Après les synthés, les orgues et pianos électriques, Arturia s’attaque aux pianos acoustiques avec Piano V. Un piano à queue dans la mare ?
Arturia est connu depuis longtemps pour ses modélisations logicielles de synthés de légende réunies au sein du bundle V Collection dont la version 5 est sortie récemment. Or, cette dernière itération du bundle recèle une nouveauté de taille : la présence d’une application de modélisations de pianos, Piano V, que l’on peut acquérir individuellement pour le prix de 199 €.
Bien que la synthèse par modélisation existe depuis belle lurette, elle a jusqu’à présent essentiellement servi à la reproduction d’instruments électroniques et très peu à celle d’instruments acoustiques. Pour ces derniers, le passage dans le monde virtuel s’est majoritairement fait via les banques de samples, au profit d’un accroissement du réalisme sonore, mais souvent au détriment de la richesse de nuances et d’articulations de jeu. Tel n’est pas le cas du principal rival de ce Piano V, le Pianoteq de Modartt, en position de quasi-monopole sur le marché des pianos modélisés. Il s’agira de voir comment ce dernier se tire de la comparaison avec ce nouveau challenger, sachant que la version Stage de Pianoteq est vendue 100 € de moins, quand sa version Standard est vendue 50 € de plus.
Interface Homme Piano
Comme d’habitude, intéressons-nous tout d’abord à l’aspect extérieur des choses, c’est-à-dire à l’interface. Dans le domaine, Arturia nous propose quelque chose de très épuré, dans le style « flat » à la mode en ce moment. On comprend vite par exemple que 3 barres verticales et une barre oblique symbolisent une étagère de livres, donc une bibliothèque, donc… un browser ! Nous y reviendrons. La partie centrale de l’interface présente une illustration de l’instrument choisi, ainsi que de la position des micros virtuels. Quant à la partie inférieure, elle permet d’accéder aux paramètres d’accordage, de réglage des marteaux, de gestion de la courbe de vélocité, de choix des presets de positions des micros et de la petite table de mixage afférente, de réglage de la réverb et de l’égaliseur intégré.
Enfin, en tout petit, minuscule, à peine visible, trois pédales génériques sont prévues pour l’ensemble des instruments disponibles, et elles sont étrangement reléguées au même niveau que l’option d’activation du traitement multicoeurs, le choix du canal MIDI, le bouton de Panic (pour couper toutes les notes actives) et le témoin de charge CPU. Notons pour terminer ce tour d’horizon que l’on peut facilement attribuer toutes les fonctions du logiciel à des contrôleurs MIDI grâce à un bouton de MIDI Learn situé en haut à droite de l’interface. Chaque configuration MIDI peut ensuite être sauvegardée indépendamment, rechargée, exportée ou bien importée.
Comme promis plus haut, intéressons-nous maintenant au navigateur de presets.
Big browser is looking for
Le browser nous donne accès aux 38 presets d’usine du logiciel. Quand je dis 38 presets, je devrais plutôt parler de 9 templates de base et de leurs 29 déclinaisons. C’est là la première vraie différence de Piano V par rapport à ses concurrents. Là où le logiciel d’Arturia propose par défaut 9 instruments, ses deux rivaux directs de chez Modartt n’en proposent par défaut que deux, d’autres pouvant ensuite être obtenus ultérieurement pour environ 50 € chacun, ce qui fait très rapidement grimper la facture ! Les templates de base regroupent donc 9 instruments différents : Concert Grand, Intimate Grand, Pop Grand pour les pianos à queue, Classical Upright, Jazz Upright, Piano-Bar Upright et Pop Upright pour les pianos droits et enfin Glass Grand et Metal Grand pour des pianos à queue sortant un peu de l’ordinaire, et qui laissent entrevoir les possibilités tant promises de la synthèse à modélisation.
