opinion Qu'est ce qui vous navre automatiquement ?
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le reverend

Bon, celui-là il me manquait comme thread.
J'ai mis longtemps à le conceptualiser, mais là, je crois que c'est bon.
C'est parti...
Putain, 22 ans que je traine sur AF : tout ce temps où j'aurais pu faire de la musique ! :-( :-)

FrTh

J'ignorais que c'était tiré d'un fait réel.
C'est glaçant.

iktomi

Je reviens un instant sur ton propos sur l'école fondamentalement antidémocratique.
J'ai lu en partie le lien vers ce sujet.
En fait, l'important à lire dans ce lien (que je poste régulièrement), ce sont les exemples de fondements même de notre conceptualisation de l'école occidentale, qui sont par définition opposés à nos principes de droit commun. C'est sa liste des "principes" (7 dans son texte, ça démarre après le premier tiers), suivi des niveaux de règlements (5 dans son exposé, jusqu'à la fin), qui démontrent que ce qu'on tient comme principe d'ordre et de discipline, sans quoi ça serait la jungle, dans l'école, sont directement opposés aux principes de la démocratie et du droit. (et si on arrête de lire avant cette démonstration, je ne crois pas qu'on puisse vraiment saisir son propos, même si j'entends bien que c'est un peu rébarbatif à lire)
Et ceci n'a rien à voir avec le fait d'être instruit ou lettré, bien entendu.
Premier principe [5] : la loi est la même pour tous. Évident : si ce n’était pas le cas, il n’y aurait que des “ lois ” privées, c’est-à-dire des privilèges, c’est-à-dire absence de loi. Or, qu’en est-il dans le quotidien de l’école ? Qu’arrive-t-il à l’élève en retard au cours et qu’arrive-t-il, dans les faits, au professeur en retard ? Quand je parlais à l’instant d’éducation civique cachée, c’est à ce genre de minuscules et apparemment dérisoires événements que je faisais allusion. Alors il ne s’agit pas de faire des discours moralisants sur les nécessités d’arriver à l’heure, mais il n’en reste pas moins que les adultes peuvent s’autoriser dans certaines limites à arriver en retard, alors que l’élève doit toujours justifier (et pas seulement expliquer…) son retard.
Deuxième principe : toute infraction entraîne punition et réparation. C’est du droit pénal : toute infraction mérite punition à l’égard de la société, et réparation à l’égard de la victime ou des victimes. Cependant, le droit pénal établit des distinctions entre les majeurs et les mineurs : un mineur sera condamné moins lourdement pour une même infraction qu’un majeur. Or, là aussi, expériences que me racontent souvent mes élèves, qu’en est-il lorsqu’un professeur, perdant un peu son sang-froid, en vient à flanquer une claque à un élève et qu’en est-il de l’élève qui, perdant son sang-froid lui aussi, frappe son prof ? Quels sont, généralement, les résultats en termes de punition et de réparation pour l’un et l’autre ?
Troisième principe : nul n’est censé ignorer la loi. Le problème est que précisément ce principe n’est applicable qu’à partir de la majorité civique. Et donc, avant 18 ans, j’ai encore le droit d’être ignorant de la loi [6]. Dans son principe même, l’école est la première société dans laquelle entrent les enfants et, en même temps, la dernière société, le dernier lieu social où ils ont encore le droit d’être ignorants puisque, précisément, ils viennent à l’école pour combler leurs ignorances, pas seulement des savoirs mais aussi de la loi. Nous avons un peu trop tendance, dans notre pratique quotidienne d’enseignant, à supposer que les élèves devraient déjà savoir ce que, précisément, ils viennent apprendre à l’école. C’est vrai non seulement du point de vue de l’acquisition des savoirs, des disciplines, mais aussi de la discipline, c’est-à-dire de l’ordre, de la loi. Nous sommes souvent surpris de ce que les élèves n’ont pas intériorisé un certain nombre de normes de comportements que nous considérons comme “ normales ” ou évidentes, et l’hétérogénéité des comportements dans un même classe nous pose des problèmes tout à fait considérables, tout autant que l’hétérogénéité culturelle ou de niveaux de connaissances. Nous oublions tout simplement qu’à l’école l’ignorance est légitime, l’ignorance de la loi également puisqu’on y vient précisément pour la combler.
