Après nous être intéressés à la pièce et au système d'écoute de notre home Studio, il est temps de nous pencher sur le cœur même de notre installation : le dispositif d’enregistrement qui a priori ne sera rien d’autre qu’un ordinateur… ou pas ?

Ne l’oublions pas : la vocation première d’un studio d’enregistrement ou d’un home studio, c’est d’enregistrer. Et c’est la présence du matériel d’enregistrement qui le distingue d’un simple studio de répétition. On peut donc bien parler du coeur du studio en désignant ce dispositif, ou plutôt de cerveau si l’on considère que c’est lui qui va permettre de garder en mémoire ce qui s’y produit et d’établir un lien entre les différents organes sensoriels du studio, de l’oreille du micro à la bouche de l’enceinte.
S’intéresser à l’enregistreur, c’est en outre s’intéresser au support d’enregistrement qu’il utilise, sachant que l’un comme l’autre ont évolué au fil des décennies et qu’ils jouent non seulement sur la qualité de l’enregistrement, sa fidélité au phénomène acoustique qu’on enregistre (son synthétique, opéra, allocution ou chant d’oiseau, peu importe…) mais aussi sa pérennité, c’est à dire sa capacité à ne pas dégrader l’information au fil du temps, à conserver son intégrité. Comprenez en effet que si l’imprimerie a bouleversé le monde au XVe siècle, elle le doit autant à l’invention de la presse qu’au perfectionnement des encres, du papier ou de la typographie. Avec l’enregistrement né quelques siècles plus tard, c’est la même chose, ce que nous allons de suite détailler en tournant quelques pages d’histoire.
Les premiers enregistreurs mécaniques
Cette dernière commencera par une chanson que vous connaissez tous :

Qu’importe, plus de 20 ans avant l’invention de Thomas Edison qu’on crédite souvent à tort d’avoir réalisé le premier enregistreur, Martinville est le premier home studiste de l’histoire.
Du gramophone à l’électrophone
Si les microphones, les amplificateurs et les graveurs progressent, les supports ne sont effectivement pas en reste et c’est en 1948 qu’apparaîtra le disque vinyle qui se montre autrement plus résistant que les premiers disques, ce qui ralentit significativement la dégradation des sillons qui y sont gravés. Rappelons-le en effet, même de manière microscopique, la pointe chargée de lire le sillon abîme le support à chaque lecture et dégrade ainsi son contenu, sachant que le degré d’usure est très lié au matériau dans lequel est fabriquée cette pointe (autrefois en saphir, puis en diamant… ou en métal comme sur les mange-disques, ce qu’il y a de mieux pour flinguer vite fait bien fait un vinyle).
Magnéto Serge !
Tout cela nait dans le sillage d’une idée émise dès 1877 par l’ingénieur américain Oberlin Smith et mise en pratique en 1898 par Valdemar Poulsen avec son Télégraphone qui enregistre sur bande de fer souple. L’enregistrement sur bande magnétique tel qu’on le connait n’arrive toutefois vraiment qu’en 1928 où l’allemand Fritz Pfleumer, employé d’un fabricant de tabac, invente le père de tous les magnétophones en recouvrant de poudre de fer une bande de papier à cigarettes. AEG rachète le brevet et perfectionne cette bande rudimentaire en utilisant de l’acétate, du carbonyle et dès 1939 de l’oxyde de fer.
Inutile de dire que l’arrivée des magnétophones révolutionne son idée et c’est d’ailleurs en collaboration avec lui et pour lui que Ross Snyder d’Ampex met au point le premier magnétophone 8 pistes sur bandes de 1 pouces baptisé The Octopus. Nous sommes alors en 1957 et l’enregistrement sur bande magnétique ne va cesser de progresser, accouchant même d’un support de masse inventé par Philips en 1963 : la musicassette plus couramment appelée cassette, un support si compact et résistant qu’il ouvre grand les voix à deux nouveaux phénomène : l’écoute nomade via Sony qui invente le Walkman, premier baladeur, en 1982, mais aussi les prémices du piratage pour le grand public. Après les platines cassettes et autres radio-cassettes permettant d’enregistrer la radio comme les disques, on disposera en effet bientôt de platines double-cassettes permettant la duplication, et l’industrie du disque de commencer à grincer des dents tandis que l’homme de la rue goûte au plaisir de se faire des compils sur mesure…
La révolution numérique
Mais l’avenir n’est déjà plus dans ces technologies de disques optiques et malgré le lancement du Super Audio CD et du DVD audio qui, en dépit de réelles améliorations, ne rencontrent guère de succès car il faut de nouveau racheter un équipement pour les lire, c’est l’institut Fraunhofer-Gesellschaft qui change la donne du support en mettant au point un format de compression audio destructif, c’est à dire que des informations jugées inutiles sont supprimées du fichier pour réduire sa taille (le bas du spectre est passé en mono, on supprime les hautes fréquences que la majorité des gens n’entendent pas, etc.).
