La Stratocaster n’est pas une guitare électrique comme les autres. Plus qu’une simple icône qu’ont pu passer autour du cou des musiciens aux styles aussi différents qu’Eric Clapton, Hank Marvin, The Edge, Buddy Holly, Mark Knopfler ou encore Robert Cray, c’est la guitare qui a laissé l’une des traces les plus indélébiles dans l’histoire de la musique populaire moderne de la seconde moitié du XXe siècle. Copiée à de très nombreuses reprises, elle n’a jamais été égalée tant son concept d’origine fut novateur avec notamment ses formes arrondies très féminines et son ô combien célèbre vibrato.
Il faut l’avouer : soixante années après la création à peu de jours près de la Stratocaster, on ne compte plus les innombrables versions et déclinaisons de cette guitare de légende qui ont été produites par Fender. Entre les éditions limitées, les Signature Series, Classic Series, Custom Shop Closet Classic, Custom Deluxe, American Standard, American Deluxe, etc. il est devenu extrêmement difficile pour le musicien néophyte de s’y retrouver. Alors pourquoi avons-nous décidé de vous présenter cette série ? Parce que Fender, avec cette nouvelle mouture des, a enfin décidé de renouer avec ce qui a fait de cette marque ce que l’on sait d’elle aujourd’hui, c’est-à-dire une marque de légende, et ce, dans la plus pure tradition de l’époque.
Le modèle que nous vous proposons aujourd’hui de passer au crible est celui de la Stratocaster 56’. Elle est disponible en trois coloris : « Aged White Blonde », en Sunburst 2 tons et enfin en noire. Tous les corps sont en aulne sauf celui du modèle « Aged White Blonde » qui est en frêne. Le modèle que nous proposons en test est la version en finition noire.
L’inspecteur mène l’enquête
Pour cette nouvelle mouture de sa série Vintage Series (made in U.S.A dont le concept remonte au début des années 80s) Fender a entrepris un véritable travail de détective. Ainsi, les luthiers de la marque californienne ont démonté et analysé en détail non pas une guitare d’époque, mais plutôt plusieurs dizaines de Stratocasters dont les fabrications s’échelonnent entre 1956 et 1957. Ainsi, plutôt que de puiser son inspiration sur un seul modèle vintage, Fender a décortiqué de nombreux instruments afin d’en extraire leur substantifique moelle. On ne peut donc pas dire que ce modèle est une réplique à l’identique d’une Stratocaster de l’âge d’or de la marque, mais plutôt un menu « maxi best of » de ce qui ce faisait de mieux dans le design et la facture des guitares de la seconde moitié des années 50. Il faut rappeler qu’à l’époque, la fabrication des guitares n’était pas aussi automatisée qu’aujourd’hui. Les machines à commande numérique n’existaient tout simplement pas et beaucoup d’opérations de découpe et de ponçage des bois étaient faites à la main, ceci expliquant les différences que l’on peut avoir d’un modèle à un autre pourtant fabriqués la même année. 1956 fut une année importante pour la Stratocaster avec l’introduction, entre autres, du guide cordes des cordes de si et mi de type « papillon », ce fameux manche de forme « soft V » sur lequel nous reviendrons ultérieurement et le perfectionnement des micros Alnico III (un alliage d’aluminium, de nickel et de cobalt).
Dans sa recherche d’authenticité, les ingénieurs ont démonté et analysé tous les composants des guitares. Tout a été soigneusement étudié, du radius de manche, en passant par les essences de bois utilisées, mais aussi les dimensions exactes des corps, la forme des courbures de la tête du manche, les caractéristiques des micros et même les polices de caractère utilisées sur les boutons de volume ! Ils ont également analysé en laboratoire toutes les matières plastiques de l’époque utilisées dans la fabrication du pickguard, mais aussi des boutons des potentiomètres, le plastique situé à l’extrémité de la barre de trémolo afin de pouvoir reproduire le plus fidèlement possible tous ces matériaux. Autant dire que la démarche de la marque fut nourrie d’une véritable recherche d’authenticité et pas seulement une volonté d’ajouter à son catalogue une énième réédition fade et sans saveur guidée par une opération marketing finement orchestrée.
