Depuis les premières annonces en 2005, le big band virtuel de Fable-Sounds a fait du chemin, et c’est sa dernière version, plus abordable, qui est ici testée. Broadway Lites, let the show begin !
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En matière d’instrumentation virtuelle, qu’elle soit à base d’échantillons ou de modélisation, la palette orchestrale est actuellement suffisamment variée et réaliste pour offrir aux compositeurs, arrangeurs ou orchestrateurs des outils permettant de simuler de façon très crédible la plupart des pupitres instrumentaux. Dans d’autres domaines, les offres toujours plus nombreuses en provenance des éditeurs les plus variés répondent aussi à d’autres besoins, de la batterie aux guitares, des claviers aux basses, des percussions aux voix, etc.
Il a néanmoins fallu attendre l’arrivée du big band virtuel de Fable-sounds pour enfin disposer d’un outil performant capable de reproduire des orchestrations convaincantes de sections modernes de cuivres et bois, avec ce que cela comporte en termes d’articulations et d’instruments. Car la majorité des tentatives précédentes signées par les grands éditeurs (et d’autres moins réputés) privilégiaient surtout des formations plus restreintes de type Tower Of Power ou Chicago, et il fallait couper, cisailler, étirer, transposer et jongler avec des phrases et des sons séparés, ce qui prenait un temps fou sans que le résultat soit à la hauteur du temps passé.
Prenant en compte les possibilités de stockage, de mémoire et de performances des ordinateurs les plus récents et du quasi incontournable échantillonneur de Native Instruments, Kontakt (d’abord en version 3, puis 4, y compris dans sa version gratuite, Player), la banque, nommée Broadway Big Band (tout est dit…), affiche un fier 100 Go de contenu et un plus douloureux tarif, puisqu’il faut débourser pas moins de 2495 $ (2090 €) pour profiter des nombreux instruments fournis.
C’est donc avec un certain intérêt que l’on se penche sur son petit frère, Broadway Lites, en se demandant ce qui a pu faire les frais des coupes opérées pour être proposé à 449 €.
Introducing Broadway Lites
La bibliothèque est donc disponible pour Kontakt 4, version gratuite y comprise, pour Mac (Intel seulement) et PC. Installation habituelle pour tous les produits utilisant l’échantillonneur de Native, avec une étape d’enregistrement chez l’éditeur Fable-Sounds, rien de particulier à signaler.
Là où Broadway Big Band (BBB) contient 100 Go d’échantillons (plus de 140000), Broadway Lites (BL) n’en propose que 15 Go (plus de 20500). Pour arriver à cette réduction, l’éditeur n’offre qu’un seul type de prise de son (avec un M149 ou un U87 suivant l’instrument, positionnés relativement proche), tandis que le BBB en dispose de quatre à six suivant les instruments. La compatibilité est cependant assurée avec l’aîné, grâce à la présence dans le nom de l’instrument du type de micro (Mic 1, Mic 3). La section rythmique a elle aussi disparu, ce qui ne devrait pas en soi être un problème, de nombreux autres VI pouvant assumer ce rôle avec bien plus de souplesse et de véracité. Concernant les cuivres et bois, ne sont proposées que les premières déclinaisons des instruments (Trumpet 1, Alto Sax 1, etc.) et quelques articulations ou effets ont été laissés de côté.
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Le dossier Instruments contient plusieurs sous-dossiers, Brass (Trombone, Trumet 1, Trumpet 1 Harmon Mute), Reeds (Alto Sax 1, Bari Sax, Clarinet, Soprano Sax et Tenor Sax 1) et Multis (Legato Multis et Polyphonic Multis). Les appellations dans ce dernier dossier résument l’architecture de la banque : les programmes sont en effet disponibles selon deux versions, d’abord Legato, qui incluent des intervalles nécessaires aux différentes transitions enregistrées (et non simulées ou modélisées), les instruments étant alors monophoniques, puis Poly, dont le nom est suffisamment explicite, les intervalles n’étant alors pas inclus. Quelques exceptions font que les instruments Poly peuvent offrir un mode legato, cette fois simulé. Notons que le mode Legato de la Trumpet Harmon est lui aussi simulé.
Main gauche en folie
Comme beaucoup d’autres banques utilisant Kontakt, BL utilise un système de Keyswitches, toutefois un peu plus sophistiqué que celui mis en place par d’autres éditeurs, en cela qu’il autorise la pression simultanée de plusieurs touches, dans une équivalence des Shift et autres Options sur un clavier d’ordinateur. Et vu le nombre d’articulations proposées pour certains instruments, c’est bien pensé, puisque sans ce système il aurait fallu monopoliser plus de la moitié du clavier pour les répartir. Avec ces combinaisons, jamais plus d’une octave et demie n’est utilisée. Il faudra donc “apprendre” l’instrument, la main gauche étant extrêmement sollicitée pour le jeu en temps réel. Heureusement, l’accès à ces articulations est aussi possible via le piano roll ou éditeur Midi de sa DAW préférée.
