Grand nom du sampling s’il en est, Thomas Skarbye roule désormais pour Native Instruments et, après avoir fort joliment samplé le piano d’Alicia Keys, il nous revient avec un Funk Guitarist un tantinet plus original. De quoi dresser l’oreille, et même les deux…
Si en matière d’instruments virtuels, on commence à être bien pourvu en ce qui concerne les claviers, la batterie, les percussions, la basse ou même les instruments orchestraux, force est d’admettre que la 6-cordes est plutôt sous-représentée. Certes, on trouve bien ça et là quelques belles librairies capables de produire des power chords ou des solos distordus convaincants, on trouve également des guitares sèches pouvant faire illusion sur des arpèges ou des phrasés mais dès qu’on aborde le registre des guitares rythmiques clean ou sèches, et celui plus particulier du strumming ou des syncopes funk, les choses se gâtent et il faut alors en revenir aux collections de boucles audio si l’on veut obtenir quelque chose de réaliste… Il faut dire que sur une vraie guitare, les rythmiques reposent sur des interactions très complexes entre main droite et main gauche et qu’en admettant qu’on enregistre toutes les variations résultant de ces interactions, et qu’on le fasse avec la multitude d’accords existants (accords et leurs renversements, cela va sans dire), il faut encore arriver à faire rentrer tout ça dans une interface qui soit utilisable par le commun des mortels.
Dans le genre, en dehors des collections de boucles qui sont pour la plupart mal foutues (il n’y a jamais l’accord dont on a besoin, ou jamais le rythme qui convient), ce qu’on avait vu de mieux remontait au Virtual Guitarist de Steinberg qui, il faut le dire, a beaucoup vieilli tant sur le plan du son (le son est relativement terne et manque d’ampleur) que sur le plan technique (peu de variation dans les accords et des boucles d’une mesure qui ont vite fait de donner un côté un peu mécanique aux parties produites) et qui, de toute façon, n’est plus vendu depuis que la société Wizoo, qui l’avait développé pour Steinberg, a été rachetée par Avid. Or, voilà que dans ce néant, coup sur coup, deux banques sortent, toutes deux au format Kontakt et proposées sous la barre des 100 € : la FunkyGuitar de Pettinhouse et la Scarbee Funk Guitarist de Native Instruments qui nous occupe aujourd’hui. Elle est pas belle la vie ?
Utilisable avec le Kontakt Player gratuit ou bien évidemment au sein de Kontakt 4 et supérieur, Funk Guitarist peut être acheté sur DVD ou en version téléchargeable et s’installe comme tous les autres produits Native Instruments : une fois couchés les 14 Go de samples sur votre disque dur, vous aurez ainsi à autoriser le logiciel en ligne en saisissant votre numéro de série dans le logiciel Service Center prévu à cet effet. L’instrument virtuel vous attendra ainsi parmi vos autres banques au sein du navigateur de Kontakt et un simple double clic suffira à y accéder.
14 Go de samples ? Oui, et pour une seule et unique guitare dont le nom reste étrangement secret : les quelques photos qu’on trouve dans la doc, tout comme l’interface du logiciel, ne laissent pas trop de doute sur l’identité de cette dernière. Il s’agit très probablement d’une Fender Stratocaster, modifiée pour les besoins de l’enregistrement (le manuel propose un chapitre très intéressant à ce sujet et montre, s’il était besoin, avec quelle minutie Thomas Skarbye a voulu d’abord choisir, puis préparer l’instrument qu’il devait enregistrer) et enregistrée avec trois positions de micros différentes (Manche, Manche-Milieu et Milieu-Chevalet) via des préamps Mindprint En-voice MKII dans un Pro Tools.
14 Go de samples pour une guitare et trois positions de micros donc, mais surtout 14 Go de samples pour 3411 accords : un chiffre qui en impose, surtout lorsque l’on sait que chaque accord, entre les différentes articulations, vélocités et le découpage fait l’objet de 150 samples. Et là où ça devient vraiment intéressant, c’est que les samples en question ne sont pas de bêtes boucles, mais des portions qu’il est possible de réagencer dans un séquenceur interne. Voilà qui promet, même si du coup, on a peur de voir la chose tourner à l’usine à gaz…
Car vous en conviendrez : une banque exhaustive ne sert pas à grand-chose s’il faut plus de temps pour apprendre à la programmer que d’apprendre à jouer l’instrument qu’elle est censée remplacer… Et l’on sent bien que Scarbee a tenu à nous rassurer d’emblée sur ce point en brandissant la promesse d’un instrument jouable à deux doigts : une bénédiction pour les lépreux. Voyons la chose sur le terrain.
Chaaaaaaaargez !
