Oui, oui, on sait : il ne faut pas mixer avec les yeux ! Sauf qu'à l'heure où les normes de diffusions sont de plus en plus nombreuses et touchent les amateurs comme les professionnels, on n'est pas mécontent de voir débarquer un nouveau visualiseur innovant sur le marché... LE visualiseur ?
On a beau répéter ça et là qu’il ne faut pas mixer avec les yeux, ça n’en rend pas moins les outils de mesure et de visualisation extrêmement importants dans la production audio, à plus forte raison quand il s’agit de conformer un projet quel qu’il soit à une législation ou des normes de plus en plus précises et de plus en plus exigeantes. Et ce n’est pas seulement là l’affaire des professionnels puisque même l’amateur doit aujourd’hui intégrer ce genre de contraintes sitôt qu’il veut diffuser sa musique sur telle plateforme de vidéo, de streaming audio ou de vente. Et pour ce dernier, la mesure et la visualisation vont être d’autant plus importantes d’ailleurs qu’elle permettront de limiter au quotidien l’impact d’un système d’écoute amateur : quand on mixe au casque ou sur des petites enceintes dans une pièce à l’acoustique non traîtée, c’est bien à ce genre d’outil qu’il faut en partie s’en remettre pour se faire une idée de ce qu’il se passe en bas du spectre par exemple.
Bref, tout le monde a besoin de garder un oeil sur le compteur comme sur la carte à l’heure des limitations de vitesse comme du hors-piste, et ce n’est pas totalement un hasard si ces dernières années on a vu émerger quantité de solutions pour analyser et visualiser le signal audio de toutes les façons possibles. De fait, que ce soit chez Blue Cat, Izotope, Flux, NuGen, Mastering the Mix, Melda Production, Voxengo ou encore Sugaraudio, on a vu apparaître tout un tas de plugins plus en moins chers pour cela, tandis que la visualisation a pris une part plus importante dans l’ergonomie de quantité de traitement, dans le sillage de ce que propose un Fabfilter par exemple.
Et voici que dans un marché déjà bien concurrentiel, les coyotes de Process Audio, l’émanation logicielle de Puremix, nous proposent Decibel. Inutile de dire que pour se faire remarquer, ce dernier va non seulement devoir faire aussi bien que ses petits camarades, mais qu’il a même plutôt intérêt à faire des choses que les autres ne font pas. Et c’est précisément le cas comme nous allons le voir.
Le signal dans tous ses états
Spectre, volume, dynamique et phase : Decibel permet bien évidemment d’analyser et de visualiser votre signal sous tous les aspects mais il le fait au travers d’une interface complètement modulaire et redimensionnable à loisir. Comprenez par là que vous ne serez pas face à une fenêtre à l’ergonomie fixe mais plutôt face un tableau de bord dont vous pouvez choisir chaque élément en précisant sa taille, son emplacement, ce qu’il mesure et la façon dont il va se comporter.
Si de nombreux presets sont fournis par Process Audio, on aura tout intérêt à se bâtir ses propres templates en fonction de ses préférences et en fonction de la tâche à accomplir : on n’a évidemment pas besoin des mêmes données selon qu’on enregistre, mixe ou fait un master. Pour cela, on pourra déterminer le calibrage global du logiciel (avec de nombreux presets pour les principaux objectifs : spotify, youtube, etc.) et on videra le template chargé par défaut (je n’ai pas trouvé de moyen de créer un nouveau preset) pour ajouter autant d’occurrences que l’on veut d’un des neuf modules proposés : LUFS Histogram, LUFS Meter, Digital Meter, Spectrum Analyzer, Vu-Meter, Phase Scope, Target Validator et Super Meter. Tous seront redimensionnables et déplaçable d’un simple cliqué-glissé de souris : on aime.
Si les noms de la plupart des modules sont assez parlants et se passeront d’un descriptif détaillé, Super Meter et Target Validator méritent qu’on s’y attarde. Comme son nom l’indique, le Target Validator est un indicateur très simple qui va vous permettre de visualiser si telle ou telle condition est remplie par le signal : on peut ainsi d’un coup d’oeil savoir si on ne « peak » pas à plus de tant de dB, si le Loudness ne dépasse pas tel niveau ou si la plage dynamique atteint le niveau souhaité : une très bonne idée !
Quant au Super Meter, c’est une invention de Process Audio qui réunit au sein d’un même visualiseur les infos relatives à la plage dynamique, aux pics de volume et au volume perçu de votre signal : si bien foutu qu’il pourrait sans problème faire l’objet d’un plug-in indépendant…
On n’aura pas de grandes surprises concernant tous les autres modules sachant qu’il est possible pour la plupart d’entre eux de déterminer pas mal de choses dans les options : cela va des données à afficher jusqu’au comportement (plus ou moins réactif), en passant évidemment par ce qui est mesuré (canal gauche, droite, mid, side, sommation des deux, multicanal), l’échelle de mesure et l’aspect visuel : on dispose ainsi de plusieurs skins de vu-mètres, ou de la possibilité de tweaker par exemple les points ou les lignes affichées par le goniomètre du module Phase Scope.
