De temps en temps, une marque officiant dans la simulation d'amplificateurs guitare clone autre chose que du Fender, du Marshall ou du Mesa Boogie. La firme italienne Nembrini Audio nous offre ainsi la première émulation à modélisation physique du marché du légendaire préampli 3 canaux A/DA MP-1 !
Le préamplificateur A/DA MP-1 est une drôle de relique du passé de la guitare électrique. Issu de l’époque où les guitaristes exploraient les territoires sonores du « toujours plus de distorsion » et des panneaux de contrôles de Boeing 747 au format réfrigérateur à racks, le MP-1 — qui est une création entre autres de Todd Langner, designer d’amplis à lampes de génie — a d’abord laissé son empreinte dans l’histoire… Grâce à son prix ! En effet, de nombreux guitaristes amateurs ou professionnels s’étaient jetés dessus à sa sortie en partie pour son tarif abordable par rapport aux têtes et combos classiques. Il permettait d’avoir 3 canaux (son clair à transistors, son clair à lampes, et son saturé à lampes) en utilisant les deux 12AX7s disponibles, était programmable en MIDI (probablement un des premiers) et proposait des présets, une connectique conséquente dont une sortie casque, et même un petit chorus analogique stéréo s’il vous plaît à base de puces BBD. Mais le MP-1 avait surtout ce son, des cleans apparemment influencés par Fender, et une signature du canal distorsion « heavy metal 80s façons Marshall survitaminé blindé de médiums » très caractéristique, que l’on pouvait obtenir en le branchant dans le retour d’une tête d’ampli classique, ou du A/DA Microtube 100 qui avait été conçu pour aller avec.
Sans surprises, on a donc pu en entendre un peu partout, notamment via les exemplaires de Michael Wagener qui a produit un certain nombre de groupes et artistes avec, même si sa présence ou non sur certains albums a pu faire débat, notamment parce que sur les frigos en question on lui collait systématiquement des égaliseurs avant et après voire un BBE Sonic Maximizer 802, ou qu’il était interchangeable avec le Marshall JMP-1 de Mike Scuffham (1992) dans un registre similaire. On citera par exemple des enregistrements et sets lives de Paul Gilbert, Nuno Bettencourt avec Extreme évidemment, Adrian Smith sur le Brave New World de Iron Maiden, les Deftones sur Adrenaline, Gish des Smashing Pumpkins, et même Metallica en live uniquement dans le matos de Kirk Hammett époque Master of Puppets.
Mais le MP-1, c’est aussi une histoire de ratés stratosphériques, que ce soit avec ses successeurs (MP-2, Classic, format pédale) qui ont bidé ou le parcours abracADAbrantesque de la société A/DA qui a fermé (1989, usine brûlée), rouvert (pour faire du hardware numérique), refermé (ça a pas marché), rouvert (2008), refermé (2019), sachant que la marque est aussi connue pour des produits qui ont eu leur petit succès dans les années 70 et début 80 comme leur Flanger ou leur Final Phase… C’est également une histoire de passionnés, avec des communautés sur internet de fans du préampli qui ont été très actives sur les deux dernières décennies, que ce soit sur Facebook, Gearspace où Michael Wagener n’est pas avare en anecdotes, sur le site web ADA Depot qui accueille un forum rempli de discussions intéressantes sur le MP-1. Et il y a la palanquée de mods et kits proposés ci et là, dont les plus célèbres consistent à réduire le niveau de bruit ou à remplacer certains composants voire à rajouter une triode, avec des noms de code plutôt explicites tels que le MOD3.666 ou le 3TM Ultra conçu par Todd Langner lui-même, qui avait été un peu frustré de certains choix de ses supérieurs retenus à la sortie de son joujou.
Ainsi, lorsque j’ai vu qu’une marque italienne plutôt spécialisée dans la simulation d’amplis logicielle s’attaquait au MP-1 (Nembrini Audio ayant une gamme conséquente maintenant et quelques plug-ins freewares), j’ai voulu aller regarder tout de suite, d’autant que je possède moi-même un exemplaire du préampli (firmware 2.01 sans mods) ainsi que du Microtube 100, que je chérissais bien avant que sa côte sur le marché de l’occasion ne décolle ! Ce serait l’occasion de se replonger dans l’ère de la permanente (musicalement parlant hein), de voir ce que cette proposition permet de faire à notre époque, de m’intéresser à nouveau aux sons clairs du MP-1, et de parler des produits de Igor Nembrini qui n’ont pas encore été testés dans nos colonnes. Ressortons le gloss… je veux dire les médiators et allons-y !