Sitôt l’instrument chargé, on se trouve face à une fenêtre relativement vaste pour un instrument Kontakt : occupée aux trois quarts par le corps d’une Stratocaster Sunburst, cette dernière se divise en 5 onglets, tandis que comme d’hab avec Kontakt, un clavier présente au bas de l’interface le mapping du programme en cours d’utilisation.
5 onglets donc, pour accéder à tous les paramètres de l’instrument… Et s’ils sont nombreux, ils n’en sont pas moins organisés de manière extrêmement claire. Sur Combi, qui nous accueille à l’ouverture du soft, on dispose du gestionnaire de presets, ainsi que du nécessaire pour jouer avec la banque sélectionnée : l’accord et le groove en cours d’utilisation, mais surtout une vue escamotable de l’ensemble du mapping de l’instrument permettant de voir quel accord et quel groove sont associés à quelle touche. Car c’est là la solution qu’a trouvée Scarbee pour rendre son Funky Guitarist simple à utiliser : pas question de plaquer en temps réel des accords. Il s’agit de se constituer un combi en associant différents accords aux octaves graves du clavier, et différents motifs rythmiques aux octaves aiguës. De la sorte, vous ne jouerez jamais qu’en utilisant deux doigts : un pour définir les notes, un pour définir la rythmique.
On ne sera guère étonné par les deux onglets suivants : Chords et Groove permettent donc, chacun, de faire votre mapping. Complétant le tout, l’onglet FX tab et l’onglet Settings donnent respectivement accès à la section d’effets du logiciel et à ses paramétrages globaux. Nous y reviendrons après avoir regardé en détail ce qui se passait dans les onglets Chords et Groove.
Il pleut des Chords
L’onglet Chords se divise en deux sous-onglets. Dans 'presets’, vous accéderez aux mappings d’usine du logiciel pour les éditer ou les supprimer. C’est aussi ici que vous pourrez créer un nouveau preset, avec une curiosité : pour saisir ou modifier un nom, il faut passer par un clavier virtuel, le clavier de votre ordinateur n’étant pas géré. Ce n’est guère pratique mais comme on ne passe pas son temps à faire ce type de saisie, ça n’a rien de très gênant.
Rendons-nous à présent dans l’onglet Map où les choses sérieuses commencent. Un navigateur multicritère vous permet de vous promener dans l’ensemble des 3411 accords : vous pourrez ainsi filtrer la liste à partir de sa note fondamentale, de son type à choisir parmi 32 (mineur, majeur, septième, neuvième, etc.), du nombre de cordes utilisées, de sa position sur le manche (un accord de Mi peut être joué en bas du manche, mais aussi à la 7e ou à la 12e case) et de la note la plus aiguë qu’il contient. Là où ça devient fort, c’est qu’en Control-cliquant de nouveau sur une des notes du filtre, vous pouvez accéder aux variantes de votre accord n’ayant pas la fondamentale pour basse… De son côté, Alt+clic sur un accord déjà mappé vous permet d’accéder aux alternatives de ce dernier. Inutile de dire qu’à la faveur de ce système, vous pouvez vraiment établir des parties extrêmement riches sur le plan harmonique, en vous amusant à renverser vos accords très simplement.
Le mapping en lui-même se fait de façon très simple : une fois un accord sélectionné dans la liste, vous cliquez sur la touche à laquelle vous voulez l’associer au bas de l’interface. Et pour le supprimer ? Il suffira d’utiliser l’outil ‘Gomme’ et de cliquer sur la touche en question… Enfantin !
Mais il y a encore plus intuitif pour réaliser un mapping, ou du moins la base de ce dernier car Funky Guitarist sait aussi travailler en mode automatique. La chose se passe dans le sous-onglet MIDI où un bouton Rec vous permet de déclencher une sorte de MIDI Learn pour accords. Je m’explique : pour l’exemple principal de ce test que vous trouverez en fin de paragraphe, j’ai commencé par plaquer 4 accords de Wurlitzer sur une boucle de batterie. Il m’a suffi de router la piste du Wurlitzer dans Funky Guitarist et d’activer le mode automatique pour que le logiciel parvienne à reconnaître les accords que j’avais joués et me propose de les mapper automatiquement sur le clavier. Avec cette bonne base, il m’a été très facile ensuite d’ajouter via Control+Clic ou Alt+Clic des variations et des renversements à mon mapping, pour pouvoir passer à la suite : les rythmiques qui nous attendent dans l’onglet Grooves.
