Surgissant là où on ne l’attendait pas, XLN Audio présente Addictive Keys, regroupant trois pianos, deux acoustiques et un électro-mécanique. Sur un marché déjà bien fourni, quels sont les avantages (et défauts ?) de ce nouvel instrument virtuel ?
Qu’est-ce qui peut bien parfois pousser certains développements de logiciels, de plug-ins ou d’instruments virtuels, autre que l’idée de faire mieux, différent, moins cher, égal, plus simple, ou n’importe quel mélange de ces propositions ? On peut douter en effet d‘un questionnement allant vers du moins bon, ou du moins utile, car il ne faut pas l’oublier, tout ce travail de développement est censé nous faciliter la tâche. XLN Audio a ainsi décidé de se frotter aux nombreux instruments virtuels proposant des pianos acoustiques et électro-mécanique, dont certains sont déjà des références incontournables, de Pianoteq à Ivory II en passant par les AcousticsampleS, les ex-Tonehammer ou Imperfect Samples (liste non exhaustive). Et ce sans craindre l’ombre écrasante de ses prédécesseurs ; il faut dire que c’est une habitude chez l’éditeur, puisque son premier produit (Addictive Keys n’est que son deuxième instrument) n’a pas hésité à se glisser entre les deux mastodontes du genre que sont BFD2 et Superior Drummer 2, en tirant plus qu’habilement son épingle du jeu, par un concept pertinent et une sonorité bien particulière, que l’on peut quasiment immédiatement identifier. C’est donc un piano à queue (un Steinway D), un piano droit (un Yamaha U3) et un piano électro-mécanique (Fender Rhodes Mk I) qui se retrouvent au cœur d’Addictive Keys.
Introducing XLN Audio Addictive Keys
Le logiciel, compatible Mac et PC, est fourni sous forme d’application autonome et de plug-ins VST, AU et RTAS, 32 et 64 bits. On l’achètera directement sur le site de l’éditeur, puisqu’il est disponible uniquement en téléchargement. On utilisera pour ce faire le gestionnaire XLN Online Installer, qui gèrera les mises à jour de tous les logiciels et banques de sons de l’éditeur. Première chose à savoir : on peut télécharger une version gratuite de l’instrument, le Studio Grand Free, le moteur Addictive Keys étant fourni gratuitement. Cette version d’évaluation n’offre que quelques-unes des prises micro (on développera plus loin), et seulement quatre octaves. On pourra upgrader plus tard vers la version complète du piano à queue ou vers la Studio Collection.
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En effet, les instruments sont disponibles séparément (actuellement 49 € pour le Studio Grand, 79 € pour le Mark One, et 99 € pour le Modern Upright, 179 € pour la Studio Collection). La bibliothèque complète, une fois installée, pèse un peu plus de 3,5 Go, ce qui est peu, en comparaison avec les ténors du genre (29 Go pour le Steinway et plus de 25 Go pour le Modern Upright de Synthogy, ou 1,4 Go pour le Mark I de Scarbee, pour se faire une idée). Mais rappelons que le propre concepteur de Ivory, Joe Ierardi, avait réussi un piano exceptionnel pour les Kurzweil avec la RMB-P2/Stereo Piano Rom et ses 4 Mo (!) d’échantillons… Un petit coup d’œil à la fenêtre About nous permet de retrouver un certain nombre de noms connus, outre les développeurs maison, comme ceux d’Arne Wallander, Magnus Lidström, PSP Audioware, Sampletekk, etc., chacun à son poste de prédilection.
Conception
Dès l’ouverture, on se retrouve en terrain connu, l’interface est de la même famille que celle d’Addictive Drums : une barre supérieure d’accès aux fonctions différentes fenêtres, aux présets et aux réglages audio et Midi, la partie inférieure étant dévolue aux représentations graphiques des instruments et fonctions. Tout d’abord, on dispose d’une vue globale, Gallery, avec explications concernant l’instrument affiché. Plus intéressant, Explore affiche ce que l’éditeur appelle des ExploreMaps, trois fenêtres présentant l’instrument de différentes façons, avec une sélection de plusieurs présets, issus de l’ensemble accessible via le menu Preset Browser. Pratique, un petit bouton Preview permet d’entendre le piano affiché suivant le préset choisi. La fenêtre représentée par une roue dentée donne accès aux réglages d’accord note à note, à la courbe globale de réponse à la vélocité, aux paramètres de Pitch Bend, de tempérament, de modulation, etc., le tout pouvant être sauvegardé et rappelé à loisir.