Quatrième principe : principe qui, en France, comporte une exception que je vais signaler au passage, nul ne peut être mis en cause pour un comportement qui ne porte tort qu’à lui-même [7]. C’est un principe fondamental du droit. Seule exception, donc, en France, l’injonction thérapeutique en cas de toxicomanie. Le juge peut dire à l’usager de drogues : « Tu te fais soigner, ou bien tu vas en prison ». Et c’est justement une exception très problématique, qui pose des problèmes redoutables aux juges, aux éducateurs et aux médecins, qui savent bien que le malade ne guérit que s’il l’a décidé, qu’on ne peut pas guérir sur ordre, et cette exception donne lieu à un débat considérable en France. Mais, dans notre droit positif, c’est la seule exception [8]. Ainsi, l’élève qui dort sur sa table et qui ne dérange personne pendant que je suis en train de faire cours, ne porte tort qu’à lui-même et ne peut donc pas faire l’objet de sanctions “ pénales ” de ce fait. Dans nos pratiques pédagogiques nous confondons très souvent ce qu’on appelle en termes juridiques le civil et le pénal : c’est, par exemple, deux heures de colle parce qu’on a eu une mauvaise note à un devoir ou un zéro parce qu’on a fait du bruit. Voici ce qu’écrit un autre Sébastien de mes élèves :
« Au collège, en cinquième, j’avais l’habitude d’être un élève plutôt bon en histoire et géographie, presque toujours entre 11 et 18, et un jour, j’ai eu 5/20 en histoire. La sanction habituelle était 4 heures de colle le samedi matin. Le lendemain la convocation arrive et je n’avais rien dit à mes parents. Je décide de ne pas y aller et le lundi, je tombe sur ma prof qui me demande de justifier mon absence. Je la baratine avec une histoire de décès dans la famille, je me croyais tiré d’affaire. Mais, pas du tout, elle me demande un papier de la famille, et là, ça se corse, elle me réclame ce papier tous les jours, jusqu’au jeudi où je décide de ne pas aller au collège et où je fugue… La police m’a retrouvé le dimanche soir. » Bien entendu, tous les élèves qui ont une mauvaise note ou une colle ne fuguent pas… Mais entendons bien la dernière phrase de Sébastien : « Je regrette d’avoir fugué parce qu’il y a constamment, encore aujourd’hui, toujours quelqu’un pour me le rappeler, mais à l’époque je ne voyais vraiment pas comment faire autrement. »
Sébastien Lecomte, terminale électrotechnique, 1993-94 [9].
La classe est trop souvent le lieu de ces multiples confusions : on utilise des sanctions du registre pénal pour des manquements aux savoirs, et on utilise des outils d’évaluation, les notes (baisse de notes, zéros), pour sanctionner des comportements jugés irréguliers, déviants. Il y a d’ailleurs, en France, un arrêté, malheureusement qui n’est applicable qu’à l’école élémentaire, qui interdit explicitement les punitions pour “ absence ou insuffisance de résultats ”. Et je plaide pour que cet arrêté soit également applicable à l’enseignement secondaire.
Cinquième principe du droit : nul ne peut se faire justice à lui-même. C’est le principe qui interdit la vengeance et oblige à en passer par un tiers non impliqué pour régler le litige ou punir l’infraction. Sauf, bien entendu, s’il n’existe aucun autre recours possible (le cas de légitime défense d’une part, et de l’épuisement de toutes les voies de droit, d’autre part). Ça, c’est une chose que nous savons faire, rappeler au bagarreur de la cour de récréation qui réagit par le coup de poing à l’insulte par exemple, qu’il n’a pas le droit de se venger lui-même ! Qu’il doit avoir recours au surveillant, au conseiller d’éducation, au professeur pour faire rétablir son droit s’il a été lésé par un camarade. Mais, dans ma classe, lorsqu’un élève perturbe mon cours, m’injurie, ou se livre à une autre activité que celle que j’ai prescrite, c’est moi qui punis, et même si ma punition est objectivement juste, comme c’est le même qui a été atteint par le désordre et qui punit, cette punition ne peut être ressentie par l’élève que comme la vengeance de celui dont l’autorité a été momentanément bafouée. Ici aussi, le fonctionnement ordinaire de l’école contredit un des principes élémentaires du droit.