Into the Grooves
Les Grooves fonctionnent à peu près de la même façon que pour les Chords, avec un onglet Preset et un onglet Map. Dans le premier, il s’agira de piocher dans une bibliothèque d’une grosse cinquantaine de mappings prêts à l’emploi cependant que dans le second, vous accéderez à la bibliothèque des grooves proprement dits, attendant sagement d’être mappés, cette fois, sur les octaves hautes du clavier. Plusieurs centaines de motifs sont disponibles, reprenant les noms des combis et, en l’absence de navigateur multicritère, il faudra cette fois vous en remettre à leurs noms seuls pour faire votre marché, ces derniers étant plus ou moins évocateurs selon qu’ils évoquent un style musical (funk, blues, hip-hop, disco…) ou un morceau voire un artiste du genre (Bay en référence à Otis, Godfather, Jackson, Get Down…). Mais encore faut-il les connaître (ma pauvre culture en funk m’a laissé assez perplexe devant les noms de Tigris, Pitfall et autres Pleasure Pool) tandis que vous n’aurez pas d’autre choix que d’écouter une à une les variations (grâce à la petite touche play disp en vis-à-vis de chaque nom) pour faire la différence entre 70's Disco Party F-01, 70's Disco Party F-02, 70's Disco Party F-03, etc. C’est sur ce point que le soft de Native se montre le plus fastidieux, même si l’on voit mal comment ils auraient pu faire autrement. Fort heureusement, un système de favoris vous permet de mettre de côté vos rythmiques préférées pour les retrouver en un clin d’oeil. Et puis, il y a surtout le bouton Edit…
En cliquant sur ce dernier, vous accédez à un petit piano roll vous permettant d’éditer n’importe quel groove ou d’en créer un de toutes pièces. Libre à vous de placer comme vous l’entendez l’une des douze articulations proposées par le logiciel : Long, Quarter, Smooth, Staccato, Mute, Slide-up, Slide-up alt, Slide-dn alt, hammer-on, pull-off, fall et misc (pour les bruits de doigts). Et c’est à cet endroit précis que le logiciel révèle toute sa richesse quitte à se montrer plus complexe. De fait, toutes ces articulations existent en deux versions : upstroke et downstroke (coup de médiator vers le haut ou le bas), certaines bénéficiant même de plusieurs vélocités (jusqu’à 3 gérées) ou d’un round robin pour éviter les répétitions. Si je vous dis ensuite que pour chaque note, vous pourrez régler attaque, longueur et volume, et qu’un groove peut s’étendre jusqu’à 4 mesures de 4 temps, vous aurez une petite idée de ce qu’il est possible de faire. Soyez néanmoins prévenus : la confection de grooves prend un certain temps et peut parfois se montrer épineuse. Les Slide et Hammer font ainsi intervenir un autre accord dans la grille, ce qui ne sera parfois pas très heureux. Enfin, certaines combinaisons d’articulations ne fonctionnent pas : il faut user d’astuces fort heureusement détaillées dans la notice pour parvenir à ses fins.
Puissant mais complexe, le Groove Editor ne s’adressera pas à tout le monde, s’il l’on considère qu’il y a déjà largement de quoi faire avec les quelques centaines de grooves déjà présents et la cinquantaine de combis à marier aux 3 milliers d’accords. Il n’en demeure pas moins que l’outil reste impressionnant et parfaitement utilisable pour qui souhaitera y passer du temps…
Petits effets
Finissons ce tour du logiciel avec les deux derniers onglets, à commencer par FX. 6 effets et traitements vous attendent dans ce dernier : un EQ, un compresseur, un simulateur d’ampli, un simulateur de HP, un phaser, un chorus, un limiteur et une réverbe. Tous sont extrêmement rudimentaires, proposant au mieux deux réglages et leur propre jeu de presets, cependant qu’une cinquantaine de presets pour la section globale sont disponibles. Une délicate attention même si, très sincèrement, il vaudra mieux sortir avec un son DI pour attaquer un simulateur d’ampli de qualité (Guitar Rig Pro au hasard) ou encore un système de reamping hardware. De la sorte, on aura accès à bien plus de possibilités et on pourra notamment goûter aux joies de la wah-wah, grande absente de cette petite section qui n’est clairement pas à la hauteur de la banque qu’elle traite.
L’onglet Setting est quant à lui plus rudimentaire encore mais montre bien le souci du détail des gens de Scarbee : outre la possibilité d’activer/désactiver la quantisation des données MIDI en entrée (pour être sûr d’avoir des grooves bien calés) et celle de définir si l’instrument charge tout ou partie de sa banque de sons, on trouve un sélecteur de première ou seconde guitare qui aura pour but d’éviter les problèmes de phase en cas de doublage de piste, et même un module dédié à la basse ! ce dernier vous permettra en effet d’entendre la fondamentale pour chaque accord, soit un repère très utile au moment de la composition, surtout avec les accords de funk qui ne sont pas toujours très évident de ce côté. Très bien vu, d’autant que les sons utilisés sont ceux des banques Scarbee, pour ne rien gâcher. Sachez-le tout de même : vous n’aurez pas accès à ces sons de basse et la 'ligne’ produite, si informative qu’elle soit, n’a aucun intérêt sur le plan musical. Il s’agit donc bien d’un outil plus qu’autre chose…
Ce grand tour du propriétaire étant achevé, passons à l’essentiel en ouvrant grand les oreilles.