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La page la plus intéressante est bien entendu la page Edit. C’est là que l’on réglera tous les effets, les enveloppes, la sélection et le mixage des différentes prises de son disponibles pour chaque instrument : sept pour le Mark I et le Modern Upright, et six pour le Studio Grand. C’est l’une des premières grandes différences avec la concurrence, aucun des autres instruments virtuels dédiés au piano n’offrant une telle profusion de micros et de prises (voir encadré). En revanche, on ne dispose d’aucune information concernant le nombre d’échantillons, de layers, etc. Il va falloir chercher…
L’organisation de la fenêtre reprend les mêmes principes d’un instrument à l’autre (et celui d’Addictive Drums) : trois bandes, la première regroupant les réglages de pédale et ceux d’enveloppe (Pitch, Filter et Volume, communes à toutes les prises), la deuxième un Channel Strip amélioré avec choix du micro, d’un Noise (on y reviendra), d’un EQ et deux effets entourant ce dernier, à choisir entre Chorus, Phaser, Tremolo et un ensemble compression et saturation. La dernière bande est celle du mixage, avec Mute, Solo, départs effet 1 et 2 (deux ensembles indépendants Delay et Reverb, nommés Delerb, plus EQ), avec trois voix maximum à choisir parmi toutes les prises de son, les deux retours Delerb et le Master. Chaque tranche de mixage dispose bien entendu de son propre Channel Strip, à l’exception des FX1 et 2.
Du son
Commençons par le petit test de vélocité sur chacun des instruments, de 0 à 127 (vélocité faisant entendre un accord pour repérer le point de bascule), en commençant par le Studio Grand, suivi du Modern Upright et du Mark I. Le préset choisi est le plus neutre possible, sans effet ni réverbe.
Je pensais entendre clairement la présence d’échantillons de Round Robin, mais après discussion avec le Content Manager de XLN Audio, c’est une tout autre technologie qui est intégrée (Sample Shift), modifiant subtilement chaque sample à coup de filtres et de pitch (et peut-être d’utilisation d’un échantillon un demi-ton au-dessus, en-dessous, transposé en temps réel, mais l’éditeur ne répond pas précisément à la question). Même si je n’ai pas eu de retour sur ce point, mes mesures indiquent un cycle de trois modifications. La détection des Layers est un peu plus difficile, l’éditeur s’étant apparemment concentré sur les valeurs les plus élevées. Il me semblait entendre entre huit et douze layers, même si l’on ne peut préjuger de l’action d’un crossfade (si c’est le cas, les sauts restent quand même audibles sur certains layers) ou d’un filtre non accessible à l’utilisateur. Mais l’éditeur m’a indiqué le chiffre de douze layers par instrument. Leur répartition est différente selon les pianos, ainsi pour le Mark I, les layers sont principalement dans les valeurs hautes, avec une plage assez resserrée.
Passons ensuite aux différents morceaux habituellement utilisés pour les tests de pianos (ce qui vous permettra d’effectuer des comparaisons d’un logiciel à l’autre). Dans tous les exemples suivants, on n’utilise ni compression ni EQ. D’abord la ballade de Rimsky-Korsakov, les deux impros habituelles et le boogie, sur les deux acoustiques.
- 02 Romance 00:58
- 03 Impro1 01:09
- 04 Boogie 01:38
- 05 Impro2 02:40
Premier constat, il faut prendre soin, dès l’utilisation de plusieurs prises de son, de resserrer la largeur stéréo, sous peine de se retrouver avec des passages hors phase qui pourront poser problème. Heureusement, le logiciel offre ce réglage par voix (conseillé) ou sur le Master, via un clic-glissé vers le haut dans le champ Pan. Deuxième constat, sans que l’on ait utilisé d’EQ ou de compression, la diversité sonore est évidente, et obtenue simplement, en utilisant l’un ou l’autre mélange des prises de son. Écoutons ensuite plusieurs réglages de la pédale de sustain, jouant sur le bruit de la pédale elle-même, ou sur le rapport entre résonance sympathique (Body) et résonance de toutes les autres cordes (Noise).
Ensuite, passons au Mark I, d’abord avec quelques programmes plutôt softs.
Puis avec des programmes utilisant les différents effets, compression, saturation (avec un comportement assez intéressant en fonction de la vélocité), etc., voir un jeu avec du pitch bend et la molette de modulation.
