sE Electronics, compagnie sino-britannique qui sévit depuis plus de 10 ans sur la planète micro, s'attaque aujourd'hui au marché des enceintes de monitoring. Afin de sortir du lot, la marque a employé les grands moyens en demandant de l'aide à un concepteur renommé, Andy Munro, et en donnant un look original à son produit. La ponte a commencé !
La sortie des Egg est un petit évènement et un gros challenge pour sE Electronics car s’attaquer à un nouveau marché n’est jamais chose facile. C’est pourquoi sE a voulu s’associer avec un grand nom, en la personne d’Andy Munro de Munro Acoustics, qui peut compter dans son carnet de clients pas mal de grands studios (Air Studios, Sphere Studios, Metropolis) et de grands artistes (Massive Attack, U2, Coldplay). Le monsieur a aussi collaboré avec Dynaudio, il n’en est donc pas à son coup d’essai. sE Electronics a déjà par le passé fait équipe avec un autre grand nom de l’audio, Rupert Neve, en sortant des micros haut de gamme (les sE RNR1 et RN17) : cela commence à devenir une habitude !
Poule of London
Existe aussi en blanc, d’autres couleurs sont à venir |
La première étape de ce test s’est déroulée hors de nos frontières, à Hitchin situé à moins de 30 minutes de Londres, dans les locaux de Sonic Distribution, fief de James Ishmaev-Young et Phil Smith, partenaires depuis 2002 de la compagnie sE Electronics. Nous avons pu ainsi rencontrer le sympathique Andy Munro, afin de discuter de son nouveau bébé pondu récemment. Évidemment, nous avons pu aussi faire une première écoute des Egg 150 dans le studio situé dans les sous-sols des locaux.
Lors de cette journée, Andy Munro a pu nous expliquer le pourquoi du comment, en commençant par la forme pour le moins originale de ces enceintes. Si le look est d’un point de vue commercial un véritable atout, démarquant les Egg de la concurrence en un clin d’oeil, il a avant tout une raison acoustique. D’après le concepteur, cette forme permet d’amoindrir les diffractions sonores et les discontinuités dans la réponse en fréquences, de réduire la taille du haut-parleur et d’abaisser la fréquence du crossover afin d’éviter certains problèmes de phase. Le but de tout cela est évidemment d’obtenir une réponse en fréquence la plus plate possible et une distribution d’énergie homogène dans la pièce. Munro affirme que cette forme ovoïde est la meilleure solution après l’enceinte intégrée dans le mur, comme on le voit dans les plus grands studios. On peut d’ailleurs constater que les haut-parleurs des Egg sont intégrés sur une surface plane, ce ne sont donc pas tout à fait des œufs !
Concernant le matériau utilisé, le but étant de réduire au maximum les résonnances, Munro a opté pour quelque chose de relativement fin et très rigide : une sorte de plastique. Ainsi, la fréquence de résonnance est trop haute pour le boomer car au-dessus du crossover. Le tweeter étant enfermé, le problème est évincé. Côté électronique, il y a aussi un fort parti pris. En effet, le concepteur a voulu un système entièrement analogique : pas de DSP et de correction numérique.
Pour ceux désirant en savoir un peu plus, voici la présentation complète d’Andy Munro, en vidéo :
La première écoute dans le studio de Sonic Distribution (doté d’une très bonne acoustique) fut assez concluante, et sans autre repère audio que les Egg, nous les avons trouvé très équilibrées et les basses étaient nettes et précises. Toutefois, avant de nous prononcer, nous avons attendu de les recevoir, deux semaines plus tard, afin de les comparer avec une paire d’enceintes connue, dotée de haut-parleurs de 6 pouces et située dans la même gamme de prix : les Solo6 Be de Focal.
Mais tout d’abord, faisons le tour du propriétaire.
Quoi de n’oeuf ?
sE Electronics et Andy Munro ne font rien comme les autres et les Egg ont la particularité de n’être livrées que par paire, avec un ampli externe et rackable. Le gros carton livré en cache donc en réalité trois : ceux des deux enceintes et celui de l’ampli séparé. Première surprise, les deux enceintes sont étiquetées et chacune est assignée à un canal : droite et gauche. En effet sE prend la peine de les calibrer afin de les apparier avant de les envoyer au destinataire ! On ne peut que saluer l’initiative. Autre joyeuseté qui sera appréciée des professionnels : les Egg sont garanties trois ans « zero downtime ». Cela veut tout simplement dire que si une enceinte venait à vous dire au revoir, elle sera remplacée immédiatement par une de secours le temps de la réparation. Comme ça, vous pouvez continuer à bosser tranquillement : sympa !
