Après EZdrummer et EZmix, Toontrack adapte le concept de l’instrument EZ au clavier avec EZkeys. Un piano virtuel qui, s’il ne fera pas frémir les pianistes accomplis, pourrait ravir plus d’un songwriter.
Soyons clair dès le début de ce test : ceux qui attendent un concurrent à Pianoteq 4 ou à Ivory II ne seront pas comblés par ce EZkeys dont le Steinway D de base, tout à fait honnête à bien des égards, n’en est pas moins limité par les modestes 500 Mo de sa banque de sons. De fait, même si l’éditeur annonce la gestion des résonances sympathiques et des bruits de touches ou de pédales, on demeure loin de la minutie, du réalisme et de la vie qu’on retrouve chez les références du genre. La gamme EZ s’aventurant rarement au-delà des 300 Mo sur les batteries, on reste ici sur le même concept d’une banque qui, pour garder un bon rapport qualité/poids/prix, a dû faire des sacrifices.
Sampling à l’économie
EZkeys n’est en effet pas de taille à lutter avec les références du piano virtuel et, passée l’agréable surprise de découvrir un piano relativement agréable à l’oreille, on perçoit vite les limites de l’instrument. Ce n’est pas tant le sustain qui paye l’addition puisqu’avec 11 secondes dans les notes les plus graves, il y a tout de même de quoi faire, mais on sent en revanche que c’est sur le nombre de vélocités gérées et plus encore sur le round robin que Sampletekk, qui a réalisé le sampling pour le compte de Toontrack, a fait des économies. De fait, l’effet mitraillette est bien au rendez-vous sur les notes répétées, cependant qu’en termes de dynamique, l’instrument, pourtant bien programmé, se montre assez raide. Voyez les exemples suivants :
- velocite 00:56
- basicpatterns roundrobin 00:05
- bossa roundrobin 00:17
Quant aux fameuses résonances, disons qu’elles n’ont rien d’antipathique sans parvenir pour autant à être sympathiques. Ce que je veux dire, c’est qu’on entend distinctement que des samples sont consacrés au rendu de ces dernières mais qu’ils semblent relativement figés. À mille lieues en tout cas de ce que produit un Pianoteq… Il en va de même pour les bruits de pédales et de relâchement de touches dont on peut régler le niveau mais qu’on aura intérêt à ne pas mettre trop en avant vu leur côté monolithique. Voyez dans l’exemple suivant comme l’accord plaqué n’a aucune incidence sur les fameuses résonances. C’est un sample global qui fait illusion, à condition de ne pas trop le mettre en avant.
Sans surprise, Toontrack ne communique absolument pas sur le nombre de samples utilisés pour réaliser l’instrument, ni sur leur emploi. Toutefois, si l’on a déjà entendu mieux en termes de piano virtuel, on a déjà entendu largement pire aussi. De fait, le piano à queue brillant et polyvalent d’EZkeys ne sera probablement pas idéal pour jouer du Debussy avec les nuances qui conviennent, mais au sein d’un mix pop ou rock, il pourrait fort bien tirer son épingle du jeu, pour peu qu’on l’utilise intelligemment. Précisons d’ailleurs que des réglages, situés de part et d’autre du pupitre sur l’interface, permettent de jouer sur la plage de dynamique de l’instrument, sur sa courbe de vélocité et sur son accordage/transposition. Mais plus intéressant encore, on dispose d’une section d’effets intégrée.
Une touche d’effets
Réalisée par Overloud, la société déjà mise à contribution pour réaliser les effets d’EZmix, cette dernière reprend le même principe : en fonction du preset de piano choisi, on dispose de 4 paramètres liés à une chaîne d’effets incluse dans le preset. Ici, ce sera un tremolo et un overdrive, là un delay, avec à chaque fois une pré-sélection de paramètres sur lesquels vous pouvez jouer pour personnaliser le son. On regrettera évidemment de ne pas avoir accès à tous les réglages des effets, à leurs choix ou à leur ordre dans le chaînage, mais le système a le mérite d’être simple, et la qualité est au globalement rendez-vous. A la faveur d’une reverb, d’un delay, d’une disto ou encore de divers effets à modulation, le Steinway de base peut ainsi s’aventurer du côté de l’ambiant, du lo-fi ou de l’électro.