Les presets sont classés par type, par banque (templates et presets), par caractéristiques sonores et enfin par playlist. Car oui, on peut regrouper les presets par playlist, ce qui est une très bonne nouvelle. Sachant qu’à partir de l’interface principale du soft, on peut aisément passer d’un preset à l’autre au sein d’une même playlist via deux boutons fléchés (et « midifiables »), on dispose ici d’un système efficace pour enchaîner nos réglages favoris. Sur scène, cela peut s’avérer extrêmement précieux !
Les presets bénéficient d’une grande richesse d’informations (nom, type, banque, auteur, s’ils font partie ou non de nos favoris, playlist d’appartenance, caractéristiques sonores, commentaires), qui sont toutes éditables. Les presets d’usine ne sont pas modifiables, mais on peut en sauvegarder une copie qui le sera. On dispose également d’un moteur de recherche. Celui-ci ne se base que sur les noms des presets, et il aurait pu être intéressant qu’il puisse également retrouver des presets via les mots employés dans les commentaires. Mais ce n’est pas si grave, les presets pouvant être retrouvés par l’intermédiaire de toutes leurs autres caractéristiques. Enfin, on peut créer ses propres tags, ce qui est une excellente chose dont certains concurrents devraient s’inspirer ! Et soulignons-le : ce navigateur surclasse très nettement celui proposé par les produits Modartt.
Reste maintenant à nous occuper de la raison d’être de ce logiciel…
Les pianos !
Pour commencer, voici des exemples sonores pour tous les templates : Classical Upright, Jazz Upright, Piano-Bar Upright, Pop Upright, Concert Grand, Intimate Grand (demi-queue), Pop Grand (quart de queue), et enfin Glass Grand et Metal Grand :
- classical upright 00:26
- jazz upright 00:36
- piano bar upright 00:16
- pop upright 00:36
- concert grand 00:44
- intimate grand 00:26
- pop grand 00:36
- glass grand 00:44
- metal grand 00:37
Non sans vous avoir précisé que la consommation CPU pouvait grimper assez vite, ce qui est dû à la technologie employée et ne diffère pas de la concurrence, je vous laisse juges. Personnellement, je leur ai trouvé globalement plus de coffre que les Pianoteq, tandis que leur son semblait plus étouffé. Mais ce n’est qu’un avis personnel, d’autant que ces caractéristiques peuvent être modifiées de diverses manières, comme nous allons le voir.
Accordage avec le sujet
Les paramètres d’accordage sont peu ou prou les mêmes que sur Pianoteq Standard, mais plus évolués que sur Pianoteq Stage, du moins en ce qui concerne les cordes. Là où ce dernier ne propose qu’un accordage global via la définition de la fréquence du La de référence, Piano V offre un peu plus de choix.
On trouve ainsi un paramètre Unison Detune qui permet de désaccorder entre elles les cordes multiples des notes les plus élevées du clavier, ainsi qu’un paramètre Stretch Tuning grâce auquel on peut définir le degré d’accordage des harmoniques supérieures par rapport à la fondamentale. C’est cela notamment qui permet de simuler, entre autres, le comportement des pianos de différentes tailles. En effet, comme le rappelle le mode d’emploi, plus les cordes d’un piano sont longues (donc, plus le piano est grand), plus le rapport mathématique des notes fondamentales produites par celles-ci sera précis avec leurs harmoniques supérieures, et donc plus le son sera perçu comme « harmonieux » et agréable. Pour un rappel sur les fréquences fondamentales et leurs harmoniques, c’est par ici que ça se passe.
On dispose également de réglages permettant d’agir sur le comportement des marteaux. On peut ainsi simuler leur action dynamique en agissant sur le paramètre d’éloignement vis-à-vis des cordes, mais on peut également régler la position de leur point d’impact sur la corde ainsi que le degré d’usure de leurs feutrines afin d’agir sur la brillance de l’instrument. On regrettera juste l’absence de gestion des rebonds desdits marteaux, comme on peut la trouver chez Modartt.