L’ampli est donc séparé, rackable et au format 2U. Mais attention, cela n’en fait pas pour autant un système passif. La différence entre un système actif et un système passif se situe au niveau du filtre de crossover qui n’est pas situé au même endroit. Explication : la majorité des enceintes de studio possèdent deux (ou trois) haut-parleurs, et sont dénommées deux (ou trois) voies. Chaque haut-parleur se voit attribuer une certaine bande de fréquences (les aigus pour le tweeter et les médiums/graves pour le boomer), et il faut donc au préalable filtrer le signal pleine bande de la source. C’est le boulot du filtre de crossover, placé à 2,1kHz sur les Egg. Or, ce dernier peut être placé avant ou après l’amplification. S’il est placé avant, on devra alors utiliser deux amplis (bi-amplification) pour une enceinte deux voies. C’est alors un système actif. Si le crossover est situé après l’amplification, il n’y aura alors qu’un seul ampli et ce sera un système passif. Le système actif a pour avantage de pouvoir associer à chaque haut-parleur un ampli adéquat (puissance, impédance…) et de tirer au mieux parti de chaque transducteur. Dans le cas des Egg, les enceintes sont reliées à l’ampli via un gros câble de 3 mètres et doté de connecteurs Speakon 4 points. On retrouve donc bien 2 liaisons par haut-parleur : c’est un système actif ! Le rack renferme en fait 4 amplis de 50 Watts RMS et deux alimentations.
Le fait d’avoir un ampli séparé a, d’un point de vue pratique, des avantages et des inconvénients. Si vous avez déjà un meuble avec des racks, vous serez heureux de retrouver à portée de main un gros potard de volume pour régler le niveau de vos enceintes et un switch pour les éteindre et les allumer. En revanche, si votre home studio est de taille modeste et que vous n’avez pas de rack, l’ampli prendra de la place. Derrière l’ampli, on retrouve quatre entrées : deux XLR (+4dBu ou –10dBV) et deux RCA (-10dBV). Vous brancherez la sortie de votre console ou carte son sur les entrées XLR et votre lecteur CD ou iPod sur les RCA. Ainsi, vous pourrez passer d’une source à l’autre rapidement via le sélecteur disponible en façade. Vu que chaque paire d’entrées a son propre volume, il sera très pratique de comparer votre mix tout beau tout neuf à votre disque de chevet/référence. De plus, vous n’aurez pas besoin de rallumer votre station de travail pour écouter rapidement un morceau. Pour finir avec l’arrière de l’ampli, on retrouve deux réglages permettant de diminuer, via un tournevis, les hautes et basses fréquences. En tournant le HF Trim de 45 degrés dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, vous retirerez 1dB à 10kHZ (shelve) et la plage s’étend de +1 à –5 dB, le LF Trim permet quant à lui d’atténuer jusqu’à 10dB à partir de 63Hz.
Sur la face avant du rack, nous retrouvons les deux gros potards de volume qui sont très agréables à manipuler, le sélecteur de source (AUX et Main), la prise casque qui mute les amplis quand elle est utilisée (pratique !), et enfin un dernier réglage pour les moyennes fréquences. Le concepteur a voulu donner la possibilité d’ajouter ou retirer 1,5dB à 2kHz, afin d’avoir une écoute plus typée « Hi-Fi », à savoir légèrement creusée dans les médiums et donc un peu plus flatteuse (pour les clients de votre studio !). Au contraire, il sera possible de booster légèrement les médiums afin de contrôler plus précisément certains détails de votre mix (les voix par exemple). C’est ce que les concepteurs appellent le « NS-10 shift », d’après l’enceinte de Yamaha souvent utilisée dans les studios pour sa capacité à faire ressortir certains détails des mix, à cause de sa réponse en fréquence pour le moins typée. Nous avons trouvé l’idée très bonne et pratique ! C’est en général ce qui manque aux enceintes d’entrée de gamme qui ont la fâcheuse tendance à cacher les moyennes fréquences derrière des aigus et des basses exagérées.