Et la guitare fut…
La guitare est livrée dans un très beau flight case en finition tweed aux dimensions revues et corrigées. Le revêtement intérieur rouge fait ressortir toute la beauté de l’instrument. De nombreux accessoires sont fournis avec la guitare dont : un chiffon doux affublé de la marque Fender, une sangle en cuir noir véritable, un câble jack, la tige du vibrato avec une courbure moins accentuée que les versions modernes, un fac-similé du mode d’emploi et d’installation complet sous forme de deux pages dactylographiées du vibrato, 2 ressorts supplémentaires afin d’ajuster la souplesse du vibrato, une petite clé Allen afin de régler les pontets du chevalet, un capot de chevalet chromé de type vintage, un condensateur de 0,1 µF avec un sélecteur à 3 positions made in USA (de type vintage) avec les schémas des câblages originaux afin de pouvoir reconfigurer les micros fidèlement aux câblages de 1956. Il faut savoir que le sélecteur à trois positions a été utilisé sur les Stratocaster de 1954 à 1977.
Lutherie
Le manche en érable sans touche rapportée possède 21 frettes de type médium jumbo. Il est fixé au corps avec une plaque et quatre vis. Le sillet est en os. Son diapason est de 25.5 pouces (648 mm) pour un radius de 7.25 pouces (184.1 mm) et une largeur au sillet de 1.650 pouces (42 mm). Le réglage du trussrod se fait à l’ancienne par le talon du manche ce qui ne sera pas très pratique, mais rappelons à nos fidèles lecteurs que le but de cette série est de coller au maximum aux origines.
Le manche est assez épais. Il est de type « soft V ». Il est relativement profond, mais ses bords sont très arrondis. La pointe du « V » est légèrement aplanie afin d’offrir davantage de confort. Pour ceux qui ont l’habitude des manches fins, il leur faudra un petit temps d’adaptation surtout pour toutes les positions qui requièrent la positionnement du pouce de la main gauche derrière le manche. Une fois apprivoisé, on se promène facilement sur toute la longueur de ce dernier. Les mécaniques en ligne sont de type Kluxon vintage et jouent bien leur rôle. La guitare reste juste même lorsqu’on fait une utilisation abusive du vibrato à la « Shadows ». Ce dernier permet de faire des amplitudes relativement larges tout en maintenant une bonne justesse d’accord. Les effets « dive bomb » sont quand même à éviter sur ce vibrato de conception vintage si vous souhaitez rester accordé en La 440…
Le corps (très léger) est en aulne. Les contours sont très prononcés. Fender a ici trouvé un excellent compromis avec l’application d’une très fine couche de vernis. Le vernis, aussi bien sur le manche que sur le corps est de type brillant. Il est extrêmement fin. Les vibrations sonores émanant de la guitare ne sont pas emprisonnées sous une épaisse couche de vernis comme c’est souvent le cas sur les modèles de guitares récents. Lorsqu’on égrène quelques notes non reliées à l’amplificateur, on se rend immédiatement compte de la très grande résonance de l’instrument. Tout laisse présager que ce type de vernis va évoluer en bien, mais aussi en mal dans le temps. En effet, étant donné la très fine couche de vernis protecteur, j’ai remarqué que la guitare marquait très vite. Elle est sensible aux moindres coups d’ongles et de médiators. Il vous faudra donc être assez vigilant dans sa manipulation, aussi bien sur le corps que sur le manche, si vous ne voulez pas la transformer rapidement en relique.
Le pickguard à un pli et 8 trous est en plastique blanc. Aussi paradoxal que cela puisse paraître en rapport avec la volonté de Fender de se rapprocher au plus près des matériaux utilisés à l’époque, je reproche le côté un petit peu trop bon marché de la qualité du plastique ici utilisé. Tout l’accastillage est chromé et un capot de chevalet vintage couronne la petite touche « vintage ». Les pontets sont affublés de Fender PAT. PEND.