Parlons des effets, justement. Si l’EQ, le compresseur allié à la distorsion seront familiers aux utilisateurs d’Addictive Drums (pour les non-utilisateurs, un paramétrique trois bandes, un excellent compresseur et une saturation dont les différents types sont Crunch, Zap, Iron Tranformer et Tube Pair), Noise, Phaser, Chorus et Tremolo sont nouveaux (ainsi que les Delerb). Noise propose de rajouter des bruits de fond ou artefacts typiques de certains composants et bandes, avec réglages de volume et de temps de chute (de 0 à 2000 secondes !). Voici sur un accord tenu les différents types proposés : TubeU47 & Tape, J8 White Noise, DC Noise & Hum, Muff Stomp, Vinyl, Tape 7.5 et 15 ips.
Pourquoi rajouter du bruit, me direz-vous ? Eh bien, si le vinyle, par exemple, est le bienvenu, Muff Stomp peut rajouter un effet sympa sur la saturation, rappelant aux anciens (et pas seulement) la légendaire non-discrétion d’une pédale dont le nom commence par Big et finit par Muff, et autres sortes de salissures sonores (attention à ne pas abuser, quand même). Ce dont on peut abuser en revanche, ce sont des Phaser, Tremolo et Chorus qui sont d’excellente qualité, et riches en paramètres, dont les indispensables Synchro permettant de caler parfaitement l’effet au tempo, ou la possibilité de mélanger Tremolo à la fois sur le volume et le Pan. Sans compter toutes les combinaisons possibles au sein des trois prises disponibles : ainsi on peut mettre un chorus sur l’une, une distorsion sur l’autre et un trémolo sur la dernière, les possibilités sont assez énormes.
Bilan
Fidèle à son concept de base, XLN Audio nous propose une véritable boîte à outils autour des trois claviers. Si la définition est un peu moins bonne que celle de la concurrence (enfin, ça dépend de quels concurrents on parle, par exemple Addictive Keys éclipse totalement les Native), les possibilités offertes sont sans commune mesure (les différentes prises de son) et le but n’est pas tellement de fournir un instrument qui donne la sensation de jouer sur un vrai, comme d’un véritable instrument soliste, mais plutôt de donner au musicien/producteur le son d’un piano enregistré et couché sur bande/audionumérique, avec toutes les options sonores envisageables à l’intérieur du logiciel. De ce point de vue, c’est totalement réussi.
Prenons juste un petit détail comme le Memo : vous jouez sur le Standalone, l’inspiration est là, pas le temps ni l’envie de lancer la DAW ? Hop, un clic sur le bouton Mémo, ce que vous jouez est enregistré et sauvegardé, classé, trié. Ne reste plus qu’à faire un glissé-déposé du fichier Midi correspondant dans sa DAW préférée…
Quelques points faibles, bien sûr, surtout concernant le Mark I, dont l’attaque n’est pas la caractéristique première, parfois un peu (trop) mou, même si sa sonorité globale est plutôt réussie. Il est souvent difficile de le faire sortir d’un mix, sauf à (ab)user d’EQ et de compression (en laissant passer les attaques d’une prise Close, et en compressant le reste, puis en récupérant le corps via une autre prise) ; l’ajout d’un effet jouant sur la phase lui enlèvera encore plus de définition et d’attaque, donc il faudra doser ce dernier avec précaution. On le réservera alors pour les ballades et mid-tempos, plutôt que pour les solos enlevés ou les rythmiques très funky.
Le problème se pose moins sur les acoustiques, dont l’attaque leur permet de passer au-dessus (juste ce qu’il faut, bien entendu) d’un mix sans problème. Concernant ces derniers, on reprochera à la résonance sympathique de n’être pas aussi réaliste ou sophistiquée que celle de ses concurrents, et parfois des passages d’un layer à l’autre un peu secs. Et puis, pour arriver à un poids aussi « léger », il a fallu faire des compromis, malgré la douzaine de layers. C’est donc au niveau de la durée que les choix ont été effectués, les plus longs échantillons ne dépassant pas la vingtaine de secondes (sur Ivory II, par exemple, une même note C2 durera plus d’une minute…). Bien sûr, vingt secondes peuvent sembler amplement suffisantes, mais si l’on a besoin de plus, on aura alors droit à une chute peu naturelle du son.
Comme tout nouvel instrument, il faut s’habituer au toucher, à la réponse en vélocité (surtout vu la politique de l’éditeur d’avoir concentré les layers dans les hautes vélocités). Mais une fois Addictive Keys dans les doigts, on y revient très souvent au moment de jouer un piano, sa rapidité de chargement, de changements de présets, de gestion des effets étant de véritables atouts. L’éditeur a apparemment prévu d’autres instruments, on les accueillera avec plaisir. Une solution en tout cas idéale pour un portable, puisque complète et prenant très peu d’espace disque sans sacrifier au son et aux possibilités sonores. Bien joué, XLN Audio.