A dada sur mon MP
Le plug-in Nembrini Audio MP1 Pro est donc une simulation du mythique préamplificateur à deux triodes et 3 canaux A/DA MP-1, à ne pas confondre avec le MP-2 ou sa réédition MP-1 Classic. Il est disponible actuellement en version 1.01 aux formats VST, VST3, AU, AAX, pour Windows, Mac OS (compatible avec les Apple Silicon) et même iOS avec un tarif spécial de 23 euros (standalone, AUv3 ou effet audio inter-app), contre 137 $ (hors périodes spéciales) pour la version desktop, qui est le sujet principal de ce test. Il nécessite d’avoir un compte iLok.
Celui-ci propose une interface similaire à celle du préampli original pour éditer ses paramètres (« voicing » pour le choix du canal parmi clean tube/dist tube/clean solid state, 2 réglages d’overdrive, master gain, bass / medium / treble / presence), ce qui signifie que l’on doit cliquer sur un paramètre puis sur des flèches haut et bas pour changer sa valeur par pas de taille variable comme sur le vrai (ce qui n’était pas son point fort principal), et qu’il est malheureusement impossible de voir quelles sont les valeurs de tous les paramètres en cours d’un seul coup d’œil…
À l’usage on retrouve assez facilement le côté « gras médium » de l’original sur les saturations, avec l’ajout intéressant du contrôle de présence et l’influence particulière des deux contrôles de gain ou du master volume, qui agissent à des endroits différents du circuit, sachant que sur le A/DA MP-1 d’époque il y avait aussi un potard bienvenu à côté de l’entrée instrument principal pour contrôler le volume de sortie avec les doigts en dehors du contexte des présets, remplacés ici par deux contrôles de volumes d’entrée et de sortie.
Je retrouve aussi la différence notable entre les deux canaux dits clairs, à savoir qu’il est facile d’avoir un peu de distorsion sur le canal à tubes avec des réglages extrêmes, et qu’on peut donc le faire un peu cruncher (même si le crunch c’est plutôt de la distorsion d’ampli de puissance), tandis que le solid state/transistors reste toujours à peu près droit, les augmentations de gain agissant plutôt sur un compresseur notamment avec le contrôle dit « overdrive 2". Ces informations sont d’ailleurs assez bien documentées dans le manuel d’origine (en anglais) du A/DA MP-1 facilement trouvable sur internet, tandis que le manuel du plug-in (en anglais également) me semble n’en fournir qu’un résumé.
À noter que le plug-in est très sensible au réglage de volume d’entrée, peut-être même trop ! En effet, j’ai été surpris par la facilité à avoir du crunch sur les canaux clairs par rapport à l’utilisation du vrai. Pour avoir un caractère similaire, j’ai pu constater qu’il fallait utiliser une valeur assez basse sur ce réglage, entre –12 et –6 dB. Et petite réflexion de puriste du A/DA MP-1, j’aurais adoré que le plug-in donne accès à certains des mods emblématiques du préamplificateur, qui ont aujourd’hui presque autant de réputation que la machine, dommage…
Une armada de possibilités
Le plug-in MP-1 Pro ne se contente heureusement pas de simuler le préampli, et nous propose pour commencer une section d’effets avec un délai stéréo, une modulation pouvant être au choix, un chorus ou un tremolo, une réverb, une section filtre constituée de quatre filtres coupe-bas et coupe-haut en pre et en post, un noise-gate, et un compresseur. Ils font largement le taf même si je les ai trouvés assez classiques. Tous ces éléments ont d’ailleurs des labels assez petits, qui rendent la fonction de redimensionnement de la fenêtre plutôt nécessaire. Malheureusement, le chorus du A/DA MP-1 n’a pas été modélisé dans ce plug-in, et il a été remplacé par un algorithme de modulation générique, ce qui ne permet pas non plus d’utiliser un trick que j’aimais bien sur l’original avec le rate à zéro et le depth à différentes valeurs… On aurait apprécié également la présence d’un accordeur, d’un vrai égaliseur incorporé, ou de modélisations de pédales, mais il faudra aller les chercher ailleurs si besoin, notamment dans l’offre freeware de Nembrini Audio qui inclut une Klon, une TS, un RAT, une Muff, ainsi que l’accordeur.