Précisons que Piano V propose de manière classique la gestion des bruits de pédales, de marteaux et de lâcher de notes, choses que l’on retrouve également sur les deux Pianoteq. La différence, c’est que l’instrument d’Arturia propose également la gestion de l’ouverture du couvercle pour chaque piano.
Mentionnons enfin qu’il dispose d’un réglage de la courbe de vélocité en cinq points librement déplaçables : ni plus ni moins ! Il est en effet impossible de modifier ce nombre, même si chaque courbe créée peut être sauvegardée indépendamment. En face, Pianoteq propose un nombre de points illimité, et surtout la possibilité de créer également des courbes pour piloter le comportement du piano par rapport aux messages de note-off, de pédale, et d’aftertouch, ce dernier domaine n’étant absolument pas pris en considération par Piano V.
« C’est un peu court, jeune homme… »
Bonjour micro
En ce qui concerne le placement des micros, Piano V se situe exactement entre ses deux rivaux de Modartt. Si la gestion des micros n’est pas totalement délaissée sur Pianoteq Stage, les différents positionnements simulés pour chaque preset ne sont pas accessibles et modifiables par l’utilisateur. Pour Pianoteq Standard, les micros sont quant à eux librement positionnables. Piano V propose, quel que soit le preset instrumental choisi, une section réservée au placement des micros, section qui dispose de ses propres presets.
Assez logiquement, ceux-ci diffèrent selon l’instrument choisi, piano droit ou piano à queue. Pour ces derniers, les positions de micros sont au nombre de 4 : X/Y Close, X/Y Studio, AB et AB Studio. 4 micros virtuels sont utilisés à chaque fois, en sachant que seuls les micros 1 et 2 sont impactés par les presets, les micros 3 et 4 restant en position overhead. Pour les pianos droits, c’est un peu différent avec les presets suivants : Hybrid, A/B et Decca, les micros 3 et 4 n’étant pas forcément dédiés à l’overhead.
Quel que soit l’instrument choisi, et contrairement à Pianoteq Standard, les presets proposent des positions fixes qui ne seront pas modifiables. En revanche, on dispose d’une petite table de mixage permettant de gérer individuellement la piste de chaque micro. On peut ainsi en régler le volume, la position dans l’espace stéréo ou bien tout simplement la désactiver. Tout cela nous permettra de sculpter le son de manière tout de même assez efficace, sans se perdre non plus dans des paramétrages sans fin. Dans les exemples suivants, vous pourrez entendre alternativement les différentes positions de micros sur un piano à queue :
- grand xy close 00:44
- grand xy studio 00:24
- grand ab 00:23
- grand ab studio 00:25
puis sur un piano droit :
- upright hybrid 00:18
- upright ab 00:18
- upright decca 00:18
Le cas de l’EQ
Piano V dispose d’un petit EQ en trois points, chacun correspondant à un filtre agissant sur une plage de fréquences donnée et selon un comportement prédéfini : passe-bas pour les basses, passe-bande pour les médiums et passe-haut pour les aigus. Attention, aucun de ces filtres ne pourra dépasser les fréquences de coupure limite qui lui ont été assignées : impossible de balayer l’ensemble du spectre sonore avec le filtre passe-bas, par exemple. En outre, aucun des trois filtres ne permet une mise à zéro totale des fréquences sur lesquelles on agit. On ne pourra donc jamais supprimer totalement une plage de fréquences donnée.
L’EQ embarqué est donc clairement destiné à modifier le timbre des pianos sans dénaturer fondamentalement le son d’origine. Pour des modifications sonores plus radicales, on fera appel à des effets externes, ce qui imposera alors l’utilisation d’une STAN ou tout du moins d’un hôte à plug-ins. Il est d’ailleurs amusant de considérer que le manuel du logiciel incite lui-même à profiter des possibilités créatives de gestion d’effets et de routing de la STAN au sein de laquelle on fera tourner le soft.
On trouve d’ailleurs une limitation semblable sur les Pianoteq au niveau de l’impossibilité de supprimer totalement certaines fréquences, même si l’EQ mis au point par Moddart est autrement plus complet, grâce notamment au nombre illimité de points de coupure de fréquence que l’on peut créer.