On distinguera plusieurs types de keyswitches (KS), selon le type d’articulations et d’actions attendues, dotées d’un code couleur particulier, que l’on visualise sur le clavier virtuel de Kontakt (les changements sont aussi effectifs si l’on clique à la souris sur les touches de ce clavier, à l’exception bien sûr de ceux nécessitant des combinaisons). L’interface (très, euh, cheap Broadway ?) des instruments est divisée en plusieurs fenêtres accessibles via onglets. La première, Key Switch Monitor, permet de visualiser les KS activés, la réponse à la vélocité (via clavier plus contrôleurs ou seulement contrôleurs), transposition (par octaves) et l’activation de certaines nuances ou modes de jeu (vibrato, growl, flutter, etc.). Un mini-écran Temporary Articulations affiche le Keyswitch en cours au moment de son déclenchement, ce qui est bien pratique vu le nombre de possibilités offertes. Notons tout de suite les différents types de KS, passif ou actif, qu’ils interviennent après ou avant avoir joué la note, pendant que la note est maintenue ou non.
On trouvera, pour information, la liste complète des articulations et la comparaison entre les deux versions à cette adresse.
Voici pour le ténor ce que donne chaque articulation dans l’ordre, à l’exception du Legato (prog vib).
Si tout fonctionne sans souci, on peut quand même noter trois défauts sur ce saxo : premièrement le sample de relâchement qui se déclenche sans que soit prise en compte la durée de la note (phénomène retrouvé sur les autres instruments). Si l’on maintient la note même après son extinction (pas de bouclage), l’échantillon sera déclenché lors du lâché de la note. Un coup à prendre, pas forcément évident au départ, sous peine d’entendre un “écho” de clés dans les pupitres…
Deuxièmement, sur certains programmes avec KS actifs, par exemple le fade progressif dans un vibrato, le passage de l’un à l’autre échantillon n’est pas toujours “discret”.
Enfin, suivant les notes, certaines fréquences remontent, nécessitant éventuellement une automation d’EQ, pour éviter le phénomène “d’onde triangulaire”.
Pour finir (provisoirement…) avec le Tenor, voici un exemple de Legato en action.
Ce Legato est bien conçu, puisque qu’il permet sur des trilles par exemple, de varier réellement la vélocité desdites trilles en temps réel, au lieu de simplement déclencher un échantillon correspondant à la vélocité de départ de la première note, comme on peut l’entendre sur cette trompette (la première note jouée est maintenue tout du long).
On trouvera aussi parfois des sustains un peu capricieux, faisant intervenir sur certaines notes des vibratos, ou des attaques par en-dessous/dessus de la note, mais rien de franchement rédhibitoire.
Onglets à point ?
On continue avec l’onglet Alternates. D’abord, il faut savoir que l’éditeur a implémenté un mode maison de sélection aléatoire d’échantillons, ce que la plupart du temps on appelle le Round Robin. Ici, pas de cycle déroulant de façon continue un certain nombre d’échantillons jusqu’à revenir au premier, mais un véritable hasard. Les vingt cases d’Alternates permettent de sauvegarder autant de presets correspondants à l’état du cycle en cours, ce qui permet de les redéclencher à loisir via la combinaison d’une note Midi et d’une vélocité (case 5, via note et vélocité 5, par exemple). Ce qui peut être pratique pour figer les choses, afin de pouvoir jouer en unisson avec deux instruments différents, puisque BL n’offre qu’un seul instrument par type.
Ça, c’est sur le papier. Dans la réalité, il y a très peu de samples en alternance, sur quelques notes seulement, et à certaines vélocités. Le manuel n’est pas très clair là-dessus, visiblement repris à quelques mots près de celui du grand frère (on y parle de l’utilité d’Alternates quand on utilise plusieurs sets de micros…).
Ainsi, le fichier suivant laisse entendre une trompette dont les notes répétées sont strictement les mêmes, tandis que le trombone suivant dispose, lui, d’échantillons “Round Robin”. Mais seulement à cette vélocité sur cette note, et pas à d’autres. Dans le meilleur des cas, il semble que le nombre d’échantillons différents n’excède pas deux… Difficile de le certifier, d’autant qu’on n’a pas accès à l’édition des programmes, donc aucun moyen de voir le mapping.
On comprend qu’il ait fallu faire des choix pour passer de 100 à 15 Go, mais peut-être est-ce un domaine dans lequel il n’aurait pas fallu tailler.
Autre onglet, Dump/Reload, censé permettre de charger ou purger les articulations inutilisées. Ce qui pourrait être pratique afin d’économiser de la RAM quand on en manque. Le problème est qu’il n’apparaît qu’une seule articulation, ce qui n’est pas franchement utile. Bon. Une fonction certainement plus complète sur le grand frère, qui semble ici avoir été négligée, peut-être parce que l’empreinte en mémoire des instruments de cette version est bien plus légère que celle des instruments de l’aîné.