One, two… One, two, three, four : get up !
Une fois qu’on a bien compris son fonctionnement et qu’on a passé quelques minutes à se bricoler sa grille d’accord avec le combis de rythmiques qui vont bien, force est d’admettre que Funky Guitarist est une grosse tuerie. Le son d’abord est irréprochable, tous les samples étant bien calibrés, cependant que les 3 positions de micro et la sortie DI permettent d’attaquer n’importe quel simulateur d’ampli avec des résultats probants. Voici quelques exemples réalisés avec des presets de Guitar Rig Pro 4 qui devraient vous en convaincre.
- guitarrig wah00:18
- guitarrig wahovd00:18
- guitarrig phaser00:18
En complément, voici quelques exemples réalisés avec la seule section d’effets du logiciel :
- fx dry00:08
- fx ampsim00:08
- fx ampsim200:08
- fx chorus00:08
- fx phaser00:08
Et voici pour ce qui concerne les différentes positions de micros, en clean d’abord, puis en crunch :
- position bridge00:18
- position middle00:18
- position neck00:18
- crunch00:18
- crunch intermediaire00:18
- crunchneck00:18
L’autre aspect très appréciable, c’est la souplesse offerte par l’instrument. Parce que les patterns sont longs et que les articulations et variations sont multiples, on s’affranchit du côté trop artificiel d’un Virtual Guitarist (dont les boucles ne dépassaient pas 2 mesures, au mieux) et on peut se permettre beaucoup plus de fantaisies côté tempo qu’avec des fichiers REX, comme on le voit sur ce ralentissement et cette accélération :
- Time Stretch 8001:12
- Time Stretch 13000:44
Bref, le pari est gagné haut la main à un petit gros défaut près : on a oublié les cocottes…
Cocotte, où es-tu ?
La cocotte, pour les moins guitaristes d’entre vous, c’est cette technique qui consiste à jouer des notes en les étouffant avec la paume de la main : une technique hyper-ultra-souvent utilisée en funk, comme dans le Get Down Satudray Night d’Olivier Cheatham ou encore le Give it up or turn it a loose de James Brown (en début sur ce remix) et qui fait cruellement défaut à cet instrument virtuel pour qu’il puisse vraiment mériter son nom de Funky Guitarist.
Et évidemment, on n’a pas le reste de la guitare non plus : pas de quoi faire de phrasés, comme dans le riff de Cissy Strut des Meters ou encore comme dans celui, plus bancal, de leurs disciples, les Red Hot Chili Peppers, sur Funky Monks.
On n’en tiendra certes pas rigueur à Scarbee car son Funky Guitarist a été pensé pour jouer des accords avec deux doigts et la gestion d’un instrument samplé de manière plus classique nécessiterait une tout autre interface. Mais il n’en reste pas moins que, du coup, on attend qu’il sorte une version note à note de sa Strat, avec les cocottes et tout ce qu’il faut, histoire de compléter ce Funky Guitarist.
Précisons également, puisqu’on parle des Meters et des Red Hot Chili Peppers qu’en dépit d’un potar Swing qui permet de jouer sur la mise en place des grooves, Funky Guitarist n’est pas super à son aise sur le funk trop claudiquant façon Nouvelle Orléans.
Conclusion
Même si, sur le genre précis du funk, il jette 3 mètres de terre sur le cadavre froid de Virtual Guitarist, le dernier né de Native n’est pas parfait : dépourvu de cocottes ou de samples note à note, il présente une section d’effets un peu light. Et pourtant, on ne lui en veut pas le moins du monde, parce qu’il est vendu 99 € TTC, ce qui est bien peu en regard du travail accompli par ses auteurs et des services qu’il pourra rendre aux musiciens de tous poils : home studistes, musiciens au mètre, hip hopeurs n’ayant jamais touché une six-corde et même… guitaristes ! C’est que, si vous avez comme moi un niveau Feu de camp Plus Plus en guitare, vous savez à quel point il est dur de tenir une rythmique funk, et de la tenir bien. Du coup, ce Funk Guitarist est une aubaine et l’on espère sincèrement deux choses : que Thomas Skarbye en a profité pour sampler la même guitare électrique note à note, ce qui ouvrirait beaucoup plus d’horizon encore à cette banque. Et qu’il ne va pas s’arrêter en si bon chemin : on attend en effet avec impatience de voir le concept se décliner à d’autres genres (pop/rock, metal et pourquoi pas, blues, flamenco, country/bluegrass, etc.) et surtout d’autres instruments. Une guitare acoustique serait assurément une bonne idée à l’heure où les plus exhaustives banques de boucles restent extrêmement lacunaires et que les meilleurs instruments virtuels peinent toujours à convaincre…