On continue notre tour d’horizon des pianos virtuels, avec la série de pianos de l’éditeur français AcousticsampleS, du piano droit abîmé au piano de concert. Revue de détail.
Des pianos, des pianos, oui, encore des pianos (et ce n’est pas fini, vous êtes prévenus…). Petite particularité, quand même, il s’agit là de produits réalisés par un éditeur français, une fois n’est pas coutume, produits couvrant une large gamme de solutions, puisque l’on trouve aussi bien un piano droit dans un état que nous qualifierons “d’avancé” qu’un piano à queue enregistré selon trois positions de micros différentes. Mais n’allons pas trop vite.
AcousticsampleS, jeune société française, a commencé son activité en 2008–2009, après que son dirigeant Arnaud Sicard eut terminé ses deux Masters en acoustique (dont un à l’Ircam), en proposant des banques de basses et vibraphones. L’approche retenue est celle maintenant commune utilisant plusieurs couches de vélocité, des échantillons de relâchement, de différentes techniques de jeu, plusieurs samples d’une même note, le non-bouclage des échantillons tout en évitant, ce qui est plutôt surprenant d’ailleurs, la course au gigantisme parfois rencontrée chez certains éditeurs. Gigantisme pas toujours pertinent, rappelons que Kurzweil réussissait de somptueux pianos acoustiques avec seulement 4 Mo d’échantillons… Certes, il y avait le moteur de synthèse V.A.S.T derrière, ainsi que l’exceptionnel savoir-faire des sound designers du fabricant. Si l’on retrouve cette dernière qualité chez de nombreux sound programmers ou éditeurs, le moteur V.A.S.T reste toujours inégalé, et toujours pas disponible sous forme logicielle pour nos DAW (un jour, peut-être ?).
Mais trêve de digression, revenons à notre éditeur.
Introducing the pianos
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Cinq pianos acoustiques différents, on voit que le souci est, sinon de faire exhaustif, du moins de varier les sonorités, les approches de l’instrument. Les premiers pianos réalisés ont été les A-Pian (maintenant en V2), un crapaud Gaveau, et B-Pian, un piano droit russe. Puis ont suivi en 2009, l’Academic Grand (un Steinway) et le Kawai EX Pro et en mai 2010 le Old Black Grand (un Pleyel).
Steinway et Kawai sont l’objet d’une collaboration avec Lance Herring, que l’éditeur a rencontré via le forum de KVR (vive internet !). On peut visionner une vidéo de Lance Herring sur le Kawai EX ci-dessous. Quant au Pleyel, l’éditeur a cherché une approche différente, nous y reviendrons.
Premiers pianos
Le A-Pian V2 a donc été développé à partir d’un crapaud Gaveau (piano à queue plus large que long), un instrument qui, dans la réalité, offre une esthétique qui n’a rien à envier à sa sonorité. L’éditeur a fourni des programmes pour Kontakt, exs24, HALion, MachFive, AS-Player et lecteur de SoundFonts.
La banque pèse près de 800 Mo, le piano offre trois niveaux de vélocité pour le sustain et trois pour les release (ces derniers de trois types, notes, marteaux seulement et pédale enfoncée). L’échantillonnage a été effectué toutes les trois notes (parfois toutes les deux), sans bouclages. On dispose aussi d’échantillons de résonance sympathique, et du bruit mécanique de la pédale (six pour la pédale enfoncée, sept pour son relevé…), le tout trituré et appelé par un script maison (verrouillé).
Le fichier suivant fait entendre une même phrase passant par toutes les vélocités Midi :
On l’entend, la réponse n’est pas continue, il y a un petit creux suivi d’une remontée non justifiée lors du passage du deuxième au troisième layer.
L’interface, simple et sobre, offre cinq réglages et un bouton Reset permettant de les réinitialiser. On peut d’abord paramétrer la Sensitivity (réponse à la vélocité) ; le réglage par défaut m’a semblé être idéal, mais il sera ici question de goût et de clavier-maître (dans mon cas, un K2500X, sur lequel le A-Pian est très “confortable”, tout comme les autres pianos de l’éditeur, d’ailleurs). Viennent ensuite les réglages Pedal Noise, Release Volume, Tone et Thumps Volume (retour des touches, marteaux et étouffoirs) qui donnent les moyens de personnaliser le son du piano.
