« Mon gosier de métal parle toutes les langues », disait Baudelaire. GroaaaRR répond Krotos dont le Dehumaniser II promet de vous faire parler couramment le dinosaure, le tigre ou le transformers, selon vos envies.
Notez que ce test est lié à celui de Reformer Pro que vous trouverez à cette adresse.
Qu’il s’agisse de produire le rugissement d’un T-Rex, l’explosion d’une énième Étoile de la Mort, la voix d’un ordinateur de bord, celle d’un troll des montagnes ou plus simplement un bris de glace, un feu dans une cheminée ou des pas dans un couloir, le cinéma a toujours été un gros consommateur de bruitages et d’effets sonores qu’il est la plupart du temps impossible de réaliser au moment du tournage. Sans parler de l’image qui mobilise l’essentiel de l’attention, le son de plateau se concentre alors sur le jeu des acteurs et la captation de leurs voix, laissant le soin aux bruiteurs et autres sound designers de compléter la scène audio dans la phase de postproduction.
La discipline est passionnante à plus d’un titre : d’abord parce qu’il faut synchroniser et mixer tout cela en cohérence avec l’image, ensuite parce qu’il faut produire des sons pour des choses qui n’existent pas (quel bruit fait un T-Rex ? Un extra-terrestre ?) et s’assurer que les sons des choses existantes soit crédibles, vraisemblables, sachant que pour le spectateur, le réel ne sonnera pas forcément réaliste : le vrombissement d’une Audi ou d’une BMW dans les films d’action n’a en effet souvent rien à voir avec le son réel des berlines utilisées, vu que les constructeurs de ces dernières travaillent à faire les engins les plus silencieux qui soient.
Bref, les sons utilisés n’ont rien de simple et naturel, raison pour laquelle, à moins de réaliser tout le sound design sur mesure, on recourt à des banques de sons conçues dans cette optique, des banques qui tentent de couvrir toutes les situations possibles et qui, parce qu’elles sont coûteuses à réaliser comme parce qu’elles s’adressent à une industrie qui en a les moyens, sont souvent vendues relativement cher dès qu’on doit répondre à des contraintes professionnelles (un oeil sur le catalogue de prosoundeffects.com devrait vous permettre de voir ce qu’il en est).
En dépit de leur prix, ces banques présentent toutefois bien des défauts car elles ne proposent que des sons figés qui nécessiteront souvent beaucoup de travail pour coller à l’image… lorsque c’est possible. Pour une explosion ou une ambiance sonore, ça fonctionne en effet sans problème, mais c’est déjà plus compliqué pour assurer en synchro le rugissement d’un lion. Et évidemment, ça ne répond pas aux besoins de doublages avec des voix trafiquées : de Batman à Optimus Prime, il s’agira de travailler en traitant la performance de l’acteur responsable du personnage.
C’est en pensant à toutes ces problématiques que l’éditeur Krotos a imaginé des logiciels à mi-chemin entre le synthétiseur, le multieffet et la banque de son, des logiciels conçus pour simplifier la recherche sonore comme la production. Et ce faisant, l’éditeur a eu le souci de proposer des produits abordables, tant sur le plan ergonomique que sur le plan pécuniaire, accompagnant la démocratisation des outils de l’image et de l’audio qui s’est amorcée dans les années 80 et a bouleversé la production audiovisuelle grâce notamment à l’apparition du numérique et de l’informatique.
Premier de ces logiciels, Dehumaniser II est le fleuron de la gamme des traitements vocaux de l’éditeur et fait suite à Dehumaniser Pro qui s’est déjà taillé une solide réputation dans les domaines du cinéma et du jeu vidéo : il a en effet à son crédit quelques impressionnantes références telles que les séries Stranger Things et Game of Thrones, les films Avengers Age of Ultron et Star Trek Discovery ou encore les jeux vidéo Far Cry 4 et Eve Online. Ah ouais, quand même !
Inutile de dire qu’on était curieux de voir de plus près ce plug-in d’effet aux formats VST/AU/AAX, dispo sur Mac comme PC en 32 et 64 bits et protégé par système iLok logiciel ou matériel.
Vous pouvez découvrir tout cela en vidéo ou avec le texte qui suit.