Sixième principe, qui consiste en une autre formulation que le cinquième, et qui revient au même, et que je vais développer dans l’autre dimension de l’évaluation des savoirs et pas seulement dans celle de la sanction des comportements : nul ne peut être juge et partie. Ce n’est pas le magistrat qui a été cambriolé qui peut juger son cambrioleur, sinon le jugement est cassé. Or, dans ma classe, comme je viens de le dire, si des élèves ont des comportements déviants, c’est moi qui punis. Et surtout, au plan “ civil ” en quelque sorte, dans la classe, c’est moi qui enseigne et qui juge ensuite des résultats de cet enseignement [10]. C’est moi qui, avec mes collègues qui ont aussi les mêmes élèves, à chaque trimestre, décide si tel élève aura une bonne appréciation, chaque année, décide s’il peut ou non passer dans la classe supérieure ou doit redoubler ou encore “ être orienté ”. C’est moi qui met des avis sur les bulletins et les livrets qui vont avoir des conséquences sur le destin scolaire, et donc professionnel et social, de l’enfant, du jeune. Et c’est donc bien au cœur même de ce qui constitue mon travail professionnel, à savoir l’enseignement de la mathématique, de l’histoire, de tout autre discipline déterminée, que se joue la construction de la citoyenneté, rendue impossible, ou au moins très difficile par cette confusion des pouvoirs d’entraînement et d’évaluation : dans ma classe, et ce sont les règles institutionnelles elles-mêmes qui le prescrivent, je suis juge et partie. C’est ça le fonctionnement ordinaire, dans sa fonction centrale, de l’école, et c’est évidemment extrêmement grave…
Encore, lorsqu’il existe des examens anonymes, cette confusion des pouvoirs se trouve-t-elle tempérée, comme pour le baccalauréat en France. Mais, si le pire des cancres a encore une chance de pouvoir échapper à son étiquette, il n’en reste pas moins que l’examen a ici le très grave inconvénient de l’aléatoire et du ponctuel : il ne faut pas avoir une rage de dents ces jours-là, ou que votre petit(e) ami(e) vous ai largué(e) la veille ! On pense souvent à remplacer cet examen ponctuel par un contrôle continu : or, dans ce système de confusion des pouvoirs, le contrôle continu se transforme en chantage continu. Les élèves sont intelligents, ils savent très bien deviner, surtout s’il y a des redoublants pour les renseigner, ce que tel professeur particulier attend d’eux. Ce qui signifie alors que, dans l’acte même d’appropriation des savoirs, la recherche de la vérité se trouve remplacée par la recherche de la conformité. Ainsi se fabrique le “ bon élève ”, docile et conforme, futur décideur…
Cette confusion des pouvoirs ne pervertit donc pas seulement la construction de la loi, mais pervertit aussi radicalement l’apprentissage des savoirs, dans la mesure où ils ne seront alors finalisés que par l’ambition de conquérir – au détriment des autres –, grâce aux diplômes acquis, les places sociales qui permettront, après avoir appris, non pas à obéir à la loi, mais à se soumettre à quelqu’un, de pouvoir soumettre à son tour les autres à sa propre “ loi ”… Je pourrai alors faire subir aux autres la soumission que j’ai moi-même subie.
Je crois qu’il y a là quelque chose de tout à fait central dans le fonctionnement de notre système scolaire. Montesquieu définissait la démocratie comme le régime où on peut alternativement commander et obéir à ses égaux, et où les pouvoirs sont à la fois distincts et articulés. La confusion des pouvoirs, du double point de vue de la discipline et des disciplines, ce qui est l’expérience ordinaire, quotidienne, pendant quinze ou dix-huit ans, de nos élèves, interdit l’accès aux savoirs et à la citoyenneté [11].
Je peux faire tous les cours d’instruction civique, toutes les leçons de morale que je veux, cela risque de glisser sur eux “ comme de l’eau sur les plumes d’un canard ” [12] ! J’ai l’habitude de rappeler – et je me réfère là à ce que je disais au début [13] – que les auteurs de la rafle du Vél-d’Hiv. à Paris, pendant l’occupation nazie, avaient fréquenté, comme tous les “ bons français ”, l’école républicaine, où, tous les matins, il y avait “ leçon de morale ”… [14] Dans son fonctionnement institutionnel, l’école contredit les principes élémentaires du droit.