Ainsi, je le trouve trop brillant, la résonance métallique étant un peu trop présente lors des passages à forte vélocité, comme le laisse entendre l’exemple suivant :
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Le fichier suivant regroupe deux versions d’un même morceau, l’une avec les réglages par défaut, l’autre en coupant complètement la tonalité, ce qui permet de retrouver un son plus proche du Gaveau de référence à mon oreille (étant entendu que chaque piano est différent…). Sur toutes les versions de ce morceau, le piano a été mixé le plus fort possible sans saturer, le but du fichier d’origine (pour le test des Tonehammer) étant d’avoir un son doux avec le plus de volume possible. Sur les autres exemples audio, c’est la vélocité la plus forte (127) qui a été la base du “calibrage” du piano :
Cependant, ce travail d’EQ apporte les médiums, une fois les aigus coupés, à sonner un peu creux à quelques endroits, rappelant sur certaines notes les CP-70/80 de Yamaha :
Autre exemple bénéficiant de l’adoucissement via Tone, le début d’une pièce de Rimsky-Korsakov. On notera quelques très légers hors-phase.
Le B-Pian est lui un piano droit, qui a sérieusement vécu… Il offre des programmes pour Kontakt, exs24, MachFive et AS-Player. La banque pèse un petit 500 Mo, les échantillons sont toujours sans bouclage. Si l’on retrouve les mêmes principes et répartitions que ceux de son prédécesseur (trois couches, trois vélocités de relâchement, trois types de samples de relâchement, etc.), l’échantillonnage n’a ici été effectué que toutes les quatre notes (et parfois plus).
Le passage d’une couche à l’autre est assez audible, celui d’une zone d’échantillonnage à l’autre beaucoup moins, malgré la tessiture couverte. Mais cela se défend si l’on tient compte de l’esprit de la banque : proposer un instrument imparfait, plein de défauts, un piano d’étude que l’on prendrait plaisir à jouer, tout en oubliant de l’entretenir…
Voici le fichier sur la vélocité :
L’instrument se prête idéalement aux ambiances blues, bastringue ou boogie (extrait de “Triplets Bass Boogie” de Claude Bolling) :
Ou façon film muet, comme dans cet extrait de “Mysterious – Burglar Music”, issu du Sam Fox Moving Picture Music, Vol 1 de J.S. Zamecnik (domaine public) :
Mais il remplit aussi parfaitement un rôle plus évocateur : on pourra l’utiliser pour illustrer à l’image des ambiances de répétition, de cours de danse, etc :
Voire de façon plus nostalgique, pour une illustration d’archives, de photos noir et blanc, etc :
Une petite précision : tous les exemples (sauf notification contraire) correspondent au son brut des pianos, ne profitant que des réglages embarqués. Il est évident que l’on peut obtenir des résultats très intéressants en utilisant à bon escient EQ, compression et réverbération, mais ce n’est pas le but du test.
Pianos grand modèle
Après ces deux premiers pianos, comme une mise en bouche, l’éditeur s’est attaqué aux pianos à queue, marché déjà pourtant très fourni, et comportant quelques réussites incontournables. Quelles solutions ont donc été mises en œuvre afin de proposer des pianos différents de ceux de la concurrence ? Il y a déjà un élément dont on n’a pas parlé, et qui penche fortement en la faveur d’AcousticsampleS, le prix. En effet, les bibliothèques sont proposées à un tarif que l’on pourrait qualifier de “ridiculement bas” (à moins que celui de la concurrence ne soit “ridiculement haut” ?).
Les A et B-Pian sont proposés à 29 euros chaque ! L’Academic Grand, première collaboration entre Herring et l’éditeur, est, lui, vendu 59 euros. Un Steinway D dans son ordi à ce tarif, il doit bien y avoir aiguille sous broche, non ? L’éditeur a réalisé une bibliothèque de 2,8 Go, en utilisant des échantillons sans bouclage, cette fois-ci en 24 bits/48 kHz. On passe à quatre couches de vélocité, de relâchement, et les types d’échantillons de relâchement, de bruits et échantillons de pédale, ainsi que les scripts sont de même nature que ceux employés pour les précédents pianos.
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On profite de programmes pour Kontakt, exs24, HALion, MachFive, AS-Player et lecteur de SoundFonts.