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Voici quelques exemples de ce que le Grand Piano propose :
- atmosphericdepth 00:08
- electricdirt 00:08
- horrorscore 00:08
- dreamscapes 00:08
La chose ouvre des perspectives prometteuses en termes de bidouillage, même si on se sentira vite limité par la banque de base. Et c’est toute la stratégie de Toontrack depuis ses débuts que de pousser l’utilisateur à acheter des banques additionnelles pour élargir le terrain de jeu, ce que l’éditeur ne s’est pas privé de faire en proposant successivement Upright Piano et Classic Electrics, soit un piano droit Östlind & Almquist d’un côté, et un Rhodes MK1 et un Wurlitzer 200A de l’autre. Pour ce test, j’ai pu mettre la main sur les deux pianos électriques en sus du piano à queue.
Hit the Rhode, Jack !
En termes de qualité, ces derniers sont dans le sillage du Grand Piano : l’échantillonnage est propre et la banque relativement bien programmée d’un côté, mais on reste dans quelque chose qui manque beaucoup trop de détail pour convaincre en face de la concurrence (Scarbee, Lounge Lizard, Pianoteq, etc.).
Évidemment, chaque banque se voit livrée avec de nouveaux presets et donc de nouveaux effets, et c’est sans trop de surprise qu’on retrouve sur les pianos électriques les classiques chorus, flanger, phaser, Leslie ou wah-wah qui permettent d’aborder la plupart des sonorités typiques de ces instruments.
- mk1di 00:14
- mk1chorus(2) 00:14
- Mk1distordedambiance 00:14
- Mk1distordedchorus 00:14
Sauf que certains presets sont relativement inintéressants à trop vouloir en faire dans le sound design gratuit (patchs distordus qui ne présentent pas forcément un grand intérêt) et comme la section d’effets n’est pas indépendante, on se retrouve face à des limitations parfaitement ridicules : on dispose d’un tremolo sur plusieurs presets du Wurlitzer mais pas sur le Rhodes MK1. Inversement, aucun chorus n’est dispo sur le Wurlitzer alors qu’on en a sur le Rhodes. Bref, à vouloir faire simple (sans doute pour nous vendre plus tard des banques de presets), Toontrack fait simpliste et réduit grandement l’intérêt de sa section d’effets. On fera mieux d’utiliser le preset DI ou Raw Tweaks de chaque instrument pour traiter ensuite la chose dans son séquenceur.
Groupie du pianiste
À ce stade du test, je pourrais bien vous dire qu’au rayon couteau suisse à touches, les EZkeys sont loin d’être aussi intéressants que l’Addictive Keys de XLN Audio, qui est autrement plus polyvalent, configurable, réaliste et… moins cher ! Certes, certes… À un tout petit détail près : le principal intérêt des EZkeys, ce ne sont pas les pianos, mais le pianiste, ce mec virtuel assis sur son tabouret virtuel…
C’est qu’à la manière d’EZdrummer, chaque banque d’EZkeys se voit livrée avec une collection de fichiers MIDI prêts à l’emploi, tous ayant été enregistrés par un pianiste pro en utilisant la banque du logiciel. Un détail qui a son importance car s’il existe déjà sur le marché quelques banques de fichiers MIDI pour le piano (a priori génériques puisque GM), elles ne sonnent jamais correctement à moins d’utiliser la banque de sons pour laquelle elles ont été conçues, ou de se prendre deux heures la tête à trifouiller des courbes de vélocités et des contrôleurs continus pour adapter la programmation à son piano virtuel préféré.