Enfin, septième principe : le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi, c’est aussi lui qui la fait avec les autres citoyens. Je n’ai pas le temps de montrer ici en quoi l’école réduit nos élèves à l’impuissance civique. Je sais simplement, parce que j’ai eu la chance, pour mon premier poste de professeur, de travailler dans une École Normale d’instituteurs, et que j’ai donc travaillé longtemps dans des classes primaires, des classes coopératives, pédagogie institutionnelle, que des enfants de 7, 8, 10 ans se révèlent capables d’organiser progressivement le temps, l’espace, les activités, de se donner les outils de l’accès aux savoirs et à la culture, de régler les conflits entre eux par la parole et non par la violence, et que donc, dans ces classes, l’éducation à la citoyenneté passe non par des “ cours ” de civisme ou de “ morale ”, mais par une véritable mise en pratique de la loi, par une pratique [15] quotidienne de la classe, par les méthodes mêmes d’appropriation des savoirs.
Voilà donc une première série de réflexions que je voulais vous proposer pour vos travaux de cette journée. Deuxième série de réflexions maintenant.
Je crois qu’il est tout à fait important de comprendre que nous avons la possibilité d’introduire dans les fonctionnements institutionnels ordinaires de l’école et de la classe des réformes tout à fait décisives quant à ces fonctionnements institutionnels mêmes.
Comment introduire les procédures qui permettront aux enseignants de jouer leur véritable rôle d’enseignant, procédures grâce auxquelles, pour prendre la métaphore sportive, l’entraîneur n’est pas l’arbitre – sinon, il n’y a pas de match ; l’entraîneur n’est pas l’arbitre, il n’est pas membre du jury le jour des épreuves. Donc, je peux entraîner mes élèves, je leur permets d’accéder aux plaisirs des savoirs et de la culture, mais ce n’est pas moi qui jugerai des résultats. Il y a, pour cela, un certain nombre de dispositifs, qui ne coûteraient pas un sou, à mettre en œuvre dans nos établissements scolaires [16], pour la validation des savoirs acquis.
Quant aux comportements, nous supposons trop souvent que les élèves devraient, par l’éducation familiale par exemple, ou par une sorte d’évidence “ naturelle ”, adhérer à un certain nombre de normes de comportement [17], auxquelles ils n’adhèrent précisément plus du tout !
Là aussi, il est tout à fait possible à n’importe quel acteur du système éducatif, et on peut aussi introduire cela dans les textes officiels bien sûr, de distinguer, dans l’élaboration d’un règlement intérieur d’établissement ou de classe, les différents niveaux de règles, ce qui se discute et ce qui ne se discute pas encore ou pas du tout. Quels sont, sommairement, ces différents niveaux de règles ?
Tout d’abord, le premier niveau : ce qu’on peut appeler l’arbitraire personnel, les caractères individuels, les manières d’être. J’ai le droit d’être ce que je suis, les élèves ont le droit d’être ce qu’ils sont. La question étant alors d’articuler ces personnalités singulières et de formuler les demandes réciproques qui nous permettront par exemple de demander aux élèves : « Je ne supporte guère le spectacle d’un troupeau de ruminants en classe, et donc je vous demande de ne pas manger de chewing-gum quand vous avez cours avec moi » et, bien entendu, les élèves peuvent eux aussi formuler leurs demandes à mon égard : nous ajusterons nos manies réciproques !