Enfin, dernier onglet, Options, qui permet d’assigner deux contrôleurs différents aux fonctions de Crescendo/Diminuendo, avec Midi Learn directement depuis l’interface. Une bonne idée, permettant d’utiliser conjointement plusieurs types de contrôleurs, par exemple molette et breath controller. En ce qui concerne le réalisme des variations dynamiques ainsi obtenues, cela varie suivant les instruments, les notes, et surtout suivant la vélocité d’origine : une forte vélocité suivie d’une utilisation de la molette en crescendo pourra produire un effet de sforzando non désiré, et une vélocité moins forte que celle disponible avant le niveau maximum produira elle un effet d’accentuation dans le diminuendo. Il conviendra de retoucher après coup dans l’éditeur, ou à être très attentif lors du jeu en direct. Il est quasi impossible de lisser le crescendo, le passage d’un layer à l’autre restant parfois très audible (quand il n’est pas étrange, ainsi de l’exemple du trombone), comme l’exemple suivant le démontre. Les courbes ont été dessinées avec l’outil ligne dans l’Hyper Edit de Logic, afin d’avoir la plus stricte régularité de modulation, et les notes de départ (fa et ré) sont jouées avec une vélocité de 1. On entendra dans l’ordre Trombone, Trumpet, Trumpet Harmon, Alto Sax, Bari Sax, Clarinet, Soprano Sax et Tenor Sax.
Plusieurs choses : le baryton ne disposant pas d’échantillons longs aux très fortes vélocités (logique…), son exemple est plus rapide, sous peine de se retrouver avec un son s’arrêtant puis reprenant quand on repasse à une vélocité qui correspond en théorie à un sustain plus long (c’est aussi valable pour le ténor, et son exemple montre ce qui se passe dans le cas d’une telle durée). D’autre part, il faut écouter cette série d’exemples en gardant l’idée en tête, que l’on connaît notamment depuis Schaeffer, qu’un son sans attaque est parfois difficilement identifiable.
Bilan
Malgré ses quelques défauts, BL s’avère tout à fait exploitable, sans disposer bien sûr de la richesse sonore de son aîné, dont on pourra disséquer les démos audio sur le site de l’éditeur. Quant à Broadway Lites, l’éditeur a mis en ligne la première démo l’utilisant. On peut aussi jeter un œil sur cette vidéo réalisée par le concepteur et fondateur de Fable Sounds.
Chose importante, et malgré l’introduction de ladite démo, n’oublions pas qu’il ne s’agit pas ici de disposer de plusieurs instruments solistes, mais d’éléments destinés à être intégrés dans un ensemble. Et, dans cette optique, la bibliothèque remplit pleinement son usage. Voici un court extrait effectué à partir d’un arrangement extrait du livre Arranging For Large Jazz Ensemble de Dick Lowell et Ken Pulling, seul puis en situation.
Notons le seul véritable point aveugle de la banque de sons : s’il n’y a a priori aucun problème à créer des parties harmonisées, il sera plus difficile d’écrire une partie à l’unisson convaincante, faute de disposer de plusieurs variations d’un même instrument. Sur l’exemple précédent, il a fallu changer l’arrangement original lorsque des notes semblables étaient jouées par deux altos ou deux ténors, afin de ne pas créer de son désagréable (problèmes de phase si l’on ne veut pas quantiser). Si l’on peut s’en sortir avec le grand frère, grâce aux déclinaisons 1 et 2, aux prises de son multiples et à l’usage des Alternates afin d’éviter, entre autres, tout problème de phase, ce n’est pas le cas avec Broadway Lites. Il faudra donc prendre soin d’utiliser d’autres bibliothèques en supplément, quitte à ne pas disposer des mêmes articulations, en compensant avec quelques trucs de mix pour pallier le manque (mise en avant, délais, etc.).
Les Multis sont bien pratiques (quatre instruments sur le même canal Midi), et la variété des articulations permet un rendu réaliste, notamment sur les fall, doit et compagnie, la différence subtile de timing de ces dernières articulations participant du réalisme. En revanche, la trop grande propreté de la mise en place lors du jeu sur l’articulation Legato de base fera préférer, pour une réalisation définitive, l’emploi des instruments séparés. Disons que l’on peut prendre les Multis pour mettre en place rapidement une idée, puis l’on passera aux instruments solos pour la finalisation.
Bref, un outil bien conçu, qui sonne, et qui permettra d’effectuer de très bonnes maquettes, voire plus si l’on prend le temps nécessaire à programmer, et si l’on complète les manques avec d’autres banques si l’on veut un grand ensemble. On peut très bien imaginer l’utilisation conjointe de Broadway Lites et The Trumpet, Mr Sax pour ajouter des voix supérieures crédibles, ou encore le WIVI Player pour étoffer les sections. Dans un contexte moins étoffé, BL est tout à fait auto-suffisant. Rappelons quand même que la première réussite d’un son d’orchestre, tout virtuel soit-il, repose d’abord et avant tout sur… l’écriture.