Un tigre dans la gorge… (à côté du dragon derrière le robot)
Dehumaniser a donc été pensé pour obtenir tout type de voix trafiquée ou de cris de gros animaux pas contents (comprenez félins et dinosaures plutôt que mésanges et écureuils), de robots, d’extraterrestres ou de monstres, en se basant sur la performance vocale d’un acteur. Dans les faits, il s’agit d’un multieffet modulaire vous permettant de définir une chaîne de traitements à partir de 10 modules différents que vous intercalerez entre un module d’entrée et un module de sortie : Flanger/Chorus, Ring Modulator, Pitch Shifting, Delay Pitch Shift, Noise Generator, Scrubbing Convolution, Granular, Spectral Shifting, Sample Trigger et Vocoder. Notons d’ores et déjà que ces derniers sont en compte limité et que vous ne pourrez utiliser que deux occurrences de chacun de ces modules au maximum, voire une seule concernant Noise Generator.
Même si elle n’est hélas pas redimensionnable, l’interface est extrêmement claire, lisible et bien pensée. Elle se divise en trois parties : en haut, outre un navigateur de presets sommaire (pas de tags ni de moteur de recherche) et un système de comparaison A/B, vous trouverez les modules disponibles pour bâtir votre chaîne de traitements.
C’est dans la partie centrale de l’interface que la chose se passera, chaque module y étant représenté par un bloc connecté aux autres par des câbles virtuels, avec possibilité d’afficher les trois réglages de base du module. Enfin, la partie du bas est dévolue à l’affichage détaillé des paramètres du bloc sélectionné, sachant que tous ont en commun de proposer un limiteur et un égaliseur 5 bandes en sortie (paramétrique mais ne proposant hélas que des filtres en cloche), et un gate désactivable en entrée.
Quand aucun bloc n’est sélectionné dans la partie centrale, c’est le mixeur global qui vous est présenté, chaque tranche correspondant à un module et proposant, outre un fader, les habituelles commandes Mute et Solo en plus d’un Bypass.
Choeurs croisés
L’ergonomie de Krotos nous renvoie donc aux nombreux environnements de développement modulaire existant, de MaxMSP à Reaktor, mais il n’est pas question ici de programmation de « bas niveau » qui ravirait les adeptes de traitement du signal ; juste de relier entre eux des effets et des générateurs.
Et c’est évidemment dans le choix des modules d’effets que se joue toute la différence avec un multieffet modulaire classique. En marge de choses assez classiques comme le Flanger/Chorus, le Ring Modulator, le Pitch Shifter, le Noise Generator ou encore le vocoder, on trouve ainsi des choses plus exotiques comme le Delay Pitch Shift (un delay dont les répétitions sont transposées), le Spectral Shifting (des transpositions sont appliquées à partir d’une certaine amplitude) et surtout la Scrubbing Convolution. Derrière ce nom énigmatique se cache la technologie qui est au cœur même des produits Krotos et fait appel à la synthèse croisée.
Pour utiliser ce module et le Sample Trigger, Krotos livre Dehumaniser II avec une banque de samples qui comprend une multitude de cris d’animaux en tous genres : cela va du meuglement de vache au barrissement d’éléphant en passant par le cri de singe ou le rugissement de tigre. Soyons clair : ces samples combinés avec le module Scrubbing Convolution ne vous transformeront pas pour autant en Didier Gustin du Zoo. Mais disons qu’il vous apporte une matière première organique qui, couplée aux autres modules, permettra de faire bien des choses difficilement réalisables autrement. Monstre infernal, animal féroce, robot de 25 mètres ou dinosaure affamé : il y a de quoi taper dans tous les registres, comme vous pouvez l’entendre dans les extraits ci-dessous, sachant que chaque son traité est précédé de son occurrence non traitée :
- goblins 00:10
- rugissement 00:04
- transformers 00:11
- crashiminent 00:12
- ronflement 00:17
- aliengrrr 00:17
- protocolerobot 00:18
- chatosaure 00:15
Avouez que le spectre du logiciel est large et si la conjonction de plusieurs plug-ins pouvait sans doute permettre d’obtenir des résultats proches de ce qu’on obtient avec Dehumaniser, il va sans dire que le fait de disposer d’une solution intégrée et pensée pour cela est un vrai plus, d’autant que vous pouvez charger n’importe quel fichier WAV dans ce module. Soulignons-le aussi : la qualité du résultat dépend grandement de la qualité source, c’est-à-dire la voix même de l’acteur. La voix d’Optimus Prime dans Transformers, c’est ainsi un traitement, mais c’est d’abord un acteur avec une très belle voix grave reprise par un micro qui la met en valeur (et pour ce faire, je vous conseille grandement d’aller vers des micros typés broadcast comme le Shure SM7, l’ElectroVoice RE20 ou encore l’AudioTechnica BP40 utilisé pour ce test). Et c’est surtout un comédien.