Deuxième niveau : c’est celui, immense, des coutumes, de la politesse, des rituels sociaux, tout ce qui dans l’existence ordinaire, le plus simplement du monde, met de “ l’huile dans les rouages ” et qui renvoie souvent à des origines très archaïques, qui remontent à la nuit des temps. Pourquoi, par exemple, se serre-t-on la main pour se dire bonjour, souvent tous les matins ? Eh bien, en tendant à l’autre la main droite ouverte, je lui montre : « Regarde, je ne porte pas d’armes, faisons la paix, au moins pour la journée » [18] On peut aussi expliquer la casquette, par exemple ; la “ scène de la casquette ” devient aujourd’hui en France un grand classique des motifs de punition : « Deux heures de colle : a refusé d’enlever sa casquette » ! La fourchette, c’est une petite fourche, la trompette c’est une petite trompe, la casquette c’est un petit casque, et on met un casque pour aller à la guerre… On peut expliquer cela dans la classe, et le gamin qui garde sa casquette sur la tête peut comprendre tout à coup, ou peut comprendre éventuellement, de quoi il s’agit. Je peux aussi, si j’ai une fille voilée dans ma classe, expliquer ce qu’il en est du voile pour les femmes autour du bassin méditerranéen [19], voile qui n’a rien de spécifiquement islamique bien sûr, voir Saint Paul, Épître aux Corinthiens, chapitre 11 : la femme doit être voilée parce qu’elle est la gloire de l’homme, alors que l’homme, lui, est la gloire de Dieu ! Et il y a en ce moment en France une publicité vantant les mérites du vin de Porto (« Le pays où le noir est couleur ») montrant une femme qui porte un véritable hidjeb. Seulement, si la fille qui porte le voile, trois jours avant que j’ai prévu de donner ces explications, est passée en conseil de discipline et a été exclue, elle n’a plus aucune chance de les entendre ! Dans les mesures actuellement prises en France à propos du voile, il y a quelque chose de parfaitement scandaleux, au regard du droit strict, à savoir que des mineures sont punies, personnellement, à cause du comportement de leurs parents ou de leur communauté : régression très grave en deçà des principes fondateurs de l’individualisme démocratique et donc de la laïcité, aveu aussi de ce que la République se révèle incapable de fournir à certaines de ces jeunes filles la protection nécessaire contre les pressions de leur communauté, ou ne leur laisse plus d’autres moyens pour affirmer leur identité que ce moyen dérisoire.
C’est tout à fait fondamental, c’est la vieille histoire du loup et de l’agneau : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère – Je n’en ai point – C’est donc quelqu’un des tiens » ! Eh bien non : je ne suis pas, depuis 1789, responsable de ce que fait mon frère, je ne suis pas responsable de ce que m’imposent mes parents, et si je m’impose moi-même cette contrainte, je suis, tant que je suis à l’école, dans une situation d’apprentissage, c’est-à-dire d’ignorance légitime de sa véritable signification. Ces jeunes filles, exclues de l’école, actuellement en France, subissent de plein fouet nos insuffisances en matière de formation à la citoyenneté, jusqu’aux plus hauts niveaux des responsabilités républicaines.
Tous ces rituels sociaux, toutes ces coutumes, peuvent être explicités à l’école. On pourrait prendre encore de multiples exemples, celui-ci par exemple : commentaire en conseil de classe, “ c’est un élève sournois et hypocrite, il ne vous regarde jamais en face ” ! Évidemment… c’est un élève d’origine asiatique, et dans la culture asiatique, il est hors de question, absolument impossible, ce serait d’une obscénité intolérable, de regarder, lorsqu’on est encore enfant, un adulte dans les yeux, surtout s’il est en train de vous engueuler ! Nous aurions peut-être intérêt, nous éducateurs, à nous informer…
Troisième niveau : c’est le niveau des règles techniques ; s’il y a un seul robinet pour se laver les mains après l’atelier de peinture, il y a tout à fait intérêt à ce qu’il y ait une règle précise pour se laver les mains ! Dans des classes maternelles et primaires, c’est par ces questions apparemment dérisoires que passe l’éducation à la liberté : les règles techniques me permettent d’accéder à des pouvoirs réels, à l’efficacité de l’action, à la liberté. Si je veux faire du piano, parler tout simplement ! faire n’importe quoi, alors je dois apprendre à maîtriser les règles du solfège, de la technique pianistique, du langage parlé, des fabrications, et alors je peux m’exprimer par le piano, la parole ou la sculpture, en totale et infinie liberté. Obéir à la règle, à la loi, rend libre.