En plus d’une sélection de présets de plutôt bonne facture quoiqu’en nombre limité, d’autres ajouts de Nembrini Audio à leur copie m’ont semblé plus que convaincants. La section poweramp optionnelle ajoute une simulation d’amplificateurs de puissance très pertinente qui embellit le son du préamplificateur pour lui donner du corps supplémentaire comme dans un vrai contexte d’enregistrement. Cet ajout se fait assez souvent dans le monde virtuel quand on a affaire à des simulations de pédales ou préamplificateurs strictes, ce qui justifie qu’on en trouve dans les plug-ins Two Notes par exemple ou que je me sois beaucoup servi dans mes enregistrements passés de la simulation gratuite TPA-1 de Ignite Amps. On chipotera toutefois sur l’intérêt qu’on aurait eu à avoir une modélisation du A/DA Microtube 100 dans ce contexte, la simulation de poweramp étant quand même de très bonne facture et on peut même la faire cruncher un petit peu en maximisant le contrôle de volume dédié et en réduisant le volume de sortie final du plug-in.
Enfin, la section enceinte permet au choix d’utiliser celles qui sont incorporées ou un moteur de lecture de réponses impulsionnelles. Dans le premier cas, l’interface nous permet de choisir une enceinte parmi 6 via des flèches noires sur fond sombre (que je n’avais pas vues tout de suite), deux micros parmi 4, des informations sur leur positionnement dans l’espace (distance, position devant le haut-parleur, angle classique ou « off-axis »), trois contrôles de volume + pan (pour chaque micro ainsi que pour un micro d’ambiance stéréo additionnel bienvenu), avec des contrôles mute/solo et inversion de phase. Sur la partie réponses impulsionnelles (celui qui dit encore « impulse » à la place aura le décès d’un bébé chat sous un van sur la conscience), on retrouve des contrôles similaires avec la possibilité de mixer jusqu’à 3 d’entre elles, et la visualisation de leur réponse en fréquence en amplitude. D’ailleurs, le plug-in est livré avec quelques réponses impulsionnelles justement, en plus des simulations d’enceinte intégré donc, réalisées directement par Nembrini Audio ou en provenance des sociétés Choptones et Seacow. Le tout permet assez facilement d’étendre les possibilités du plug-in au niveau son, sans avoir besoin d’aller chercher des IRs ou des simulations d’enceintes extérieures, avec des sonorités « d’époque » d’un côté à base de haut-parleurs Greenback/P50E, ou plus métal moderne avec par exemple la classique modélisation d’enceinte Mesa équipée en Celestion V30s. À noter également deux IRs capturées avec un micro « droit » ou transparent, à destination des enceintes FRFR. Bref, on a beaucoup plus de possibilités ici que chez certains concurrents qui proposent une seule enceinte…
Des sonorités badass ?
Après quelques dizaines d’heures d’utilisation, je dois dire que je suis agréablement surpris par le plug-in. J’ai eu l’occasion de faire des comparatifs assez poussés entre mon MP-1 original et le plug-in, et je trouve qu’ils sonnent vraiment très proches l’un de l’autre à réglages équivalents, ce qui montre qu’il y a eu des efforts réalisés à la fois sur la simulation et sur l’affinage du résultat, pour coller le plus possible à l’équivalent analogique et au mapping des paramètres, sachant que ce genre de machines présente aussi quelques disparités d’un modèle identique à l’autre pour des histoires de tolérances de composants ou de qualité de production.
Dans les comparatifs suivants, vous pourrez entendre un signal DI de guitare passé au travers du plug-in, puis de mon préamplificateur, avec des réglages strictement identiques sur les contrôles de base, tous les ajouts du plug-in désactivés (ainsi qu’une simulation d’enceinte standard), et un réglage sur le volume de sortie et surtout d’entrée. Les différentes variantes correspondent à l’usage ou non d’un EQ supplémentaire de « Tone Matching » réalisé avec Fabfilter Pro-Q3, ou à l’usage du fameux plug-in Neural Amp Modeler pour capturer un réglage particulier sur l’original. Pouvez-vous déterminer qui est qui dans chaque cas ?