La version 4 pouces, à venir |
Terminons avec les enceintes en elles-mêmes, qui sont douces au toucher (caoutchouteux) mais qui peuvent craindre quelques rayures. Le pied permet d’incliner l’enceinte vers l’avant et une LED bleue placée au-dessus du tweeter a pour vocation de faciliter le placement des moniteurs. Vous êtes bien placé dans l’axe de l’enceinte quand la LED brille au maximum, c’est un détail bien pratique lors de l’installation. Notons qu’il est possible de désactiver les LEDs via un switch derrière l’ampli. On remarque aussi la présence d’un port bass reflex sous le boomer, à l’avant de l’enceinte. À l’intérieur de l’oeuf, on retrouve deux transducteurs, le boomer de 165mm de diamètre en polypropylène (50W RMS) et le tweeter type dôme de soie de 25mm. Enfin, pour que les œufs puissent tenir debout, un pied est intégré et il est possible de faire pencher l’enceinte légèrement vers l’avant.
Passons maintenant au comparatif !
Comparatif
Afin de tester les Egg, nous avons écouté des titres très bien produits, fourmillant de détails que nous connaissons par coeur. Nous avons placé les deux paires d’enceintes (Focal Solo 6Be et sE Egg) sur des pieds et nous les avons branchées en sortie de notre Mbox Pro. Cette interface a la particularité de pouvoir switcher rapidement d’une paire d’enceintes à une autre, ce qui se révèle être primordial pour le comparatif. Pour commencer, nous avons laissé les enceintes avec les réglages d’origine. Nous les avons légèrement modifiés par la suite afin d’en étudier leur comportement. Voici le rapport d’écoute :
Le haut-parleur signé sE |
Johnny Cash – Hurt
On commence par la chanson « Hurt » interprétée par Johnny Cash, écrite par Trent Reznor de Nine Inch Nails et issue de l’album American IV : The Man Comes Around. Cet album regroupe toute une série de reprises et a été enregistré sous la tutelle de Rick Rubin. La chanson est composée de deux montées en puissance et met en avant la guitare acoustique Martin et la voix de Cash.
Sur les Focal, la voix de Cash est plus présente, cela est dû aux hauts médiums légèrement plus en avant. Elle est plus nasale que sur les Egg mais ressort plus facilement du mix. De même, les attaques de la guitare acoustique sont plus accentuées sur les Solo6. D’une manière générale, les Solo6 donnent l’impression d’une plus forte proximité, alors que les Egg ont plus d’air (hautes fréquences). Nous avons essayé de les comparer en enclenchant le mode « hard » rajoutant 1,5dB à 2kHz, et les différences dans le haut médium entre les deux enceintes s’estompent clairement. Cependant, les Egg ont toujours plus d’air, nous avons alors touché au réglage à l’arrière de l’ampli. Comme indiqué dans le manuel, il convient pour une écoute de type « monitoring » de baisser les hautes fréquences (dernière octave) de 2dB (un quart de tour). Une fois ce réglage effectué, les différences sont vraiment minimes, et il devient difficile de départager les deux enceintes. On entend des différences dans le spectre, mais elles retranscrivent toutes les deux très bien le morceau et l’équilibre tonal est très proche. Il est quand même intéressant de souligner que les réglages des Egg sont efficaces et permettent d’alterner une écoute typée « Hi-Fi » (moins de médiums, plus de hautes fréquences) et une écoute plus analytique pour le monitoring.
Passons au morceau suivant.
Massive Attack – Angel
Place désormais au titre « Angel » de Massive Attack, aux basses fréquences (voir très basses fréquences !) plus que généreuses : un véritable crash test !
Commençons par le rimshot et le charley de la batterie, qui restent identiques sur les deux paires d’enceintes. Concernant la grosse caisse, elle descend moins bas sur les Focal, mais elle reste plus percutante. La basse semble légèrement plus molle sur les Egg et l’attaque est moins franche. D’une manière générale, nous constatons que les sE Electronics descendent plus bas que les Solo6, mais que l’ont perd un petit peu en dynamique. Nous avons alors profité de l’écoute de ce morceau pour régler les basses fréquences sur l’ampli, et nous avons fait un quart de tour afin d’obtenir une balance cohérente avec les Focal. De cette manière, les deux paires d’enceintes rivalisent vraiment et aucune des deux n’arrive véritablement à prendre le dessus.