Quatrième niveau : c’est celui des règles morales, des “ valeurs ”, qui sont parfois difficiles à distinguer des règles de simple politesse ou des principes du cinquième niveau ; on peut simplement observer qu’elles se discutent et qu’elles évoluent. En France, il y a à peine trente ans, une femme se faisant avorter était passible de la Cour d’Assises… Et, pour prendre un exemple un peu plus humoristique, Madame le Censeur, dans l’établissement où j’étais maître d’internat à vingt ans, pourchassait d’une vindicte toute particulière les garçons et les filles qui s’embrassaient un peu trop fougueusement à son goût dans la cour de récréation, et, bien entendu, il y a déjà un certain temps qu’il s’agit là de scènes que nous ne remarquons même plus ! Donc les règles morales elles-mêmes, nos codes, civil et pénal, évoluent…
Dans ces quatre niveaux – sur tout cela je suis un peu rapide, mais le temps passe ! – tout se discute, doit être discuté, les règles de ma classe doivent être remises en chantier dès que de nouveaux élèves y entrent, je dois toujours refaire ce travail d’explicitation, dans la pratique et pas seulement les discours, et sans ce travail il ne peut être question d’instruction et d’éducation.
Quant au cinquième niveau, il s’agit des principes éthiques, c’est-à-dire de ce qui ne se discute pas, parce que ce sont ces principes qui permettent justement qu’il y ait discussion. L’interdit de la violence ne se discute pas, démocratiquement ou “ majoritairement ”, puisqu’il est précisément ce qui permet la discussion. Vous comprenez maintenant le sens radical du texte de Sébastien que je vous ai lu en début de propos : « La majorité a toujours tort » dit Sébastien ; en réalité ce n’est pas la majorité démocratique qui a tort ici, c’est la “ masse ” des élèves coagulés dans l’indifférenciation violente, dans la victimisation du plus faible d’entre eux, masse où l’apparente “ bonne ambiance ”, l’harmonie du groupe se construit sur l’exclusion du plus faible [20]. Cette histoire d’exclusion devient un lieu commun de nos débats politiques ! On pourrait parodier Flaubert : « Exclusion : lutter contre… » Peut-être vaudrait-il mieux se demander si les moyens que nous mettons en œuvre pour lutter contre l’exclusion ne seraient pas précisément ceux qui la provoquent… De même, peut-être que les moyens que nous pensons mettre en œuvre pour permettre la formation à la citoyenneté et l’accès aux savoirs sont-ils précisément ceux qui les empêchent, et le spectacle offert aux jeunes aujourd’hui par certaines élites, composées d’anciens bons élèves, n’est pas, me semble-t-il, spécialement fait pour améliorer le civisme…
Donc, à ce cinquième niveau, il s’agit bien de principes qui ne se discutent pas. L’interdit de la violence puisqu’il permet la discussion ; l’interdit de l’inceste parce qu’il permet la distance, la séparation de l’autre qui, en interdisant la fusion-confusion, autorise la constitution du sujet et donc la rencontre de l’autre ; de même les interdits du cannibalisme et du parasitisme… Tous ces interdits fondateurs sont formulés négativement, ils ne me disent pas ce qu’il faut que je fasse, mais seulement ce que je n’ai jamais le droit de faire, si je veux pouvoir faire, précisément.
Et lorsque, parce que je suis adulte imparfait, je me laisse aller à transgresser la loi, je peux, précisément parce que je me sais inachevé [21] et citoyen conscient, réparer, supporter le prix à payer pour le rétablissement du droit, y compris bien sûr et d’abord devant mes propres élèves.
J’ai conscience d’aller trop vite sur ces questions et il faudrait développer. Seulement un point pour finir, sur l’interdit du parasitisme : un être vivant qui ne se développe qu’en recevant sa subsistance d’un autre être vivant, c’est un parasite ; je me demande si nous ne formons pas des parasites dans nos classes : le fonctionnement institutionnel ordinaire de l’école ne place-t-il pas les enfants et les adolescents dans une situation où ils ne peuvent que recevoir ? Le sens unique vertical de la “ parole ”… C’est une analyse assez classique. Si l’école n’apprend pas à entrer dans l’obligation à l’échange, n’apprend pas aux enfants à donner et pas seulement à recevoir, alors l’école n’est pas encore l’école.
[ Dernière édition du message le 14/09/2025 à 19:20:01 ]