- Dist Tube – Exemple A00:11
- Dist Tube – Exemple B00:11
- Dist Tube – Exemple C00:11
- Dist Tube – Exemple D00:11
- Clean Tube – Exemple A00:11
- Clean Tube – Exemple B00:11
- Clean Tube – Exemple C00:11
- Solid State – Exemple A00:11
- Solid State – Exemple B00:11
- Solid State – Exemple C00:11
Comme je suis un professionnel du chipotage, évidemment il y a toujours un certain nombre de petits détails sur lesquels je m’arrête. Par exemple, en voulant rentrer les fameux réglages live de Nuno Bettencourt dans le plug-in, je me suis rendu compte que les concepteurs de Nembrini se sont trompés à certains endroits sur ces fameux pas, puisqu’il n’est pas possible d’entrer les valeurs à l’identique. Cela aurait été peut-être plus simple de supprimer ces histoires de pas variables, et de pouvoir mettre par exemple les basses à 8,9 au lieu de sauter de 6 à 9 comme sur le vrai ?
Mais la plupart du temps l’usage du plug-in est fluide, il ne consomme pas beaucoup de CPU, et j’ai beaucoup aimé me replonger dans les sonorités et paysages sonores associés au MP-1 avec le confort d’un STAN et des instances qui sauvegardent les réglages ou permettent de modifier le son plusieurs jours après un enregistrement.
À la limite, ce que j’ai trouvé le plus gênant finalement c’est de ne pas pouvoir voir rapidement les réglages d’un préset donné, qu’il ne soit pas précisé tout de suite de faire très attention au réglage d’entrée de volume, ou le noise-gate qui est très insuffisant à mes yeux. En effet, celui-ci génère assez facilement du chattering, ces fameux grésillements au voisinage de la valeur de fermeture du gate, et je conseillerais donc aux utilisateurs de ne pas l’utiliser s’ils rencontrent le problème.
Pour terminer ce petit tour d’horizon dans les années 80, quoi de mieux qu’un peu de heavy métal symphonique noyé dans la réverb et le chorus (c’est pour toi Steven Wilson) ?
Conclusion
Nembrini Audio nous a donc offert une simulation du A/DA MP-1 qui tient bien la route, et qui ravira tous les fans du son du préampli, qui trouvent comme moi que ça n’a aucun sens aujourd’hui de vendre sa maison pour en acquérir un ! Alors on n’aura pas mal de plus ou moins petites choses à lui reprocher, comme le rendu du noise gate ou l’absence d’une modélisation du chorus stéréo à BBD de l’original. Toutefois, j’ai apprécié personnellement le soin apporté à l’émulation, les effets additionnels, les choix proposés pour la partie simulation enceinte qui permettent d’aller taper dans des sonorités plus modernes, tout cela rendant à mes yeux la proposition de Nembrini largement justifiable même face à une capture ToneX ou Neural Amp Modeler dont on vous reparlera très prochainement !
Après je dirais que cette simulation s’adresse quand même principalement aux puristes, car les sonorités proposées qui viennent directement du A/DA MP-1 restent assez typées et ne conviendront pas à tous les usages… Et si ça vous plaît n’hésitez pas aussi à aller écouter ce que donne chez Nembrini leur simulation de Marshall JMP-1 (ainsi que le reste de leur gamme d’ailleurs) dans un registre similaire, quoique plus polyvalent. Ce petit préamplificateur n’a d’ailleurs pas eu non plus de simulation dédiée chez la concurrence, et ce malgré le fait que son concepteur hardware soit devenu depuis le développeur du plug-in S-Gear ! Allons-nous donc voir prochainement débarquer chez Nembrini une nouvelle simulation de préamplificateur vintage mythique qui n’existe pas encore ailleurs ? Les paris sont ouverts…
PS. Merci au support de Nembrini d’avoir répondu à mes questions, et à tous les passionnés du A/DA MP-1 qui continuent à partager des informations sur les forums concernant cette machine. Si le sujet vous intéresse n’hésitez pas à aller les voir sur Facebook, YouTube ou sur le forum adadepot.