Commençons par la réponse à la vélocité :
Même si le passage d’un layer à l’autre est assez audible, la courbe globale est logique. Notons la régularité des bruits mécaniques, mais l’exemple est particulier, peu représentatif d’un jeu réel (à moins de faire du Hanon à longueur de journée…).
Le piano est très brillant, presque trop sur les hautes vélocités (l’impression d’entendre parfois un Yamaha) :
Le contenu en fréquences aiguës ne semble pas irréaliste, c’est plutôt que le son manque de rondeur, de présence. On peut bien entendu jouer du réglage Tone, mais à l’instar du Gaveau, on risque de “perdre” le piano, de trop abîmer son timbre. L’EQ utilisé est un paramétrique réglé à 18,4 kHz, avec un Q de trois octaves (très large, donc), et limité à ± 7,2 dB (alors que la plage dispo en mode édition est de ± 18 dB).
Quelques rares notes sont assez désagréables (le B0, par exemple, suivant le mapping de Kontakt), mais le piano montre plus de cohérence que les précédents, puisque les notes ont été échantillonnées de façon chromatique (à l’exception d’une petite quinzaine courant sur deux demi-tons) :
Les attaques sont franches, parfois un peu trop présentes, et peuvent être difficiles à gérer sur un répertoire de ballades :
Mais le piano montre quand même une évidente personnalité :
Voici la reprise, utilisant deux occurrences de l’Academic, d’un des morceaux figurant déjà dans les précédents tests :
Bien plus généreux, le Kawai EX est proposé en version Lite (5,8 Go d’échantillons 24 bits/48 kHz, vendue 59 euros) et Pro (presque 17,5 Go, ici testée, vendue 89 euros). Le piano échantillonné est un Kawai EX de 2,76 m, on dispose de cinq couches de vélocité sans et avec pédale, 15 échantillons de relâchement par note se déclenchant en fonction du temps de jeu/relâchement. La résonance sympathique est incluse, ainsi que de nombreux bruits (marteaux et étouffoirs, pédale). Bien évidemment, les échantillons ne sont pas bouclés.
Mais le plus de cette banque, c’est que le piano a bénéficié de trois types de prises de son : en proximité près de la table (Close), figurant l’emplacement du pianiste (Player) et à la place généralement adoptée par les chanteurs (au creux du piano, Rim). Les trois prises sont accessibles via l’onglet Mixing, sont indépendantes, peuvent être ajustées en volume et pan, et disposent d’un utile bouton d’activation. On peut dans un autre onglet régler la réponse à la vélocité, le Tone, les volumes des échantillons de relâchement, de la pédale et des bruits de touches.
On commence par la réponse à la vélocité, selon le fichier utilisé pour les autres pianos :
Assez régulière, rien à redire de ce côté-là. Notons cependant qu’il n’y a pas de “vélocité zéro”, c’est-à-dire la possibilité d’enfoncer les touches sans déclencher de sons, pour faire résonner les harmoniques à la pédale, par exemple.
Le piano dispose d’une dynamique appréciable :
Mais sait aussi se montrer plus délicat, avec peut-être un petit manque de douceur :
Point fort du piano, donc, ses trois prises de son. On entendra dans l’exemple suivant le même morceau “joué par” les trois positions (dans l’ordre Close, Player et Rim) ainsi qu’une version avec mix des trois. Les volumes de chaque configuration ont été poussés au maximum avant saturation, avec une petite marge. Il est intéressant de noter que l’on peut simuler le jeu à deux, voire trois pianos, en travaillant un peu l’EQ de chaque. À noter le bon comportement au niveau de la phase, avec cependant un Close parfois un peu juste… Il faut en revanche surveiller la polyphonie, qui a tendance à grimper très vite :
Enfin pour finir, voici le morceau utilisant deux instances du piano :
À titre de comparaison, voilà le boogie du B-pian en mode Player. On pourra trouver la stéréo un peu large :
À part
Dernier piano de ce tour d’horizon, le Old Black Grand, issu d’un Pleyel de 1928, avec le but clairement affiché de ne pas proposer un piano clair, débarrassé de tout artefact. Presque 13 Go d’échantillons non bouclés (en 24 bits/44,1 kHz, mais échantillonnage d’origine en 88,2 kHz), neuf couches de vélocité pour le sustain et neuf pour les échantillons de relâchement, les réglages et raffinements habituels (résonance sympathique, bruits, etc.), bref, un piano engageant au vu des spécifications. D’autant que l’on dispose aussi de plusieurs prises de son (deux, Close et Rim), et d’un petit raffinement concernant la réponse à la vélocité et le jeu de pédale.
