Après le succès du Typhon, le Nymphes promet le son analogique polyphonique à tarif modéré. Avec une interface ultra minimaliste, voyons si les arbitrages opérés permettent d’allier le plaisir des doigts à celui des oreilles…
L’année dernière, Dreadbox présentait le Typhon, un synthé analogique monodique à mémoires, testé récemment dans nos colonnes. Nous avions particulièrement apprécié le caractère sonore analogique, les effets numériques et la prise en main ultra rapide de ce petit module, tout cela à un prix très abordable pour une qualité de construction sérieuse. Une version polyphonique du Typhon n’aurait pas été de refus, mais c’est une alternative que la société athénienne a choisie, apparemment contrainte par la disponibilité des composants, en particulier les écrans OLED. Avec le Nymphes, elle présente un synthé analogique polyphonique programmable au tarif tout aussi abordable, mais équipé d’un moteur sonore différent, dans un module ultracompact doté de curseurs et dépourvu d’afficheur, ce qui rend perplexe de premier abord. Alors, le son et l’ergonomie sont-ils au rendez-vous ?
Ergonomie frustrante
Autant le Typhon avait été conçu pour aller vite sans se prendre la tête, autant il semblerait que les Dieux ne se soient pas penchés sur le berceau du Nymphes dans ce domaine. En effet, le synthé se manipule via des curseurs linéaires multifonctions, pouvant au choix agir en mode saut ou seuil. On a 2 fonctions de base par curseur (modes Normal et Shift) ; comme les curseurs servent aussi à régler des quantités de modulation et des paramètres additionnels en mode Menu (réverbe, LFO, global), on se retrouve la plupart du temps avec 4 ou 5 fonctions par curseur. Vu qu’il n’y a pas d’écran, on s’égare rapidement, d’autant que certains paramètres liés sont accessibles en alternant les modes Normal et Shift ; c’est par exemple le cas pour régler l’enveloppe de VCO/VCF (mode normal), puis son action sur le pitch du VCO (mode Shift) et sur le VCF (mode normal) ; pour régler la quantité de LFO1 sur le pitch du VCO, c’est le mode normal, alors que pour faire la même chose sur le VCF, c’est le mode Shift. Heureusement que les commandes transmettent et reconnaissent les CC Midi ; ceci dit, on achète un synthé analogique pour le son ET l’ergonomie, pas pour le coupler à une STAN ou un contrôleur Midi !
On ne s’étendra pas sur le processus de chargement et sauvegarde des sons, qui nécessite un jonglage avec Shift pour alterner entre chargement et sauvegarde, puis entre banques et programmes, avant de terminer par un maintien court ou long selon qu’on veut appeller un son utilisateur ou une présélection. De même, certaines fonctions ne sont pas sérigraphiées sur le synthé, mais sur une feuille cartonnée, aïe ! On se consolera un peu avec la qualité de construction, à savoir un solide boitier métallique très compact (24 × 12 × 4 cm pour 750 g) doté d’un potentiomètre de volume et d’un sélecteur à 7 positions bien ancrés, ainsi que de 14 curseurs de 30 mm assez agréables. La connectique, située à l’arrière, est ultra minimaliste. Elle se limite à une sortie audio mono (jack 6,35), une sortie casque mini-jack, une entrée Midi mini-jack (câble de conversion DIN fourni) et une prise USB type B. Cette dernière fait à la fois office d’alimentation (un cordon USB est fourni mais pas de bloc secteur) et d’interface Midi (notes en réception et CC de tous les paramètres en émission/réception, uniquement sur les canaux 1 à 7). Depuis la V2 de l’OS, on a la réception de la pression polyphonique / MPE et la transmission des programmes en Sysex, merci. Il n’y a pas d’interrupteur secteur, on branche l’USB et c’est parti !