darinze

Troisième principe : nul n’est censé ignorer la loi.
Combien de fois faut-il rappeler que, dans cette injonction, le mot "ignorer" ne signifie pas "ne pas connaître", mais "snober délibérément".
"nul n’est censé ignorer la loi" signifie "nul n'est censé agir comme si la loi n'était pas pour lui, qu'il l'ignore, qu'il fasse comme bon lui semble". C'est ne pas respecter la loi qui est puni.
Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais un seul procès ni une seule peine infligée à quiconque ne connaîtrait pas sur le bout des doigts le texte précis de l'alinéa 10 de l'article 5 du Livre II du Code du Commerce - ou de n'importe quel autre article de n'importe quel Code, d'ailleurs. Ce serait complètement stupide.

T'es pas obligé d'écouter toutes les conneries de DaRinze . Clip SONIC ON LOVE YOU
[ Dernière édition du message le 14/09/2025 à 19:30:57 ]

iktomi

En fait, et c'était un peu le sens de mon évocation de l'expérience de Zimbardo, certains profs se délectent de punir des élèves à propos de règles dont ces mêmes élèves ignorent tout... Il y a vraiment quelque-chose de l'ordre du sentiment de toute puissance divine là dedans...
Et je pense que l'absence de formation pour s'occuper d'enfants, en prendre soin (psychologiquement compris), y est pour quelque-chose. (et accessoirement ça permettrait de filtrer les aspirants profs ou directeurs qui n'ont clairement rien à foutre à proximité de mineurs)
[ Dernière édition du message le 14/09/2025 à 20:09:50 ]

Will Zégal

Combien de fois faut-il rappeler que, dans cette injonction, le mot "ignorer" ne signifie pas "ne pas connaître", mais "snober délibérément".
"nul n’est censé ignorer la loi" signifie "nul n'est censé agir comme si la loi n'était pas pour lui, qu'il l'ignore, qu'il fasse comme bon lui semble". C'est ne pas respecter la loi qui est puni.
Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais un seul procès ni une seule peine infligée à quiconque ne connaîtrait pas sur le bout des doigts le texte précis de l'alinéa 10 de l'article 5 du Livre II du Code du Commerce - ou de n'importe quel autre article de n'importe quel Code, d'ailleurs. Ce serait complètement stupide.
Mon colloc m'a pourtant raconté l'expérience exactement inverse où une juge lui a rappelé que nul n'était censé ignorer la loi quand il a dit qu'il ne savait pas un truc qu'on lui reprochait.
Il lui a alors montré les épais codes figurant sur son bureau en disant que si elle, professionnelle du droit, devait avoir ces codes sous la main, comment lui, simple citoyen, était il censé les connaître ?

darinze


Je ne pense pas qu'il existe un seul français.e.es.ss, sur le territoire national ou même ailleurs dans le monde, qui connaisse sur le bout des doigts l'entièreté des 77 codes du droit français. Si une telle loi existait vraiment et était réellement applicable, 100% du peuple français serait punissable. Même les magistrats.
Désolé pour ton coloc hein.
T'es pas obligé d'écouter toutes les conneries de DaRinze . Clip SONIC ON LOVE YOU
[ Dernière édition du message le 15/09/2025 à 11:33:34 ]

DocK'S


darinze


T'es pas obligé d'écouter toutes les conneries de DaRinze . Clip SONIC ON LOVE YOU

iktomi

Elle signifie qu'en cas d'infraction, on ne devrait pas pouvoir invoquer l'ignorance de la loi concernée comme défense. (sinon bonjour la pandémie d'amnésie fort commode qui s'abattrait subitement sur la population), mais comme personne sur la planète, pas même le top 1 mondial master-juge ne connait toutes les lois sur le bout des doigts, c'est aux juges de s'adapter aux situations et profils de chaque cas, comme toujours.
Toujours est-il que, que cette expression désignant le fait de "connaitre" la loi soit pertinente ou pas, elle est appliquée ainsi en principe "à priori" dans l'exemple donné par Bernard Defrance : l'élève vient pour apprendre, mais concernant ces règles, on ne pas pas les lui édicter précisément, on va l'y soumettre, et l'y confronter s'il les enfreint, qu'il les connaisse ou non. C'est un peu "surprise mozzerfokker, t'avais pas le droit de faire ça, et la punition c'est ça". (associé aux autres comportement qui s'additionnent... notamment le fait que c'est parfois le prof qui se rend justice à lui-même, parfois pour des faits qui ne causent du tort qu'à l'élève, et pas un tort vital)
[ Dernière édition du message le 15/09/2025 à 13:38:00 ]

FrTh

Est ce ignorer d'appliquer la loi ça existe aussi dans les textes ?
Du coup quand un juge prétend me rappeler la loi ensuite, j'ai dû mal à l'entendre. Si je lui dit, il me colle illico une injure au tribunal, alors qu'à la base c'est plutôt lui qui ne fait guère honneur à son métier. Amha.
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