Et à ce sujet, soulignons que le fait de pouvoir entendre en temps réel le rendu de l’effet est un énorme plus : l’acteur peut ainsi adapter son jeu à l’effet pour obtenir un résultat parfait. C’est d’autant plus important sur un rugissement ou un grognement de bête, où il faudra prendre ses marques avec la synthèse croisée et voir quel phonème ou effet bucal produit quel résultat sonore.
Bref, parce qu’il est efficace et simple à prendre en main, Dehumaniser est un bien beau bout de soft pour faire de la postprod créative, voire plus si affinité. On peut en effet tout à fait le détourner de son emploi premier pour faire de la musique. Voyez ces quelques essais :
- singrobot 00:23
- aznavourhybridvoice 00:33
- drumsslap 00:19
En marge de toutes ces bonnes choses, quelques détails font toutefois dire…
Grrrr !
Efficace, puissant, simple à comprendre et utiliser et vendu à un prix extrêmement agressif en regard des budgets de production qui sont ceux du jeu vidéo et du cinéma, Dehumaniser II a tout pour plaire… à quelques petits détails près.
Le premier, c’est cette limite de deux occurrences pour chaque module qui bride un tant soit peu les possibilités, même si les nombreux presets du logiciel permettent de se rendre compte qu’il y a déjà de quoi faire avec « si peu » et que rien ne nous empêche d’utiliser en parallèle plusieurs instances du plug-in. Mais sans même parler de cette limite, on s’étonnera de certaines absences au niveau de la trousse à outil : pas de module de distorsion/waveshaping ni d’outil pour gérer la spatialisation, pas de possibilité de faire du split multibande… Encore une fois, tout cela peut-être géré en amont ou en aval dans la STAN, mais c’eût été plus commode de les avoir sous la main directement. Et on peste en découvrant que Dehumaniser Pro, qui est moins cher mais qui n’est pas un plug-in, permet pour sa part de charger jusqu’à deux plug-ins VST pour compléter l’arsenal.
Rien qu’on niveau des modules présents, on déplore d’ailleurs quelques manques : le vocoder qui ne permet ni pilotage MIDI ni d’utiliser un signal audio externe pour moduler le signal à traiter (impossible de charger un sample ou d’utiliser une entrée latérale), ou encore l’impossibilité de faire du Round Robin avec plusieurs samples dans les modules Scrubbing Conv ou Sample Trigger. Bref, il y a une marge de progression sur la plupart des modules proposés, tout comme il y en a une en matière de consommation de ressources, voire de stabilité. Testé sous Studio One 3 puis 4, le logiciel s’est parfois montré capricieux de ce côté. Gageons que les choses se passent mieux sous Pro Tools auquel le logiciel doit être le plus souvent confronté.
Conclusion
Simple à comprendre, à utiliser, et permettant de réaliser quantité de voix modifiées, de cris, de grognements ou de bruitages divers et variés, Dehumaniser II réussit son pari haut la main et on ne s’étonne pas qu’il soit de plus en plus utilisé dans l’industrie du cinéma comme dans celle du jeu vidéo. Pour 400 euros seulement (ce qui dans ces domaines est une somme relativement dérisoire), il permet de réaliser des traitements complexes et d’autant plus efficaces que l’acteur, en entendant sa voix modifiée au moment de la prise, peut adapter son jeu au résultat.
Trop cher pour le budget de votre court métrage ou de votre jeu vidéo ? Qu’à cela ne tienne : l’éditeur propose en amont de ce produit des versions autrement plus accessibles de ses technologies. A 100 euros, Deshumaniser Simple Monsters vous propose un plug-ins avec un nombre restreint de contrôles et pas de possibilité modulaire mais le même moteur et quantité de presets. Enfin, si vous ne tenez pas particulière à utiliser un plug-in, jetez un oeil aux applications autonomes que sont Deshumaniser Pro Extended (140 euros) et Dehumaniser Lite qui pourraient bien vous suffire. Il faut l’avouer : la gamme est un peu complexe à comprendre, mais elle a le mérite d’en proposer pour toutes les bourses.
Un peu de rationalisation sur ce point ne ferait pas de mal, tandis qu’il y a suffisamment de choses à améliorer dans ce Dehumaniser II pour qu’on attende déjà avec impatience la version 3 du logiciel de Krotos.
Notez que ce test est lié à celui de Reformer Pro que vous trouverez à cette adresse.