Dans tous les cas, on regrettera une nouvelle fois que les éditeurs n’aient pas voulu jouer la carte de la liberté créative offerte par la modélisation sonore. Tant pis.
Effet au singulier
Le module de réverbe embarqué est à convolution et offre 15 presets différents allant de la pièce d’appartement à différentes formes de salles de concert, en passant par des acoustiques de studio, des environnements moins orthodoxes comme une salle de verre ou un entrepôt abandonné, et enfin deux reverbes synthétiques, à savoir une « plate » et une « modern hardware » pour des systèmes plus récents.
Toutes ces réverbes ont le mérite d’être très naturelles et d’offrir des environnements réalistes et très rapidement évocateurs, comme souvent lorsque l’on a affaire à de la convolution. Toutefois, à l’instar des filtres, on ne trouvera pas la possibilité d’accéder à des réglages extrêmes autorisant des folies sonores inouïes. Lorsque l’on déplie le volet de paramétrage, on accède en effet à quatre potards agissant sur les paramètres de durée, de taille de la pièce, de délai à partir duquel la réverbération commence à baisser et d’équilibrage entre le signal « sec » et le signal traité (dry/wet). On n’aura par contre pas de réglage du temps de pré-delay ou de damping par fréquence.
Là encore, comparé aux produits de Modartt, Piano V fait un peu petits bras. En effet, Pianoteq Stage et Standard proposent non seulement 2 presets de plus, mais également deux paramètres supplémentaires, à savoir la balance entre les premières réflexions et la queue de réverbe, ainsi que le réglage du pré-delay. Les logiciels de Modartt offrent en outre la possibilité de chaîner jusqu’à trois effets parmi un éventail d’une dizaine proposée, en plus de la réverbe traitée séparément. Au regard de cette offre, Piano V ne soutient clairement pas la comparaison en termes de gestion des effets.
Conclusion
Comment le simulateur de pianos d’Arturia s’en sort-il et comment se situe-t-il par rapport à ses concurrents directs, Pianoteq Stage et Standard de Modartt ? Pour répondre à cette question, penchons-nous d’abord sur les points forts : qu’on aime ou pas les sons proposés, il faut reconnaitre qu’ils possèdent une personnalité propre qui les démarque de ceux des Pianoteq, tandis qu’on dispose de neuf instruments différents livrés par défaut, quand la concurrence n’en propose que deux.
Par ailleurs, on sent le logiciel pensé pour trouver assez rapidement le son de piano souhaité, avec des presets pas trop nombreux, mais bien différenciés et facilement identifiables, le tout appuyé par un browser particulièrement performant et mieux pensé que celui intégré aux Pianoteq. Cette philosophie du « tout facilement accessible » se prolonge dans le réglage des paramètres. S’ils ne sont pas très nombreux, ces derniers permettent d’adapter rapidement la sonorité du piano à un grand nombre de situations données et de le faire rentrer facilement dans un mix. On notera encore une gestion plus fine des positions de micros au sein de Piano V que sur Pianoteq Stage, même si le logiciel d’Arturia offre moins de liberté offerte à ce niveau que le Pianoteq Standard. On saluera enfin les possibilités d’accordage (plus importantes que sur Pianoteq Stage) et de gestion de la longueur des cordes (à l’instar de Pianoteq Standard).
Sans parler du son qui restera à l’appréciation de chacun, on reconnaîtra enfin que les produits de Modartt se révèlent beaucoup plus riches en termes de gestion des courbes de réponse, d’effets intégrés et de réglage d’EQ.
Le choix est donc complexe, mais Piano V pourrait tirer son épingle du jeu par le nombre et la diversité des pianos et sonorités offerts par défaut… Évidemment, je ne saurais que trop vous conseiller d’essayer la version d’évaluation disponible sur le site d’Arturia car un piano se joue autant qu’il s’écoute.