Avec EZkeys au moins, on dispose d’un tout-en-un Groove + sons qui a fait la réussite d’EZdrummer et qui génère des parties de piano tout à fait convaincantes, à quelques réserves près sur lesquelles nous reviendrons ensuite. Voyons comment tout cela fonctionne.
Take it EZ
Les habitués d’EZdrummer ou des batteries virtuelles en général ne seront pas dépaysés par l’interface du logiciel. Si c’est le visuel du piano qui vous accueille à l’ouverture, un clic sur 'Browser’ vous donnera accès à un explorateur de fichier à colonnes, façon Mac OS X. C’est ici que vous récupérerez tous les patterns MIDI du logiciel, qu’il s’agisse de rythmiques de base (accords plaqués ou plus ou moins égrenés) ou de parties de chansons complètes, organisées par genre et par signature rythmique, et découpées en autant de parties que nécessaire (Intro, Verse, Bridge, Chorus, etc.) avec plusieurs variations à chaque fois. Chaque groove est écoutable à 3 vitesses (demie, normale ou double) par rapport à son tempo originel ou celui de l’application hôte et peut-être directement cliqué-glissé dans votre séquenceur (où il se transformera en clip MIDI complètement éditable), ou dans la partie inférieure de l’interface nommée Song Track.
Zone utilitaire évoquant EZplayer pour ceux qui connaissent, la Song Track est un espace de travail qui permet de mettre bout à bout les différents patterns constituant votre piste de piano finale, et surtout de gérer la progression harmonique de cette dernière via de très pratiques outils de détection et transposition. Chaque pattern est en effet assorti de lettres qui renseignent sur la progression harmonique qu’il utilise. En glissant les 12 mesures d’un pattern de blues dans la Song Track, on voit ainsi qu’elle utilise pour l’essentiel des accords de septième de do, fa, sol et ré. Si un clic droit sur le bloc entier vous permet de le transposer dans son ensemble (par note ou par octave), de contraindre sa plage de vélocités ou de préciser de quelle partie de la chanson il s’agit (intro, couplet, refrain, etc.), vous pouvez également intervenir sur chaque accord détecté dans le pattern en cliquant sur la lettre qui lui correspond. S’affiche alors une roue harmonique qui permet de faire votre choix parmi tous les accords gérés par le logiciel. En un clic, un fa mineur 7 peut devenir un do majeur 9 si tel est votre bon vouloir mais ce n’est pas tout : en cliquant sur l’onglet Details de la roue, on accède à la configuration fine de l’accord permettant d’activer ou de désactiver chaque degré et de passer en revue tous les renversements possibles. C’est juste un bonheur pour écrire et même si l’interface graphique de tout cela est un tantinet ‘pattes de mouche’, le système simplifie grandement la construction d’une piste de piano personnalisée.
C’est d’autant plus vrai que vous pouvez tout à fait importer vos propres fichiers MIDI dans le logiciel, ce dernier se chargeant de détecter les accords qu’ils utilisent. Évidemment, vous pouvez également couper/copier/coller n’importe quel pattern pour bâtir votre piste, sachant qu’une fois satisfait du résultat, vous pourrez cliquer-glisser la piste dans votre séquenceur ou l’enregistrer au format MIDI.
Outre un undo/redo utile, on dispose également d’un mode de génération aléatoire de progression d’accords qui peut produire des choses très intéressantes, bien des chansons de génie ayant été le fruit d’heureux hasards. Une fonction bienvenue donc, mais dont on aurait voulu qu’elle soit plus développée, pour que le soft puisse générer des parties à partir de contraintes qu’on aurait préalablement spécifiées (utilisation de tel accord ou de telle harmonie).
Enfin, même si ce n’est pas une fonction à proprement parler, notons que Toontrack fournit avec son soft un petit précis de théorie musicale, une excellente idée d’autant que ce dernier, bien qu’en anglais uniquement, soit très bien foutu.