Les supports informatiques comme le disque dur, les clés USB, les cartes SD ou, plus tard, les disques SSD, remplacent alors progressivement le CD bien parti pour s’évanouir dans la nébuleuse d’Internet. Si ce sont toujours sur des disques durs que l’on enregistre puis stocke la musique, elle s’achète désormais en dématérialié sur iTunes ou Amazon et se consomme de plus en plus en streaming, via Internet, que ce soit sur Youtube, Deezer ou Spotify. On passe ainsi d’une économie de bien, basé sur la possession, à une économie de service, basée sur l’abonnement. À l’heure où ces lignes sont écrites, Apple envisage déjà de ne plus vendre de musique dématérialisée pour ne garder que son offre de streaming.
La morale de l’Histoire
Oui, je sais : je vous avais parlé de quelques pages d’histoire et vous avez l’impression de vous être fait coincer par Stephane Berne vous contant la généalogie de la famille de Windsor. Ce long développement n’aura pourtant pas été inutile car il permet de comprendre deux choses.
La première, c’est que les technologies d’enregistrement comme de support ne cessent d’évoluer et que l’une chasse l’autre jusqu’à l’exterminer commercialement : vous aurez ainsi toutes les peines du monde à trouver le dernier album de Beyoncé sur rouleau de cire ou cassette (et bientôt sur CD), et si demain, on se met à utiliser l’ADN humain comme support de stockage (oui, oui, des recherches sont conduites là-dessus) pour y enregistrer non pas des ondes sonores pour nos oreilles mais des stimuli adressés directement aux neurones de notre cerveau (là, j’avoue que cela demeure pour l’heure de la science fiction), alors toutes les technologies actuelles seront balayées à leur tour.
La seconde, c’est que nous sommes actuellement en pleine ère numérique, l’ordinateur (et ses dérivés les smartphones, balladeurs numériques, tablettes, box télé, etc.) étant devenu omniprésent chez ceux qui produisent la musique comme chez ceux qui la consomment.
« C’est archi faux ! » me rétorqueront certains car on assiste ces dernières années à un « grand » retour du vinyle chez les consommateurs, tandis que certains artistes et techniciens ne jurent toujours que par l’enregistrement analogique sur les bons vieux magnétophones à bandes, Jack White et Lenny Kravitz en tête. Alors, l’enregistreur qui sera le coeur de votre home studio : analogique ou numérique, du coup ?
Je pourrais aisément vous faire une réponse péremptoire en faveur de l’ordinateur et du numérique au seul argument imparable que, de toutes façons, les enregistreurs analogiques multipistes ne sont plus fabriqués depuis longtemps, et que les coûts cumulés d’un vieux magnétophone, de son entretien et de ses consommables en font une très mauvaise affaire pour un home studiste. Je pourrais même enfoncer le clou en soulignant que la distribution de la musique se fait désormais dans son écrasante majorité en numérique, de sorte que même Jack et Lenny, doivent finir par numériser leurs productions s’ils souhaient en vivre. Je pourrais encore souligner que depuis plus de 30 ans, la quasi-totalité des disques sont enregistrés en numérique et que cela ne gêne en rien les musiciens comme les techniciens qui bossent avec eux pour nous pondre des chef-d’oeuvres…
Mais parce que nous aurons fréquemment à revenir sur cette rivalité entre analogique et numérique au cours de nos prochains articles sur le home studio et qu’Audiofanzine n’est pas du genre à reculer devant l’obstacle, nous allons passer du livre d’histoire à celui des sciences et technologies. Sortez les pop corns, car nous aborderons la prochaine fois le premier sujet chaud de cette série d’article : analogique vs numérique du point de vue de l’enregistrement.