Identité sonore
Le Nymphes offre une mémoire relativement limitée de 49 présélections et 49 programmes utilisateur. On a déjà évoqué les acrobaties nécessaires au chargement et à la sauvegarde, passons à la qualité sonore. La banque fournie n’est pas des plus exploitables, mais elle est heureusement réinscriptible depuis la V2. Elle permet toutefois d’apprécier les qualités intrinsèques du synthé : niveau de sortie élevé, VCO à ondes continuellement variables, PWM assignable, filtre auto-oscillant de caractère, enveloppes claquantes, modulation généreuses… et aussi ses défauts : souffle marqué dans les aigus (comme sur le Typhon, qu’on peut un peu masquer avec le LPF – cf. extrait sonore n°10), limites liées à l’unique VCO par voix et réverbe métallique vraiment médiocre (réservée à la limite aux percussions industrielles et effets spéciaux).
Le but d’un synthé étant de créer ses propres sons, nous avons retroussé nos manches ; des jurons ont été émis pendant ce test, après avoir modifié la forme d’onde pensant régler la modulation de PMW par le LFO2, ou après avoir inopinément chargé un nouveau programme pensant sélectionner la vélocité pour moduler le son en cours. Nous avons toutefois réussi à créer des nappes intéressantes à base de PWM, des cuivres de bonne facture modulés par la vélocité et la pression assignées au filtre et aux segments d’enveloppe, des textures évolutives par variation de l’onde du VCO, des basses énormes en empilant plusieurs voix avec un zest de Sub-VCO et un soupçon de Detune, un kit complet de percussions analogiques et des effets spéciaux bien barrés. Avec un seul VCO et aucun effet d’ensemble, difficile de créer des strings envoûtants sans traitement externe. Il est certain qu’une fois passé dans un chorus et une réverbe stéréo, le Nymphes prend une autre dimension. Enfin, nous avons noté des parasites quand on module la forme d’onde des VCO en direct et de l’aliasing quand on fait varier rapidement certaines modulations.
- Nymphes_1audio 01 Good Bass01:18
- Nymphes_1audio 02 Poly Synth00:45
- Nymphes_1audio 03 Juicy Stabs00:18
- Nymphes_1audio 04 Sub Phatty00:33
- Nymphes_1audio 05 Vibro Pad00:58
- Nymphes_1audio 06 Q Factor01:00
- Nymphes_1audio 07 Q Selfie01:07
- Nymphes_1audio 08 Super U00:26
- Nymphes_1audio 09 Auto Chords00:54
- Nymphes_1audio 10 Dirty VCO00:25
Pack de six
Le Nymphes est un synthé analogique polyphonique 6 voix, doté pour chaque voix d’un VCO, un Sub-VCO, un générateur de bruit, un VCF et un VCA. S’y ajoute un filtre passe-haut final global. Cela ressemble un peu à la structure des Juno-60/106, nous verrons que les modulations vont plus loin. Le VCO est généré par un circuit intégré SSI2130 (comme dans le Take 5 de Sequential). Le pitch est modulable par l’enveloppe de filtre (modulation hélas unipolaire). On peut régler continuellement la forme d’onde du VCO entre triangle, carré et dent de scie. La largeur d’impulsion de l’onde carrée est réglée séparément, lorsque celle-ci est utilisée. Elle peut être modulée par le LFO1. Qui dit un seul VCO par voix dit absence d’interaction (synchro, modulation en anneau, FM), donc panoplie sonore réduite. On passe au mixeur, dans lequel on dose les niveaux du VCO, du Sub-VCO (onde carrée à l’octave inférieure) et du bruit blanc.
La résultante passe alors dans un VCF de type passe-bas 4 pôles résonant capable d’auto-osciller, produit par un circuit intégré SSI2144 (différent de celui du Take 5, qui est un SSI2140). Ce filtre offre une belle coloration, sans compensation de la résonance qui mange un peu le signal non filtré quand on la pousse. La fréquence de coupure se règle de 33 Hz à 17 kHz, avec un curseur parfaitement lisse, même en auto-oscillation. Elle peut être directement modulée par une enveloppe (modulation hélas unipolaire), le LFO1 et le suivi de clavier (0 à 100%). Le signal filtré passe ensuite dans un VCA directement modulé par une seconde enveloppe exclusive (donc indisponible pour moduler autre chose). Les voix peuvent être jouées suivant différents modes : polyphonique 6 voix, unisson 6 voix, unisson 4 voix, 3 × 2 voix, 2 × 3 voix et mono (compris legato accessible via le menu), avec désaccordage dosable pour les modes polyphoniques. Un réglage séparé permet de générer 7 accords programmables. On trouve aussi un portamento polyphonique à taux constant.