On en veut toujours plus
Tout cela s’avère plutôt complet et bien pensé, avec une consommation extrêmement réduite du côté CPU, mais on notera ça et là quelques aspects perfectibles. On déplorera en premier lieu l’absence d’un analyseur spectrogrphique qu’on voudrait en 2D comme en Waterfall 3D ; ne compter que sur un spectroscope que l’on ne peut pas afficher par bande (et cela serait utile pour le live notamment) ne suffit pas à nous renseigner sur quantité de choses qui se passent sur le plan fréquentiel, comme repérer une ronflette par exemple… On aurait aussi souhaité disposer d’autres types d’affichage pour le Phase Scope : le goniomètre a toujours ce côté un peu bordélique qui fait qu’on pourrait lui préférer d’autres types de représentation plus clairs (voir Izotope, Blue Cat ou Nugen pour cela) et comme on gère souvent la spatialisation avec des traitements multibandes, on aimerait disposer d’un moyen d’afficher cette dernière en fonction des fréquences, comme le fait le Nebula de Flux par exemple ou encore Nugen Audio. Même chose sur le plan de la dynamique où l’on aimerait disposer d’un bête affichage de la forme d’onde en temps réel via un oscilloscope, très parlant pour se rendre compte d’un tassement de la dynamique.
Au-delà de ces modules manquants ou à parfaire, on est ravi de pouvoir choisir à sa guise les couleurs utilisées par le logiciel (avec de nombreux presets disponibles), mais on regrettera que ce paramétrage soit global et non au niveau du module, ou du moins du type de module, histoire d’aider le cerveau à distinguer les informations : on voudrait par exemple pouvoir afficher tout ce qui est spectral sur des nuances de bleu, ce qui relève de la spatialisation dans des nuances de vert et la dynamique sur une palette de rouge… Mais mon plus grand regret personnellement tiendra au fait que Decibel ne propose pas de travailler en multipiste : impossible par exemple d’afficher en surimpression dans la même fenêtre la courbe de réponse en fréquence issues d’autres occurences du plug : on ne pourra ainsi pas comparer aisément ce qui se passe sur le kick et sur la basse en regard de la voix, par exemple. Ou comparer un signal avant et après traitement…
Enfin, si l’idée des Validators est excellente, on aimerait plus de possibilité de paramétrer ces derniers, que ce soit en éditant le texte ou l’icône utilisée (avoir une vraie icône Spotify pour valider la conformité par exemple) ou les jeux de conditions dans le genre : si telle condition et telle condition sont remplies, alors on valide…
Pour apprécier Decibel à sa juste valeur, il convient toutefois de ne pas se focaliser sur ce qu’il ne fait pas ou pas encore, mais plutôt sur ce qu’il fait… et qu’il est le seul à faire !
Visualiseurs en réseau !
Utilisable en version autonome ou comme plug-ins VST, AU ou AAX et proposant un drivers qui permet à sa version autonome de prélever le signal audio au niveau de l’OS, le logiciel est en effet également disponible sous iOS et Android. N’imaginez pas que le but de cela soit de monitorer vos conversation téléphoniques, mais plutôt d’utiliser vos smartphones et tablettes comme autant d’écrans pour afficher en permanence vos mesures. Pour ce faire, il faut installer l’appli sur votre iDevice ou AndroidDevice, ce qui vous permettra de récupérer une adresse IP à renseigner dans le plug-in et c’est fait ! Vous n’aurez pu ensuite qu’à déterminer via un nouvel onglet quoi afficher sur qui, sachant que cela peut aussi fonctionner en connexion filaire USB.
C’est très bien vu car cela permet un grand confort à l’usage : plus besoin de double-cliquer dans sa STAN pour voir où l’on en est de tel ou tel niveau en cours d’enregistrement, de mix ou de master, on peut déporter cela vers son tél qui affiche la donnée en permanence ! Voici qui donnera en outre une bonne raison de recycler un vieux téléphone ou une vieille tablette, ou de disposer d’un visualiseur matériel à moindre frais en récupérant un appareil pour trois fois rien sur le marché de l’occasion. Il fallait y penser !
L’autre excellente nouvelle, c’est qu’un coup de fil à Process Audio nous a permis de savoir que de nombreux modules et fonctions étaient sur le point d’être ajoutés gratuitement à cette V1, certains même avant Noël, qu’il s’agisse de nouveaux modes de visualisation de la stéréo ou de la phase, d’un oscilloscope, d’un spectrographe ou d’un usage plus ciblé des couleurs en fonction du type de données (spectral, phase ou dynamique/volume). De fait, à part la possibilité de pouvoir utiliser le soft pour faire de la comparaison de signaux qui n’est pour l’heure pas encore à l’ordre du jour, on devrait bientôt disposer d’un outil extrêmement complet et qui sera le seul à permettre le déport vers des écrans tactiles sur lesquels nous assure-t-on, il sera bientôt possible de swiper pour passer un visualiseur à l’autre. Plus généralement, l’éditeur nous a assuré être très à l’écoute de ses utilisateurs et semble décider à exhausser l’essentiel des demandes de ces derniers pour faire de Decibel l’outil de mesure et visualisation ultime.
Conclusion
Modulaire, précis et très réussi sur le plan de l’esthétique comme en termes d’ergonomie, Decibel est déjà un excellent visualiseur qui fait avancer le schmilblick via sa capacité à alimenter un réseau de tablettes ou de téléphones pour y afficher ce qu’on veut. C’est là une excellente idée qui mérite bien un Award Innovation en dépit de l’impossibilité d’utiliser le soft pour comparer des signaux et du fait que certaines fonctions intéressantes sont encore attendues (oscilloscope, spectrographe, visualiseur de phase spectral, etc.). Comme on nous a promis qu’elles devraient arriver prochainement par le biais de mise à jour gratuites, on sera confiant sur l’avenir de l’outil qui mérite amplement son prix si l’on considère l’économie qu’il permettra de réaliser pour ceux qui ont besoin de visualiseurs autonomes, comme le confort que ce genre d’outil procure au quotidien. Affaire à suivre de très près donc !