Au-delà d’EZkeys : EZline
Vous vous en doutez, l’éditeur n’a eu de cesse depuis la sortie d’EZkeys de proposer de nouveaux packs de fichiers MIDI vendus à 25€ prix unitaire. On dispose ainsi de collections de grooves dédiées au Blues, à la Country, au Funk, au Gospel, au Jazz, au Pop/Rock et au R&B tandis que d’autres sont sûrement déjà en préparation… Je n’ai pu essayer que trois de ces différents packs avec les mêmes motifs de satisfaction et de mécontentement à chaque fois : d’un côté, on dispose en effet de patterns bien joués et dans lesquels on peut récupérer plein de choses intéressantes, de l’autre côté, on préfèrerait souvent disposer de patterns de plus bas niveau (juste des rythmiques) plutôt que de chansons complètes, à plus forte raison quand on n’est pas sûr que toutes les chansons proposées ici soient bien libres de droits : au fil des banques, on reconnaît ainsi des similitudes parfois troublantes avec des chansons célèbres, sans qu’aucune mention ne soit faite concernant l’auteur (If I Ain’t Got You d’Alicia Keys, Don’t know why de Norah Jones, I say a little prayer for you d’Aretha Franklin, Superstition ou I Wish de Stevie Wonder, etc.). Bien sûr, l’alibi de Toontrack sera de dire que ces chansons sont jouées « à la manière de », mais le mimétisme est parfois un peu trop flagrant et je suis curieux de savoir ce que penseraient une maison de disques et ses avocats si certaines chansons présentes dans le logiciel sortaient telles quelles dans le commerce… Voyez d’ailleurs l’exemple suivant :
Mais ne boudons pas notre plaisir car EZkeys permet d’accéder à des petites choses relativement dures à bien programmer quand on n’est pas pianiste, comme ceci :
Et de réaliser en 5 minutes montre en main une chanson comme cela :
Bref, en dépit de nombreuses choses perfectibles, le soft n’en demeure pas moins enthousiasmant à plus d’un titre. Et puisqu’après tout, il permet d’exporter en MIDI tout ce qu’il produit, EZkeys pourrait bien s’avérer être un parfait compagnon de jeu pour votre piano virtuel préféré.
Conclusion
Comme à l’époque de la sortie de BFD, on trouvera sans doute quantité de pianistes pour dire que tout fout le camp, qu’un pianiste virtuel ne vaudra jamais un vrai pianiste. Et ils auront raison.
Sauf qu’en tant que Songwriter, au stade de l’écriture comme de la maquette, on peut avoir besoin de générer une partie de piano qui tienne la route sans pour autant savoir la jouer. Et c’est là qu’EZkeys et sa banque de fichiers MIDI prennent tout leur sens, d’autant que Toontrack, on s’en doute, ne cessera de proposer des Add-ons pour développer le potentiel de l’instrument (Clavinet ? Orgues ? Xylophones ? Synthés ?).
Évidemment, pour ne pas sonner comme tout le monde, c’est à l’utilisateur qu’il reviendra d’éditer ses parties pour les personnaliser, mais il aura alors la satisfaction d’obtenir un jeu réaliste, bien plus humain en tout cas que ce que peuvent produire les arrangeurs et leurs algorithmes. Quant aux musiciens au mètre qui jusqu’ici devaient se contenter de boucles audio, ils seront sans doute ravis de jouir avec EZkeys de la souplesse du MIDI, quitte à devoir effectuer des ajustements de vélocité pour attaquer d’autres instruments virtuels.
Bref, si le dernier né de Toontrack n’est pas une grande surprise (j’ai personnellement toujours été sidéré qu’on puisse vendre des instruments virtuels sans proposer de banque MIDI les exploitant, à plus forte raison quand leur programmation est complexe) et si les limites de ses banques et de sa section d’effets créent l’attente d’un SUPERIORkeys, on ne peut que se réjouir de voir le concept de l’instrumentiste virtuel s’étendre au-delà de la batterie, au point qu’on espère fermement voir venir EZbassist, EZguitarist et tous leurs potes virtuels débouler sur nos disques durs.