Une fois les voix sommées, le signal passe dans un filtre passe-haut 1 pôle (simple coupure modulable), utile pour alléger les basses sur certains sons polyphoniques ou créer un mode passe-bande (paraphonique). Enfin, une partie du signal peut être envoyée vers une boucle de réverbe numérique. On peut en régler la taille, le déclin, le filtrage des hautes fréquences et la balance des signaux sec/traité. On l’a déjà dit, cette réverbe n’est franchement pas terrible du tout, avec une couleur métallique très marquée. Une déception quand on la compare à la réverbe stéréo du Typhon ! On pourra facilement s’en passer et conserver un signal analogique pur à traiter en externe, sauf recherche absolue d’effets spéciaux industriels.
Modulations multiples
Pour moduler le son, on trouve 2 LFO, 2 enveloppes et 3 contrôleurs physiques. Le LFO1 est polyphonique ; il peut uniquement agir sur le pitch et le filtre. Le LFO2 est global (commun aux 6 voix) et peut être assigné à 24 paramètres de synthèse (tous sauf ceux du LFO1) ; cela concerne aussi bien la position d’onde du VCO, la largeur d’impulsion, les niveaux des sources sonores, le désaccordage des voix, le VCF, le HPF, les enveloppes, tout cela avec des quantités de modulation séparées, mais hélas unipolaires. Les formes d’onde disponibles sont classiques : triangle, dent de scie, rampe, carré, aléatoire. La fréquence des LFO fonctionne suivant différents modes : lent, rapide (modulations audio, cool), synchronisé au tempo ou lié au suivi de clavier (hélas non réglable). Le cycle peut être libre ou redéclenché à chaque note. Mode et cycle sont édités via le menu, après quelques acrobaties supplémentaires… On peut aussi régler le délai et le fondu de sortie, cette fois directement en façade. Avec le délai à zéro et le fondu au maximum, le LFO joue sur un seul cycle, comme une enveloppe basique, bien vu !
Passons rapidement aux deux enveloppes ADSR. L’une est assignée au VCO et au VCF, l’autre au VCA, avec quantités de modulation unipolaires, un point c’est tout. Elles peuvent bien claquer si on le souhaite. Enfin, les trois contrôleurs physiques (vélocité, pression, molette) sont indépendamment assignables aux 28 paramètres de synthèse, avec des quantités (encore hélas) unipolaires séparées. On peut par exemple assigner la molette de modulation à la PWM du VCO, au type d’accord, au suivi de clavier du VCF et à la forme d’onde des LFO (sélection simple sans morphing), sympa ! Beaucoup moins sympa, l’impossibilité de visualiser ce qu’on a fait dans tout ça, ce qui fait 108 valeurs de modulation à retenir avec celles du LFO2…
Impression mitigée
Le Nymphes est un synthé analogique polyphonique centré sur l’essentiel, pour un tarif abordable. Mais à vouloir être trop minimaliste pour contenir les coûts dans un contexte aggravé de pénurie de composants, on en a oublié l’un des fondamentaux en synthèse analogique : l’ergonomie. C’est vraiment pénible d’utiliser les curseurs multifonctions, surtout sans retour sur les valeurs. Passer par un contrôleur ou une STAN ne conviendra pas à ceux qui recherchent un synthé directement exploitable. C’est d’autant plus dommage que la partie synthèse est intéressante (en dépit de l’unique VCO qui restreint la panoplie sonore) et que le son est là (un peu gâché par le souffle dans les aigus et la réverbe). Cela nous laisse un goût amer après le très bon Typhon. Du coup, le Nymphes est plutôt réservé à ceux qui visent une utilisation de type boite noire dans une configuration déjà suffisamment fournie, pour ajouter du son analogique polyphonique à prix attractif…