ « intelligents » sont encore loin de convaincre tout le monde, il ne fait aucun doute qu’à la faveur d’un algo de séparation à la hauteur de la réputation d’Eventide, SplitEQ apporte une nouvelle dimension à l’égalisation. C’est véritablement un nouvel outil qui permet d’apporter des réponses efficaces et élégantes aux classiques problématiques de mixage, tout comme Soothe a pu en apporter sur le problème précis des résonances… Bref, il ne fait aucun doute que SpliEQ est promis à un beau succès et qu’on gagnera à explorer tous les avantages que sa démarche procure en vis-à-vis d’EQ plus classiques. Award innovation ? Oui ! Et un double même, assorti des félicitations de la maison à Eventide !