Le son
L’instrument qui nous a été confié frise légèrement à la 7e case. À part cela, la guitare est bien réglée avec une action assez basse. Les boutons du volume et des deux tonalités (avec leurs inscriptions en couleur dorée) ainsi que le pickguard sont en plastique blanc. La guitare est configurée avec un sélecteur à 5 positions comme suit : en position 1 on a le micro « chevalet seul », en position 2 micro « chevalet et central », en position 3 micro « central » seul, en position 4 micro « central et manche » et enfin en position 5 le micro « manche » seul. Le bouton de tonalité 1 affecte la position micro « manche » alors que le bouton de tonalité 2 affecte la position micro « chevalet/central ». Le potentiomètre de volume, quant à lui, permet d’ajuster le niveau de sortie général de l’instrument.
Les trois micros simple bobinage à plots étagés sont de conception résolument moderne, mais s’inspirent des caractéristiques des micros du début des années 50. Si la perception du son d’une guitare est quelque chose d’assez subjectif, on est tout de suite séduit par le côté très chaud et rond obtenu avec ces 3 micros. Ils produisent un son doux très renforcé dans les fréquences médiums. D’un point de vue général, la guitare a un très bon sustain. Je reproche à la position n°1 son manque de mordant et de claquant. Le son à mon goût n’est pas assez incisif, un petit peu terne, il manque d’accroche, de punch, d’agressivité, et ce surtout en son clair. Cette position aura davantage de corps et de substance une fois colorée avec un petit crunch qui conviendra aux solos rock saillants et aux sons saturés puissants.
Je trouve que le côté cristallin du son de l’instrument est très renforcé, surtout en seconde position. On retrouve ici les couleurs très Mark Knopfler/Dire Straits. La position 3 convient aussi bien pour les rythmiques et les accords. Le timbre obtenu avec la position 4 brille et convient très bien pour les arpèges. La véritable réussite de cette guitare est sans nul doute la position 5. Elle sonne ample et très chargée en harmoniques. Son spectre élargi et très charnu est teinté de basses qui sont très profondes. Elle conviendra pour les blues assez gras. J’ai également été très agréablement surpris et apprécié la très grande sensibilité des micros capables de capter toutes les intentions et les subtilités de jeu. Les « ghost notes » et les glissements des doigts sont finement restitués par les micros. Pour les puristes hardcore, Fender fournit avec la guitare une enveloppe contenant un schéma des câblages originaux avec un condensateur de 0,1 µF qui vous permettra de recâbler la guitare (comme en 1956) avec un sélecteur à 3 positions (également fourni) comme suit : en position 1 le micro chevalet, en position 2 le micro central et enfin position 3 le micro manche seul.
Chaque extrait audio contient les 5 positions de micros, dans l’ordre en commençant par le chevalet.
- Clean01:30
- Funk01:53
- Funk 201:53
- Crunch01:09
En guise de conclusion
Il est important de bien avoir à l’esprit qu’en aucun cas cette série se veut être une réplique à l’identique d’un instrument d’époque. Le dessein de Fender fut au contraire ici de créer une guitare d’aujourd’hui inspirée du meilleur d’hier. Avec un prix se situant aux alentours de 2000 euros, cette guitare est destinée à tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir une Custom Shop Série time machine à plus 3000 euros. De loin, cette Stratocaster 56’ est un excellent compromis entre l’ancien et la modernité avec d’un côté une lutherie, un vernis et des micros directement inspirés des plus beaux spécimens de guitares de l’âge d’or et de l’autre un câblage moderne à 5 positions. Son manche de forme « soft V » pourvu de bords arrondis est de prime abord assez déroutant, mais s’avérera être très confortable une fois correctement apprivoisé. La quête de l’authentique de Fender pour cette série est à peu de choses près une réussite sans fausse note.
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