The Raconteurs – Consolers of the Lonely
Nous aimons particulièrement ce morceau enregistré par le groupe de Jack White, car il allie la puissance du son moderne avec le timbre et une couleur sonore plus vintage. Du bon gros rock comme on les aime ! En plus, le mixage fourmille de petits détails.
Sans toucher aux réglages de l’ampli, on retrouve les mêmes caractéristiques que précédemment : les Egg montent plus haut, descendent plus bas et semblent légèrement plus creusées dans les médiums que les Focal. Ainsi, les voix percutent plus sur les Solo6 et cela a pour conséquence de faire mieux ressortir les chœurs. Leur son, d’une manière générale, semble plus compact. Sur les Egg, la basse est plus ronflante.
En revanche, si on passe les Egg en mode « Hard », et que l’on coupe le haut et le bas du spectre comme précédemment, il est beaucoup plus difficile de les départager sur le plan de l’équilibre tonal. Les deux paires d’enceintes semblent être transparentes et les légères différences n’impacteront pas ou peu le travail de l’ingénieur du son ou du (chanceux !) home-studiste. Les Focal peuvent quand même garder un son très légèrement plus analytique, mais aussi plus fatigant.
Michael Jackson – Liberian Girl
On retrouve un morceau plus calme, avec feu Michael. Ce titre est issu de l’album Bad, avec Quincy Jones aux manettes, et reste une référence même si le son est forcément connoté 80's.
La grosse caisse et la basse sont plus creuses sur les Egg (moins de bas médiums), et la voix a plus de présence sur les Focal. Les instruments semblent plus lointains sur les sE, cela est dû aux hautes fréquences mises plus en avant, et les médiums plus en retrait. De même les nappes ont plus d’air que sur les Solo6 dont le son est plus compact et ramassé. En activant le mode « Hard », les différences s’estompent encore une fois, et les voix sont presque similaires.
Metallica – Enter Sandman
On continue avec un disque référence encore une fois, le Black Album de Metallica sorti en 1991. L’arrivée des toms permet aux Egg de montrer qu’elles descendent plus bas (filtre désactivé en premier lieu), mais du coup le son est plus creusé que sur les Focal. Comme précédemment, on a plus d’air sur les oeufs, et l’impression de s’éloigner du groupe. Les cymbales ressortent forcément plus si on ne diminue pas les hautes fréquences derrière l’ampli. En mode Hard, les voix et les guitares reviennent sur le devant du mix et on a un son qui se rapproche des Focal. Comme sur les précédents mix, le fait de couper un peu les fréquences permet d’avoir un son plus typé « monitoring » et de se rapprocher des Solo6. Même si les deux paires d’enceintes gardent une personnalité, les mix sont cohérents et l’équilibre sonore reste le même.
Miles Davis – Seven Steps to Heaven
Place au Jazz avec le grand Miles. Sur ce morceau, il est très difficile de les départager, la ride est plus brillante et plus en avant sur les Egg qui ont toujours plus d’air que les Focal. La trompette perce légèrement plus le mix sur ces dernières, mais on peut dire que les deux enceintes s’en sortent parfaitement. Les deux ont une très bonne dynamique et l’image stéréo est parfaite. Le son est très vivant et c’est un véritable plaisir d’écouter ce morceau sur ces enceintes. En jouant avec les réglages, on arrive à estomper les différences entre les deux moniteurs.
Il est temps de tirer des conclusions…
Conclusion
Des œufs et des rosbifs : |
Face aux Focal Solo6 Be, les Egg n’ont pas à rougir. En effet, les enceintes signées sE et Munro se sont révélées être très souples grâce aux réglages présents sur l’ampli. Il est ainsi possible d’avoir une écoute plus hi-fi, afin de profiter de la musique ou de faire écouter son travail à des clients, et d’avoir une écoute beaucoup plus analytique (à la Focal), en boostant les médiums et en coupant légèrement les basses et hautes fréquences. Il est certain que sE vise ainsi deux marchés (Hi-Fi et studio), ce n’est pas un secret. Quoi qu’il en soit, cela reste un avantage certain pour le home studiste qui désire se servir de ses écoutes pour autre chose que du mix pur et dur.
sE Electronics a joué la carte de l’originalité (design et conception) et cela paye. Avec son prix bien calibré et de futurs modèles 4 et 8 pouces, la gamme d’enceintes signées sE et Munro est promise à un bel avenir.