Du point de vue de la vélocité, un onglet Midi donne accès au réglage de la courbe de réponse à la vélocité, que l’on peut dessiner pour répondre au plus près à son jeu et/ou au clavier. On dispose aussi de plusieurs presets. Concernant le jeu à la pédale, la fonction True Pedal Action, permet de mettre en résonance des notes jouées avant l’enfoncement de la pédale. Il conviendra de correctement paramétrer la résonance sympathique pour en tirer le meilleur effet. Et enfin, grâce au paramètre Min Velocity, on peut simuler l’enfoncement des touches sans qu’une note soit déclenchée. Malheureusement, la résonance sympathique ne fonctionne pas à ce niveau-là (qui nous permettrait d’entendre résonner les “cordes” dont les étouffoirs sont relevés en jouant d’autres notes sur le clavier).
Enfin, l’onglet Mixing permet d’ajuster Pan et Volume des deux configurations de micros, et de les activer ou non.
Même déroulement que pour les précédents pianos, d’abord la réponse à la vélocité :
On remarque qu’aux vélocités faibles, les bruits augmentent, on pourra ajuster si besoin leur volume avec le bouton Key Noises de l’onglet General. Puis voici le comportement avec des attaques très fortes :
Le piano est loin d’être aussi brillant que ses congénères, mais cela fait partie de l’esthétique recherchée. Ensuite, les deux positions (Close puis Rim) suivies du même morceau utilisant un mix de deux :
Puis, la reprise de Rimsky-Korsakov :
Suivie de l’impro Emotional. On remarque que le son du piano se prête très bien à ce type de répertoire ou d’ambiance :
Pour finir, la reprise du boogie, en position Close+Rim :
Et le morceau sur deux pianos :
Là aussi, le piano apporte un son, une ambiance très particulière.
Bilan
Comparés aux ténors du genre de type East West ou Synthogy, disposant de multiples Go, de 10 à 20 couches de vélocité, les deux premiers pianos, A-Pian et B-Pian ne peuvent rivaliser et c’est bien normal. Mais, si on les considère pour leurs qualités propres (et leur prix !), on s’aperçoit qu’il est très simple de leur trouver une place, à condition que l’on ne cherche pas à en faire des instruments solo. Même si le B-Pian, dans certaines conditions, pourra être extrêmement évocateur, sur de l’image, par exemple.
J’avoue être un peu surpris par l’Academic, dont la trop grande brillance et du coup son manque de corps me gêne ; il montre pourtant certaines qualités, notamment au niveau de ses attaques très franches, mais elles aussi peuvent s’avérer déstabilisantes quand on joue piano.
Le Kawai EX, c’est une autre paire de manches. Lors des premiers essais, effectués en jouant tout simplement, un air de déjà entendu (The Grand…) fût un temps présent, mais vite remplacé devant les qualités du piano. Bien équilibré, brillant, dynamique, et offrant la possibilité de mixer trois configurations de micro, nul doute qu’il trouvera sa place dans une panoplie de musiciens/compositeurs si l’on veut proposer différentes sonorités.
On finit par le Old Black Grand, qui pour tout dire, est un piano que j’ai acheté dès sa sortie et qui m’a poussé à essayer les autres pianos de l’éditeur. Sans m’étendre sur ses qualités et ses défauts, je dirais simplement qu’il fait partie, au même titre que l’Emotional de Tonehammer, des pianos que j’utilise le plus (si je ne recherche pas un son pur façon Synthogy), ayant eu la chance de jouer toute ma jeunesse (et encore de temps en temps maintenant) sur un Pleyel du même type. L’impression de le retrouver sous les touches de mon Kurzweil est assez impressionnante.
Bref, des premiers pianos au haut de gamme, l’éditeur propose d’abord une approche qualitative égale. C’est en termes de fonctionnalités ou de nombres de samples que la différence se fait, pas au niveau de la qualité de l’enregistrement, ni de celle de la programmation (en tenant compte des réserves déjà faites sur l’Academic). Et la politique de prix adoptée est à la limite de l’imbattable. Trouver un piano de la qualité des Old Black Grand ou Kawai EX Pro au même tarif sera très, très difficile…
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